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III. - L'hérédité des caractères humainsHaut
I. - Caractères normaux
A. - Particularités fonctionnelles.
Les différents caractères héréditaires normaux chez l'homme
peuvent se répartir en deux catégories :
1) les caractères monomériques à transmission mendélienne
simple, dont le meilleur exemple est celui des groupes sanguins,
2) les caractères à déterminisme génétique très probable,
mais non parfaitement déterminé, c'est-à -dire ressortant probablement d'une
hérédité polymérique.
Hérédité des groupes sanguinsGroupe A B O
Les phénomènes d'iso-agglutination permettant d'établir le
groupe d'un individu en fonction de ses réaction immunologiques furent
décrits dès 1909 par LANDSTEINER.
Sans nous étendre sur la technique hématologique nous
rappellerons que deux types d'agglutinogènes spécifiques A ou B peuvent se
rencontrer sur les globules rouges de certains individus ou faire défaut.
Réciproquement le sérum sanguin peut contenir des agglutinines spécifiques
de ces antigènes, à cette réserve près qu'un même sujet ne peut présenter
dans son sérum les agglutinines spécifiques des antigènes qu'il porte sur
ses globules.
Le tableau suivant résume les données précédentes :
Groupe sanguin | Agglutinine sérique
| Antigène globulaire |
O | Anti A + Anti B | absence |
A | Anti B | A |
B | Anti A | B |
AB | absence | A+B |
La transmission héréditaire du groupe sanguin A B O fut
prouvée par von DUNGERN et HIRZFELD, qui montrèrent, en 1910, que les
agglutinogènes A ou B ne peuvent apparaître chez les enfants que s'ils
existent chez l'un des parents au moins.
Une étude statistique permit à BERNSTEIN, en 1925, de montrer
que l'hypothèse de 3 gènes allèles pouvait rendre compte des observations
hématologiques.
Dans ce système, le gène A (présence d'antigène
érythrocytaire A) domine sur le gène O (absence d'antigène érythrocytaire).
De même, le gène B (présence d'antigène érythrocytaire B) domine sur O,
mais A et B ne sont ni dominants ni récessifs, mais se manifestent tous deux
lorsqu'ils sont simultanément présents. Au total, ce système se décompose
ainsi :
Groupe sanguin (phénotype) | Génotype de
l'individu | Fréquence dans la population |
AB | A + B | 2 pq |
A | A +
A | P2 | p2 + 2 pr |
ou | |
A + O | 2 pr |
B | B +
B | q2 | q2 + 2 qr |
ou | |
B + O | 2 qr |
O | OO | r2 |
p = fréquence du gène A ; q = fréq. du
gène B ; r = fréq. du gène O. |
Ce système permet de prévoir la descendance possible des
couples lorsque le groupe des parents est connu. Par exemple, le mariage OO X
OO ne peut donner que des enfants O, à l'exclusion de tout autre groupe. De
même, une mère AB transmettant à ses enfants soit le gène A; soit le gène
B, ne peut avoir d'enfant O, quel que soit le groupe du père.
On conçoit donc qu'il soit possible d'exclure certaines
paternités supposées sur le simple fait de l'incompatibilité génétique (V,
ci-dessous). Il est intéressant de remarquer que HIRSZFELD, sur 26.957 enfants
répartis dans 12.257 familles, et WIENER, sur 3.398 enfants répartis dans
1.590 familles, n'ont trouvé qu'un nombre infime d'exceptions à cette loi de
transmission unifactorielle. Il semble avéré que les quelques exceptions
signalées relevaient soit d'une erreur de technique, soit d'une fausse
paternité.
Actuellement plusieurs sous-groupes de gène A ont été
proposés : A1, A2, A3, A4. Ces gènes semblent être des allèles de la même
série et se transmettent comme tels. Leur détection est encore délicate et
leur application à l'analyse de la parenté est encore relativement peu
certaine.
Groupe M N
Décrit en 1927 par LANDSTEINER et LEVINE, il est constitué
de deux allèles M et N de même expressivité.
Leur transmission rigoureusement régulière conduit à
l'existence de trois phénotypes :
Groupe sanguin
(phénotype) | Génotype | Fréquence |
M | MM | p2 |
MN | MN | 2 pq |
N | NN | q2 |
La découverte de sérums anti-S et anti-s conduit à penser
actuellement que le groupe MN doit être décomposé en 4 allèles au lieu de
2, les allèles MS, Ms, NS et Ns, autorisant les groupes suivants :
MMSS, MMSs, MMss, MNSS, MNSs, MNss, NNSS, NNSs, NNss.
Enfin, la découverte des agglutinogènes Hunter (Hu) et
Henshaw (He) est venue compliquer encore ce système.
Groupe Rhésus
En 1940, LANDSTEINER fit une nouvelle découverte en
immunisant des lapins avec les globules rouges d'un singe. Le sérum anti-singe
ainsi préparé agglutinait les hématies de 85 % des sujets humains examinés,
appelés pour ce fait " Rhésus positifs (Rh+) ", tandis que les hématies des
autres sujets n'étaient point agglutinée (sujets Rh -).
La découverte de ce facteur donna la clef de
l'érythroblastose foetale, due au fait qu'une femme Rh-, ayant déjà eu des
enfants Rh+ (ou ayant subi une transfusion de sang Rh+) fabrique des anticorps
circulants anti-Rh+ qui sont susceptibles de léser les globules rouges de
l'enfant suivant, si ce dernier est lui aussi Rh+. Ce système, d'abord
considéré comme monomérique (le gêne Rh+ dominant sur Rh-), fut ensuite
décomposé en plusieurs facteurs par les découvertes successives de nouveaux
antigènes Rhésus, découvertes dues surtout à RACE et à WIENER.
Actuellement, selon l'hypothèse de Fischer, trois loci
distincts mais très rapprochés, situés sur le même chromosome, seraient
responsables des caractéristiques groupales de l'individu.
La représentation schématique suivante peut en être donnée
:

Si les seuls allèles C, D, E et c, d, e sont étudiés, 8
combinaisons chromosomiques sont possibles : CDe, cde, cDE, cDe, cdE, Cde, CDE,
CdE (rangées ici par ordre de fréquence décroissante dans les populations de
l'ouest européen).
Il faut remarquer que l'hypothèse de Fischer souffre d'un
manque de preuve car aucune recombinaison entre ces loci n'a pu jusqu'ici être
mise en évidence. D'ailleurs, pour WIENER, la simple hypothèse d'allèles
multiples, correspondant aux huit combinaisons que nous venons de citer,
répond aussi bien aux faits observés. Dans l'état actuel des recherches, il
est impossible de trancher définitivement entre ces deux hypothèses.
Autres groupes sanguins
La spécificité d'autres antigènes sanguins et l'étude de
leur transmission héréditaire ont permis d'isoler d'autres groupes, que nous
énumérerons simplement :
Système Duffy (CUTBUSH et MOLLISON, 1950). -
Deux allélomorphes Fya dominant sur Fyb déterminent
deux phénotypes ou groupes sanguins :
Fy (a-) correspondant au génotype Fyb
Fyb. Fy (a+) correspondant aux génotypes Fya
Fyb ou Fya Fya.
Système Kell - Un gène K dominant sur son
allèle k détermine 2 groupes possibles :
(K+) correspondant au génotype K K ou K k.
(K-) correspondant à kk.
Système Kidd - Deux antisérums anti-Jka et
anti-Jkb permettent la détection de 3 génotypes :
Jk (a+ b-) de génotype Jka Jka.
Jk (a+ b+) de génotype Jka Jkb.
Jk (a- b+) de génotype Jkb Jkb.
Système Lewis - D'après ANDRESSEN, un gène
récessif Lea déterminerait, à l'état homozygote, la présence
d'antigène Lewis sur les globules. L'allèle dominant Leb a été
bien observé, mais 6 % des individus ne réagissent ni au sérum
anti-Lea ni à l'anti-Leb. Le déterminisme génétique de
ce groupe n'est donc pas encore complètement connu.
Système Lutheran (CALLENDER et RACE, 1946).
- Le système allélique composé de deux gènes Lua dominant sur
Lub détermine deux phénotypes Lu (a+), correspondant au génotype
Lua Lua ou Lua Lub, et Lu (a-)
correspondant à Lub Lub.
Système P (LANDSTEINER et LEVINE). - Un gène P
dominant sur son allèle p détermine la formation de deux phénotypes :
P+, de génotype PP ou Pp,
P- (absence d'antigène P), de génotype pp.
Répartition géographique des groupes
sanguins
Les différents gènes responsables des caractéristiques
antigéniques des globules rouges sont très inégalement répandus dans les
diverses races.
On sait, par exemple, que la fréquence du gène B est
particulièrement élevée en Asie centrale et dans le nord de l'Inde, cette
fréquence décroissant régulièrement lorsque l'on s'éloigne de ce centre
vers l'Europe occidentale. Ce fait serait peut-être en rapport avec les
invasions mongoles.
Par contre, ce même gène B est pratiquement inexistant chez
les Amérindiens, de même qu'en Australie.
Par ailleurs, la fréquence du gène M atteint 91,3 % chez les
Esquimaux groenlandais, alors qu'elle n'est que de 16 % chez les Australiens
arborigènes. L'étude de la répartition des gènes des groupes sanguins est
actuellement l'un des champs les plus fructueux de la recherche anthropologique
et a déjà fourni des renseignements extrêmement précieux sur l'histoire et
l'évolution des populations.
Exclusion de paternité
La connaissance de l'hérédité des groupes sanguins permet
de déterminer, pour un mariage donné, les groupes sanguins possibles des
enfants.
La technique médico-légale de l'exclusion de paternité peut
se résumer ainsi : connaissant le groupe sanguin de la mère et de l'enfant,
on examine si le groupe du père supposé est compatible avec ceux-ci. S'il y a
une incompatibilité, par exemple si l'enfant est AB, sa mère, B, et son père
supposé, O, on peut affirmer que le père supposé ne peut pas être le
véritable père de l'enfant. Dans ce cas simple, il est évident que le père
supposé étant du groupe O, il ne peut transmettre que le gène O et l'enfant
ne peut donc avoir reçu de lui le gène A, qu'il manifeste.
Un raisonnement identique est applicable à tous les systèmes
sanguins connus et, d'après RACE et SANGER, l'étude des groupes ABO, MN,
Rhésus (avec sérums Anti-C, anti-c, anti-D, anti-E), Kell, Lutheran, Duffy et
Lewis permettrait d'établir l'incompatibilité entre l'enfant et son père
présumé dans 62 % des cas de fausse paternité.
Il est particulièrement important de remarquer que cette
technique ne permet que l'exclusion de paternité dans le cas où une
incompatibilité père-enfant est relevée. Par contre, si tous les groupes du
père et de l'enfant sont compatibles, aucune conclusion n'est possible ; cette
concordance peut être un effet du hasard et ne veut nullement dire que le
père supposé est bien le vrai père de l'enfant. Toutefois, dans le cas
exceptionnel de certains gènes très rares (par exemple le gène
Cw) la présence simultanée chez le père supposé et l'enfant (en
dehors de la mère) pourra être considérée comme une présomption, mais non
comme une preuve de paternité.
Autres caractères a hérédité probablement
mendélienneCaractère sécréteur
Certains sujets sécrètent, dans la salive, le liquide
gastrique, les urines, etc., les substances antigéniques A, B ou O. D'autres
sujets ne sécrètent pas ces substances. L'aptitude à sécréter serait due à
un gène S dominant sur son allèle s, le caractère sécréteur étant tout à
fait indépendant du système S, subdivisant le groupe M N.
Aptitude gustative
Certains sujets trouvent très amères les substances du type
de la phényl-thio-carbamide, d'autres les trouvent insipides. L'aptitude
serait due à un gène dominant, l'inaptitude, à un gène récessif. Cependant,
les fréquences de goûteurs et de non goûteurs se chevauchant en fonction de
la concentration du produit, le déterminisme mendélien simple ne peut être
définitivement accepté.
Enfin, l'aptitude à rouler la langue en accolant ses deux
bords latéraux serait-elle, aussi, héritée de façon dominante, l'aptitude
dominant sur l'inaptitude.
Caractères quantitatifs
De nombreux caractères quantitatifs sont sous la dépendance
plus ou moins directe de l'hérédité.
Types nucléaires
R. TURPIN et J. PITON et A. CARATZALI ont pu montrer que le
type de distribution de la formule d'Arneth semble héréditaire.
En effet, l'étude de la répartition de fréquence des
différents types nucléaires (bi-, tri-, tétra- ou multilobés) présents
dans le sang d'un individu a permis à ces auteurs de montrer que la
corrélation entre les moyennes de deux jumeaux était beaucoup plus élevée
dans le cas de gémellité monozygote (0,87) que dans le cas de gémellité
dizygote (0,33). De même, la fertilité (K. PEARSON), le poids de naissance
(R. TURPIN, A. CARATZALI et GORNY) et les particularités de l'ossification (R.
TURPIN, M. TISSERAND, G. BERNYER et M. GASPAR) seraient notablement influencés
par l'hérédité.
Longévité
Elle serait, elle aussi, quoique d'une façon indirecte, sous
la dépendance du génotype. Par ailleurs, des facteurs progénésiques non
héréditaires entreraient aussi en jeu ; c'est ainsi que l'espoir de vie des
enfants varie en raison inverse de l'âge de la mère à leur naissance
(JALAVISTO, 1950), la longévité des aînés étant très supérieure à celle
des derniers-nés.
Gémellité
Elle peut être manifestement familiale, certains auteurs
admettant l'hérédité de la polyembryonie. Par contre, la polyovulation
serait surtout sous la dépendance de l'âge de la mère, la fréquence des
gémellités dizygotes croissant régulièrement avec l'âge de la mère,
jusqu'à 35-40 ans, pour redescendre ensuite. Le rang de naissance aurait, lui
aussi, une action favorisante non négligeable (MAC-ARTHUR, 1953).
B. - Particularités morphologiques.
Taille
L'anthropologie en opposant les races de haute stature du
nord-ouest de l'Europe aux races de petite taille du Japon par exemple, la
pathologie en décrivant des familles de géants, de nains fournissent déjà
des indications utiles à la Génétique. Suivant les cas, cependant, le nanisme
semble hérité comme un caractère dominant ou récessif et ce fait déjà
laisse entendre que l'action de l'hérédité sur la taille ne se ramène pas
à celle d'un simple facteur mendélien.
La conception généralement admise est celle de G. DAVENPORT.
L'eugéniste américain a recueilli ses documents soit en observant une
population de Blancs, soit en observant les conséquences de croisements entre
Blancs et Noirs. Il conclut de sa première enquête que la taille doit
dépendre de facteurs multiples et que les facteurs de haute taille ont
tendance à être récessifs dans les croisements avec les individus de petite
taille. Nous allons exposer dans un instant ce qu'il faut entendre par
hérédité liée à des facteurs multiples. La seconde enquête de cet auteur
met en valeur l'influence de l'hérédité sur les dimensions relatives des
différentes pièces du squelette. Les Noirs ont les jambes et les bras plus
longs que les Blancs et cet allongement porte sur les segments distaux plus que
sur les proximaux. Les Blancs ont le cou et le tronc plus longs, compensant
ainsi l'infériorité d'autres segments qui agissent sur la taille. Les enfants
nés de ces croisements sont intermédiaires.
La principale objection faite à DAVENPORT fut celle de CASTLE
qui lui objecta la théorie des coordinations organiques. Cet expérimentateur
avait constaté, en effet, chez le lapin que les facteurs héréditaires qui
affectent la taille affectent en même temps les autres croissances
segmentaires et dans le même sens. Chez l'homme également, la brachydactylie
est contemporaine d'une diminution de taille. Toutefois les données de CASTLE
ayant montré à WRIGHT qu'elles ne permettaient pas d'éliminer le rôle de
facteurs de croissance partielle du crâne, des os des membres, indépendants
de facteurs de croissance globale du corps, on considère généralement que la
taille d'un individu dépend de cette double action héréditaire, générale
et segmentaire.
L'hypothèse des facteurs multiples, à laquelle nous venons de
faire allusion à propos de l'hérédité de la taille, est souvent invoquée
pour expliquer l'hérédité de caractères quantitatifs, taille, couleur de la
peau. Quand on croise deux individus s'opposant par la taille ou la
pigmentation, par exemple, la ségrégation attendue en F2 ne se produit pas.
Les types parentaux, surtout si les descendants sont peu nombreux, ne
réapparaissent pas. La génération est composée de types intermédiaires en
apparence. Cependant, plus le nombre de descendants est grand, plus on a de
chances de trouver des individus non intermédiaires, mais, s'il s'agit de la
taille, plus grands ou plus petits que les parents. Le mendélisme semble en
défaut. Cependant il permet d'interpréter de manière très intéressante ce
mode d'hérédité dite " de type constant intermédiaire ". La valeur de cette
interprétation paraîtra mieux encore quand nous étudieront les variations
(V. fasc. 4140 E, p. 1).
Supposons avec E. GUYENOT, LANG, que la couleur rouge d'une
fleur dépende de trois couples factoriels XX, YY et ZZ, dits " polymères ",
c'est-à -dire qui, orientés dans le même sens, additionnent leurs effets. La
fleur récessive blanche possédera les allémorphes xx, yy, zz. De leur
croisement résultera en F1 Xx, Yy, Zz roses et, en F2, soixante-quatre
combinaisons possibles (43), suivant les proportions :
1 à 6 | facteurs rouges | XX YY
ZZ | fleur rouge pur |
6 à 5 | - | - | fleur 5/6e
rouges |
15 à 4 | - | - | fleur 4/6e
rouges |
20 à 3 | - | - | fleur 3/6e
rouges |
15 à 2 | - | - | fleur 2/6e
rouges |
6 à 1 | - | - | fleur 1/6e
rouges |
1 à 0 | - | xx yy zz | fleur blanc
pur |
Si la population est peu nombreuse, ce sont les types les plus
fréquents 4/6es, 3/6es, 2/6es qui apparaîtront surtout, avec des nuances de
rouge difficiles à distinguer, et l'hérédité semblera intermédiaire. Mais
on peut prévoir que le croisement de deux types 1/6e, hybrides monodominants,
donnera non seulement des fleurs comparables au type parental, 1/6e, mais
différentes de ce type, les unes blanches, 6 fois récessives, les autres plus
rouges 2/6es 2 fois dominantes. Cette ingénieuse théorie s'accommode donc
bien des faits. Elle s'en accommode encore mieux si nous faisons intervenir 4
facteurs au lieu de 3, avec 256 combinaisons possibles, car celles-ci donneront
encore mieux une impression de mélange.
Les travaux les plus connus sur ce sujet sont ceux de CASTLE
(1909) sur la longueur de l'oreille du lapin. Nous avons déjà fait allusion au
phénomène de luxuriance des hybrides, d'hétérosis. Il est peut-être dû à
l'action cumulative de facteurs polymères. La taille d'individus nés du
croisement entre races différentes dépasse parfois celle des parents, tels
les sujets masculins nés de l'union des mutins du < Bounty > et de
mères polynésiennes, tels les descendants de Boers et d'Hottentots (E.
FISHER).
Les études gémellaires montrent que la taille est beaucoup
moins sensible à l'ambiance que le poids. Cependant on rattache généralement
aux modifications du milieu l'accroissement de taille des recrues en France, au
Japon. D'après LE BLANC, dans ce dernier pays la moyenne s'est élevée de 156
cm 29 en 1892 à 159 cm 52 en 1926.
Rachis
Le problème du développement du rachis se rattache à celui de
la taille. Les minutieuses analyses de LESOUCQ, de POIRIER, nous ont montré
que le rachis, au cours de son développement, se transforme dans le sens
céphalique : le sacrum absorbe une vertèbre, le thorax perd une côte. Un
excès ou un défaut de cette orientation rend compte de diverses malformations
du rachis adulte.
Les recherches radiologiques d'E. FISHER, KÜHNE et FREDE ont
confirmé ce processus ; ils ont étudié chez les jumeaux ses rapports avec
l'hérédité et décelé une action pléiotrope qui rendrait compte de la
solidarité embryogénique du rachis, des plexus nerveux, des muscles, des
sinus pleuraux annexés au squelette vertébral.
Crâne
La configuration crânienne a été fort étudiée; elle offre,
en effet, aux anthropologistes de nombreux moyens d'investigation, qui
s'étendent même à la préhistoire.
Les mensurations de FRETS, effectuées de 1917 à 1923 sur 3.600
individus issus de 360 familles lui ont montré que les brachycéphales,
c'est-à -dire les indices forts, dominent les dolichocéphales, c'est-à -dire
les indices faibles. Deux séries d'allélomorphes joueraient, expliquant la
morphologie variable des hétérozygotes ; dans l'une le facteur dominant
serait la brachycéphalie, dans l'autre la dolichocéphalie. On connaît,
d'ailleurs, à côté d'un type brachycéphale dominant à grosse tête, un type
dolichocéphale dominant à petite tête. D'après les conclusions analogues de
GATES, le caractère tête ronde domine le caractère tête longue.
Les études gémellaires révèlent une concordance de
configuration plus grande chez les monozygotes que chez les dizygotes. Elle
serait un peu différente suivant le segment considéré, le squelette du front
paraissant par exemple plus sensible au milieu. R. TURPIN, M. TISSERAND, G.
