L'abandon définitif de la théorie de l'homonculus c'est-à -dire de
la semence constituée par un être complètement fermé mais microscopique,
nous oblige à poser la question suivante : quel système de transmission permet
aux enfants d'être " informés " des caractéristiques de leurs parents ?
Les théories de la génétique mendélo-morganienne ont habilement
tourné cette difficulté en inventant une unité de fonction, le gène, dont
la transmission confère au produit de conception les qualités portées par
les procréateurs.
Le problème de l'information reste cependant entier : comment une
cellule apparemment quelconque porte-t-elle en germe les caractéristiques
précises et prévisibles à l'avance de l'individu adulte auquel elle donnera
naissance ?
Il semble que la seule façon, de conserver un message puis de le
transmettre soit de fixer ce message d'une manière ou d'une autre sur un
support stable, qu'il s'agisse du papier de l'écrivain, de la pierre du
sculpteur ou de la bande magnétique des électroniciens. C'est peur cette
raison que les généticiens ont cherché (et trouvé semble-t-il) un
matériau, relativement stable, capable de contenir une information et, qui
plus est, de la transmettre.
Ce matériau, l'Acide désoxyribonucléique, est de plus capable de se
reproduire identique à lui et possède ainsi les trois caractéristiques
nécessaires de la substance héréditaire.
1) possibilité de conserver un message;
2) possibilité de transmettre ce message;
3) auto-reproduction au cours des générations.
Ces considérations nous ont progressivement amenés de l'individu à la cellule puis à la molécule, et il semble que cette démarche générale
d'analyse puisse être utilisée pour tenter une description succincte des
connaissances actuelles.
Nous allons donc nous placer successivement à trois points de vue
différents :
- celui du généalogiste, qui s'intéresse à une caractéristique
spéciale de l'adulte et à sa transmission au cours des générations;
- celui du cytologiste qui dissèque les cellules pour en saisir
l'anatomie ou la physiologie;
- et enfin celui du chimiste en quête de la substance
héréditaire.
Haut
Le point de vue du généalogiste et de
d'éleveur
Depuis les premières découvertes de Mendel, on sait que les cellules
sexuelles contiennent des " facteurs " déterminant chacun un caractère
particulier. Fait remarquable, chaque individu adulte possède deux facteurs
correspondant à un caractère donné, mais ne transmet qu'un seul de ces
facteurs à ses enfants.
Par exemple, un homme du groupe AB marié à une femme de type O peut
avoir des enfants AO ou BO, mais ne peut procréer des enfants AB ; il ne
transmet donc qu'un seul facteur, soit A, soit B.
C'est de l'étude de la ségrégation de ces facteurs dans la
descendance de sujets hétérozygotes qu'est née la notion de liaison entre
gènes, ou, pour employer le terme anglo-saxon consacré par l'usage, de
linkage.
Supposons un homme du groupe sanguin Rh+ (nous faisons abstraction
pour le manient de la sérologie précise décrite par le système CDE), né
d'une mère Rh-. Cet individu est donc porteur d'un facteur Rh+ venu de son
père et d'un facteur Rh- venu de sa mère, inapparent.
Supposons de plus que cet homme et sa mère soient atteints
d'elliptocytose c'est-à -dire d'une particularité héréditaire transmise
selon le mode dominant et caractérisée par une forme ovalaire des érythrAu
total, notre sujet se trouve porter conjointement les facteurs Rh+ et Rh-; El
et el.ocytes, au lieu de la forme circulaire normale.
Observons alors les enfants produits par l'union de cet homme avec une
femme Rh- et el- c'est-à -dire homozygote récessive pour les deux types
géniques.
Les gamètes produits par cette femme portent tous un facteur Rh- et
un facteur el.
