L'étude des chromosomes somatiques humains, observés en culture de
tissus nous a récemment permis d'isoler deux affections constitutionnelles
caractérisées par la présence d'une anomalie chromosomique.
Les techniques de culture et de coloration, précédemment décrites
J.LEJEUNE, R.TURPIN et M.GAUTIER (1959) (1) diffèrent sensiblement de la
méthode originale de TJIO et LEVAN (2) qui leur permit d'établir en 1956 le
nombre chromosomique de notre espèce : 2n = 46.
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Technique
Un fragment de tissu conjonctif prélevé aseptiquement est
transporté au laboratoire dans une compresse stérile imbibée de sérum
physiologique, le tout enfermé dans une boîte de Pétri.
La culture des explants selon la méthode classique, permet ensuite
d'obtenir sur lamelle microscopique une couche monocellulaire en quelques 4 à 6
jours.
L'accumulation des mitoses est réalisée, en l'absence de toute
drogue antimitotique par le moyen suivant - Après enlèvement de l'explant la
croissance en tubes bouchés entraîne une acidification du milieu qui a pour
effet de stopper l'activité mitotique - 16 heures avant le moment de la
fixation, le milieu est ajusté au pH normal et l'on ajoute 2 gouttes d'extrait
embryonnaire de poulet.
La dispersion des chromosomes par le choc hypotonique préconisé par
HSU (1952) (3) puis de nombreux autres auteurs est réalisé par immersion des
lamelles dans une solution au 1/6e de sérum humain (1 partie de sérum pour 5
parties d'eau distillée) maintenue à 37° pendant 20 a 35 minutes. Le sérum
dilué nous semble respecter beaucoup mieux l'intégrité des chromosomes que
ne le font les solutions alines.
Après ce temps, les lamelles sont fixées par le mélange de Carnoy
pendent 45 minutes puis, selon la méthode de ROTHFELDS et SIMINOVICH (1958)
(4) laissées a l'air libre jusqu'à séchage complet pour obtenir un
aplatissement des préparations.
La coloration comprend les temps suivants :
1) Hydrolyse à 60° pendant 7m 1/2 dans l'HCl normal
2) Après lavage abondante coloration au bleu de Unna pendant 10 à 15
minutes
3) Rinçage à l'eau distillée neutre
4) Séchage de la lamelle au buvard puis à l'air libre, ce qui évite
la déshydratation à l'alcool, très délicate, en raison de la solubilité du
bleu de Unna.
Cette technique permet d'obtenir des mitoses lisibles, pro-métaphases
et métaphases précoces, parmi lesquelles un certain nombre de cellules
parfaites (1 à 20 selon les lamelles) Nous appelons parfaite une cellule qui ne
présente aucune cassure des chromatides et dans laquelle chaque chromosome est
morphologiquement identifiable.
Toutes les cellules prêtant à une interprétation délicate
(dispersion insuffisante par exemple) sont réputées " douteuse " et ne sont
pas prises en considération dans les comptages.
Dans ces conditions le nombre diploïde de 46 est constamment
retrouvé chez les individus normaux.
L'analyse du caryotype, par découpage de positifs agrandis nous a
permis de confirmer les observations de TJIO et LEVAN (1956) (2), puis de FORD
et JACOBS (1958) (5) sur les chromosomes sexuels, X et Y . L'étude des paires
chromosomiques en fonction de leur taille d'une part, et de la position du
centromère de l'autre nous a conduit à une classification en 7 groupes bien
individualisés.
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Caryotypes normaux
.
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Le mongolisme
Ce bref résumé technique nous permet d'envisager maintenant deux
affections humaines que nous avons récemment étudiées, le Mongolisme et la
Polydysspondylie.
Le Mongolisme occupe depuis toujours une place à part dans la
pathologie constitutionnelle, et sitôt que notre technique nous permit de le
faire nous décidâmes d'étudier les chromosomes des enfants mongoliens.
En effet, la fréquence élevée du mongolisme, excluait l'hypothèse
d'une mutation dominante récurrente que les rares cas de reproduction de
femmes mongoliennes aurait pu faire proposer.
Par ailleurs, aucun autre mécanisme mendélien simple ne pouvait
s'accorder avec les données généalogiques et gemellologiques. Enfin, l'effet
de l'âge maternel s'accordait assez bien avec une anomalie chromosomique
possible.