BERNYER et M. GASPAR ont étudié les corrélations entre l'étendue des sinus
frontaux, d'après les épreuves radiographiques chez des couples de mono- et
des couples de dizygotes. La moyenne des différences s'est élevée chez les
premiers à 2,0, chez les seconds à 4,1. La probabilité pour que la différence
entre ces deux moyennes soit due à la chance est inférieure à 1 %. Nous sommes
donc autorisés à conclure à une ressemblance plus marquée chez les
monozygotes.
Couleur des yeux
Il est possible de distinguer schématiquement, avec HURST, deux
types de pigmentation irienne : duplex, quand la mélanine se trouve à la fois
sur les parties antérieure et postérieure de l'iris, qui prend alors une
couleur brune foncée ; simplex, quand le pigment ne se trouve que sur la
partie postérieure de l'iris, qui prend alors une couleur plus claire, bleue.
Ce deuxième type serait une mutation récessive du premier, souvent
contemporaine d'une mutation blonde des cheveux et de la peau. Mais si
l'investigation conduite par WINGE au Danemark lui a donné des résultats qui
s'accordent avec l'intervention d'un simple couple factoriel, le problème est
étrangement compliqué par l'existence de types mixtes, difficiles à
discerner. Le pigment peut s'étendre en effet plus ou moins à la paroi
antérieure de l'iris formant un anneau autour de la pupille, dessinant des
stries radiées, des taches ou des points. Du pigment jaune mêlé au noir fait
apparaître une teinte grise. Suivant les cas, on a parlé de facteur
allélomorphe du bleu, du brun, de facteur modificateur.
Couleur de la peau
Selon DAVENPORT, les différences qui séparent la couleur de la
peau de la race blanche et de la race noire tiennent à deux facteurs
mendéliens. Il existerait, en outre, des influences génétiques mineures ou
modificatrices. Ces déductions des résultats de croisements entre races
blanche et noire, entre Européens et Chinois ou Japonais ou Indiens
d'Amérique font donc intervenir des facteurs polymères de pigmentation. Mais,
d'après les considérations développées précédemment, rien ne
s'opposerait, si cette thèse est valable, à l'apparition exceptionnelle, parmi
les descendants de mulâtres issus de croisement entre Blancs et Noirs,
d'enfants presque blancs ou noirs purs, faisant retour aux types parentaux. Si
ce dernier type est difficile à caractériser, il n'en est pas de même du
premier. Or, précisément, G, et C. DAVENPORT ont trouvé des exemples non
douteux d'enfants blancs ou presque dans la descendance de métis.
Couleur des cheveux
Elle serait sous la dépendance d'un facteur dominant, qui
déterminerait l'apparition du pigment noir ; d'un facteur récessif, qui
déterminerait l'apparition du pigment jaune. Le roux serait le fait d'une
mutation réduisant la proportion du pigment noir par rapport au pigment
jaune.
Cette pigmentation serait encore influençable par un facteur
d'intensité. Elle ne peut apparaître, chez l'homme aussi bien que chez la
souris, que si le facteur conditionnel C est présent ; s'il est remplacé par
son allélomorphe récessif, l'individu est albinos (V. fasc. 4140 A-B, p.
7).
Forme des cheveux
Son étude génétique a été faite par M. et Mme DAVENPORT. On
sait que les cheveux de coupe circulaire sont raides, que les cheveux de coupe
elliptique ont plus ou moins tendance à boucler suivant qu'ils sont plus ou
moins plats. Ainsi peut-on distinguer les cheveux raides, ondulés, bouclés,
crépus. La dominance du type crépu est nette, la dominance du type bouclé
est imparfaite.
Configuration dentaire
L'identité de forme, d'orientation, d'implantation, de
dimensions des dents de lait et des dents permanentes des jumeaux monozygotes
est frappante.
En outre, diverses anomalies sont concordantes : absence
d'incisives supérieures latérales ; absence d'un couple de prémolaires ;
écart anormal entre les incisives supérieures médianes ; présence de
cuspides surnuméraires, tuberculum incisum, tuberculum impar de CARABELLI.
Empreintes digitales
D'après les opinions émises, l'hérédité du type
dactyloscopique offrirait un nouvel exemple humain de polymérie. Rime K.
BONNEVIE s'est particulièrement attachée à son étude. Une empreinte digitale
est caractérisée à la fois par le type du dessin : arc, boucle radiale ou
cubitale, tourbillon ; par la valeur du dessin, appréciée par le nombre de
crêtes papillaires comprises entre le centre du dessin et le repère du delta
; par la tendance à la forme globale, circulaire ou elliptique. Cette
disposition papillaire serait consécutive à la résorption des bourrelets
digitaux emplis de liquide. Apparus vers le 3e mois de la vie intra-utérine,
ces bourrelets disparaîtraient vers le 4e.
L'hérédité de la valeur du dessin, seule bien connue,
dépendrait de trois gènes polymères. Le couple V v déterminerait
l'épaisseur générale de l'épiderme ; le couple R r la formation ou la
non-formation du bourrelet radial ; le couple U u la formation ou la
non-formation du bourrelet cubital. Ces paires seraient localisées chacune
dans des paires chromosomiques différentes.
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II. - Caracteres pathologiques
La pathologie humaine offre de grandes possibilités d'études
génétiques. En nous révélant les conséquences d'une substitution de gène,
elle nous enseigne indirectement les attributs du gène normal. Elle met en
valeur même parfois quelques-unes des réactions qui séparent le trouble
génotypique de son expression phénotypique : fragilité globulaire et ictère
hémolytique héréditaire, retard de la coagulation et hémophilie ;
métabolisme imparfait de la tyrosine et alcaptonurie.
Bien avant le mendélisme, la pathologie humaine avait recueilli des
exemples de maladies qui se comportent à la manière de caractères
mendéliens. La cécité nocturne, étudiée par CUNIER en 1831, est liée à un
gène dominant autosomique ; la dyschromatopsie est une maladie récessive
liée au sexe (CUNIER, 1839). La transmission familiale de l'hémophilie est
connue depuis 1820.
Nous rapporterons tout d'abord les exemples les plus typiques de
maladies liées à un gène substitué, dominant ou récessif, indépendant ou
non des chromosomes sexuels. Puis nous envisagerons les problèmes des rapports
de l'hérédité avec les maladies infectieuses, la tuberculose, le cancer. En
procédant ainsi, nous ferons souvent allusion à des maladies fort rares que le
médecin n'a guère l'occasion de rencontrer, souvent même qu'il n'aura jamais
vues au cours de sa carrière. Par contre, nous laisserons dans l'ombre des
maladies communes. Ce plan est imposé par les faits eux-mêmes, les
difficultés de leur analyse, l'obligation de procéder du simple au complexe.
Nous avons exposé ailleurs les obstacles que la pathologie humaine oppose aux
enquêtes génétiques.
Maladies dominantes
Quand une maladie dépend d'un gène substitué, autosomique,
dominant, elle apparaît chez tous les sujets qui portent ce gène. Elle est
transmise de génération en génération et toujours par un sujet atteint, du
sexe masculin ou féminin. Elle apparaît indifféremment chez les garçons et
chez les filles. Si nous appelons M le caractère pathologique et n le
caractère normal, les conjoints sont généralement, à moins que M soit très
fréquent, du type :
Mn x nn
[ce qui donne une déscendance] 1/2 Mn 1/2 nn.
Le malade hétérozygote transmet donc sa maladie à 50 % de ses
descendants. S'il était homozygote M M, il la transmettrait à tous.
1° Affections oculairesCécité nocturne
Le premier cas de cécité nocturne ou hespéranopie, relaté
par la littérature médicale (1831), se rapporte à un conscrit, pris tout
d'abord pour un simulateur. Examiné à Montpellier par le Professeur SERRE, on
releva chez lui les signes devenus classiques de la maladie : l'abolition à peu
près totale de la vision nocturne contrastant avec l'intégrité de la vision
diurne. La cécité nocturne est corrigée en fonction de l'intensité
lumineuse qui peut aider le sujet (clair de lune). A cette occasion, CUNIER, se
rendant au pays d'origine du malade, à Vendémian, commune voisine de
Montpellier, put établir un pedigree des Nougaret portant sur 6
générations.
La cécité nocturne est une affection congénitale que la
mère, dans les familles atteintes, s'efforce de dépister dès la naissance
chez ses nourrissons. Elle est régionale, ne dépassant guère l'Hérault.
L'enquête héréditaire est parfois viciée par de fausses déclarations, les
sujets atteints pouvant avoir intérêt, pour ne pas faire obstacle à un
mariage, à cacher leur infirmité. La cécité nocturne a les caractères
héréditaires d'une maladie dominante, liée à un seul gène substitué,
autosomique. Une forme clinique accompagnée de myopie est transmise à la
manière d'une maladie récessive simple (VOGT) ou récessive liée au sexe
(KLEISER et VARELMAN).
Cataractes congénitales
La cataracte zonulaire est transmise suivant ce mode.
Longtemps stationnaire, elle intéresse par définition le noyau embryonnaire
du cristallin et, en général, se complète avec le temps. D'autres formes,
capsule-lenticulaires postérieures, appartiennent à ce groupe.
Glaucome
Une forme dominante a été rapportée, distincte, du point de
vue génétique, de la forme récessive liée au sexe (KAMENETZKI).
Ptosis
Cette anomalie, dans une observation de BRIGGS, est transmise
de façon continue pendant 6 générations.
Opacité cornéenne congénitale
R. TURPIN, M. TISSERAND et J. SÉRANE ont étudié la
transmission du type tacheté central superficiel de cette anomalie. Elle
intéressait deux jumelles monozygotes. Le pedigree ci-dessous montre sa
transmission suivant le type dominant. Une atténuation aurait été notée,
avec l'âge, chez deux fillettes.
 Fig. 1. - Opacité
cornéenne héréditaire et congénitale (R. TURPIN, M. TISSERAND et J.
SÉRANE).
2° Affections du squeletteBrachydactylie
Cette dystrophie porte sur la deuxième phalange, dont la
brièveté anormale réduit la longueur totale des doigts. Les mains
apparaissent grossières. En outre, les sujets sont petits, car les os longs
des jambes sont courts, eux aussi. Cet état ne s'accompagne pas d'un
amoindrissement de leur résistance générale, souvent meilleure que celle de
leurs frères et sueurs normaux.
La brachydactylie est connue comme maladie dominante depuis la
description qu'en fit en 1905 FARABEE ; trois ans plus tard, cette hérédité
fut confirmée par DRINKWATER.
 Fig. 2. - Brachydactylie
(auriculaire). Symphalangie
Diverses observations concordantes permettent de rattacher la
symphalangie à ce groupe. La première phalange est en général soudée à la
deuxième ; les doigts sont courts.
Main " en pince de homard ". Dysostose
cléido-crânienne.
Cet autre exemple de dominance simple réunit des anomalies du
crâne, des clavicules, des dents et des mains. Le diamètre transversal du
crâne est accru, ses os ne sont pas soudés, les fontanelles non ossifiées.
L'aplasie claviculaire est plus ou moins complète ; elle ne trouble guère la
statique des épaules ni leurs mouvements. Les phalanges unguéales sont
atrophiées.
3° Affections de la peau, des cheveux, des
muqueuses.
De nombreuses affections héréditaires appartiennent à ce
chapitre de la pathologie. Cela tient, sans doute, en partie, aux avantages de
l'examen direct des territoires atteints. Les affections suivantes sont
transmises suivant le mode dominant simple autosomique
Tylosis
Cette affection est caractérisée par l'épaississement de la
peau de la paume des mains et de la plante des pieds. L'hypertrophie générale
des couches de la peau intéresserait surtout, d'après DUPRÉ et MOSNY,
l'épiderme et la couche moyenne du stratum corneum.
La maladie de Meleda, proche du tylosis, s'en distingue par
l'atteinte du dos des mains et des pieds, par l'apparition d'aires de kératose
sur les coudes, et, du point de vue héréditaire, par sa forme récessive.
Dystrophies unguéales
Les variétés en sont nombreuses. R. TURPIN, et J. PITON ont
relaté un exemple de koïlonychie, " ongles en cuiller ", que deux frères
utérins avaient héritée de leur mère. Cette dystrophie est souvent
associée à l'anémie hypochrome héréditaire, récemment étudiée par I.
LUNDHOLM.
Sclérose tubéreuse de Bourneville
L'analyse génétique que PENROSE a pu faire de la sclérose
tubéreuse, ou épiloïa, conclut à la probabilité d'une hérédité
dominante. Les troubles cutanés de cette affection : adénomes sébacés de la
face, taches cutanées pigmentaires, noevi, ne sont qu'une partie d'une
symptomatologie beaucoup plus riche, caractérisée surtout par la sclérose
nodulaire du cerveau, avec épilepsie et insuffisance mentale, les rhabdomyomes
du coeur, les tumeurs mixtes du rein. Ces formations tumorales peuvent devenir
malignes.
Neurogliomatose
Dans la grande majorité des cas, cette maladie est un exemple
de dominance simple. Les symptômes anatomo-cliniques la rapprochent de
l'épiloïa. La peau est semée de larges aires pigmentaires, pâles, et de
petites taches, plus sombres. Des tumeurs cutanées sessiles ou pédiculées
réalisent, quand elles confluent, la neuromatose éléphantiasique. Les
tumeurs des nerfs périphériques sont nodulaires, fusiformes ou plexiformes ;
elles auraient pour origine, selon DARIER, la prolifération de la gaine de
Schwann. Cette maladie peut encore faire apparaître des lymphangiomes, des
lipomes. Elle peut, à la manière de beaucoup de maladies héréditaires, ne
pas revêtir le même aspect d'une génération à l'autre. Nous l'avons vue
affecter une forme fruste chez le père et déterminer, chez l'enfant, une
tumeur solitaire, volumineuse, de la cavité pelvienne, avec signes de
compression rapidement mortels. Les sarcomes qui se développent parfois sur
ces tumeurs ne donnent qu'exceptionnellement des métastases.
Hommes pies. Mèche blanche
Alors que l'albinisme généralisé complet, que nous
étudions plus loin, est de type récessif autosomique, une variété d'hommes
pies est dominante ainsi qu'une variété de mèche blanche. Cette dernière
particularité, bien que transmise par les fils et les filles indifféremment,
n'apparaît parfois que chez les mâles.
Télangiectasies multiples
Il est généralement admis que cette affection est héritée
suivant le mode dominant autosomique. Parfois cependant, la maladie est
transmise par un sujet indemne, mais il est possible qu'il ne s'agisse que
d'une apparence, de minimes télangiectasies cutanées ou muqueuses pouvant ne
pas être vues. En général, le premier signe est l'épistaxis, d'habitude
précoce, et suivi, quelques mois ou quelques années plus tard, des diverses
variétés de télangiectasies.
Epidermolyse bulleuse héréditaire
Il existe une variété dominante simple de cette maladie, que
caractérise une tendance à réagir par des phlyctènes séro-sanglantes au
moindre traumatisme. Les localisations sont surtout sous-cornéennes,
palmo-plantaires, ou au niveau des genoux, des coudes. Cette anomalie
s'atténue souvent, ou disparaît même à l'âge adulte.
Des variétés récessive, létale ont été rapportées.
Glossite exfoliatrice marginée et langue
plicaturée
L'étude de R. TURPIN et A. CARATZALI de ces deux dystrophies
linguales leur a montré qu'elles n'étaient que deux stades évolutifs d'une
même anomalie héréditaire. D'après leur enquête, la langue plicaturée est
déterminée par un gène dominant, autosomique et peu sensible à l'ambiance.
Son action paraît pléiotrophe, car la dystrophie est souvent contemporaine de
troubles digestifs, de troubles de croissance, d'autres dystrophies mineures.
En outre, dans les familles étudiées, la gémellité parait fréquente : 8
accouchements gémellaires sur 304 naissances, soit 1/37 au lieu de la
proportion, généralement admise, de 1/90. La langue plicaturée enfin peut
être contemporaine de dystrophies sublétales : xeroderma pigmentosum,
mongolisme, neurogliomatose.
4° Affections du système nerveuxChorée de Huntington
L'étude génétique de cette variété de chorée est
compliquée par son apparition tardive. Il est exceptionnel qu'elle débute
avant la puberté. Sa symptomatologie est celle d'une chorée chronique, qui
aboutit progressivement à la démence.
Tremblement héréditaire ; Amyotrophie
Charcot-Marie
Une variété d'amyotrophie Charcot-Marie est solidaire d'un
gène substitué dominant, autosomique. Les localisations, surtout distales,
donnent au malade un aspect caractéristique. Au niveau des membres supérieurs
les mains sont déformées en griffes, les muscles atrophiés " en manchette".
Au niveau des membres inférieurs les muscles de la loge antéro-externe de la
jambe sont surtout atteints, les orteils sont fléchis, le pied excavé est
déformé en varus équin, les muscles sont atrophiés " en jarretière ".
Cette gracilité spéciale contraste avec l'aspect puissant du tronc, des bras
et des cuisses, qui ont conservé une musculature normale.
Maladies récessives.
Dans cette éventualité, tout se passe comme si la maladie était
solidaire d'un gène récessif, autosomique, m, substitué au gène normal
dominant N. Le malade sera nécessairement un homozygote m m et rien ne
distinguera, si la dominance est totale, un sujet indemne N N d'un
hétérozygote N m. Diverses unions peuvent être imaginées : N N X m m, ne
donnant que des sujets N m ; N m X m m, donnant 1/2 N m et 1/2 m m ; N m X N N
donnant 1/2 N N et 1/2 N m. Mais, le cas le plus fréquent est celui de l'union
de deux conjoints d'apparence normale N m X N m, donnant 1/4 N N, 1/2 N m et
1/4 m m.
En général, les parents sont donc hétérozygotes et, pour des
raisons que nous avons exposées, ils sont souvent alliés. Les maladies
récessives tendent à se retrouver parmi des parents proches et parmi la
progéniture de parents proches. Elles atteignent indifféremment les hommes et
les femmes. Les effets de ce gène récessif, puisqu'il est indépendant du
sexe, n'apparaîtront que chez des homozygotes, quart de la descendance dans
l'éventualité N m + N m. Les lois mendéliennes permettent d'apprécier la
fréquence des porteurs latents, N m, quand on connaît la fréquence de la
maladie rn m, au sein d'une population qui s'accroît par unions non
dirigées.
1° Affections du système nerveux
Parmi les affections du système nerveux, deux exemples
méritent surtout d'être retenus : l'idiotie amaurotique, et certaine
variété de surdi-mutité congénitale.
Idiotie amaurotique
Quand cette maladie prend le type juvénile, l'enfant, normal
à la naissance, est atteint, vers 5 ans, de troubles oculaires qui aboutissent
à la cécité vers 8 ans. Parallèlement se développent des troubles
psychiques dont le terme, vers 15 ans, est l'idiotie totale. De tels sujets
meurent d'habitude avant 20 ans et ne peuvent avoir de descendants.
Le type infantile ne se distingue du précédent que par son
début aux environs de la naissance.
Nous sommes redevables à SJÖGREN d'une étude génétique de
cette maladie, qui est héritée, quel que soit le type, suivant le mode
récessif. La proportion en Suède est de 1/25.000e environ. Et parmi les
conjoints dont les enfants sont affectés, le pourcentage des unions
consanguines s'élève à 25 %, dont 15 % de mariages entre cousins germains. Ce
dernier chiffre est 15 fois supérieur à la moyenne normale. D'après les
déductions mendéliennes, s'il existe en Suède un malade sur 25.000
habitants, le nombre des porteurs sains doit être environ 1/100e et, par
suite, un mariage sur 10.000 doit réunir deux conjoints porteurs
hétérozygotes. Un enfant sur quatre devant être affecté, il s'ensuit que si
les unions ne sont pas dirigées un nouveau-né sur 40.000 doit être ou doit
devenir idiot amaurotique. En réalité, la proportion est un peu plus élevée
: 1/30.000e environ, en raison de l'influence de la consanguinité.
 Fig. 3. - Idiotie amaurotique juvénile (d'après SJÖGREN, in J.
B. S. HALDANE). Surdi-mutité congénitale
Dans un chapitre précédent, nous avons fait allusion aux
maladies de même expression bien que d'hérédité différente. La
surdi-mutité appartient à cette catégorie.
A côté de formes héréditaires de surdi-mutité, dont une
est récessive, existent des formes acquises. Cette possibilité a l'avantage
de nous expliquer comment, de l'union de deux sourds-muets, peuvent naître des
enfants normaux. Et cette éventualité n'est pas exceptionnelle car les
mariages entre infirmes, au hasard des asiles, ne sont pas rares.
La génétique expérimentale offre un exemple comparable, que
nous empruntons à J. B. S. HALDANE. La surdité de la souris peut être la
conséquence d'anomalies génotypiques différentes. Elle est reconnaissable
facilement grâce à des troubles moteurs associés ; certains de ces animaux
tournent dans un plan horizontal, souris valseuses ; d'autres hochent la tête
dans un plan vertical, mouvement de nutation. Or, quatre gènes substitués,
distincts, sont susceptibles de faire apparaître, chez la souris, la surdité,
en sorte que deux souris valseuses peuvent engendrer des souris normales si
l'anomalie génotypique responsable n'est pas la même.