Par contre les gamètes du père peuvent porter | et les enfants peuvent donc être |
Rh+ et El | [Rh+ El] | type
parental |
Rh- et el | [Rh- el] |
Rh+ et el | [Rh+ el] | type
recombiné |
Rh- et El | [Rh- El] |
A priori, les 4 phénotypes prévus sont également probables et
doivent donc être observés aussi fréquemment les uns que les autres. En
fait, ainsi que l'ont montré S. Lawler et coll., les enfants du type Rh+ El et
Rh- el sont beaucoup plus fréquents que les autres. C'est-à -dire que puisque
le père avait reçu Rh+ et El de son père et Rh- et el de sa mère, les deux
facteurs ont plus tendance à rester liés l'un à l'autre, comme ils l'étaient
chez les grands-parents, qu'à se recombiner lors de la méiose.
Ce phénomène est statistiquement mesurable par le " pourcentage de
recombinaison " c'est-à -dire :
nombre de types recombinés / (nombre de types parentaux + nombre de
types recombinés)
En fait, ce phénomène est difficile à mettre en évidence chez
l'homme et l'on n'en connaît que quelques cas dans notre espèce. Par contre,
chez la drosophile, les croisements dirigés permettent de déceler facilement
ces liaisons.
D'un point de vue général, on peut ainsi observer que si un gène a
est fortement lié à un gène b, et que si b est lui aussi fortement lié à c,
a et c sont liés eux aussi.
De proche en proche, on peut ainsi étudier tous les gènes connus et
l'on s'aperçoit, dans le cas de drosophila melanogaster par exemple, que les
groupes de liaison sont au nombre de 4 seulement, l'un d'entre eux est en
relation avec le déterminisme du sexe, les deux autres semblent comporter la
presque totalité des autres gènes, alors que le dernier ne comporte qu'un
très petit nombre de facteurs.
En plus de cet établissement de groupes de linkage, l'étude du % de
recombinaison nous amène à une nouvelle technique d'analyse, celle dite des
trois lieux :
Soit les trois gènes a, b et c ;
Supposons que le % de recombinaison :
entre a et b soit 2 %,
entre b et c soit 2 % ;
on s'aperçoit que celui :
entre a et c est la somme des 2 autres soit 4 %.
Dès lors, on peut imaginer que si les recombinaisons ont lieu au
hasard dans l'intervalle a-c, et qu'elles sont aussi fréquentes entre a et b
qu'entre b et C, c'est que b est situé entre a et c. Ceci à condition
d'admettre que l'arrangement des trois facteurs a, b et c est linéaire.
En fait, il n'y a pas d'autre hypothèse possible ainsi que l'ont
montré Morgan et son école car le phénomène observé entre a, b et c, est
observable pour tous les autres facteurs du même " groupe de linkage " que
l'on peut tester de proche en proche.
En définitive, la méthode d'observation de la ségrégation des
caractères parentaux dans la descendance des hybrides amène aux conclusions
suivantes :
1) les facteurs paternels et maternels ne se " mélangent " pas chez
l'hybride et se séparent dans sa descendance ;
2) les différents facteurs connus se classent en un nombre entier de
groupes de linkage, caractéristique d'une espèce donnée ;
3) la méthode des trois lieux permet d'établir une carte factorielle
pour chacun de ces groupes, c'est-à -dire que la séquence des différents
facteurs a, b, c, d, e, f, etc., est définie et se retrouve chez tous les
individus d'une même espèce.
Haut
Le point de vue du microscopiste
Parmi les éléments figurés qui survivent au cours des générations
successives, les chromosomes sont les organites les plus reconnaissables et les
plus directement impliqués dans les phénomènes de division cellulaire.
Tout d'abord, une première qualité est leur nombre, fixe (dans une
certaine limite) pour toutes les cellules d'un individu et caractéristique de
l'espèce. C'est ainsi d'après Tjio et Levait (1) que l'homme possède 46
chromosomes ou plus exactement 23 chromosomes d'origine paternelle et 23
d'origine maternelle.