L'analyse de trois puis de neuf et maintenant de 14 mongoliens nous
révéla la présence d'un petit chromosome en surnombre J. LEJEUNE, M. GAUTIER
et R. TURPIN (1953) (6). L'étude de nombreux caryotypes mâles nous permit de
conclure que le responsable du nombre anormal de 47 était un petit
télocentrique (ou acrocentrique) porteur de petits bras hétérochromatiques
réalisant l'aspect du chromosome vh,
L'étude chez la fille, facilitée par l'absence de chromosome Y
confirme cette opinion.
Il nous semble des lors logique de supposer que l'anenploïdie du
mongolisme est le fait d'une trisomie pour le chromosome vh (1).
Ces faits ont été confirmés par les travaux de l'école anglaise
FORD,JONES,MILLER, MITTWOCH, PENROSE, RIDLER, SHAPIRO (7), JACOBS, BAIKIE,
COURT BROWN, STRONG (8) et suédoise BOOK, FRACCARO, LINDSTEIN (9).
L'origine de cette trisomie, ainsi que nous l'avons proposé dans
notre seconde note J. LEJEUNE, M. GAUTIER et R.TURPIN (1953) (10) pourrait
être une non-disjonction, lors de la méiose ovulaire, ce qui rendrait compte
de l'effet de l'âge maternel. Il s'agit ici d'une hypothèse actuellement non
démontrable, mais que les observations des drosophiles triple IV rendent plus
plausibles.
De toutes façons ainsi que l'ont fait remarquer BOOK et FRACCARO (9),
seule la démonstration de trivalents lors de la méiose chez les mongoliens
apporterait la preuve convaincante que le chromosome en surnombre est bien un
vh et non un surnuméraire au sens restreint du terme.
Bien que l'hypothèse de la trisomie mongolienne par non disjonction
d'une paire de vh rende compte également des faits caractéristiques du
mongolisme, il nous reste à rechercher la cause du léger excès de petits
signes de la série mongolienne chez les parents de mongoliens, par rapport à la population générale (TURPIN, BERNYER et TISSIER - 1947 (10) et (TURPIN,
LEJEUNE - 1953) (11).
L'explication la plus simple peut se résumer ainsi :
la trisomie par effet de dosage génique rend dominants les gènes
récessifs déterminant plus ou moins directement ces caractères -(ceci
suppose que ces gènes soient localisés sur le chromosome vh). Il s'ensuit
qu'un couple composé de deux parents n'ayant aucun de ces gênes récessifs
(cas rare, vu la fréquence de ces derniers) pourrait procréer un enfant
trisomique vh, imbécile, mais non typiquement mongolien. Dès lors, le biais
statistique dû au diagnostic purement clinique du mongolisme, écarterait
systématiquement ce type d'unions, et tendrait à augmenter ainsi la fréquence
des petits stigmates chez les parente de mongoliens cliniquement
reconnaissables.
Un cas de débilite mentale par trisonie vh, sans certitude clinique
de mongolisme a d'ailleurs été récemment trouvé par nous.
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Le Polydysspondylie
La deuxième maladie chromosomique découverte dans notre laboratoire
a été dénommée Polydysspondylie (R. TURPIN, J. LEJEUNE, J. LAFOURCADE et M.
GAUTIER - 1959) (13), en raison des lésions vertébrales qui l'accompagnent.
Nous ne possédons à l'heure actuelle qu'une seule observation de ce
syndrôme.
La malformation de cet enfant âgé de 4 ans 1/2 intéresse trois
territoires rachidiens :
- cervical : (pincement de l'interligne C3-C4 et fusion des arcs
postérieurs de ces vertèbres ; rachischisis de C3)
- dorsal (pincement des interlignes D1-D2 et D2-D3, cette dernière
vertèbre étant réduite à son hémicorps droit, avec absence de la troisième
côte gauche ; les lames et les épineuses de ces trois vertèbres sont
fusionnées) ;
- sacré : hémi-lombalisation gauche de S1.
Par ailleurs on note un élargissement modéré du canal rachidien
dans la région cervico-dorsale et la fermeture de la selle turcique, sans
doute par ossification du ligament interclinoïdien.
De plus cet enfant présente un retard stature pondéral marqué et un
déficit mental discret mais réel (I-Q = 0,89).