2° Affections oculaires
Parmi celles-ci, la rétinite pigmentaire est digne d'attention,
car, à côté d'une variété récessive, prennent place des variétés liées
au sexe et dominantes ; J. B. S. HALDANE a même trouvé un exemple de cette
maladie partiellement liée au sexe. Nous envisagerons plus loin ce mode
particulier. Or, il est intéressant des rapprocher les variétés génétiques
des variétés cliniques ; la forme récessive simple serait la plus précoce,
la forme dominante serait plus tardive et moins grave, la forme récessive
liée au sexe prendrait place entre elles deux.
3° Affections cutanéesXeroderma pigmentosum
Les parents de ces malades sont presque toujours indemnes, à
mains de considérer comme hétérozygotes ceux qui portent des éphélides. La
plupart des auteurs, néanmoins, considèrent que cette anomalie est liée à un
gène substitué, récessif, autosomique.
Cependant, HALDANE et FISHER localisent ce gène sur la partie
homologue des chromosomes X et Y et considèrent son hérédité comme
partiellement liée au sexe. Les garçons et les filles sont touchés de la
même manière. La consanguinité atteindrait, selon COCKAYNE, parmi les
ascendants, 37 % dont 23 % de mariages entre cousins germains. Dès les
premières semaines de la vie, la maladie peut être dépistée par la
photophobie qui traduit déjà l'hypersensibilité de l'enfant à la lumière. Un
érythème se développe sur les régions découvertes. Peu après, les
lésions cutanées desquament, se couvrent de taches pigmentaires ou
atrophiques avec télangiectasies. Le tégument prend, à ce niveau, un aspect
bariolé et deviendra le siège, à la longue, de lésions impétigineuses,
verruqueuses, angiomateuses, atrophiques avec ectropion, atrésie buccale. La
transformation épithéliomateuse achève cette évolution, qui tue les malades
2 fois sur 3 avant 12 ans.
Hyperkératose congénitale
généralisée
Sous la forme bénigne d'ichthyosis congenita ou sous la forme
grave de kératome malin, diffus, congénital, cette affection semble liée à
un gène récessif, indépendant des chromosomes sexuels.
Maladie de Meleda
Suivant les auteurs, cette affection, observée dans l'île de
Meleda, sur la côte dalmate, serait récessive ou dominante. Elle est
caractérisée par une kératose palmo-plantaire avec hyperidrose et une
hyperkératose du dos des mains et des pieds, des coudes et des genoux.
Hybridisme en mosaïque.
Rarement signalé parmi les hommes, l'hybridisme en mosaïque a
été découvert et étudié dans le règne végétal par Ch. NAUDIN.
L'expérience mémorable de 1858 le conduisit à reconnaître que les hybrides
issus du croisement de deux espèces, Datera loevis, à capsules lisses, et
Datera stramonium, à capsules épineuses, revêtaient des formes mixtes
intermédiaires. Parfois, sur le même fruit, coexistaient même les deux
caractères, lisse et épineux. Ch. NAUDIN reproduisit ce phénomène en
croisant Mirabilis jalapa à fleurs rouges et Mirabilis jalapa à fleurs
blanches.
Nous avons souligné précédemment la valeur fondamentale de
cette découverte de l'hybridisme en mosaïque, à laquelle M. BLARINGHEM a
rendu un juste hommage.
Longtemps après les recherches de Ch. NAUDIN, l'étude des
hybrides, végétaux ou animaux, conduisit divers généticiens à trouver de
nouveaux exemples d'hérédité en mosaïque. Parmi ceux-ci méritent, en
particulier, d'être retenus les phénomènes de gynandromorphisme et
d'intersexualité. Ils sont tous deux des cas typiques de mosaïque des
caractères sexuels, mais tandis que le gynandromorphisme peut être
considéré comme une mosaïque dans l'espace, l'intersexualité peut être
considérée comme une mosaïque dans le temps car l'intersexuel commence son
évolution par son sexe génotypique, mâle ou femelle, et l'achève par le
sexe opposé. Le phénomène d'intersexualité a surtout été étudié par R.
GOLDSCHMIDT, de 1915 à 1934, chez un papillon, Limantria dispar.
La littérature médicale ne contient qu'un nombre très limité
d'observations d'hybrides en mosaïque. Ces sujets ont retenu l'attention, en
général, par des particularités relatives aux cheveux, à la pigmentation,
plus rarement au squelette ou aux caractères sexuels. E. GUYENOT cite
l'exemple des métis d'Européens à cheveux plats et de nègres à cheveux
crépus portant parfois une mèche de cheveux plats au milieu de leurs cheveux
crépus. E. A. COCKAYNE rapporte le cas d'un bébé chez lequel on vit
apparaître, quatre semaines après sa naissance, d'un côté de la tête des
cheveux blonds et de l'autre des cheveux roux et brillants. Un jeune indigène,
dont l'observation a été notée par MOTTRAM, avait une moitié du corps de
teinte brune et l'autre de teinte blanche.
La mosaïque de la couleur des yeux semble moins exceptionnelle
que la mosaïque de la pigmentation de la peau. Elle a été observée chez des
chats dont un oeil est vert ou jaune et l'autre bleu.
Elle est assez fréquente chez l'homme et n'intéresse alors le
plus souvent qu'un segment de l'iris.
De très rares exemples de dystrophies osseuses en mosaïque ont
été rapportés. SIEGERT, BUDDE (cité par KRABBE) ont vu, l'un et l'autre, un
hybride achondroplase d'un côté, normal de l'autre. R. TURPIN, A. CARATZALI
et H. SIKORAV ont rapporté l'observation d'un enfant hybride en mosaïque dont
la mère était atteinte d'une synostose radio-cubitale, bilatérale, et dont
le père était bien conformé. Or, l'avant-bras droit de cet enfant
reproduisait la dysostose maternelle, alors que le gauche, normal, reproduisait
le type paternel. Cet enfant portait ainsi côte à côte les deux caractères
parentaux.

Maladies liées au sexe
La première démonstration d'hérédité liée au sexe a été
fournie par la pathologie humaine. En pratique, il ne s'agit que de maladies
solidaires du chromosome X ;les caractères liés au chromosome Y sont
exceptionnels.
Chromosome X
Le caractère pathologique suit la destinée du chromosome X. Il
est possible théoriquement de distinguer des caractères dominants et
récessifs.
Caractères dominants
La génétique expérimentale offre de rares exemples de cette
éventualité. Une variété de kératose folliculaire (Keratosis follicularis
spinulosa cum ophiasi), rapportée par SIEMENS, appartiendrait à ce groupe.
Cependant chez les femmes hétérozygotes la dominance serait incomplète, ou
même le caractère pourrait faire défaut.
Schématiquement, deux éventualités sont possibles, suivant
que le conjoint malade est masculin ou féminin :
a) Les filles sont atteintes ; les garçons sont indemnes
:
[Les parents] XM Y et Xn Xn [donnent des enfants :] 1/2 XM Xn,
1/2 XnY
b) La moitié des filles est anormale, ainsi que la moitié
des garçons :
[Les parents] XM Xn et Xn Y (donnent des enfants :] XM Xn, XM
Y, Xn Xn, Xn Y.
Caractères récessifs
Cette éventualité est illustrée par de nombreux
exemples.
a) Le père est malade ; nous avons :
[Les parents] Xn Xn et Xm Y [donnent des enfants :] 1/2 Xn Xm,
1/2 XN Y.
Toutes les filles sont normales en apparence, mais capables de
transmettre la maladie ; les garçons ne sont pas atteints.
Au cas où la maladie est portée par la mère, d'apparence
normale :
[Les parents] XN Xm et XN Y [donnent des enfants :] XN XN, XN
Y, Xm XN, Xm Y.
Elle touche la moitié des fils, et la moitié des filles peut
la transmettre. Ainsi, le père malade ne donne pas la maladie à ses fils, mais
celle-ci apparaît souvent parmi les fils de ses soeurs. Cette alternative est
la plus commune de celles qu'on peut imaginer.
a) Troubles de la perception des
couleurs
La vision normale suppose la perception des trois couleurs
fondamentales rouge, vert, violet.
L'achromatopsie peut être totale ou partielle. Dans le
premier cas, le sujet ne perçoit aucune couleur : un tableau, pour lui, prend
l'aspect d'une gravure ; il n'apprécie que les différences d'intensité entre
les noirs et les blancs. La forme partielle englobe : les aveugles pour le
rouge, ou protanopes, les plus nombreux ; les aveugles pour le vert, ou
deuteranopes ; les aveugles pour le violet, rares, ou tritanopes.
La dyschromatopsie congénitale, plus commune, connue sous le
nom de " daltonisme ", en raison du nom du physicien anglais qui en était
atteint, est transmise de façon presque idéale comme un caractère récessif
solidaire du chromosome X. Ce n'est pas un défaut total, mais un
affaiblissement du sens chromatique ; une, plusieurs ou toutes les couleurs ne
sont perçues que si la lumière est très vive.
Une observation de CUNIER s'écarte de la règle, l'affection
paraissant dominante n'atteignant que les femmes et n'étant transmise que par
elles. L'explication de ce fait peut être donnée par une aberration
chromosomique bien connue chez la drosophile, celle des X attachés. Dans ce
cas, les deux X sont soudés l'un à l'autre et se transmettent ainsi en bloc,
sans se dissocier, à la méiose. Une femme homozygote pour la cécité aux
couleurs et dont les chromosomes X sont attachés ne peut donc produire que
deux sortes de gamètes les uns XX, qui ne peuvent donner que des filles
porteuses de la tare (quel que soit le spermatozoïde fécondant), et les
autres sans X, qui ne peuvent donner que des garçons indemnes. En définitive,
cette observation, en apparence paradoxale, ne fait que confirmer la
localisation du gène de la cécité aux couleurs sur le chromosome X.
Par ailleurs, les travaux de VOGT (1922) et de WAALER (1927)
ont mis en valeur quatre formes de dyschromatopsie : vision imparfaite du rouge
(a) qui domine la cécité au rouge (b), vision imparfaite du vert (c) qui
domine la cécité au vert (d). Il est probable que (a) et (b) sont les
allélomorphes d'un même gène, (c) et (d) d'un autre. Si ces gènes sont
solidaires du chromosome X, des phénomènes de liaison doivent être
possibles. Effectivement, l'achromatopsie totale par combinaison de (b) et (d)
se comporte comme une infirmité récessive liée au sexe (PETER, 1926, et
VOGT).
b) Autres affections oculaires
La névrite optique rétrobulbaire, décrite par LEBER en
1871, appartient à ce groupe. Cependant, elle peut se comporter comme une
maladie indépendante du sexe, dominante (NETTLESHIP) ou récessive
(USHER).
Une forme de nystagmus essentiel hérédo-familial
exceptionnellement associée à la nutation est récessive, liée au sexe, ainsi
que le nystagmus myoclonie de Lenoble et Aubineau et la magalocornée.
c) Autres affections
D'autres exemples, nombreux, de cette variété d'hérédité
sont fournis par la pathologie : par les affections cutanées, en particulier,
et des dents.
Mais avec le daltonisme, la maladie la plus connue de ce
groupe est l'hémophilie, dont l'hérédité fut décrite en 1820. Elle est
essentiellement caractérisée par le retard de la coagulation du sang in
vitro. Longtemps transmise par les femmes avant d'apparaître chez un homme,
elle peut revêtir une forme grave, telle la variété qui atteignit plusieurs
descendants de la reine Victoria, ou une forme légère, compatible avec une
longue survie et même le mariage.
Chromosome Y
Une maladie solidaire du chromosome Y ne doit atteindre que les
hommes et n'être transmise que par eux. Elle épargnera toujours les femmes et
celles-ci ne prendront aucune part à sa propagation. Aussi réserve-t-on, à
cette variété de maladies héréditaires, le nom d' " holandriques ". Elles
sont tout à fait exceptionnelles.
Une variété historique d'ichtyose, le noevus keratoticus
papillomatosus, reconnue en 1731 chez un laboureur anglais de 14 ans, examiné
ensuite en France par ALIBERT, CUVIER, en Allemagne par TILESIUS,
appartiendrait à ce groupe. Les lésions observées étaient faites
d'excroissances cornées, brunes, confluentes, les unes plates, les autres
saillantes, élastiques. Elles respectaient la face, les paumes des main, les
plantes des pieds et, deux fois l'an, faisaient place, à la suite d'une
véritable mue, à un tégument normal, sur lequel, peu à peu, de nouvelles
lésions se développaient.
SCHOFIELD a rapporté une observation de palmure unissant,
surtout à droite, le 2e et le 3e orteils et transmise suivant ce mode
holandrique.
Il en est de même d'une variété de kératome (keratoma
dissipatum hereditarium) dont le pedigree a été publié par BRAUER. On ne
peut faire état d'une observation incomplète de TOMMASI (hypertrichose des
oreilles).
Les exemples que nous venons de relater sont précieux au
généticien ; ils offrent moins d'intérêt pour le médecin, qui se
préoccupe surtout de l'hérédité des maladies qu'il rencontre communément.
Or il est incontestable que l'hérédité influence la sensibilité humaine à
l'égard des infections, de la tuberculose, du cancer, des allergies, des
substances toxiques, des carences, des causes exogènes du diabète, de la
goutte.
Les travaux relatifs aux infections, à la tuberculose, au cancer
méritent tout particulièrement de retenir l'attention (V. ci-dessous).
Mode d'action biochimique des gènes.
La " phénogénétique ", la " biochimie génétique " ou la "
génétique physiologique " sont trois appellations différentes d'une même
branche de la Recherche génétique, qui tend à comprendre comment un
caractère se réalise à partir d'un gène.
La plus grande partie de nos connaissances sont actuellement
fondées sur l'étude d'un champignon ascomycète, le Neurospora crassa, qui
est doué de propriétés métaboliques telles qu'il est capable de vivre et de
se reproduire sur un milieu synthétique minimum, contenant exclusivement des
sels minéraux, des hydrates de carbone et une seule vitamine : la biotine. Par
des irradiations, il est possible de provoquer, chez cet organisme, des "
mutations " qui le rendent incapable de vivre sur le milieu minimum (on le
cultive alors sur un milieu organique très complexe, dit " riche ").
Cependant, on peut s'apercevoir que certaines souches mutantes
conservent la possibilité de vivre et de se reproduire sur le milieu minimum
si l'on ajoute à celui-ci un composé organique bien défini (leucine ou
valine, par exemple, ou tout autre), que nous appelons - d -, pour simplifier.
On pense alors que les mutants ont perdu la propriété de synthétiser cette
substance - d -, indispensable au fonctionnement vital.
Si, par exemple, on examine une vingtaine de souches incapables de
synthétiser la substance - d -, et qu'on tente de les cultiver sur milieu
minimum en ajoutant à ce milieu un composé organique très voisin de - d -
(mettons - c -), on s'aperçoit que certaines d'entre elles (mettons 15) sont
susceptibles de proliférer. On en conclut que les 5 autres ne peuvent utiliser
- c - pour le transformer en - d -.
De même, parmi les 15 restantes, on peut s'apercevoir que 10
d'entre elles sont susceptibles de revivre en milieu minimum en présence d'un
autre composé voisin de - c - (mettons - b -). On en conclut que les 5 qui ne
peuvent survivre ne peuvent métaboliser - b - en - c - (mais, par contre, on
sait, par la précédente expérience, qu'elles peuvent transformer - c - en -
d -). Si, enfin, l'on constate que, parmi les 10 restantes, 5 d'entre elles
peuvent survivre en présence d'un composé voisin de - b - (mettons - a -), on
en conclut que ces souches sont capables de changer - a - en - b -, puis en - c
-, puis en - d -, tandis que celles qui périssent ne peuvent pas changer - a -
en - b -. On voit ainsi que, de proche en proche, on établit une chaîne
métaboliques a ? b ? c ? d, dont chaque transformation est sous la
dépendance d'un gène.
Or, dans la plupart des cas, on a pu montrer que chacune de ces
étapes métaboliques était déterminée par un enzyme spécifique. Par
ailleurs, ainsi que l'a fait BONNER, on peut montrer que, dans les cellules du
" mutant " qui ne peut pas, par exemple, transformer - a -- en - b -, l'enzyme
spécifique de cette réaction fait défaut, alors qu'il est présent dans les
cellules des souches capables de cette transformation.
L'hypothèse très générale d'assimilation du gène à un enzyme
spécifique est née de cette constatation.
Plus généralement, on tend, à l'heure actuelle, à considérer le
gène comme une molécule protidique d'action enzymatique spécifique et douée
d'autoreproduction.
Cette autoreproduction serait continue, c'est-à -dire qu'à une
cadence, non précisée d'ailleurs, la molécule génique se reproduirait pour
former deux molécules identiques. Si cette reproduction se produit à
l'interphase, l'une des molécules diffuse du noyau dans le cytoplasme pour
former l'enzyme intracellulaire et jouer son rôle métabolique, tandis que, si
la reproduction se fait au moment de la prophase, chaque molécules s'intègre
respectivement dans le continuum chromosomique pour former deux nouveaux gènes
qui vont migrer avec le chromosome qui les porte vers les deux cellules
filles.
Une généralisation de cette action enzymatique des gènes est
évidemment tentante, et l'hypothèse que tous les gènes agissent par une
action catalytique spécifique a été proposée. Toutefois, il faut bien
reconnaître que l'on ne peut absolument pas formuler actuellement le processus
biochimique selon lequel un gène détermine une polydactylie ou une
syndactylie, localisée aux 3e et 4e doigts par exemple.
Cependant, aucun mode d'action des gènes autre que métabolique
ne peut être scientifiquement envisagé, et, sans préjuger de l'avenir de la
découverte, il semble logique de penser que la biochimie génétique sera,
pendant longtemps, le champ le plus riche de la Recherche génétique.
Nous verrons, d'ailleurs, que la génétique biochimique de
l'homme a déjà fait de nombreux progrès.
Troubles métaboliques.
Depuis le mémoire de GARROD (1908), l'étude génétique des
troubles métaboliques innés a conduit à une vaste accumulation de
connaissances.
Troubles du métabolisme des protides
Principales manifestations - 1° Idiotie
phénylpyruvique, ou phénylcétonurie
Cette maladie, due à un gène récessif autosomique, est très
rare (1 p. vingt-cinq mille, dans la population) et la fréquence des mariages
consanguins chez les parents de malades s'élève à 25 %. Cette rareté, notée
dans les pays anglo-saxons, est encore plus grande en France. Une enquête de
R. TURPIN et H. DUCHà NE ne leur a permis de déceler, dans les asiles de ce
pays, qu'un seul cas et de rapporter ainsi la première observation française
de cette maladie.
Cliniquement, elle se traduit par une oligophrénie profonde
et par l'excrétion, dans les urines, d'acide phénylpyruvique, décelable au
perchlorure de fer, qui donne une coloration verte. L'affection résulte du
manque d'une diastase hépatique transformant la phénylalanine en
tyrosine.
2° Albinisme généralisé
Cette affection est caractérisée par l'absence totale de
toute pigmentation (peau, phanère, iris, etc.).
Son caractère autosomique récessif a été amplement
démontré. La maladie, n'apparaissant qu'à l'état homozygote, est rare (1 p.
vingt mille environ), mais la fréquence des porteurs n'est pas négligeable :
de l'ordre de 1 sur 70. La consanguinité chez les parents s'élève à 22 %
environ.
Il semble que cette maladie soit due à l'absence d'un enzyme
capable de transformer la tyrosine en dihydroxyphénylalanine (ou en un autre
corps très voisin).
3° Tyrosinose
Ce trouble métabolique, qui n'a été jusqu'ici observé
qu'une seule fois (MEDES, 1932), résulte de l'impossibilité d'oxydation de
l'acide para-hydroxyphénylpyruvique, qui est éliminé tel quel dans les
urines.
4° Alcaptonurie
Affection récessive autosomique caractérisée par
l'élimination dans les urines d'acide homogentisique. Par oxydation à l'air,
ce produit entraîne une coloration noire des urines, qui permet la détection
de la maladie dès la prime enfance. Ce trouble peut conduire à une
pigmentation des cartilages (ochronose) et, vers 40 ans, à des troubles
articulaires pseudo-rhumatismaux par lésions ostéo-arthritiques
dégénératives. Le trouble métabolique est l'impossibilité (par manque d'un
enzyme spécifique) d'oxydation de l'acide homogentisique.
Pathogénie
La figure 5 résume schématiquement la chaîne métabolique
normale de la phénylalanine. Les différents " blocages métaboliques"
caractéristiques des maladies ci-dessus y sont indiqués par l'interruption du
trait correspondant.
Il est intéressant de remarquer que deux troubles
biochimiques très voisins (1) et (2) sont capables de déterminer des entités
morbides cliniquement aussi différentes que l'albinisme et l'idiotie
phénylpyruvique.
Cependant, on a pu montrer que les malades atteints de
phénylcétonurie présentaient, en général, une pigmentation peu intense
(sujets très blonds), ce qui prouve que la coupure (1) diminue le " rendement"
en mélanine du fait que la tyrosine doit être trouvée telle quelle dans les
protéines alimentaires.
Cet exemple illustre de façon frappante la différence
essentielle qui existe entre la sémiéologie clinique habituelle et la
séméiologie génique proprement dite.