Or ce nombre chromosomique, pour les divers organismes génétiquement
bien étudiés, est identique au nombre de groupes de linkage.
De plus, les mécanismes de la méiose qui consistent à répartir la
moitié des chromosomes dans chacune des deux cellules reproductrices,
apportent un substrat anatomique à l'observation de l'éleveur : de deux
facteurs qu'un individu porte pour un caractère donné, il n'en transmet qu'un
seul à ses enfants.
Reste l'hypothèse de l'arrangement linéaire des gènes tel que l'ont
établi les cartes factorielles des éleveurs. La découverte des chromosomes
polytènes des glandes salivaires de la drosophile par Painter, apporta le
matériel de choix pour étudier cette hypothèse.
On sait que les chromosomes géants, très visibles au microscope
ordinaire, présentent une structure très particulière et constante pour un
chromosome donné. Le long d'un filament assez large an observe une série de
bandes transversales sombres, plus ou moins larges, accolées ou séparées par
de petites granulations, elles aussi alignées dans le sens transversal (fig.
1).
De plus, ce filament est en fait constitué de deux filaments accolés
qui se correspondent bande à bande (fig. 2).
Après l'établissement d'une carte cytologique reproduisant
fidèlement la structure de ces bandes pour un chromosome donné, l'étude de
l'effet de délétions partielles permet de reconnaître à quel point ou locus
du chromosome correspond un facteur génétique donné.
Supposons qu'un individu porteur du gène a, récessif, soit issu
d'une femelle aa et d'un mâle AA, dont les spermatozoïdes ont été soumis à une irradiation X. Si cet individu, qui normalement doit être hétérozygote
Aa, présente cependant le phénotype aa, nous pouvons en inférer qu'il n'a
pas reçu le gène A ; ceci, parce que l'irradiation a provoqué une délétion
à ce niveau, c'est-à -dire a détruit la portion du chromosome qui porte ce
gène.
L'examen des chromosomes géants des glandes salivaires de cet
individu aberrant, montre en effet qu'il manque un petit segment de l'un des
chromosomes, ici celui qui correspond aux bandes c, d, e, f, g, et le
chromosome normal présente à ce niveau une boucle résultant de l'accolement
bande à bande des 2 chromosomes.
Comme ces délétions se font au hasard, plusieurs de ces individus
aberrants présentant diverses délétions pourront être étudiés (les
laboratoires spécialisés conservent d'ailleurs de nombreuses souches portant
des délétions diverses) et, par comparaison, on peut établir que quelles que
soient l'étendue et la localisation de ces délétions, elles intéressent
toutes un segment commun : par exemple :
 Figure 3.
Le locus cytologique se trouve, dans ce cas, au niveau de la bande
d.
Par cette méthode nécessitant évidemment une somme immense de
travail, on réussit à établir une carte cytologique dans laquelle chaque
facteur se trouve être localisé sur une bande déterminée du chromosome. La
constatation fondamentale est que l'ordre dans lequel s'ordonnent les " loci "
ainsi individualisés est le même que celui des cartes factorielles.
La convergence des hypothèses de l'éleveur et des observations du
cytologiste conduit donc à admettre que le matériel héréditaire est réparti
linéairement sur les chromosomes, que l'ordre des différents facteurs est
définitivement établi et qu'une première représentation consisterait à imaginer les gènes comme de petites perles enflées en chapelets le long du
filament chromosomique.
Par ailleurs, cette déduction est en excellent accord avec la
possibilité de recombinaison entre certains des facteurs portés sur un
filament d'origine maternelle et un filament d'origine paternelle. En effet,
lors de la méiose, on voit les 2 chromosomes identiques s'accoler et
présenter des figures telles que les chiasmata ou enjambements, figures qui
peuvent parfaitement être considérées selon Darlington canonne correspondant
à un échange de segment entre les deux partenaires de la paire
chromosomique.