Les résultats concordants de trois biopsies différentes nous
révèlent les faits suivants.
Ce garçon qui ne présente aucune anomalie sexuelle apparente
possède seulement 45 chromosomes. Les groupes G, M, Md, P et C sont normaux,
par contre il manque un chromosome du groupe V (probablement un Vs).
Par ailleurs, sur toutes les cellules parfaitement lisibles on
décompte seulement 5 télocentriques T normaux, le sixième (T1) présente en
effet un petit segment coloré au lieu et place des petits bras
hétérochromatiques habituels. Cette constatation a été réalisée sur 14
caryotypes photographiques.
Ces deux observations, absence d'un Vs et segment anormal d'un T1
évoquent un remaniement chromosomique (fusion centromérique de ces deux
chromosomes)
Au total il s'agit d'un syndrome à 45 chromosomes résultant peut
être d'une translocation, avec ou sans perte de substance chromosomique.
Il semble plausible que cette anomalie chromosomique soit la cause du
syndrome malformatif, mais aucune preuve directe de ce fait ne peut être
actuellement proposée.
En terminant cet exposé je voudrais insister sur le fait que le
Mongolisme et la Polydysspondylie ne sont probablement que les deux premiers
exemples d'une pathologie chromosomique, entièrement méconnue jusqu'ici chez
l'homme, celle des autosomes. Le nombre d'anomalies et de syndromes qui sont à découvrir ne peut être prédit. Seuls les efforts conjugués des laboratoires
de tous les pays permettront de mesurer d'ici quelques années la fécondité
de ce nouveau champ de recherche ouvert à la génétique humaine.
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Bibliographie
(1) J. LEJEUME, B. TURPIN M. GAUTIER - 1959 Le mongolisme, premier
exemple d'aberration autosomique humaine Annales de Génétique - Vol. 1 - N°
2 - p.41-49.
(2) J.H. TJIO et A. LEVAN - 1956 The chromosome number of Man,
Hereditas 42, 1 à 6.
(3) T.C. HSU - 1952. Mammalian chromosomes in vitro. I karyotype of
Man. Hereditas 43, 167-172.
(4) K.H. ROTHFELS et L. SIMINOVITCH - 1958. An air drying technique
for flattening chromosomes in mammalian cells grown in vitro. Stain Techn. 55.
73-79.
(5) C.E. FORD et P.A. JACOBS - 1959 Human somatic chromosome. Nature,
181, 1565-1568.
(6) J. LEJEUNE, M. GAUTIER et R.TURPIN - 1959. Les chromosomes humains
en culture de tissus. C.R. Acad. Sciences, 26 Janvier 1959, 248, 602-603.
(7) C.E. FORD, K.W. JONES, O.J. MILLEP, Ursula MITTWOCH, L.S. PENROSE,
M. RIDLER, A. SHAPIRO - 1959. The chromosomes in a patient showing both
Mongolism and the Klinefelter Syndrome. Lancet 7075, 709.
(8) Patricia JACOBS, A.G. BAIKIE, W.M. COURT BROWN, J.A. STRONG - 1959
The somatic chromosomes in mongolism Lancet 7075, 710.
(9) J.A. BOOK, M. FRACCARO et J. LINDSTEN - 1959 Cytogenetical
observations in Mongolism Acta Paediatrica 48, 453-468.
(10) J. LEJEUNE, M. GAUTIER et R. TURPIN - 1959. Etude des chromosomes
somatiques de neuf enfants mongoliens - C.R. Acad. Sciences, 16 mars 1959, 248,
1721-1722.
(11) R. TURPIN, G. BERNYER et Cl.TEISSIER - 1947. Mongolisme et
stigmates familiaux de la série mongolienne - La presse médicale - N° 53,
597-599.
(12) R.TURPIN et J.LEJEUNE - 1953. Etude dermatoglyphique de la paume
des mongoliens et de leurs parents et germains. Sem. Hop. 1953 - 3904-3910.
(13) R. TURPIN, J. LEJEUNE, J. LAFOURCADE, M. GAUTIER - 1359.
Aberrations chromosomiques et maladies humaines. La polydysspondylie à 45
chromosomes. C.R. Acad. Sciences 22 juin 1959 - 248, 3636-3638.
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