 Fig. 5. -
Représentation schématique du métabolisme de la phénylalanine et de la
tyrosine chez l'homme (Modifiée d'après CROWE et SCHULL, 1952.) Autres troubles
Parmi les autres troubles du métabolisme des protides, on
connaît :
La cystinurie est l'élimination urinaire de
cystine (associée à la lysine, l'arginine et l'ornithine). Elle peut conduire
à l'apparition d'une lithiase par calculs de cystine. L'affection est
autosomique récessive, mais HARRIS (1951) a pu montrer que les hétérozygotes
peuvent être décelés par chromatographie urinaire.
La cystinose, véritable diabète
gluco-phospho-aminé, conduit à des dépôts de calculs de cystine dans les
différents tissus et à un tableau de rachitisme irréductible. Le syndrome de
Toni-Debré-Fanconi semble être une forme clinique de cette diathèse.
La transmission se fait selon le mode autosomique récessif ;
la fréquence de la maladie est de l'ordre de 1 p. quarante mille.
L'amyloïdose est, en général, la
conséquence d'une suppuration chronique. Cependant, quelques cas primitifs,
paraissant héréditaires, ont été signalés.
De même la goutte, trouble du métabolisme
des purines, semble être influencée par l'hérédité.
Enfin la phosphaturie et
l'oxalurie seraient, elles aussi, des troubles métaboliques
innés.
Troubles du métabolisme des hydrates de
carbone
Le diabète sucré, dû à l'absence ou à
l'insuffisance de production d'insuline, est la plus importante de ces
maladies, tant par sa fréquence que par ses conséquences; une transmission
héréditaire autosomique incomplètement dominante semble la plus
probable.
Le diabète rénal, par contre, simple
glycosurie par abaissement du seuil rénal, semble bien dû à un gène
autosomique dominant. Nous remarquerons, à ce sujet, qu'un diabète insipide
rénal a été décrit par N. Ford WALKER et C. P. RANCE (1954) comme dû à un
gène récessif lié au sexe, contrairement aux cas héréditaires de diabète
insipide d'origine hypophysaire (qui se transmettent selon le mode
dominant).
La galactosurie, due à l'impossibilité (par
manque d'une diastase hépatique) de transformation du galactose en glycogène,
se manifeste chez les enfants nourris au lait et peut entraîner des troubles
de croissance graves. La suppression de cet aliment amène la guérison. La
consanguinité très fréquente des parents confirme l'hypothèse d'une maladie
autosomique récessive rare.
La fructosurie (importante, car elle peut être
confondue avec le diabète sucré) et la pentosurie sont deux
affections très rares, récessives autosomiques, elles aussi.
Parmi les autres troubles du métabolisme glucidique, on relève
la maladie glycogénique du foie, due à l'absence d'un enzyme
permettant la mobilisation du glycogène hépatique (transmission autosomique
récessive) et l'hypoglycémie spontanée, idiopathique
récessive, elle aussi.
Troubles du métabolisme lipidique
Les dyslipoïdoses sont caractérisées par le dépôt de
lipides anormaux dans tous les tissus, y compris le système nerveux. Toutes
ces affections paraissent résulter de l'absence d'un enzyme spécifique pour
chacune d'entre elles.
La maladie de Gaucher, caractérisée par le
dépôt de " kérasine ", se transmet généralement selon le mode dominant. Il
est à remarquer que certains cas d'idiotie amaurotique s'accompagnent de
dépôt tissulaire de " kérasine ", ce qui pose le problème de la parenté de
ces affections.
La maladie de Niemann-Pick, très voisine
cliniquement de la maladie de Gaucher, mais à évolution plus rapide, se
caractérise par un dépôt de " sphingomyéline ". Une transmission
incomplètement récessive est probable.
L'idiotie amaurotique familiale, ou
maladie de Tay-Sachs, due à l'accumulation de lipoïdes
(surtout de phosphatides) dans les cellules nerveuses, produit des troubles
neurologiques variés, dont l'amaurose, l'oligophrénie et des paralysies. Ce
tableau peut être très proche de celui de la maladie de Gaucher, où même la
tache rouge cerise de la macula (pourtant typique de la maladie de Tay-Sachs)
peut se rencontrer (BAMATTER et SIERRO, 1949, et WILDI, 1950). On décrit
cliniquement un type infantile et un type juvénile, mais l'unité de
l'affection est probable et la transmission semble être récessive, quoique
imparfaitement parfois.
La xanthomatose tubéreuse cutanée avec
hypercholestérolémie (affection dominante) et la maladie
d'Hans-Schüller-Christian (ou xanthomatose crânio-hypophysaire, sans
hypercholestérolémie) (transmission héréditaire non précisée) se
différencieraient, d'après THANNHAUSER, de la xanthomatose
disséminée (affection récessive). Ces trois affections ont en
commun un trouble du métabolisme des lipides contenant des esters du
cholestérol.
On peut encore citer : la lipoïdose, affection récessive,
caractérisée par des nodules constituées de dépôts lipoïdiques ;
l'hyperlipémie essentielle, probablement dominante; et, enfin, le gargoylisme
(dysosiosis multiplex), ou Iipochondrodystrophie, ou maladie de Hurler) où
l'on observe un dépôt de graisse (de nature chimique non encore précisée)
dans le foie et la rate. Cette affection serait récessive.
Trouble du métabolisme pigmentaire
La porphyrinurie, élimination de pigments à
noyau tétrapyrrolique dans les urines, peut être soit aiguë et se
transmettre selon le mode dominant, soit congénitale et être récessive avec
légère prédominance chez les hommes.
La méthémoglobinémie, qui donne une cyanose
chronique, semble devoir être dissociée en deux affections : l'une,
dominante, et l'autre, récessive, selon la nature du trouble du processus
d'oxyde-réduction.
L'hématochromatose, ou diabète bronzé ou
cirrhose pigmentaire, due à l'accumulation d'hémosidérine dans l'organisme,
représente une véritable intoxication par le fer. L'affection est récessive,
mais les hommes sont beaucoup plus fréquemment atteints que les femmes, ces
dernières possédant, dans la menstruation, une possibilité non négligeable
d'élimination du fer.
Un dernier trouble du métabolisme, la maladie de
Wilson, ou dégénérescence hépato-lenticulaire, doit être
signalé. Dans cette affection récessive, dont le principal trouble porte sur
le métabolisme du cuivre, on a constaté un abaissement notable du taux d'un
enzyme cuprique : la coeruloplasmine (SCHEINBERG et GITLIN, 1952) et, plus
récemment, R. TURPIN, H. JÉRÔME, et J. B. SCHMIDT (1955) ont insisté sur la
détection possible des hétérozygotes transmetteurs par l'étude de cette
protéine.
Prédisposition héréditaire aux agressions
morbides
Les facteurs qui commandent les réactions de l'organisme à
l'égard des agressions infectieuses, allergiques, cancérigènes sont si
nombreux, si difficiles à saisir, que l'influence que peut exercer
l'hérédité sur ces réactions est bien difficile à mesurer. Et, pourtant,
elle est incontestable.
Les difficultés rencontrées ne doivent pas détourner du
problème. Les recherches expérimentales et humaines, les investigations
générales et statistiques ont déjà donné des résultats que certains
trouveront peu valables, que d'autres jugeront assez encourageants pour
justifier de nouveaux travaux. Leur importance n'a pas besoin d'être
soulignée : il ne s'agit plus de mieux connaître, afin de les prévenir, des
maladies souvent terribles mais pour la plupart exceptionnelles, il s'agit
d'approfondir l'étiologie de la morbidité commune avec l'espoir de limiter
ses ravages.
Prédisposition aux infections, en
général
Toute interprétation génétique de l'influence de
l'hérédité sur la vulnérabilité de l'espèce humaine aux infections est
prématurée.
Cependant l'évolution des maladies infectieuses au sein des
populations humaines traduit des différences suivant les groupes ethniques,
les types de gémellité ou les familles, qui ne peuvent être toujours
expliquées par le hasard des contaminations ou l'intervention des infections
inapparentes.
Ainsi des parents vulnérables à la scarlatine, à la
diphtérie, ont presque toujours des enfants vulnérables, eux aussi, tandis
que les parents réfractaires ont à la fois des enfants vulnérables et des
enfants réfractaires. L'état de la vulnérabilité à la scarlatine et à la
diphtérie s'hériterait apparemment comme une propriété récessive.
Ces faits cliniques sont à rapprocher des faits expérimentaux
: la sensibilité (la souris surtout a servi à ces recherches) à l'égard
d'infections expérimentales apparaît, en général, récessive par rapport à
l'état réfractaire.
Un autre exemple humain peut être donné : la sensibilité à
l'égard de la poliomyélite antérieure aiguë suggère l'intervention d'un
gène récessif, autosomique, de prédisposition avec une pénétrance de 70 %
environ (J. ADEN et L. H. SNYDER, 1942). Les études ont mis également en
valeur les rapports de la distribution de ces infections avec la pigmentation,
l'âge, le sexe, le rôle dans leurs localisations de la vulnérabilité des
systèmes, des organes, variable suivant les familles, le sexe.
Ces recherches ont été complétées par des études
humorales. Il y a déjà plusieurs années une aptitude de certains lapins à
produire des précipitines était apparue récessive, ainsi que l'inaptitude de
certains cobayes à produire l'alexine.
Dans l'espèce humaine, depuis que les antibiotiques assurent
leur survie, des enfants atteints d'agammaglobulinémie congénitale ont été
étudiés. Il semble que cette insuffisance aussi soit récessive, mais elle
n'atteindrait que les enfants masculins ; rôle possible d'un gène récessif
lié au sexe. II faut attendre des informations complémentaires.
Prédisposition héréditaire à la
tuberculose
La distribution de la maladie en fonction des groupes
ethniques, des familles, laissant entendre que tous les individus étaient
inégalement sensibles au bacille tuberculeux, des études plus précises,
gémellaires et consanguines furent entreprises.
Les premières prouvèrent que l'hérédité influence la
sensibilité et la résistance et que l'hypothèse d'un mécanisme polygénique
rendait assez bien compte des faits.
Les secondes prouvèrent aussi qu'il existe une influence
héréditaire soumise aux variations de la consanguinité et que la
vulnérabilité semblait se comporter à la manière d'une particularité
récessive.
Chez le cobaye, l'état vulnérable semble aussi récessif par
rapport à l'état réfractaire.
Prédisposition au cancer
Il n'est guère de sujet de pathologie humaine qui défraie
l'opinion publique autant que le cancer. L'hérédité de ce mal hante les
esprits. Cette intuition populaire, confuse, est-elle fondée ?
Si nous excluons les maladie héréditaires proprement dites,
telles que le gliome de la rétine, la polypose colique, le xéroderma
pigmentosum, qui provoquent des lésions suivies tôt ou tard de
dégénérescence néoplasique, le cancer n'est pas une maladie héréditaire
au sens mendélien, mais la prédisposition au cancer est soumise à l'influence
de l'hérédité chromosomique et, peut-être, cytoplasmique.
L'hérédité chromosomique détermine la sensibilité de
l'organisme aux facteurs cancérigènes sans qu'il soit possible d'opposer des
individus totalement réfractaires à des individus totalement vulnérables.
Toute cellule vivante paraît susceptible, plus ou moins, de devenir
cancéreuse : l'hérédité mesure cette susceptibilité. L'hérédité
chromosomique joue un rôle important aussi dans la détermination du siège de
la tumeur, surtout quand celle-ci se localise aux voies digestives, et, chez la
femme, au sein et aux organes génitaux. L'hérédité cytoplasmique paraît
intervenir aussi, chez la femme, à l'origine du cancer du sein et des organes
génitaux.
Ceci dit, il convient de souligner le rôle encore mal
déterminé de facteurs hormonaux, alimentaires, ambiants, inconnus, avec
lesquels les facteurs héréditaires doivent composer.
Mais la complexité du problème est extrême et cette
complexité tient en partie à la diversité de ces étala morbides, classés
sous la rubrique générale " cancer". Il est vain de chercher une base
génétique commune à toutes les tumeurs. La prédisposition à chaque variété
relève peut-être bien de facteurs héréditaires particuliers à chacune
d'elles.
Prédisposition aux accidents
allergiques
Il est difficile de tirer des conclusions des études
relatives à l'influence de l'hérédité sur l'apparition des accidents
allergiques. La grande variété de leurs aspects cliniques, l'extrême
multiplicité des allergènes jettent la confusion dans l'estimation de
rapports mendéliens.
Cependant, une prédisposition héréditaire ne semble pas
douteuse. Les études familiales et statistiques montrent que, dans la
majorité des cas, les sujets qui souffrent d'accidents allergiques ont un ou
plusieurs ascendants qui en souffrent aussi et que leurs descendants ne sont
pas épargnés non plus. Mais, ceci dit, les faits sont difficiles à
interpréter. Qu'on en juge.
Plus l'hérédité est apparente, plus grand est le nombre
d'enfants touchés, plus précoces et variées sont les manifestations, plus
nombreux sont les allergènes responsables, plus grande est la ressemblance
entre les troubles des enfants et ceux des parents.
La mère et sa lignée sont plus souvent responsables de
l'allergie des enfants que le père ; quand la prédisposition est d'origine
maternelle, le nombre des descendants atteints est deux fois plus grand que
lorsque cette prédisposition vient du père.
Avant la puberté, 2 garçons, en moyenne, sont atteints pour
1 fille : au delà , le sexe n'influence plus cette répartition, mais le type
d'accidents : la migraine, en particulier, est plus fréquente chez la
femme.
L'hérédité semble commander une prédisposition générale
à l'allergie et non à certains types d'allergie. Suivant certains auteurs, les
proportions trouvées seraient évocatrices d'une hérédité monogénique,
autosomique, dominante et irrégulière. Suivant d'autres, les homozygotes
extérioriseraient toujours leur prédisposition et avant la puberté, alors
que les hétérozygotes ne l'extérioriseraient qu'une fois sur cinq environ et
après la puberté. Une liaison serait très probable entre le facteur de
prédisposition et le locus des gènes A, B, C.
Les variétés familiales de migraines, d'oedèmes
angio-neurotiques, entités morbides bien particulières, ne doivent pas être
confondues avec les manifestations de la prédisposition allergique commune,
multiforme.
Haut
III. - Méthodes d'analyse genetique
Distinction entre forces héréditaires et
ambiantes
Les particularités mentales et corporelles de tout individu sont
la résultante de la composition de forces héréditaires et ambiantes. Cette
distinction entre l'hérédité et l'ambiance est à la base de toute analyse
génétique.
Pour départager ces deux forces composées, l'expérimentateur
dispose de deux méthodes. Il peut envisager la création d'un milieu uniforme
dans lequel les différences qui sépareront les individus ne tiendront qu'à
leur hérédité seule. Mais, quand il s'agit de l'homme surtout, élever deux
individus dans le même milieu est un idéal impossible à réaliser.
L'expérimentateur peut alors étudier dans des milieux
différents des sujets dotés du même patrimoine héréditaire.
a) La méthode la plus simple pour disposer d'individus dont le
génotype est le même est de s'adresser aux êtres qui se reproduisent par
voie asexuée. Les descendants parthénogénétiques d'une seule Daphnie sont
tous dotés de la même hérédité et, hormis le cas de mutation, les
différences qui les sépareront seront dues au milieu. On appelle " clone "
cet ensemble de descendants, par voie végétative, d'un individu unique.
b) Dans le cas de reproduction sexuée, les descendants d'une
plante homozygote qui se multiplie par auto-fécondation ont le même
génotype, ainsi que les descendants d'un couple d'individus dont le patrimoine
homozygote est identique. Si cette identité n'est pas rigoureuse, on peut
espérer, les descendants d'un couple de souris, par exemple, se reproduisant
de génération en génération par union au hasard entre frères et soeurs,
obtenir une lignée pure après 30 générations environ. S'il s'agit d'un
groupement étendu, une homogénéité complète n'est sans doute jamais
obtenue (J. B. S. HALDANE. 1936).
c) Enfin l'hérédité de la génération F1, hybride, issue du
croisement de deux individus provenant de lignées pures différentes, est
uniforme.
Ces possibilités ne donnent guère de moyens à la génétique
humaine. On ne peut imaginer deux individus évoluant dans un milieu identique.
On ne peut utiliser les mesures de sélection de la génétique expérimentale.
Les gémellités monozygotes seules fournissent aux généticiens deux
individus dotés du même génotype qui peuvent aider à la solution de certains
problèmes.
Difficultés d'analyse.
Les difficultés auxquelles se heurte la génétique humaine
tiennent à l'homme lui-même, à ses particularités, à son genre de vie, à la
complexité du milieu dans lequel il évolue, à la nature des états morbides
qui peuvent l'atteindre.
a) Condition humaine
Les méthodes expérimentales ne sont pas applicables.
Le patrimoine héréditaire de l'espèce humaine, dont
l'appareil chromosomique est fait de vingt-quatre paires, est sans doute très
complexe. Les études cytogénétiques sont à l'heure actuelle impossibles ;
nous ne connaissons pas d'équivalent humain des chromosomes géants de la
Drosophile, et l'étude des mutations doit se contenter des formes spontanées,
à peine entrevues et qui semblent rares. Enfin la précieuse ressource des
unions dirigées, de l'endogamie, des croisements de retour, de l'isolement de
lignées pures est inutilisable.
b ) Conditions spéciales de la famille
humaine
La faible étendue des familles fait apparaître une difficulté
considérable, en particulier s'il s'agit de maladie récessive ne touchant
qu'un quart des descendants. L'apparition d'un malade dans le cas habituel
d'une union D r X D r est subordonnée au nombre d'enfants. Or on ne peut
recenser une famille dans laquelle n'apparaît aucun malade. Il en résulte que
le total des malades par rapport aux sujets sains risquera d'être trop
élevé, à moins de corriger les résultats par l'une des méthodes dont nous
parlons ailleurs.
Les familles humains s'étendent lentement : 3 à 5 générations
par siècle, alors qu'une souche de Drosophiles, dans un milieu favorable,
donne, en moyenne, une nouvelle génération tous les dix jours.
Les difficultés d'analyse tiennent encore à la dispersion
habituelle des membres d'une même famille, à l'inconnu de la vie privée des
conjoints, la parenté légale n'étant pas toujours la parenté biologique, à
la limitation volontaire des naissances, en particulier lorsque la venue d'un
enfant anormal détourne les parents d'accroître leur descendance. Enfin, bien
que le principe d'union non dirigée soit à la base de l'analyse mendélienne
des populations, le choix des futurs conjoints n'est pas uniquement dicté par
le hasard.
c) Complexité du milieu
Avant la fécondation. - De multiples influences
toxi-infectieuses, l'alcoolisme, la syphilis en particulier, la tuberculose,
les troubles endocriniens, les carences peuvent retentir sur les gamètes.
L'âge maternel, de même qu'il agit sur la fréquence de la polydactylie du
cobaye, agit sur la fréquence des dystrophies, du mongolisme en
particulier.
De la fécondation à la vie extra-utérine. - Le développement
de l'oeuf fécondé, du zygote, subit l'influence du milieu maternel, qui
totalise les influences partielles du milieu utérin, hormonal, des processus
toxi-infectieux, de la diététique, etc.
Pendant la vie extra-utérine. - La prédisposition
héréditaire aux maladies infectieuses, cancéreuses, anaphylactiques ou de la
nutrition ne pourra se manifester si l'individu échappe aux facteurs
infectieux, cancérigènes, sensibilisants, nutriciers du milieu ambiant. Une
prédisposition héréditaire au goitre peut n'apparaître que si l'individu
vit dans une région goitrigène ; la gale peut favoriser l'apparition des
signes cutanés de la neurogliomatose. Les limites de cette action du milieu
sont d'ailleurs bien difficiles à préciser. Trop souvent, on n'entend par "
ambiance " qu'un ensemble de conditions physiques, géographiques,
climatologiques, sociales. La réalité, beaucoup plus riche, échappera sans
doute longtemps à nos moyens d'analyse. La structure du milieu est infiniment
complexe ; elle ne se répète jamais et fait naître, à côté de la
traduction physique grossière des caractères acquis, d'incessantes
impressions sensitives, sensorielles, sentimentales, spirituelles, qui
façonnent l'attitude et les réactions de l'individu.
Les risques d'erreur varient avec la nature des maladies, leur
apparition, leurs symptômes, leur évolution.
d) Nature des états morbidesMaladie familiale, mais non
héréditaire
Une maladie est familiale quand elle atteint plusieurs
individus d'une même famille, mais cette coïncidence n'implique pas qu'elle
soit héréditaire. Une preuve évidente de cette possibilité est fournie par
les maladies infectieuses. La fréquence familiale de ces maladies exogènes
est d'habitude inférieure à celles qu'on pourrait attendre des proportions
mendéliennes : 50 %, 25 % ; elle est égale à la fréquence générale de la
maladie dans le milieu où vit la famille considérée. Néanmoins, les
exemples historiques de la tuberculose, de la lèpre nous rappellent
l'incertitude qui régna longtemps sur les origines de la maladie. Et ceci nous
conduit à rejeter de nouveau les expressions d'hérédo-syphilis,
d'hérédo-tuberculose, d'hérédo-alcoolisme, séductions verbales qui
entretiennent des erreurs passées.