L'arrangement linéaire des gènes sur les chromosomes est donc
démontré, mais la structure fine des gènes reste à découvrir, aussi bien
que la façon dont ils fonctionnent.
C'est le biochimiste qui peut alors nous apporter un début de
réponse.
 Figure 1.
 Figure 2.
Haut
Le point de vue du biochimiste
L'étude chimique des chromosomes, après leur isolement par des
procédés physiques, permet de montrer qu'ils sont constitués d'Acide
désoxyribonucléique (au A. D. N, par abréviation) et de protéines, les
protamines et les histones.
Il existe une relation simple entre l'A. D. N. et la quantité de
matériel chromosomique ; c'est ainsi que des cellules haploïdes (n
chromosomes) contiennent deux fois moins d'A. D. N. que les cellules diploïdes
(2n chromosomes). De même les chromosomes géants des glandes salivaires des
diptères contiennent des quantités relativement énormes d'A. D. N., prés de
1024 fois plus que les cellules normales.
L'A. D. N, étant beaucoup plus facile à caractériser chimiquement
que les protéines, c'est essentiellement sur cette substance que se sont
concentrés les récents efforts des généticiens et des biochimistes.
Haut
Les preuves du rôle génétique de l'A. D.
N.
De nombreuses expériences ont montré que l'A. D. N. purifié a une
action génétique précise. C'est ainsi qu'une solution d'A.D.N. extraite
d'une souche de pneumocoque d'un type donné, peut transformer une autre souche
de pneumocoque et lui conférer les qualités antigéniques de la souche
donneuse d'A. D. N. (Avery et al., 1944) (2).
Ces qualités antigéniques étant héréditaires, tout se passe
comme si l'on avait transféré un " gène " d'une souche dans une autre.
De même, les expériences de Hotchkiss (3) sur la transmission de
la résistance aux antibiotiques par les extraits d'A.D.N. purifié révélant
que cet extrait induit la production d'individus résistants avec une
fréquence dix mille fois plus grande que ne pourraient le faire les mutations
spontanées.
La preuve que ces effets de transformation des pneumocoques sont dus
au seul A. D. N. des préparations et non aux traces de protéines qui peuvent
subsister est apportée par l'action d'un enzyme, la désoxyribonucléase qui,
en concentration infime, détruit exclusivement l'A.D.N. et enlève toute
activité transformante aux préparations.
Ces transformations bactériennes se retrouvent, en plus du
pneumocoque, chez d'autres organismes ; méningocoque et hemophilus influenzae
par exemple, avec des variations très curieuses d'une espèce à l'autre.
Plus bas encore dans l'échelle des êtres vivants, les
bactériophages fournissent un matériel de choix. Ces organites, composés
d'un noyau d'A.D.N. entouré d'une sorte de capsule de protéines ont une forme
de poire. S'accolant à la bactérie par leur partie effilée, ils injectent
ensuite leur A. D. N. dans la bactérie et leur enveloppe protidique reste en
dehors du corps bactérien. Par la suite, l'A.D.N. injecté devient un
prophage, il se reproduit dans la bactérie et permet à celle-ci de fabriquer
de nouveaux phages qui sont relâchés dans le milieu de culture par
éclatement du corps bactérien ; c'est ce phénomène qui a fait donner le
qualificatif de lysogénique à ces souches d'Escherichia Coli. Or, on a pu
démontrer que cette injection d'A.D.N. pouvait provoquer des changements
héréditaires chez la bactérie lysogénique. Cette transduction par le
bactériophage rejoint ainsi les expériences de transformation des
pneumocoques.
Enfin la reproduction sexuelle chez Escherichia Coli a permis à Jacob et Wollmann (4) de montrer qu'un fragment d'A. D. N. était injecté par
les cellules de type F+ aux cellules de type F-. L'ordre dans lequel les
facteurs génétiques se transmettent par cette substance est démontré en
interrompant la copulation cellulaire à des étapes diverses du processus.