Une maladie familiale, en principe, a d'autant plus de chances
d'être influencée par l'hérédité qu'elle est rare. II faut alors
rechercher la ségrégation.
Maladie de même expression, mais d'hérédité
variable
Suivant les généalogies considérées, la rétinite
pigmentaire, l'amyotrophie Charcot-Marie semblent liées à la substitution d'un
gène dominant, d'un gène récessif, ou d'un gène récessif lié au
chromosome sexuel, il est probable que les exemples de cette éventualité se
multiplieront. Il est probable aussi qu'une analyse minutieuse révélera
souvent des différences suivant le mode héréditaire. La forme récessive
simple de la rétinite pigmentaire serait plus précoce, la forme dominante
plus tardive et moins grave, la forme récessive, liée au sexe, d'expression
intermédiaire.
Cette éventualité explique pourquoi deux conjoints atteints
l'un et l'autre de surdi-mutité héréditaire, par exemple, peuvent avoir des
enfants indemnes quand l'anomalie récessive qui détermine les mêmes effets
n'est pas génotypiquement la même.
Maladie de même hérédité, mais d'expression
variable
La pathologie offre de nombreux exemples de tels cas. Ambroise
PARÉ avait attiré l'attention sur l'hérédité de la luxation congénitale
de la hanche ; une étude génétique plus précise n'a pu en être faite que
de nos jours, l'examen radiologique étant nécessaire pour dépister le cotyle
plat, forme fruste de la dystrophie. La maladie hémolytique ictérïgène
héréditaire peut elle aussi ne se traduire que sous une forme fruste : la
microcytose des globules rouges, décelable par le micromètre à
réfraction.
Ces faits sont, en général, rattachés à des différences de
pénétrance ou d'expressivité du gène, solidaire du milieu ; certains
exemples ont été rapportés d'aggravation possible des symptômes par
l'alcoolisme des progéniteurs.
Maladie précoce ou tardive, latente ou
évidente
Quand la maladie héréditaire est précoce, congénitale, les
parents, par crainte d'un nouvel anormal, décident parfois de ne plus
accroître leur famille. De tels malades risqueront donc d'être, plus souvent
qu'à leur tour, les derniers-nés.
Si la maladie, au contraire, est tardive, d'autres
difficultés d'analyse génétique surgissent. Pour étudier l'influence que
l'hérédité peut exercer sur l'apparition du cancer, de la tuberculose, du
diabète, il faut étudier des individus qui ont parcouru le cycle entier de
leur existence sans cesse exposés à ces maladies. S'ils sont morts avant de
les avoir rencontrées, ils ne doivent pas être recensés.
Si l'évolution de la maladie dans le temps n'est pas
considérée, on peut être tenté de conclure que les aînés sont plus
souvent touchés. Et précisément, K. PEARSON, parce qu'il avait négligé
cette cause d'erreur, prétendit que le premier-né d'une famille était plus
exposé à devenir tuberculeux que ses frères et sueurs.
Par contre, la génétique expérimentale enseigne que les
proportions mendéliennes peuvent être faussées par l'action in utero de
facteurs létaux dont M. CUÉNOT a rapporté les premiers exemples.
Difficultés de l'enquête
Ainsi la tâche du médecin enquêteur est assez ardue. Il doit ne
tenir compte que des faits qu'il observe lui-même ou qui sont fondés sur des
arguments valables. Il doit se méfier des témoignages de " commune renommée
", des renseignements inexacts de sujets atteints de signes frustes de maladie
héréditaire et qui, de bonne foi, s'imaginent être indemnes : cicatrice
labiale ou dent bifide et bec-de-lièvre, tache café au lait et
neurogliomatose, cotyle plat et luxation congénitale de la hanche. Ainsi
conduite, l'enquête ne porte, en moyenne, que sur 2 générations. Il convient
de noter, bien entendu, non seulement tous les signes héréditaires normaux ou
pathologiques, mais le sexe, la date de naissance de tout individu.
La recherche de particularités héréditaires normales ou
pathologiques associées est capitale. C'est avec l'espoir de déceler une
hypothétique association entre facteurs qu'on recherchera les groupe et type
sanguin, la gémellité, etc.
L'étude du milieu sera minutieusement conduite : épisodes
morbides et âge des parents, rang de naissance des enfants. Si la sténose
hypertrophique du pylore et peut-être aussi le mégacôlon congénital
affectent surtout le premier-né et le sexe masculin, l'anencéphalie,
l'absence congénitale du radius, du tibia, le spina-bifida semblent toucher
plus souvent le dernier-né.
Enfin la recherche de la consanguinité ne sera jamais
négligée.
Corrélations.
A l'époque où le mécanisme de l'hérédité mendélienne était
inconnu, la méthode des corrélations servit, avec succès, à la solution de
divers problèmes héréditaires. Cette méthode, dont l'origine remonte aux
travaux fondamentaux de BRAVAIS, fut utilisée et développée en biométrie
par PEARSON et appliquée, semble-t-il, pour la première fois aux problèmes
qui nous occupent par F. GALTON.
Deux caractères sont corrélatifs quand à toute variation de l'un
correspond une variation de l'autre. Dans le cas contraire, ils sont
indépendants.
Dans une population de billes de même substance et de dimensions
différentes, le poids de chacune est rigidement lié à son diamètre. Cette
liaison, appelée fonctionnelle, est si rigide qu'il suffit de connaître le
diamètre pour déterminer le poids. Si nous portons ces valeurs sur une table
de corrélation, les valeurs des diamètres étant disposées de gauche à
droite par ordre croissant le long du côté supérieur horizontal du carré,
les valeurs des poids étant disposées de haut en bas par ordre croissant le
long du côté gauche vertical du carré, l'emplacement d'une bille sera donné
par le point situé à l'intersection de l'horizontale passant par son poids et
de la verticale passant par son diamètre. Ces valeurs étant invariablement
liées, les points seront tous disposés sur la diagonale qui va de l'angle
supérieur gauche à l'angle inférieur droit. Les deux phénomènes, poids et
diamètre, sont totalement corrélatifs et la valeur numérique du coefficient
de corrélation, r, est + 1.
Mais les mesures biologiques donnent rarement, en admettant même
qu'elles puissent le donner, un coefficient de + 1. Les valeurs positives
trouvées sont supérieures à 0 et inférieures à 1. Plus la corrélation est
complète, plus elle s'éloigne de 0 et s'approche de 1. Si nous étudions, par
exemple, la corrélation entre le poids et la taille dans une population
adulte, humaine, masculine, les valeurs portées sur la table de corrélation,
au lieu de se ranger linéairement, formeront un nuage de points orienté en
diagonale lui aussi, mais dessinant un ovale plus ou moins large suivant que la
corrélation est plus ou moins forte. Le coefficient de corrélation sera
d'autant plus proche de 1 que le poids sera plus corrélatif de la taille et
moins d'autres valeurs telles que largeur des épaules, épaisseur du corps,
poids spécifique de l'individu... Si, à l'encontre de la réalité, les
individus considérés s'allégeaient en grandissant, le coefficient de
corrélation prendrait une valeur négative de 0 à -1. Il suffit, dans un tel
cas, de renverser l'ordre des valeurs croissantes de la taille, par exemple,
pour convertir une corrélation négative en corrélation positive de même
grandeur.
La méthode des corrélations appliquée à l'étude de
l'hérédité a servi à dégager des faits intéressants, quoique
d'interprétation difficile. Elle a permis de comparer les qualités
corporelles ou mentales des ascendants et de leurs descendants, de juger la
pérennité d'un caractère au cours de générations successives et
d'apprécier ainsi ce qu'il doit à l'hérédité agissant concurremment à des
forces ambiantes variables.
K. PEARSON a montré, chez l'homme, que les coefficients de
corrélation entre les tailles, les envergures, les longueurs des avant-bras du
père et du fils, du père et de la fille, de la mère et du fils, sont de
l'ordre de 0,50. Ces mesures étendues aux couleurs des yeux, des cheveux, aux
dimensions du crâne donnèrent des résultats analogues. Elles traduisent
l'importance du rôle de l'hérédité. Celui-ci est appréciable aussi quand
ces considérations s'appliquent à la fertilité (r = 0,2), à des aptitudes
intellectuelles ou morales. La méthode des corrélations, enfin, aide à
comparer les résultats d'enquêtes gémellaires.
Analyse généalogique.
Toute expérimentation étant pratiquement irréalisable et
moralement inadmissible chez l'homme, la seule voie d'abord des études
génétiques reste l'analyse de pedigrees patiemment rassemblés.
Il est en effet possible, en étudiant la transmission d'un
caractère dans une famille, de déceler si le gène déterminant est
autosomique ou lié au sexe, dominant ou récessif.
Critères généalogiquesGène autosomique dominant
1) Le caractère se transmet de façon continue, aussi bien
par les homme que par les femmes, mais uniquement par les sujets porteurs ;
2) Tous les sujets qui reçoivent le gène manifestent le
caractère et le transmettent à la moitié de leurs enfants (V. Correction des
données)
3) Tous les sujets non porteurs du caractère ont une
descendance indéfiniment indemne.
La transmission de l'achondroplasie, par exemple, vérifie
parfaitement ces critères.
Il faut remarquer que ces trois critères ne sont applicables
qu'au cas d'un gène rare, de pénétrante complète. Si la pénétrante est
incomplète, la tare peut, en effet, paraître " sauter " des générations,
c'est-à -dire que certains porteurs du gène peuvent le transmettre à leurs
enfants sans manifester eux-mêmes le caractère.
Gène autosomique récessif
1) Les parents du sujet atteint sont, en général, si
l'affection est rare, apparemment indemne (hétérozygotes).
2) Dans la fratrie où la tare apparaît, 1 enfant sur 4, en
moyenne, est atteint (V. Correction des données).
3) On trouve, parmi les parents des tarés, des unions
consanguines plus fréquemment que dans la population témoin.
4) Un sujet taré transmet rarement la tare à ses enfants, car
il a plus de chances d'épouser un homozygote normal qu'un hétérozygote pour
le gène en cause (si le gène est rare).
Gène lié au sexe, récessif
1) L'affection est transmise par les femmes (le plus souvent,
normales) et les sujets mâles sont seuls atteints.
Pourtant, lorsqu'une femme conductrice épouse un taré, la
moitié de ses filles présentent la tare et toutes sont " conductrices ".
2) Toutes les filles d'un homme taré et la moitié de ses
soeurs sont conductrices.
3) Un père taré ne peut transmettre la tare directement à
ses fils (puisque les gènes liés au sexe sont situés sur le chromosome X et
qu'un père ne transmet à ses fils que le chromosome Y).
Etude statistique des pedigrees
Lorsque les critères généalogiques ci-dessus ont permis
d'identifier le mode de transmission d'un caractère, il reste à prouver que
l'ensemble des résultats observés s'accorde bien avec l'hypothèse envisagée
: gène autosomique dominant ou récessif, ou gène lié au sexe, etc.
Difficulté de la méthode
Les études statistiques en génétique humaine sont rendues
délicates par plusieurs phénomènes :
1) Tout d'abord, les familles humaines sort petites (en
moyenne 2 à 3 enfants dans les populations modernes), ce qui oblige
l'observateur à compiler un grand nombre de pedigrees.
2) Cette compilation laborieuse est, elle-même, incertaine
car, à supposer que l'entité clinique sur laquelle elle est basée soit bien
définie, il n'en reste pas moins une incertitude fondamentale sur ce point :
sommes-nous sûrs que, dans toutes les familles présentant la même tare, le
même gène soit en cause ? Sauf preuve évidente du contraire, nous serons, en
général, obligés d'éluder cette question et d'accepter l'hypothèse de la
monogénie de l'affection étudiée.
3) La fécondité humaine étant sous la dépendance de
nombreux facteurs affectifs, il est possible qu'après la naissance d'un
anormal les parents limitent volontairement le nombre de leurs enfants, ce qui
peut fausser les proportions mendéliennes dans une mesure difficilement
appréciable.
4) Enfin, lorsqu'il s'agit d'une tare récessive (les parents
des tarés étant, le plus souvent, des hétérozygotes apparemment normaux),
l'enquête génétique ne peut détecter que les fratries dans lesquelles un
anormal au moins est déjà apparu. Il ressort de ce fait qu'au lieu de trouver
1 enfant sur 4 atteint, on en trouvera un peu plus (1 sur 3, par exemple).
La même remarque est d'ailleurs valable pour les tares
dominantes lorsque l'enquête part d'un enfant taré pour étudier ensuite sa
famille. Au lieu de la proportion théorique : 1 taré pour 1 normal, on
trouvera, par exemple, 2 tarés pour 1 normal.
Pour pallier cette distorsion des données, due au mode de
recensement des fratries atteintes, de nombreuses méthodes de correction ont
été proposées et nous passerons en revue les plus immédiatement
utilisables.
Méthodes de correction des données
Pour simplifier l'exposé de ces méthodes, qui font souvent
appel à des raisonnements mathématiques assez délicats, nous prendrons le cas
d'une fratrie de 2 enfants.
a) Tare récessive
Comme chaque enfant issu d'un mariage entre hétérozygotes
Aa X Aa, a 1 chance sur 4 d'être aa, les différentes fratries possibles sont
les suivantes :
 Tableau I. - Types des fratries
possibles
Les deux enfants seront tous deux tarés 1 fois sur 16
(fratrie n° 1), et, 6 fois sur 16, un seul d'entre eux sera taré (fratries 2,
3, 4, 5, 6, 7).
Il est évident que seules les 7 fratries de gauche seront
recensées puisque les 9 de droite, ne comportant aucun taré, ne pourront
être signalées à l'observateur.
Si donc nous faisons, parmi les 7 fratries de gauche, le
décompte des tarés, nous trouvons : 2 + 3 + 3 = 8 tarés pour 14 enfants :
soit, comme fréquence familiale de la tare : 8/14 au lieu de 1/14.
BERNSTEIN, se fondant sur ce fait, a
calculé une table qui permet, par simple lecture, de savoir combien d'enfants
tarés on doit s'attendre à trouver dans des fratries de 2, 3, 4, et n enfants,
lorsque seules les fratries comportant au moins 1 taré sont recensées.
Méthode des " proposants " de weinberg
C'est une autre méthode, beaucoup plus générale.
Dans cette méthode, on considère les tarés comme des
indicateurs (des proposants) et l'on recherche, parmi leurs germains, le nombre
de tarés observés. Chaque taré sert à son tour d'indicateur, mais une seule
fois. Par exemple (V. tableau I) la fratrie n° 1 contient 2 tarés et nous
allons raisonner ainsi :
a) Le 1er enfant a un germain taré : nous compterons 1
taré.
b) Le second enfant a un germain taré (le 1er enfant) :
nous compterons 1 taré.
Par contre, pour les fratries 2, 3, 4, 5, 6. 7, chaque
indicateur a un germain normal. Nous compterons donc 6 fois 1 normal.
Au total, nous aurons : tarés = 1 + 1. Normaux = 6 X 1.
La fréquence des tarés est donc : 2/(2+6) soit 1/4.
Cette méthode, très générale, a l'immense avantage de
s'appliquer à tous les cas dans lesquels on veut calculer la probabilité
réelle d'apparition d'une tare lorsque les observations familiales ne font
état que des fratries dans lesquelles au moins 1 taré est apparu.
b) Tare dominante
Dans le cas d'un gène dominant rare, nous supposerons
encore (ce qui est habituellement le cas) que la fratrie a été détectée
parce que l'un au moins des enfants portait la tare. Chaque enfant ayant 1
chance sur 2 d'être taré, les quatre types de fratries possibles sont les
suivants :
 Type des fratries.
Le simple décompte des fratries recensées nous donne : 4
tarés pour 2 normaux, soit 2/3 au lieu de 1/2, pour la probabilité
d'apparition de la tare.
Par contre, la méthode des proposants donne l'estimation
exacte :
Fratrie n° 1 : le premier enfant indicateur (puisque taré)
a un germain taré (le 2e enfant) ; nous compterons 1 taré.
De même pour le second enfant.
Soit, au total, 2 tarés.
Par contre, pour les fratries 2 et 3, chaque indicateur a un
germain normal (et pas de germain taré) soit au total : 2 normaux. En tout,
nous trouvons 2 tarés pour 2 normaux, la probabilité d'apparition de la tare
est bien de 1/2.
Pour éviter le décompte des germains, qui devient
fastidieux, dès que la fratrie est un peu grande, on pourra utiliser une table
telle que celle proposée par TURPIN et LEJEUNE (1955).
Calcul de la pénétrance
Ces auteurs ont étendu cette méthode au calcul de la
pénétrante par un raisonnement qui peut se simplifier ainsi :
Appelons p la " pénétrance " d'un gène dominant rare,
c'est-à -dire la probabilité de manifestation du caractère déterminé par le
gène chez les sujets qui en sont porteurs. Dans la descendance d'un
hétérozygote Dd, 1 enfant sur 2 recevra le gène, et cet enfant aura p
chances sur cent de le manifester.
La probabilité P d'apparition de la tare dans la fratrie
est donc égal à 1/2 x p, soit p/2.
Comme la méthode des proposants va nous permettre de
calculer directement cette probabilité P (V. plus haut) on en déduira la
pénétrante du gène en faisant p = 2 P.
Nous noterons simplement que TURPIN et LEJEUNE (1955) ont
développé la théorie de ce calcul en établissant une formule a priori qui
se trouve être un équivalent algébrique plus général de la formule d'Apert
ou de celle de Haldane pour la correction des données dans le cas des
caractères récessifs.
Estimation de la fréquence d'un gène dans une
population
En dehors de l'analyse généalogique que nous venons de voir,
il est souvent utile, en génétique humaine, de connaître la fréquence d'un
gène dans une population.
Dans le cas simple de deux facteurs mendéliens : mettons A et B
simultanément et seuls présents dans une population, nous pouvons, si les
deux gènes sont également décelables, observer 3 types de sujets, nommément
: AA, AB et BB. II suffit, dès lors, de dénombrer les gènes A, d'une part,
et les gènes B, d'autre part, pour estimer leur fréquence dans la
population.
Par contre, si A est dominant sur b, nous ne pouvons
reconnaître que deux phénotypes, bien que trois génotypes soient possibles,
à savoir :
AA ou Ab qui seront reconnus porteurs de A sans qu'il soit
possible de savoir s'ils portent aussi b.
et bb reconnus porteurs de b à double exemplaire.
Dans ce cas, aucun décompte directe n'est possible puisque les
types Ab ne peuvent être individualisés.
Postulat de la panmixie
Si l'on suppose que les mariages se font au hasard - c'est-à
-dire qu'un sujet porteur de A épouse indifféremment un partenaire porteur de
A ou de b dans une population très grande, on peut montrer que si p est la
fréquence du gène A et q celle du gène b (loi de Hardy) :
génotypes | AA | Ab | bb |
fréquence | p2 | 2
pq | q2 |
Dès lors, à partir de notre échantillon, il nous suffira de
calculer la fréquence des sujets bb, soit bb et d'écrire : bb = q2
d'où q = racine carrée de bb et p = 1-q, puisque, par définition (p + q) =
1.
De nombreuses méthodes ont été proposées pour résoudre
des problèmes plus complexes, tels que ceux dans lesquels 3 allèles sont en
présence, comme dans le cas du groupa ABO, mais ces méthodes exigent un
appareil mathématique trop complexe pour être développées ici.
Nous remarquerons que toutes ces méthodes sont basées sur le
postulat de la panmixie, qui ne peut être rigoureusement vérifié chez
l'homme du fait d'un choix évident du conjoint, d'une part, et des unions
consanguines, d'autre part.
Cependant, cette hypothèse se vérifie assez bien dans le cas
de gènes n'entraînant que peu ou pas d'avantages ou de désavantages pour
leurs porteurs et qui n'ont pas d'effet somatique ou psychique décelable (cas
des groupes sanguins).
Influence de la consanguinité sur la répartition
des tares
Nous avons vu qu'un des critères généalogiques de la
récessivité dans le cas d'une tare rare était la fréquence des unions
consanguines parmi les parents de tarés. Ce fait s'explique ainsi :
Soit un sujet A porteur d'un gène récessif, celui de
l'albinisme, par exemple. Si nous écartons l'hypothèse d'une mutation
nouvellement apparue, on voit que A a 1 chance sur 2 d'avoir reçu ce gène de
son père B (puisqu'il l'a reçu soit de son père B, soit de sa mère b).
Par contre, si B est porteur de ce gène, sa soeur E a 1
chance sur 2 de l'avoir reçu, elle aussi (puisque ce gène venait de l'un ou
de l'autre de leurs parents). Enfin si E est porteur de ce gène, F a 1 chance
sur 2 de le recevoir.

Au total, si A porte le gène de l'albinisme, sa cousine
germaine F, a 1/2 x 1/2 x 1/2, soit 1 chance sur 8 de le posséder aussi.
Cependant, comme 1 individu sur 200 en moyenne est porteur du
gène, si A épouse une personne non apparentée, il a 1 chance sur 200
d'épouser une hétérozygote comme lui.
Au total, pour un sujet hétérozygote Aa, la chance de former
une union Aa X Aa (capable de produire un homozygote aa (taré) pour 4 enfants)
est de 1/8 s'il épouse sa cousine germaine et seulement de 1/200 s'il épouse
une personne nom apparentée.
On voit donc que, dans l'ascendance des tarés, on doit
trouver des unions consanguines beaucoup plus fréquemment que dans la
population générale. En fait, près de 20 % des parents d'albinos sont
cousins germains.
LORENZ a proposé une formule générale qui permet d'estimer
la fréquence des unions consanguines parmi les parents de tarés dans le cas
d'un gène autosomique récessif assez rare pour que l'on n'ait à considérer
que les unions entre hétérozygotes
Si x est la fréquence des unions consanguines dans la
population générale, et a la fréquence du gène dans cette population, la
fréquence des unions consanguines parmi les parents des tarés sera de : x/(x
+ 16a)
D'une façon très générale, on peut dire que la
consanguinité tend à rapprocher des génotypes identiques et, par conséquent,
à favoriser l'apparition des sujets homozygotes.
Cette remarque est d'une très grande importance
eugénique.
Etude des jumeaux.
Classification
Les jumeaux humains peuvent être classés en trois catégories
:
a) Jumeaux fraternels bivitellins. - De même
sexe ou de sexe différent, ils sont pourvus chacun d'un placenta ; les
membranes dans l'utérus sont distinctes. Ils tiennent l'un et l'autre leur
origine d'un ovule différent qui provient ou non du même ovaire, mais qui a
gagné en même temps les voies génitales. Suivant le siège de nidation de
ces neufs différents, les placentas sont distants ou accolés, mais séparés
alors par une lamelle conjonctive qui s'oppose à toute fusion des systèmes
sanguins. Ces jumeaux, réserve faite des conséquences de leur développement
simultané, ne sont pas différents de frères ou sueurs ordinaires, de
germains,
b) Jumeaux fraternels univitellins. - Cette
variété se distingue de la précédente par la fusion des circulations
sanguines placentaires. L'amnios est distinct pour chacun, mais la caduque est
commune. Dans ces conditions, les sécrétions hormonales de l'un des foetus
peuvent agir sur l'autre. Chez les bovidés, ce phénomène réalise les cas de
free-martinisme. Les hormones mâles du foetus masculin troublent le
développement du foetus féminin, des organes génitaux en particulier. En
dehors des conséquences possibles de cette communauté vasculaire, ces jumeaux
ne se ressemblent pas plus que les précédents ; leur sexe est le même ou
opposé.
c) Jumeaux univitellins identiques. - Ces
sujets, de même sexe, ont une ressemblance si frappante qu'on a pu dire qu'ils
représentaient le même individu tiré à deux exemplaires. Le placenta, la
caduque, le système circulatoire sont communs, mais l'amnios presque toujours
distinct. II est admis que ces jumeaux dérivent du même ovule fécondé par
le même spermatozoïde ; ils sont donc issus de la même cellule et dotés du
même patrimoine si la division du zygote s'est accompagnée d'une répartition
rigoureuse d'un même matériel héréditaire. Ces individus de même génotype
ne pourront se distinguer que par des acquisitions dissemblables.
L'opinion générale sur les premiers stades du développement
humain estime que la polyembryonie est très précoce chez l'homme, au
contraire de ce qui se voit chez un animal, l'Armadillo. La séparation des
deux ébauches se ferait très tôt, dans le bouton embryonnaire, sous la
couche continue du trophoblaste.
Influence du milieu
Le partage de la place et de la nourriture maternelle n'est pas
toujours équivalent et l'un des jumeaux prend souvent avantage sur l'autre,
qui peut être réduit, le jour de l'accouchement, à l'état de foetus
papyracé. Ou bien encore la circulation sanguine, orientée surtout dans un
sens, favorise l'un des jumeaux, qui fait figure de transfusé par rapport à
son conjoint transfuseur ; il naîtra plus lourd, parfois oedématié. Aussi,
d'habitude, les différences de poids des nouveau-nés monozygotes sont plus
grandes que celles des dizygotes. L'enfant le plus favorisé est, en général,
vite rattrapé par l'autre, mais il bénéficie d'un développement mental
souvent plus rapide, qui lui donne une avance encore appréciable à l'âge
scolaire.
Bien que vivant plus près l'un de l'autre que des jumeaux
dizygotes, ces deux sujets monozygotes ne subiront pourtant pas les mêmes
influences ambiantes. Celles-ci sont d'une complexité qui défie toute
analyse. A l'opposé de ce qu'on pourrait croire, l'étude de l'allergie
tuberculeuse, par exemple, que nous avons effectuée chez ces enfants avec
notre assistante, M. TISSERAND, donne souvent des résultats discordants. Les
différences qui sépareront ces individus dotés théoriquement du même
génotype seront donc déterminées par l'ambiance.
Diagnostic de monozygotisme
C'est l'une des plus grandes difficultés des études
gémellaires. On est encore à la recherche d'un test d'identité.
Tant qu'il fera défaut, nous serons réduits à fonder ce
diagnostic sur la recherche de caractères héréditaires normaux et
pathologiques, avec une probabilité d'exactitude d'autant plus grande que les
signes concordants seront plus nombreux et plus valables.
Il ne faut pas compter sur les résultats d'une étude
systématique des membranes et de leur système circulatoire, qui, en pratique,
n'est jamais faite.
Par contre, la difficulté pour la mère de distinguer ses deux
enfants, d'après leur apparence seule, est une forte présomption de
monozygotisme. Les particularités physiques qui seront analysées sont la
couleur et la structure des cheveux, de l'iris, de la peau, l'implantation des
cheveux (tourbillons), l'évolution et la morphologie des dents, la
configuration des oreilles, du nez, de la langue, la taille et les dimensions
segmentaires plus que le poids, diverses particularités du squelette,
évolutives (ordre d'apparition des points d'ossification), ou spatiales (forme
de l'omoplate, des sinus frontaux, de la 12e côte), certaines particularités
affectives (" coefficient d'attachement "). On ne peut demander aux groupes et
aux types sanguins que de ne pas s'opposer au diagnostic de monozygotisme. Par
contre, les concordances dactyloscopiques ont une grande valeur ; il en est de
même des particularités héréditaires pathologiques.
Les études gémellaires mettent parfois en valeur de curieuses
dispositions en miroir : certaines particularités morphologiques ou
fonctionnelles de l'un des deux individus sont symétriques de celles de
l'autre. Cette disposition spéculaire porte non seulement sur des caractères
apparents (sens du tourbillon des cheveux sur le vertex, côté de la face
animé par le rire, dextralité chez l'un, senestralité chez l'autre), mais
sur des dispositions internes (caractète de points d'ossification : R. TURPIN,
M. TISSERAND et J. PITON ; disposition vasculaire : A. WEBER). Ces
particularités en miroir, chez l'homme, ont été rapprochées de faits
observé chez certains animaux qui se reproduisent par polyembryonie, en
particulier chez les Armadillo, dont diverses espèces ont été étudiées par
M. FERNANDEZ, H. H. NEWMAN et J. T. PATTERSON. Or, tandis que les différences
de taille, de poids qui distinguent les quadruplets de Dasypus novemcinctus
tiennent du milieu, d'autres, telles que la disposition des écailles,
dépendent de facteurs internes et il est fréquent de noter, chez deux jumeaux
issus de deux aires embryonnaires voisines, une symétrie inverse des
formations dérivées de l'ectoderme. La disposition en miroir des jumeaux
humains rapprochée de ces faits, rapprochée aussi de l'inversion viscérale
notée chez un Siamois dont le frère est normal (situs viscerum inversus de
Maria ROSALINA) a été considérée comme l'un des meilleurs signes de
monozygotisme. Cependant, beaucoup de monozygotes ne sont pas en miroir et des
signes spéculaires peuvent se voir chez des dizygotes. Il faut attendre, pour
juger, les résultats de recherches complémentaires et d'être renseigné sur
la valeur relative des différents signes spéculaires.
Ainsi le diagnostic de monozygotisme sera plus ou moins fondé
suivant l'abondance des faits concordants; souvent il sera porté avec quasi
certitude. Mais les différences de milieu ne permettent pas de considérer les
jumeaux comme un matériel d'études génétiques aussi parfait que l'imaginait
GALTON. Pour réaliser une expérience idéale, il conviendrait de suivre le
développement des jumeaux dizygotes dans un milieu identique, ce qui est
impossible ; de suivre le développement de jumeaux monozygotes dans des
milieux différents, ce qui a pu être fait (cas de Th. MÜLLER).
Résultats d'études sur les jumeaux
Ils doivent donc être toujours comparés à ceux d'autres
méthodes. D'un point de vue général, on peut présumer qu'une maladie
héréditaire solidaire d'un certain génotype et indépendante du milieu
atteindra toujours l'un et l'autre individu d'un couple de monozygotes ; qu'une
maladie héréditaire solidaire d'un certain génotype et dépendant du milieu
pourra n'atteindre qu'un seul des jumeaux du couple monozygote ; qu'une maladie
héréditaire solidaire de plusieurs génotypes dissemblables, et pour chacun
avec une fréquence différente, sera distribuée avec une plus grande
variabilité encore chez les monozygotes. Deux monozygotes sont comparables, en
effet, à une paire d'individus de même génération pris au hasard dans une
lignée pure. Si la fréquence de la maladie considérée dans cette lignée
est 70 % %, par exemple, 1 fois sur 2 seulement l'un et l'autre de ces deux
individus, pris deux par deux au hasard, seront affectés.
Carte chromosomique de l'homme
La localisation chromosomique des gènes se traduit par
l'existence d'une liaison (linkage) entre deux gènes voisins (V. frasc. 4140 A
B, pp. 4 et 5) situés sur un même chromosome.
Cette constatation fondamentale est à la base de toutes les
méthodes de détection du linkage employées chez l'homme.
Méthodes de détection du linkageDonnées théoriques
Supposons que deux paires d'allèles différentes soient
situées sur un même chromosome : soit A dominant sur a pour une paire et B
dominant sur b pour l'autre paire, et supposons, de plus, qu'il n'existe pas de
corrélation entre ces gènes dans la population étudiée (c'est-à -dire qu'un
individu porteur de A peut être porteur de B ou de b avec la même fréquence
que s'il était porteur du gène a). Si notre technique nous permet de
déterminer à coup sûr le génotype des sujets, c'est-à -dire de savoir si un
sujet est Aa Bb ou AA bb ou Aa BB, etc., nous pouvons, en examinant des
familles nombreuses et complètes, entreprendre l'étude du linkage existant
entre le locus de A et celui de B.
Cependant, il faut, dès l'abord, remarquer que, parmi les
différents types de mariages possibles, seuls quelques-uns seront susceptibles
de nous apporter une information.
Il est évident, en effet, qu'un couple aa bb X aa bb, ne
pouvant donner que des enfants aa bb, ne permettra de déceler aucun "
crossing-over ".
Seuls les trois types de mariages suivants peuvent apporter
une information :
1) Les deux parents sont doubles hétérozygotes Aa Bb X Aa
Bb
2) L'un est double hétérozygote, l'autre étant
hétérozygote pour un des loci et homozygote récessif pour l'autre, soit Aa
Bb X Aa bb ou Aa Bb X aa Bb
3) L'un est double hétérozygote, l'autre étant homozygote
récessif pour les 2 loci, soit Aa Bb X aa bb
Prenons, par exemple, ce dernier cas (3) et supposons que le
double hétérozygote a la formule chromosomique suivante :

où les gènes A et B sont dits "en couplage" parce que sur le
même chromosome.
Si nous appelons p la fréquence d'une séparation entre A et
B par "crossing-over", nous voyons que ce sujet peut produire 4 types de
gamètes, soit :
AB et ab (non recombinés)
soit Ab et aB (recombinés par "crossing-over" entre les 2
loci).
Par contre, le parent aa bb ne peut produire que des gamètes
a et b. La descendance de ce couple sera donc la suivante :
Types des gamètes formées par le parent Aa
Ab | AB | ab | aB | Ab |
Génotype des enfants | Aa Bb | aa
bb | aaBb | Aabb |
Fréquences | 1-p/2 | 1-P/2 | P/2 | P/2 |
Il suffit donc, pour connaître p, de poser :
(nombre d'enfants aa Bb + nombre d'enfants Aa bb) / Total des
enfants = p.
Cependant, si la formule chromosomique du parent double
hétérozygote avait été en répulsion, c'est-à -dire A sur un chromosome et
B sur l'autre, la formule serait évidemment :

p = (nombre d'enfants Aa Bb + nombre d'enfants aa bb) / nombre
total d'enfants
On voit donc qu'il faut connaître la phase du linkage chez le
double hétérozygote ; faute de quoi, aucune déduction n'est possible.
Le cas le plus complexe du mariage de type (2) Aa Bb Aa bb
conduit aux fréquences suivantes, ainsi que le lecteur pourra s'en assurer
lui-même :
Phase de linkage chez le double
hétérozygote | Fréquence des phénotypes chez les
enfants |
AB | Ab | aB | ab |
Couplage | (2-p)/4 | (1+p)/4 | p/4 | (1-p)/4 |
Répulsion | (1+p)/4 | (2-p)/4 | (1-p)/4 | p/4 |
Ici aussi, il est indispensable de connaître la phase de
couplage du double hétérozygote.
Enfin, le type (1) : mariage entre deux doubles
hétérozygotes, conduit à un tableau un peu plus complexe et nécessite la
connaissance de la phase des deux parents. Une étude soigneuse d'arbres
généalogiques étendus peut permettre ce diagnostic (mais non dans tous les
cas).
Interprétation
Pour pallier ces difficultés, plusieurs méthodes
mathématiques ont été proposées et, si les observations portent sur 2
générations, la meilleur méthode actuellement applicable est celle de
Fisher, étendue par FINNEY (1944). Nous ne décrirons pas ces méthodes, car
elles font appel à des formules mathématiques complexes, et sortent très
largement du cadre de notre propos.
PENROSE, en 1946, proposa une méthode un peu moins sensible,
mais beaucoup plus simple, ayant les avantages suivants :
1) elle ne réclame que la connaissance du phénotype des
enfants sans qu'il soit indispensable de connaître leur génotype, ni
d'étudier les parents ;
2) elle peut s'appliquer aussi bien à un caractère qualitatif
qu'à un caractère quantitatif.
Le principe de cette méthode a été décrit ainsi par
PENROSE lui-même : " Lorsque des paires de germains sont prises au hasard dans
une série de familles, certains types de paires sont plus fréquents lorsqu'il
existe un linkage que lorsqu'il y a association au hasard des deux caractères
étudiés".
On étudie donc, en comparant deux à deux les germains d'une
même fratrie, s'ils sont discordants ou concordants pour les deux caractères.
Ce processus est très économique lorsque la fratrie est grande : en effet,
une fratrie de deux enfants ne fournit qu'une seule comparaison, mais une de
trois fournit 3 paires, une de quatre en fournit C et, plus généralement, une
famille de n enfants fournit n (n - 1)/2 paires.
Une table de comparaison peut alors s'établir ainsi, en
tenant compte des phénotypes :
Tableau II
Phénotypes des germains | Les deux frères
sont A (paire A+A) | L'un est A ; l'autre, a (paire A+a) | Tous
deux sont a (paire a+a) | Total |
L'un et l'autre sont B (paire B +
B) | n11 | n12 | n13 | n1 |
L'un est B, l'autre b (paire B +
b) | n21 | n22 | n23 | n2 |
Les deux sont b (paire b +
b) | n31 | n32 | n33 | n3 |
Total | n1 | n2 | n3 | N |
L'on conçoit intuitivement et l'on peut facilement démontrer
qu'en cas de linkage on trouve un excès de paires dans la diagonale du carré,
c'est-à -dire dans les cases n11, n22 et n33.. La statistique du ?2
permet alors de tester si cet excès est dû au hasard ou s'il paraît bien
ressortir d'un effet-génétique : le linkage
Une variante plus simple, maïs moins sensible de cette
méthode fut d'abord décrite par PENROSE en 1935.
Son principe est le suivant : il est possible de classer les
paires examinées en quatre catégories, suivant qu'elles sont concordantes
pour le type A (c'est-à -dire que les germains sont tous deux A ou a) ou
discordantes (l'un des germains A et l'autre a) et en même temps concordantes
pour B (c'est-à -dire que les germains sont tous deux B ou b) ou discordantes
(l'un étant B et l'autre b).
On arrive alors à la table suivante :
Type de la paire des germains | Concordants
pour A (type A, + A ou a+a) | Discordants pour A (type
A+a) | Total |
Concordants pour B (type B + B) ou (b +
b) | n1 | n2 | n1 + n2 |
Discordants pour B (type B +
b) | n3 | n4 | n3 + n4 |
Total | n1 + n2 | n2 + n4 | N |
S'il y a linkage entre A et B, on observera une concentration
dans les cases n1 et n4.
Pour tester cette concordance, on utilisera le test du X2 en
calculant :
?2 = [N (n1 n4 - n2 n3)2] / [(n1 + n2) (n1 + n3)
(n2 + n4) (n3 + n4)]
et l'on sera en mesure d'affirmer le linkage avec un seuil de
sécurité de 5 % si ?2 > 3,841 et de 1 % si ?2 >
6,635. Si la valeur de ?2 est inférieure à 3,841 on devra conclure
que l'existence d'un linkage ne peut être montrée à partie des observations.
Enfin, il est possible, d'après ces données, de calculer la fréquence des "
crossing-over " par la statistique F, proposée par PFNROSE.
Comme on le voit, ce test du linkage est d'une application
relativement facile, à condition de s'assurer à l'avance qu'il n'existe pas de
corrélation physiologique ou simplement démographique entre les caractères A
et B dans la population étudiée.
Elaboration des cartes chromosomiquesGènes autosomiques
L'étude du linkage chez l'homme se heurte à de grandes
difficultés, car, si l'on prend au hasard 2 facteurs mendéliens autosomiques,
il y a seulement 1 chance sur 23 pour qu'ils soient sur le même chromosome,
puisque l'homme possède 23 autosomes.
Par ailleurs. nous connaissons assez peu de " marqueurs "
faciles à tester et dont l'hérédité soit bien établie ; pratiquement, en
dehors des groupes sanguins et de quelques maladies rares, nous connaissons
bien peu de ces repères chromosomiques.
A l'heure actuelle, une quinzaine de cas de linkage
autosomique probable ont été reconnus, auxquels on peut probablement ajouter
le linkage entre le locus du groupe Rh et celui de l'elliptocytose, décrit par
CHALMERS et LAWLER en 1953 et 1954.
Gènes liés au sexe
Pratiquement, le seul groupe de linkage certainement établi
chez l'homme est celui des gènes situés sur le chromosome X. Tout gène
situé sur ce chromosome ayant une hérédité très particulière, sa
localisation est quasi certaine. C'est ainsi que HALDANE et SMITH ont pu
calculer que la fréquence de " crossing-over " entre le locus de l'hémophilie
et celui du daltonisme était de l'ordre de 9,8 % (la valeur réelle devant se
situer entre 5 et 20 %).
D'autre part, les caractères à hérédité holandrique :
ichthyosis histrix gravior, " webbed toes ", etc., sont sûrement localisés
sur le chromosome Y. Cependant, ces derniers gènes sont si rares qu'il est
presque impossible de les étudier.
Gènes partiellement liés au sexe
HALDANE et SNYDERS ont été les principaux défenseurs de
cette hypothèse qui peut se résumer ainsi : il doit exister sur le chromosome
X deux parties : l'une, hétérologue, spécifique du X et portant les gènes
strictement liés au sexe ; l'autre, homologue, correspondant à une portion
similaire du chromosome Y, et portant les gènes dits " partiellement liés au
sexe " (V, fig. 6).
 Fig. 6. - Carte chromosomique schématique
des chromosomes sexuels. Pourcentage des " cross-over ". Les chiffres entre
parenthèses indiquent le pourcentage des " cross-over " : achromatopsie (9) ;
etc.
De même, le chromosome Y comporterait deux portions : l'une,
hétérologue, portant les gères à hérédité holandrique, et l'autre,
homologue, portant les gènes partiellement liés au sexe. On conçoit que,
s'il existe des " crossing-over " entre les parties homologues de l'X et de
l'Y, la répartition selon le sexe des enfants porteurs d'un gène situé sur
l'un des chromosomes dépendra du sexe du parent transmetteur : on trouvera un
excès de malades mâles si la tare vient du grand-père paternel des individus
et, au contraire, un excès de filles si la tare est transmise par la
grand-mère paternelle. Dans ces conditions, il serait possible de calculer à quelle distance du point de jonction des parties homologues et hétérologues
des chromosomes sexuels devraient se trouver les gènes étudiés pour rendre
compte des déviations de la " sex ratio " observées. On peut alors
considérer la figure 6 comme la première ébauche d'une carte chromosomique
humaine.
Conclusions
Cependant, il n'est pas possible d'admettre ce schéma sans
réserve, car l'hérédité partiellement liée au sexe n'est absolument pas
démontrée ; aucune preuve histologique n'a pu jusqu'ici être apportée,
montrant qu'il y a réellement des échanges chromosomiques entre l'X et l'Y.
Les derrières observations de Léo SACHS (:1954) sont, d'ailleurs, en
désaccord avec cette hypothèse.