Jacob et Wollmann ont alors montré que l'ordre était toujours le même, ce
qui laisse à penser que c'est un fragment linéaire d'A. D. N. qui est
transmis, fragment qui porterait des gènes alignés les uns à côté des
autres dans un ordre strict.
Certes, les preuves de l'action génétique de l'A.D.N. sont à l'heure actuelle basées sur les formes les plus inférieures de la vie, mais
d'après les récentes expériences de Benoît, Leroy, Vendrely et Vendrely
(5), il semble possible de retrouver ces phénomènes de transformations chez
les animaux supérieurs (en l'occurrence le canard de race Pékin).
Haut
La structure de l'A.D.N.
On sait que l'Acide désoxyribonucléique est une substance de poids
moléculaire élevé, constitué d'un pentose, le 2-désoxyribose, d'acide
phosphorique, et de bases puriques, l'Adénine et la Guanine, et pyrimidiques,
la Cytosine et la Thymine. Ces éléments sont assemblés pour constituer une
chaîne de nucléotides.
L'enchaînement désoxyribose - phosphate di-ester en position 3 -,
5 - constitue le squelette de l'A. D. N. dont la structure a été établie par
Watson et Crick (6), en utilisant toutes les données actuellement disponibles,
et, spécialement les spectres de diffraction aux Rayons X, étudiés par
Wilkins (7).
L'analyse montre que les proportions moléculaires Adénine/Thymine
et Guanine/Cytosine sont égales à 1 dans tous les A. D. N. étudiés. Par
contre, la proportion Adénine/Guanine constante pour l'A. D. N, d'une espèce
donnée, varie d'une espèce à l'autre.
Comme une simple chaîne de nucléotides serait trop peu large (la
fibre d'A. D, N. mesure de 22 à 25 Å d'épaisseur) (fig. 4.), Watson et Crick
ont adopté le modèle d'une double spirale ; chacun des rubans latéraux de la
figure représente l'enchainement P - 3 - désoxyribose - 5 - P - 3
désoxyribose 5 - P, etc. et les barres transversales représentent les
molécules puriques et pyrimidiques vues par la tranche (si l'on peut
dire).
De plus, comme les essais sur modèles moléculaires l'ont montré,
pour que les pots hydrogène reliant entre elles les bases puriques et
pyrimidiques puissent se former, la seule façon d'apparier les bases, en
respectant la largeur réelle de la fibre est : Adénine avec Thymine et
Guanine avec Cytosine.
Enfin les modèles montrent que la spirale ne peut être que
dextrogyre si les lois de Van der Waals sont respectées.
 Figure 4.
 Figure
5.
De cette structure hélicoïdale il ressort :
1) que la molécule est très stable ;
2) que lorsque l'arrangement des bases de l'une des chaînes est
fixé, celui de la chaîne complémentaire est forcément déterminé.
Cette constatation permet d'envisager la duplication de l'A.D.N.
d'une façon relativement simple grâce à un modèle réalisé par le Dr de
Grouchy (12) : supposons que les ponts hydrogéne soient rompus à une
extrémité de la chaîne : les nucléotides Adénine désoxyribose P, Guanine
désoxyribose P, Thymine désoxyribose P, et Cytosine désoxyribose P,
probablement présents dans le suc nucléaire peuvent venir compléter le
fragment ouvert. Cependant, comme seule la Thymine peut s'apparier à l'Adénine
et réciproquement, et qu'il en est de même avec le couple Guanine Cytosine,
seul le Nucléotide correspondant restera fixé, alors que, s'il n'est pas le "
bon ", il sera remplacé par un autre, ceci jusqu'à ce que la molécule idoine
se trouve fixée.
Ce processus répété de proche en proche (un peu comparable à une
cristallisation sélective) permet donc aux deux chaînes qui viennent de se
séparer, de se compléter l'une et l'autre par une nouvelle chaîne doit
l'arrangement des bases leur est strictement complémentaire.