De plus, une analyse des données statistiques sur lesquelles
cette hypothèse est basée a permis à MACKLIN (1952) de montrer l'existence
d'incompatibilités entre les données d'observation et les proportions
théoriques dans le cas du Xeroderma pigmentosum.
L'espoir des généticiens de " lever le plan " du patrimoine
héréditaire humain est donc loin d'être réalisé., Cependant, l'utilité de
ces cartes n'est point contestable puisqu'elles permettraient, dans certaines
conditions, de prédire la destinée des individus.
Supposons, par exemple, que nous connaissions un caractère
dominant très répandu dont le locus soit très proche de celui de
l'hémophilie (3 % de " crossing-over", par exemple). Si un homme hémophile
porteur de ce caractère a des filles, l'examen de celles-ci pourra nous
permettre de savoir si elles sont conductrices ou non. Si l'une d'elles porte
le caractère " marqueur ", elle aura 97 chances sur 100 de porter aussi le
gène de l'hémophilie ; par contre, si elle ne porte pas le caractère
marqueur, elle n'aura que 3 chances sur 100 de pouvoir transmettre
l'hémophilie à ses fils. Toutefois, une telle prédiction ne serait possible
que si la mère ne portait pas le gêne marqueur.
Haut
V. - .Avenir des maladies héréditairesHaut
Variabilité des populations
Tout être humain est doué de caractéristiques spécifiques
(taille, pigmentation, morphologie, etc.) qui, bien que voisines de celles de
ses ascendants et de ses collatéraux, permettent de le définir et de le
reconnaître avec certitude.
Toute population humaine, quelle qu'elle soit et quels que soient
les critères qui permettent de la délimiter, représente donc une communauté
d'individus issus d'ancêtres communs et présentant entre deux de fortes
ressemblances, quoique restant parfaitement discernables les uns par rapport
aux autres. Cette variabilité à l'intérieur d'un groupement relativement
homogène peut être due soit à des réactions d'adaptation au milieu (ce
dernier, pris dans son sens le plus large, étant évidemment particulier à chaque individu), sait à des qualités intrinsèques, constitutionnelles, qui
sont transmises à chaque individu par ses ancêtres, selon les lois de
l'hérédité mendélienne.
Comme on le verra par la suite, la sens dans lequel peut évoluer
une population dépend de l'étendue de sa variabilité, ainsi que de
l'intensité de la sélection que le " milieu " peut exercer à l'encontre de
certaines particularités morphologiques ou physiologiques. En simplifiant à l'extrême, on conçoit que si les individus porteurs d'une caractéristique
donnée (le nanisme, par exemple) sont très désavantagés par les conditions
du milieu dans lequel ils vivent, leur taux de reproduction sera inférieur à celui des individus normaux. En conséquence, après un nombre de générations
suffisantes, ils devraient être totalement éliminés de cette population. Le
fait que leur fréquence reste sensiblement stable ne peut être expliqué (V.
plus loin) que par l'apparition de mutations nouvelles.
Par contre, si l'on suppose qu'une variation héréditaire
n'influence nullement la vitalité ni la fécondité des sujets qui en sont
porteurs, autrement dit si la sélection n'a pas de prise sur elle, les sujets
qui en sont porteurs se reproduiront au même rythme crue les individus
normaux, et les deux caractères seront simultanément présents dans la
population, représentant ainsi un exemple de variabilité neutre.
Enfin, troisième hypothèse, le caractère variant peut être
favorable, c'est-à -dire que les sujets qui en sont porteurs auront, de ce
fait, une supériorité quelconque, physique ou mentale, et, en définitive, il
en résultera que leur taux de reproduction sera légèrement supérieur à la
moyenne.
Ainsi, le caractère fera " tache d'huile" dans la population et,
après un nombre de générations suffisant, tous les individus ou presque se
trouveront en être porteurs.
La variabilité actuelle d'une population est donc le résultat d'un
compromis réalisant un équilibre le plus souvent instable entre les pressions
de sélection (dues à l'interaction du milieu et du génotype) et des pressions
de variation qui font apparaître des types nouveaux ou resurgir des types
anciens précédemment éliminés.
Dans ce qui précède, nous n'avons nullement tenu compte de la
cause des variations. La variabilité due aux réactions directes entre
l'individu et le milieu dans lequel il vit étant essentiellement transitoire
(puisque, par définition, les descendants de ce sujet seront aux prises avec
un milieu différent), la seule variabilité qui peut être un sujet d'étude
génétique est celle due à l'action de caractéristiques transmissibles,
c'est-à -dire persistantes au cours des générations en suivant la loi de
filiation biologique.
A l'origine de la variabilité constitutionnelle, deux théories ont
été invoquées, qui s'affrontent depuis plusieurs décades en empruntant des
noms différents suivant les époques : lamarckisme, darwinisme et
mitchourinisme, d'une part, et fixisme, puis mutationnisme, puis
mendélo-morganisme, d'autre part.
Brièvement, l'on peut résumer ainsi la question : pour les uns,
certains caractères d'adaptation (donc acquis par un individu) seraient
susceptibles de s'inscrire dans le patrimoine héréditaire (actuelle théorie
mitchourinienne) ; pour les autres, seules les mutations génétiques,
intervenant à l'échelon chromosomique ou même macromoléculaire, seraient
susceptibles d'être transmises à la descendance (mendélo-morganisme). C'est
donc essentiellement la question de l'hérédité des caractères acquis qui
sépare les biologistes des deux écoles.
Haut
Hérédité des caractères acquis
Peu de questions, depuis la célèbre philosophie zoologique de
LAMARCK, ont soulevé autant de discussions et suscité autant d'expériences
que l'avenir des caractères acquis.
A l'heure actuelle, on peut dire que toutes les conclusions
d'expériences " probantes " à ce sujet prêtent le flanc à de graves
critiques, qu'aucun artifice expérimental n'a jusqu'ici permis d'écarter.
C'est ainsi que l'expérience de MAC DOUGALL, dans laquelle des rats
étaient dressés à parcourir un labyrinthe compliqué pour trouver leur
nourriture et auraient ensuite été capables de transmettre à leurs
descendants une partie de leur habilité acquise, a été contestée par CREW.
Ce dernier montra que les rats, étant dressés à l'aide d'un choc électrique
en cas de fausse route, subissaient, de ce fait, un trouble entraînant une
stérilité partielle, et que toute l'expérience n'aboutissait qu'à la simple
sélection, par un moyen détourné, des sujets les plus intelligents.
D'autres cas, comme les " Dauervariationen " de JOLLOS, PICTET et
WOLTESAECK, ont pour base une transmission cytoplasmique de certaines
caractéristiques, telles que la sensibilité à l'arsenic.
Il semble que les phénomènes tels que la " stabilisation " des
femelles injectées par le virus de sensibilité au gaz carbonique de
L'HERITIER représentent un autre aspect de ces modes d'hérédité encore mal
connus.
Enfin, quoiqu'il soit très difficile d'en parler, en raison des
polémiques plus politiques que scientifiques, d'ailleurs, que ces théories
ont suscité, l'on ne peut passer sous silence l'énorme travail réalisé par
les équipes soviétiques se ralliant à la théorie du mitchourinisme et dont
le chef de file reste LYSENKO.
Les réussites agronomiques obtenues par les tenants du
mitchourinisme n'ont nullement apporté la preuve de la réalité de cette
théorie, car tous les résultats (d'ailleurs sensiblement égaux à ceux que
permettent d'obtenir les méthodes classiques) peuvent être expliqués par
l'apparition de mutants, automatiquement sélectionnés par les conditions
mêmes des expériences.
Les expériences sur les enzymes d'adaptation de la levure (EPHRUSSI
et SLONIMSKI, 1950) ou sur les antigènes des paramécies (BEALE, 1950) ont pu
montrer qu'un stimulus précis est capable de provoquer dans la cellule la
synthèse d'une substance que l'on n'y pouvait pas déceler auparavant, cette
aptitude à la synthèse se transmettant ensuite durant de nombreuses
générations. Pourtant une analyse génétique soigneuse a toujours montré
qu'il s'agissait de la transmission de particules cytoplasmiques (cas des
particules Kappa des paramécies de race " Killer ") dont la synthèse reste
sous la dépendance de gènes préexistants dans le noyau.
Au total, aucun stimulus ne peut, tout au moins d'après ce que nous
connaissons, changer les caractéristiques d'un gène et s'inscrire ainsi
réellement dans le patrimoine sans risquer de disparaître lors de la
fécondation.
Pourtant, d'autres expériences, telles que celles de LINDEGREN
(1945) et SPIEGELMAN Sur l'adaptation de Saccharomyces carlsbergensis à la
fermentation du milieu, sembleraient apporter une preuve de la réalité des
enzymes d'adaptation en écartant toute sélection éventuelle de mutants, mais
ces travaux n'ont pu malheureusement être reproduits (LINDEGREN, 1949).
En définitive, comme il arrive le plus souvent lorsque deux thèses
restent en présence pendant de longues années, il est possible que ces deux
interprétations ne soient pas mutuellement exclusives et que la réalité
biologique se refuse à se laisser enfermer dans les exactes limites de nos
catégorisations.
Quoi qu'il en soit, l'immense majorité des phénomènes
actuellement connus sont explicables par les notions classiques de transmission
mendélienne, de mutation et de sélection, alors qu'une minorité infime de
cas relativement douteux permettrait de ne pas écarter absolument
l'hérédité des caractères acquis.
Dans ce qui suit, nous considérerons donc, sans préjuger de
l'avenir, que les seuls facteurs de variabilité des populations sur lesquels
le généticien puisse actuellement baser ses recherches et ses prévisions
sont les facteurs mendéliens, ou gènes, soumis aux diverses influences de la
mutation, de la sélection et de l'ambiance.
Haut
Mutations
Transmission des variations
héréditaires
Il est commode de distinguer les variations qualitatives et les
variations quantitatives.
Les premières, qui portent sur des caractères mendéliens, sont
transmises conformément aux schémas que nous avons étudiés.
Les secondes, quantitatives, telles que la taille, la
pigmentation, sont héritées suivant le mode constant intermédiaire. Mais le
mendélisme, nous l'avons vu, n'est pas pour cela en défaut, puisqu'il fournit
l'interprétation des facteurs multiples. Et l'étude de la variabilité
fournit même des arguments très favorables à cette interprétation. Si les
sangs se mêlaient, la variabilité diminuerait régulièrement de génération
en génération. Un individu de taille X1 épousant un individu de taille X2,
la taille de leur progéniture serait intermédiaire (X1+X2)/2. Ainsi, les
unions se faisant au hasard, X1 et X2 n'étant pas corrélatifs, la
variabilité héréditaire devrait diminuer de moitié à chaque génération
(R. A. FISHER). Si des individus de taille correspondante avaient tendance à s'unir, la diminution de la variabilité serait moindre ; en admettant X1 et X2
liés par une corrélation de 0,50, c'est-à -dire équivalente à celle qu'on
trouve entre parents et enfants, la réduction de variabilité ne serait plus
que d'un quart à chaque génération. Une corrélation inverse favoriserait, au
contraire, l'homogénéisation.
Ainsi la thèse du mélange des sangs ne serait acceptable que si
l'observation démontrait que les mutations sont assez fréquentes pour
entretenir la variabilité, qui, sans elles, tendrait à disparaître. Mais les
mutations connues n'atteignent pas, de loin, la fréquence nécessaire. Il
s'ensuit que l'hypothèse des facteurs multiples prend une nouvelle valeur.
Nous avons vu précédemment qu'en faisant intervenir N couples mendéliens A
a, B b, C c, à l'ori-gine du caractère quantitatif, elle rend compte à la fois
de la persistance de la variabilité et de la possibilité de conserver des
lignées pures isolées d'une population (expériences de JOHANNSEN).
Ainsi conçue à la lumière du mendélisme, la variabilité
héréditaire, faite de caractères normaux et pathologiques, mérite le nom de
fluctuation génétique. Il est captivant pour le médecin de chercher à connaître son avenir puisqu'il aborde ainsi le problème de la destinée des
maladies héréditaires.
Avenir des variations héréditaires.
Un double jeu d'influences agit sur la variabilité héréditaire
: certains processus tendent à l'accroître, d'autres à l'amortir.
La variabilité génétique est entretenue par les
mutations
Il y a seulement vingt ans, les biologistes n'envisageaient que
les mutations liées à de fortes aberrations chromosomiques et en général
morphologiques. Leurs conséquences sont telles que les individus qui les
portent sont, d'habitude, incapables d'entrer en compétition avec l'individu
normal pour contribuer aux progrès de l'espèce.
Aujourd'hui, l'opinion tend à admettre, puisque tout gène, en
principe, peut muter, qu'il doit y avoir place à côté des fortes mutations
chromosomiques pour des mutations qui n'entraînent que de faibles changements,
plus difficiles à déceler. Ces changements entretiendraient la variabilité
héréditaire. C'est à cette variabilité, ainsi entretenue par d'incessantes
mutations, qu'on a donné le nom de " fluctuation génétique ". Sur ses
possibilités est édifiée une nouvelle théorie de l'évolution des
organismes. R. A. FISHER, dont les études ont été divulguées en France par
Ph. L'HÉRITIER a cherché, par le calcul, dans quelle mesure cette
variabilité héréditaire pouvait être entretenue par des mutations neutres,
pourvues d'un léger désavantage ou désavantageuses. Il conclut que la
fluctuation génétique doit être entretenue en totalité ou presque par les
mutations neutres ou avantageuses.
A l'étude des variations héréditaires, nous avons envisagé
leur influence possible sur l'évolution dans le temps des maladies humaines.
Les conditions d'apparition de certaines de ces maladies, l'entretien de leur
fréquence au sein des populations, laissent entendre qu'à chaque génération
des mutations renouvellent certaines d'entre elles. Les appréciations
théoriques de J. B. S. HALDANE, en particulier, accordent aux mutations
responsables de l'hémophilie une fréquence de 1 pour 50.000, de l'idiotie
amaurotique en Suède de 1 pour 10.000, de la sclérose tubéreuse de 1 pour
60.000 à 120.000.
La fluctuation génétique, sans cesse entretenue par des
mutations dont nous ignorons la fréquence réelle, le mécanisme (fluctuation
d'énergie thermique ? [cf. Fasc. 4140 E, p. 2] rayons cosmiques ? influences
toxi-infectieuses ?), subit, par ailleurs, les multiples influences de la
sélection naturelle, de l'élimination des gênes au hasard, de conditions
sociales diverses.
Sélection naturelle
Les mutations, sans doute, sont d'autant plus exposées à la
sélection naturelle que l'espèce dans laquelle elles se produisent est mieux
adaptée à son milieu. En outre, les effets de la sélection varient suivant la
nature du gène substitué. Los gènes dominants autosomiques et récessifs
liés au sexe qui s'extériorisent immédiatement sont les plus exposés, et,
si les individus qui les portent sont, de ce fait, en état d'infériorité,
leur élimination sera assez rapide. Pour les gènes récessifs indépendants
du sexe, il en va tout autrement. M. Ph. L'HÉRITIER a fait, à ce propos, une
intéressante expérience, à l'aide d'une vingtaine de populations de
Drosophiles appartenant à " Bar normal ", " Ebony normal " et " Vestigial
normal ". D'abord très rapide dans tous les cas, l'élimination du gène muté
ne varie bientôt plus que par étapes insensibles. Une stabilité relative est
obtenue pour " Bar normal " quand la proportion n'est plus que de quelques
millièmes, 0,37 %, par exemple ; à ce moment, l'extinction du gène par hasard
est possible. La stabilité pour " Ebony normal " est atteinte avec un
pourcentage beaucoup plus élevé de 13 à 15 %, tandis qu'avec " Vestigial
normal " le chiffre est intermédiaire, 3 à 6 %. Ph. L'Héritier pense que,
pour " Ebony normal", un véritable équilibre est probablement atteint, qu'il
explique par la supériorité des hétérozygotes sur l'un et l'autre
homozygotes, en reconnaissant que la preuve de cette supériorité reste à faire.
La bactériologie offre divers exemples de l'action de la
sélection naturelle sur des mutants. Il est possible que la bacille bilié
Calmette-Guérin (B.C.G.), dérivé d'une souche de bacille bovin très
virulente, cultivée pendant quatorze ans sur milieu à base de bile, c'est-à -dire pendant quelques 25.000 générations, soit un variant avantagé par la
sélection. La pathologie humaine nous offre des exemples évidents de
sélection naturelle à l'égard de variations héréditaires qui placent
l'individu dans un état d'infériorité manifeste par rapport au type normal.
Les hémophiles succombent jeunes et ne donnent guère que le quart du nombre
des descendants de leurs frères; les idiots amaurotiques meurent avant d'avoir
pu se reproduire.
A. R. FISHER a tenté, par le calcul, de mesurer les chances
d'une mutation de se fixer dans une population. Durant les premières
générations, la destinée d'une mutation, même favorable, serait dominée
par le hasard, dont le rôle est considérable. Lors des générations
ultérieures, elle risquerait un sort variable suivant sa qualité. Une
mutation neutre serait destinée à s'éteindre, à moins qu'une fluctuation
favorable ne lui permette d'éliminer son allélomorphe ; une mutation
favorable aurait 1 chance sur 50 de persister dans l'espèce après un nombre
même considérable de générations ; une mutation défavorable serait
exposée à disparaître beaucoup plus vite que le gène neutre. FISHER apporte
une réserve à ses approximations en raison de la limitation de toute
population.
Élimination des gênes au hasard
L'importance de ce processus varie avec le nombre des couples de
facteurs mendéliens et avec l'étendue de la population.
L'hypothèse des facteurs multiples fait intervenir, en effet, N
couples mendéliens à l'origine de certains caractères héréditaires
quantitatifs. Pour N couples, nous aurons 3N génotypes, et, si N
est très grand, 3N sera énorme et le nombre des génotypes qui, à chaque génération, ne seront pas réalisés sera d'autant plus grand que la
population sera plus limitée. Et cette élimination des gènes au hasard
amortira d'autant plus la variabilité.
Consanguinité
Quand un gène récessif défavorable diminue les chances de
l'individu devant la sélection naturelle, l'endogamie, en augmentant les
proportions d'homozygotes, favorise l'élimination de ce gène. Le tableau
suivant permettra de se rendre compte de cette augmentation progressive des
proportions d'homozygotes, lorsque la population se développe par unions, non
dirigées, entre mâles et femelles de la même génération. Si nous appelons
D le gène dominant et r son allélomorphe récessif,
| DD | Dr | rr |
F1 | 1 | 2 | 1 |
F2 | 3 | 2 | 3 |
F3 | 7 | 2 | 7 |
(n+1) | 2n-1 | 2 | 2n-l |
Quand l'endogamie est maintenue pendant trente générations
environ, on estime que l'élevage est à peu près homozygote. H. S. JENNINGS a
donné les solutions mathématiques des divers problèmes que pose la
consanguinité.
Nous avons étudié précédemment le rôle de la consanguinité
à l'origine de la résurgence des maladies liées à un gène récessif,
indépendant des chromosomes sexuels et assez rare. Or, il y a quelques
siècles, les conditions sociales : vie en communautés, tribus, clans,
favorisaient la consanguinité beaucoup plus qu'aujourd'hui. Depuis lors, au
sein des populations humaines, la consanguinité a diminué et, par
conséquent, la fréquence de l'homozygotisme. Ainsi les gènes récessifs, "
montant moins en surface ", échappent plus souvent à la sélection. Il est
donc fatal que le nombre des gènes récessifs d'albinisme, d'idiotie
amaurotique, de diverses affections oculaires s'accroisse dans les populations,
mais, heureusement, cet accroissement, dont le calcul peut donner une idée (J.
B. S. HALDANE) et qui tend vers un équilibre, est très lent et se mesure en
milliers d'années.
Conditions sociales
D'autres conditions sociales peuvent agir sur la variabilité de
l'espèce humaine. Les exemples suivants, en partie empruntés à J. B. S.
HALDANE, en donnent une idée.
L'indépendance de certaines communautés maintient leurs
caractères raciaux. La preuve en est donnée par l"étude des groupes
sanguins. Elle montre qu'en Hongrie, par exemple, la population allemande est
identique par ses caractères groupaux aux Allemands de Heidelberg, tandis que
les Bohémiens ressemblent aux Indiens de l'Amérique du Nord. Les Juifs de
Salonique qui, après leur départ d'Espagne, se fixèrent en Grèce sans
cesser de former un groupement autonome, ressemblent plus, par leurs groupes,
aux Arabes qu'à leurs voisins grecs.
Par ailleurs, le polymorphisme des populations de frontière
donne une idée des effets sur la variabilité des échanges locaux entre deux
races.
Il convient encore de mentionner l'homogamie qui tend à entretenir les variations en favorisant l'union de sujets semblables
physiquement et intellectuellement. Son importance a été appréciée par K.
PEARSON à l'aide de la méthode des corrélations. II a calculé un coefficient
de l'ordre de 0,2 entre la couleur des yeux, la taille, l'envergure, les
dimensions de l'avant-bras gauche, la couleur des cheveux, la santé des
conjoints. Ce coefficient, pour les facultés intellectuelles, dépasserait
0,2. Or, fait intéressant que souligne G. DARMOIS, cette homogamie s'étend
aux espèces inférieures, chez le crapaud 0,3 entre les tailles, chez les
invertébrés 0,8 environ. Ces faits prouvent que le postulat de l'union non
dirigée ne peut être admis sans réserve.
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VI. - Génétique médicale et eugénique
En donnant la possibilité de suivre la destinée des facteurs
héréditaires au cours des générations, le mendélisme a fourni une base
scientifique et ouvert des possibilités inespérées à l'eugénisme.
Si le mot est récent, l'idée est ancienne. Elle tourmentait déjà PLUTON. Il est naturel, en effet, que l'homme s'ingénie à trouver les moyens
capables de favoriser le développement des sujets bien doués et de réduire
le nombre des anormaux. Ainsi est-on conduit à séparer l'eugénique positive,
qui étudie le moyen d'accroître le nombre des sujets souhaitables à la
société, les " eugennètes " , de l'eugénique négative, qui cherche, au
contraire, le moyen de réduire le nombre des individus que la société juge
indésirables, les " dysgennètes ".
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Eugénique positive et démographie
Appréciation du mouvement d'une
population
La valeur de la natalité ne donne qu'une indication fallacieuse ;
elle peut être élevée sans que la population s'accroisse si la mortalité la
dépasse. La proportion des naissances par rapport aux décès ne renseigne que
sur l'orientation du moment. Seule la reproduction nette, c'est-à -dire le
rapport du nombre des filles au nombre des mères, donne les possibilités
d'avenir d'une population. Elle est mesurée par le nombre des naissances
féminines qu'on peut attendre de 100 filles nouveau-nées, la fécondité et
la mortalité étant supposées invariables. Si les survivantes de ces 100
nouveau-nées dans le cours de leur vie donnent plus de 100 filles, la
population aura tendance à s'accroître ; sinon, elle aura tendance à diminuer.
Pour donner plus de valeur à cette approximation, il faudrait
pouvoir la corriger en fonction de l'évolution de la fertilité et de la
mortalité. Dans l'ensemble, la première tend à baisser, la seconde aussi.
M. DEPOID, de la Statistique générale de France, a publié
récemment un travail sur la " Reproduction nette en Europe depuis l'origine
des statistiques de l'état civil ". D'après ce document, il est possible de
distinguer trois périodes de la démographie française. De 1806 à 1889, le
taux de reproduction nette dépasse 100, atteint 110, 111, 119, même, en 1816,
malgré les conquêtes napoléoniennes ; 13 fois seulement pendant cette
période de quatre vingt-trois ans, il est inférieur à 100.
De 1890 à 1936, il ne dépasse 100 que 3 fois ; il est égal à ce
chiffre 1 fois, il lui est inférieur le reste du temps.
Depuis 1935, un léger mouvement de hausse se dessine, de 87 à 90
; il atteint 3,4 % en 1939. Le premier trimestre de 1940, d'après cette
orientation, devait marquer une amélioration sensible de la natalité (8,4 %)
par rapport au 1er trimestre de 1939.
Dans le même temps d'ailleurs, le taux de reproduction nette
s'élevait et dans des proportions beaucoup plus grandes en Allemagne (51 %),
en Angleterre (8,1 % en 1938), en Italie (9 %), en Suède (12 %). Les valeurs
sont, en permanence, très supérieures à 100 au Japon et en Russie.
La reproduction nette est égale à la reproduction brute diminuée
de la mortalité des sujets du sexe féminin avant 30 ans. Elle a régressé en
France, parce que la reproduction brute est tombée à peu près de 200 à 100 en
cent trente ans, alors que la mortalité, la " dîme mortuaire ", ne diminuait
guère que des deux tiers, le nombre des survivantes à 30 ans passant de 550 à 850 environ pour 1.000 nouveau-nées. Les valeurs les plus fortes de
reproduction nette sont fournies par l'Orne, le Calvados, l'Eure, la Manche, la
Sarthe ; les plus basses par les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, les
Pyrénées Orientales.
Mouvements comparés des diverses classes
sociales
Dans l'ensemble, en Europe aussi bien qu'aux Etats-Unis, la
fécondité est plus forte chez le pauvre que chez le riche, chez le paysan que
chez le citadin. Aux Etats-Unis, par exemple, la fécondité du milieu ouvrier
agricole est plus du double de celle du milieu des professions libérales.
Cette remarque est générale. Cependant, en Angleterre, le groupe le plus
fécond est celui des mineurs, et à Stockholm la fécondité du pauvre est
aussi faible que celle du riche.
En ne tenant compte que de l'orientation générale, il faut
admettre que le milieu rural est plus favorable à la natalité que le milieu
citadin.
Or, les épreuves intellectuelles laissent entendre que les
enfants issus de la classe libérale sont plus intelligents que ceux issus de
la classe manuelle. Il y aurait donc lieu de redouter un amoindrissement
progressif des aptitudes intellectuelles des populations. Mais cette impression
fâcheuse est en partie corrigée par deux considérations. D'une part,
l'opposition entre classe libérale (professions libérales) et classe manuelle
(ouvriers agricoles) ne joue qu'entre des nombres relativement restreints et ne
concerne pas la plus grande partie de la population. D'autre part, cette
opposition est fondée sur des épreuves intellectuelles dont la valeur n'est
pas absolue-, à côté des qualités qu'ils permettent de doser, il peut y
avoir place pour d'autres aptitudes, plus répandues peut-être dans les
couches les plus fécondes de la population. La séméiologie des aptitudes
intellectuelles de l'homme, leur valeur relative suivant les occupations, la
part que prend à leur origine l'hérédité et l'ambiance posent un problème
extrêmement complexe. Certains psychologues ont essayé de l'aborder par les
études gémellaires, et de ces enquêtes ils ont retiré l'impression, chez
des jumeaux monozygotes élevés dans des milieux différents, quel'influence
du milieu n'est pas négligeable. Dans le même but, des enfants illégitimes
ou orphelins ont été examinés, ou bien encore des enfants élevés les uns
dans le milieu familial, les autres dans le milieu scolaire. De ces recherches,
un fait entre autres émerge : l'importance du milieu familial favorable ; son
influence est si grande qu'elle peut déterminer une ressemblance marquée
entre un enfant adopté et ses frères et sueurs nourriciers.
Causes de la dénatalité
Bien que de multiples raisons aient été invoquées, le problème
de la " grève des mères " - pour reprendre une expression imagée - n'est pas
entièrement résolu. On peut distinguer des causes directes : la limitation
volontaire des naissances, la continence, les avortements, et des causes
indirectes : les mariages tardifs, le maximum de la fertilité féminine
semblant atteint vers 20 ans, la désertion des campagnes. Il subsiste encore
des inconnues. Les populations sont peut-être sensibles à des influences
étrangères, qui retentissent, dans le temps, sur leur physiologie et
modifient leur fécondité.
Remèdes à la dénatalité et aux facteurs "
dysgéniqnes "
Les facteurs de fécondité que nous pouvons discerner sont
nombreux et complexes : religieux, moraux, économiques, patriotiques. Les
facteurs dysgéniqnes ne sont pas moindres et ils exigent la collaboration du
médecin.
a) Facteurs économiques
En France, où elles ont été inaugurées, les allocations
familiales ont fait naître de grands espoirs. Elles représentent
incontestablement une mesure de justice sociale, mais il conviendrait de les
adapter à une politique eugénique pour qu'elles n'encouragent pas, dans des
milieux sordides, la naissance d'enfants tarés. Le prêt au mariage semble
avoir contribué en Allemagne à un remarquable redressement démographique.
L'action contre l'avortement s'impose à tout pays soucieux de son avenir.
b) Facteurs sociaux
Devant les conséquences de la désertion des campagnes, il
semble que la plus importante mesure sociale de repopulation soit le
développement des populations rurales.
c) Facteurs moraux
Les enfants nés de parents fertiles sont eux-mêmes plus
fertiles que la moyenne. Cette constatation, si l'hérédité contribue à l'expliquer, attire aussi l'attention sur l'importance de l'exemple familial et
de la tradition.
d) Facteurs dysgéniques
Sans anticiper sur le chapitre suivant d'eugénique négative,
il convient de signaler le nombre et l'importance des facteurs dysgéniques
contre lesquels, sous une inspiration médicale, peuvent agir les pouvoirs
publics. Les uns sont toxiques : l'alcoolisme est au premier plan, il est
fauteur de déchéance, de stérilité, d'avortements, de mortinatalité, de
débilité congénitale, d'hypotrophie. Les autres sont infectieux : syphilis,
blennorragie.
L'action médicale peut s'exercer plus directement contre les
troubles utéro-ovariens, hormonaux, contre la stérilité.
Par ailleurs, l'âge maternel, lui aussi, doit être
considéré. La mortinatalité croît généralement avec l'âge maternel. Une
enquête sur 1.100 familles a permis à R. TURPIN, A. CARATZALI et GORNY, de
préciser certains points. La mortinatalité décroît, tout d'abord, du 1er au
2e né, puis plus lentement pour les naissances suivantes ; elle s'élève à partir des 8e et 9° naissances. Cette évolution se voit quand l'ordre de
succession des naissances n'est pas trop précipité ; sinon la mortinatalité
des 2e, 3e et 4e enfants s'élève. Elle est très élevée pour les mères de
moins de 20 ans ; au contraire, pour les mères de 25 à 30 ans, la
mortinatalité des 6e et 7° enfants atteint un minimum.
Par ailleurs, MURPHY (1940) a pu montrer que la fréquence de
l'ensemble des malformations s'accroissait progressivement avec l'âge avancé
des mères
D'après MURPHY (1940)
Age de la mère | Echantillon
témoin | Malformations | Rapport des fréquences |
10-14 | 1 | 0 | 0 |
15-19 | 130 | 43 | 0,866 |
20-24 | 505 | 163 | 0,840 |
25-29 | 516 | 176 | 0,890 |
30-34 | 277 | 111 | 1,045 |
35-39 | 123 | 86 | 1,820 |
40-44 | 28 | 24 | 2,241 |
45-49 | 4 | 4 | 3,000 |
| 1.584 | 607 | |
Mais cette influence de l'âge maternel ne joue que dans
certaines lignées. Elle se borne peut-être à favoriser la pénétrance d'un
facteur héréditaire plus ou moins latent. L'histoire montre que les familles
nombreuses ont été souvent des pépinières d'hommes bien doués ou même
illustres. Quelques exemples tirés de notre histoire sont démonstratifs :
Malherbe était l'aîné de 9 enfants, Montaigne de 7, Molière de 10, Lagrange
de 11 et Napoléon le 2e fils de Charles-Marie Bonaparte. Ces faits viennent à l'appui de l'idée assez répandue que les premiers nés sont souvent les mieux
doués. Par contre, Lazare Carnot était le 8° fils d'une famille de 18
enfants dont 7 seulement survécurent, Lamarck le 11e et Chateaubriand le
dernier né d'une famille de 10 enfants ; sa mère avait plus de 42 ans à sa
naissance.
Eutélégénèse
Certains eugénistes, à la recherche de méthodes susceptibles
d'améliorer la valeur humaine, ont proposé l'eutélégénèse, c'est-à -dire
la fécondation à l'aide de l'insémination artificielle de femmes choisies
parmi les mieux douées par des hommes de même qualité. Mais on peut objecter
à cet espoir, du seul point de vue eugénique, que le rendement d'une telle
mesure comporterait beaucoup d'inconnues en raison de l'insuffisance de la
génétique humaine.
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Limites de l'eugénique négative
L'eugénique négative, qui se propose d'empêcher la reproduction
de gènes " défavorables ", peut, éventuellement, utiliser trois modes
d'action
1° l'interdiction du mariage ;
2° la stérilisation préventive (volontaire ou d'autorité) ;
3° l'avortement provoqué ;
d'autres possibilités, telles que l'internement des malades
mentaux, les conseils de continence dans le mariage et hors du mariage se
révélant quasi inapplicables, du moins au niveau d'une population.
En définitive, l'eugéniste ne peut guère proposer au législateur
que deux possibilités : la stérilisation volontaire ou par contrainte des
sujets porteurs d'une tare héréditaire et l'avortement provoqué dans les
grossesses risquant de se terminer par la naissance d'un anormal,
Sans aborder les graves problèmes moraux que soulève un tel plan
d'action, nous nous bornerons à étudier ce que sa mise en application
rigoureuse serait susceptible d'apporter.
Dans ce qui suit, nous allons supposer - ce qui est purement
théorique, d'ailleurs - que tous les sujets atteints de la tare à laquelle
l'eugéniste s'attaque seront soumis, sans exception, aux mesures prévues
(stérilisation ou avortement).
Les résultats qu'il est possible d'attendre sont évidemment
différents selon le mode de transmission de la tare.
1° Maladies récessives autosomiques
Les homozygotes seuls manifestant la tare, la sélection ne pourra
porter que contre eux.
Supposons qu'à une génération origine la fréquence du gène
indésirable soit de 1/2 : ce qui signifie qu'un individu sur 4 est homozygote,
donc taré, donc susceptible d'être soumis aux loi eugéniques. Si tous les
homozygotes sont mis dans l'incapacité de se reproduire, il est facile de
montrer qu'à la 1re génération la fréquence de la tare sera réduite à un
tiers, puis, à la 2° génération, elle sera d'un quart, puis de 1/5e à la 4e,
de 1/6 à la 5e, etc.
Si le gène est déjà rare au moment de l'application des mesures
eugéniques (et c'est le cas de toutes les tares récessives connues), on voit
que l'élimination va se faire très lentement. Pour passer d'une fréquence de
1/100e à une fréquence de 1/200e, donc pour diminuer de moitié la fréquence
du gène, il faudrait 100 générations, c'est-à -dire à peu près trois mille
ans.
De même, si l'on partait d'une fréquence de 1/1000, il faudrait
1000 générations, soit trente mille an - pour parvenir à diminuer de moitié
la fréquence originelle.
Tout ceci en supposant, bien entendu, que tous les tarés ont
été mis dans l'incapacité de se reproduire et en ne tenant nullement compte
des mutations nouvelles qui se produisent inévitablement à chaque
génération.
On voit immédiatement qu'aucune possibilité réelle n'existe. Un
plan eugénique demandant de trois mille à trente mille ans pour porter ses
fruits n'est évidemment pas à l'échelle des possibilités humaines.
2° Maladies dominantes autosomiques
Dans le cas de maladies déterminées par un gène dominant, la
situation de l'eugéniste semble, à première vue, beaucoup plus favorable : si
tous les porteurs du gène sont stérilisés, la tare doit disparaître dès la
génération suivante. Mais le rôle des mutations nouvelles est, ici, capital.
On a pu montrer que 8 sur 10 des achondroplases, par exemple, sont issus d'une
mutation nouvellement apparue.
Ceci signifie que, si l'on stérilisait tous les achondroplases,
la fréquence des tarés serait, à la génération suivante, réduite aux 8/10e
de sa valeur origine, mais se maintiendrait indéfiniment à ce taux au cours
des générations suivantes, quelles que soient les mesures de stérilisation
mises en oeuvre.
Il est facile de montrer que, pour les maladies récessives liées
au sexe, les possibilités eugéniques arrivent vite à la même limite, pour
l'hémophilie par exemple ; après 10 générations de stérilisation de tous
les tarés (c'est-à -dire pendant trois siècles), la tare s'établirait
définitivement à une fréquence égale au tiers de ce qu'elle est
actuellement, et aucune mesure ne pourrait plus la faire diminuer.
Enfin, pour les tares dues à plusieurs gènes (dominants ou
récessifs), toute possibilité devient illusoire.
Dans le cas particulier de l'arriération mentale, qui fait
l'objet de la plupart des législations eugéniques (pays scandinaves, Suisse,
certains Etats en U.S.A., etc.), la question est extrêmement controversée,
mais les plus ardents partisans de l'eugénique négative n'osent espérer un
résultat mesurable avant un nombre respectable d'années, se chiffrant par
siècles.
Quant aux prédispositions morbides ou même aux tares
héréditaires se manifestant tardivement, aucune possibilité n'a encore été
envisagée.
Il ne faudrait pas croire que la faillite, maintenant avérée,
des conception d'eugénique négative ait laissé les généticiens désarmés.
Bien au contraire des possibilités nouvelles, infiniment plus humaines que ce
retour aux Apothètes du Taygète où les Spartiates exposaient leurs enfants
malformés, offrent un champ d'action immense à la prophylaxie
progénésique.
1 ° Au niveau des populations
Du point de vue législatif, une première mesure s'impose,
mesure que les traditions religieuses de nos pays occidentaux ont dès
longtemps appliquée : l'interdiction des mariages consanguins.
En effet, cette simple mesure diminuerait d'un quart environ la
fréquence de la plupart des tares récessives rares (idiotie phénylpyruvique,
idiotie amaurotique, surdi-mutité héréditaire, etc.).
Du point de vue économique et social, une autre mesure est
particulière ment souhaitable : la disparition des isolats. On peut montrer,
en effet, que l'avenir d'une petite population (par exemple, moins de 1000
individus, qui se reproduisent uniquement entre eux) est génétiquement
identique à celui d'un couple de cousins germains ; de très nombreux cas
historiques viennent confirmer les données théoriques : une infirmité très
répandue dans un village disparaît dès que la construction d'une route ou
d'une voie ferrée romps l'isolement forcé et permet une exogamie.
2° Au niveau du couple.A) Conseils progénésiques avant le
mariage
Les progrès de la sémiologie génique permettent, dans de
nombreuses affections récessives, de déceler les hétérozygotes (porteurs
sains) qui sont susceptibles de transmettre la tare en se mariant entre
eux.
Par exemple, un simple examen hématologique permet de
déceler les porteurs sains de la thalassémie ou de l'anémie à hématies
falciformes. Il est dès lors, possible, lorsqu'un sujet est découvert
hétérozygote pour une tare donnée, de lui déconseiller le mariage avec un
sujet hétérozygote pour la même tare. On peut espérer que, dans un proche
avenir, nous posséderons une technique appropriée pour déceler les
hétérozygotes pour une centaine de tares récessives, les plus graves.
Dans ce cas, l'examen progénésique amènerait à déconseiller 0,4 % des mariages projetés et permettrait, à ce faible prix,
d'empêcher la réapparition de ces tares.
La recherche de ces moyens de détection des hétérozygotes
est donc considérée, à juste titre, à l'heure actuelle, comme le but
essentiel des efforts des généticiens.
B) Conseils progénésiques dans le
mariage
Tout d'abord, il est évident que l'on devra déconseiller à un couple ayant déjà mis au monde un homozygote récessif d'accroître sa
descendance. Mais un conseil beaucoup plus général peut être donné. On sait
que l'âge maternel joue un grand rôle dans l'apparition de tares
congénitales (non héréditaires, le plus souvent) chez les enfants. C'est
ainsi que, si toutes les femmes d'une population avaient leurs enfants avant
l'âge de 35 ans, la fréquence du mongolisme serait diminuée d'un tiers ; de
même, comme on sait que la longévité des enfants est inversement
proportionnelle à l'âge de leur mère à leur naissance, on peut affirmer que
ce conseil donné aux futures mères : " ayez vos enfants entre 20 et 35 ans "
aurait des conséquences démographiques extrêmement favorables.
Enfin, un espacement raisonnable des naissances entraînerait,
lui aussi, une augmentation notable de la valeur moyenne d'une
génération.
3° Au niveau de l'individu
Ici, le progénésiste peut encore apporter un précieux conseil
à un individu porteur d'une tare.
Tout d'abord, l'affinement de la sémiologie permet déjà , dans
quelques cas, de diagnostiquer les " phénocopies ", c'est-à -dire les
affections congénitales qui simulent une tare héréditaire ; un sujet
phénotypiquement taré mais génotypiquement sain peut alors être
complètement rassuré et se marier sans craindre de transmettre la tare dont
il est lui-même affecté.
Par ailleurs, dans le cas d'une tare effectivement
héréditaire, le progénésiste pourra estimer les risques impliqués de ce
fait ; et, sauf lorsqu'il s'agit d'une tare dominante grave (qui entraînera le
déconseil formel de toute procréation), l'examen progénésique du futur
conjoint permettra probablement, dans de nombreux cas, d'autoriser une union
grevée du minimum de risques.
Au total, ce plan d'action progénésique :
1° interdiction des unions consanguines,
2° disparition des isolats endogames,
3° détection des hétérozygotes,
4° mise en pratique des données de la démographie familiale,
5° estimation des risques impliqués par une union projetée,
est assuré d'une efficacité infiniment plus grande et plus
immédiate que les mesures d'eugéniques négatives les plus draconiennes.
Enfin, l'un des devoirs les plus impérieux des généticiens est de
mettre en garde notre génération contre les éventuels dangers que peuvent
faire courir à nos descendants les progrès industriels ou militaires de
l'utilisation non contrôlée de l'énergie atomique (Ch. 4140 E, page 3).
L'inévitable détérioration du patrimoine héréditaire qui
résulte de la mutation spontanée ne peut être empêchée, mais toute
augmentation de ce risque par le fait de l'homme lui-même doit être
absolument évitée.
A ces conditions, l'oeuvre de préservation et peut-être
d'amélioration de notre espèce, à laquelle se dévouent les progénésistes,
pourra sortir du domaine théorique pour entrer dans celui des réalisations
patientes, laborieuses et fécondes.
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