En définitive, on obtient ainsi deux nouvelles molécules d'A. D.
N. strictement identiques à la molécule mère.
Chacune de ces deux nouvelles molécules est constituée de moitié
par l'une des chaînes de la molécule primaire.
Une extension de ce processus à deux molécules d'A.D.N. qui se
croisent dans l'espace permet d'imaginer un modèle de crossing-over à l'échelle macro-moléculaire.
 Figure 6.
 Figure 7.
L'enchaînement déterminé des 4 bases permet évidemment un nombre
énorme de combinaisons différentes, vu la longueur de la macro-molécule. On
peut donc imaginer que le " message héréditaire " est inscrit sous forme de
code dont le sigle élémentaire serait justement l'arrangement dans l'espace
de ces bases, prises 4 par 4.
Ce code losangique de Gamon (8), permet bien de définir un site
spécifique pour chacun des 20 amino-acides composant les protéines mais,
malheureusement, il ne peut expliquer l'existence de séquences différentes
dans un triplet dont les deux extrémités sont identiques.
D'autres codes sont basés sur l'arrangement absolu des bases et non
plus sur leur configuration stéréochimique mais il faut reconnaître à l'heure actuelle que si l'existence d'un code semble extrêmement probable, la
clé du cryptogramme n'a pas encore été trouvée.
Haut
La relation A. D. N. / A. R. N.
En fait, la situation est plus complexe car si l'A.D.N. est bien. le
vecteur de l'information héréditaire, il est absent du cytoplasme. On trouve
bien dans les microsomes un acide nucléique, mais il s'agit d'acide
ribonucléique ou A. R, N. doit la structure macro-moléculaire m'est pas
connue car les spectres de diffraction aux R. X. sont très difficiles à interpréter.
La seule différence chimique entre l'A.D.N. et l'A. R. N. est
l'existence dans ce dernier d'un oxhydrile en 2 sur le pentose ; ce fait rend
peut-être compte des difficultés d'établissement de la structure, car il
n'est pas exclu que les liaisons esterphosphoriques puissent aussi se faire sur
cet oxhydrile en 2, ce qui évidemment n'est pas possible lorsqu'il s'agit de
désoxyribose.
Au total, l'hypothèse actuelle est la suivante l'A. D. N., par un
processus probablement identique à celui de sa propre duplication, transmet
l'information moléculaire à l'A. R. N. Ce dernier diffuse du noyau vers les
microsomes et transmet alors l'information qu'il contient aux protéines,
réglant ainsi la fabrication d'enzymes spécifiques.
Ces deux étapes sont malheureusement mal connues et, si l'existence
d'une hérédité moléculaire est hautement vraisemblable, son processus de
transmission n'est que soupçonné.
 Figure 8.
Haut
De la molécule d'A. D. N. au gène
Ainsi que l'ont établi les éleveurs, un gène est considéré
comme :
- une unité de fonction fabriquant un enzyme spécifique ;
- une unité de mutation : c'est-à -dire le substrat d'un changement
héréditaire élémentaire ;
- une unité de recombinaison : c'est-à -dire qu'un crossing-over
peut séparer deux gènes l'un de l'autre mais ne peut couper un gène en
deux.
Cette définition globale du gène ne dépend en fait que de
l'échelle d'observation des phénomènes. En effet, la découverte des
pseudo-allèles est venue montrer d'une part que certains changements peuvent
n'intéresser qu'une partie très limitée d'un gène et d'autre part que des
crossing-over, très rares il est vrai, peuvent se produire au niveau d'un
locus primitivement considéré comme insécable.
Les travaux de Benzer (9) sur le bactériophage ont encore reculé
cette limite et, à l'intérieur d'une même unité de fonction, cet auteur
arrive à déceler de très nombreuses mutations différentes les unes des
autres ainsi que le prouvent les tests d'allélisme.
Ramenés aux dimensions de la fibre de l'A. D. N., ces accidents
mutationnels pourraient être aussi réduits que la longueur de 1 ou 2 ou 4
paires de nucléotides.
L'unité de mutation serait alors aussi petite que l'unité de "
code ", c'est-à -dire que certaines mutations pourraient être la conséquence
d'une simple " erreur " dans l'arrangement d'une paire de bases à l'intérieur
de la molécule. Ceci devrait donc se traduire chimiquement par une " erreur "
dans la protéine finale, erreur intéressant un seul des acides aminés
composant cette protéine.
De fait, les travaux d'Ingram (10) semblent venir consolider cette
hypothèses. Cet auteur a étudié par chromatographie sous électrophorèse
les différents peptides obtenus par digestion trypsique de la globuline de
l'hémoglobine qui est formée de l'accolement de 2 hémi-molécules.
L'hémoglobine S caractéristique de l'anémie à hématie falciforme
se trouve ne différer de l'Hb normale que par un seul de ces polypeptides.
L'étude de la structure de ce peptide dénommé n° 4. par Ingram
révèle que la différence est minime :
Hb A : His - Val - Leu - Leu - Th - Pro - Glu - Glu - Lys ;
Hb S : His - Val - Leu - Leu - Th - Pro - Val - Glu - Lys ;
il s'agit du remplacement d'un résidu glutamique par un résidu
Valine.
Ceci correspond au fait déjà établi par Pauling que l'Hb S
contient 2 ou 3 carboxydes de moins que l'Hb A. De plus, la nouvelle
répartition des charges électriques du fait de ce simple changement, pourrait
rendre compte, d'après Ingram des différences de solubilité et de vitesse
migratoire à l'électrophorèse de ces deux types d'Hb.
Cet exemple, tiré de la pathologie humaine, nous montre qu'une
mutation, capable de produire un syndrome aussi complexe que celui de l'anémie
à hématies falciformes peut être un événement à l'échelle moléculaire
correspondant à use seule erreur sur un seul des acides aminés constituant une
molécule indispensable.
La relation entre la structure de l'A. D. N. et la structure des
protéines spécifiques est d'une importance fondamentale, mais nous avons
jusqu'ici négligé délibérément un élément, probablement essentiel du
matériel héréditaire, à savoir les protamines et histones liées à l'A. D.
N. pour former les nucléoprotéines chromosomiques.
Une manière élégante d'envisager leur rôle a été fournie par
Kacser (11) qui suppose que l'information est contenue dans l'interface
réalisée par l'accolement de la protéine chromosomique et de l'A. D. N. Les
phénomènes de duplication se passeraient en gros de la même façon que pour
l'A.D.N. pris isolément.
Malheureusement, la théorie de Kacser ne peut être soumise comme
celle de Watson et Crick au critère des modèles moléculaires du fait de
notre ignorance totale de la structure de ces protéines.
Haut
Conclusions
L'étude de la structure du matériel héréditaire nous a donc
progressivement conduits de l'individu à la cellule, de la cellule au
chromosome et du chromosome à la molécule.
Cette manière de faire n'est nullement pédagogique mais représente
en fait le chemin normal de la connaissance biologique. La jonction entre les
forces physico-chimiques et la vie elle-même ne peut être imaginée que par
l'intermédiaire de " formes " préexistantes définitivement inscrites dans
des molécules essentielles, stables et transmissibles.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les verres de lunette d'un
drosophiliste myope ont en fait un pouvoir séparateur très supérieur à celui
des meilleurs microscopes électroniques et des plus fines techniques
chimiques. En observant une mutation, il peut en effet reconstituer le destin
d'une des molécules individuelles constituant l'A. D. N. alors que, dans les
meilleures conditions d'analyse, le chimiste ne peut déceler un changement
moléculaire que s'il est représenté à un nombre respectable de milliards
d'exemplaires.
Haut
Bibliographie
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