Le rapide essor des études chromosomiques humaines, et plus
spécialement la recherche d'anomalies chromosomiques déterminant des maladies
constitutionnelles (dont le premier exemple est la trisomie Vh du mongolisme,
Lejeune, Gautier, Turpin, 1959) (1) ont rendu nécessaire l'emploi de
techniques de cultures cellulaires fidèles, aussi simples que possible.
La présente note est destinée à décrire la méthode mise au point
dans notre laboratoire et qui a pour avantage principal de ne nécessiter aucun
appareillage particulier.
Dans la description qui va suivre il est sous-entendu que toutes les
manipulations précédant la fixation des préparations doivent être
effectuées avec une asepsie absolue. L'emploi d'une hotte spéciale,
stérilisée aux U. V., est recommandable, mais n'est pas indispensable. Par
contre, toutes les manipulations doivent être faites à proximité d'un bec
Bunsen permettant de stériliser sur-le-champ instruments et verrerie qui
pourraient avoir été souillés.
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A. Prélèvement
D'une façon générale, tout tissu, prélevé stérilement, est
susceptible de donner des cultures utilisables. Cependant l'expérience nous a
montré que le tissu conjonctif pousse plus vite que tout autre, ce qui nous
fait choisir les aponévroses péri-musculaires comme matériel de choix.
Le fragment doit être prélevé en milieu chirurgical, sous
anesthésie générale ou locale à distance (poux éviter la présence
d'anesthésique dans le fragment).
Le fragment, de quelque 3 à 4 mm de côté, est disposé sur une
compresse stérile que le chirurgien referme ensuite et dépose dans une boîte
de Pétri contenant 5 à 7 cm3 de sérum physiologique.
La boîte de Pétri, fermée et enveloppée convenablement, peut être
conservée ainsi pendant vingt-quatre heures ou mémo quarante-huit, en cas de
nécessité. Un tel délai n'est cependant pas souhaitable. De toute façon le
transport ne doit pas entraîner de refroidissement notable, le fragment devant
être conservé à température ambiante (ni étuve, ni glacière). Le mode de
transport importe peu et les longs trajets par avion sont parfaitement
possibles.
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B. Mise en culture
Au laboratoire, le fragment est lavé dans du sérum physiologique et
divisé avec des bistouris neufs en petits explants de 1 mm de côté
environ.
La culture proprement dite est réalisée dans des tubes en pyrex à évidement latéral, dans lequel vient se loger une lamelle couvre-objet (tubes
à cultures de tissu du type Institut Pasteur, maison Verrefer). Toute la
verrerie doit être en verre pyrex et lavée très soigneusement (éviter les
détergents de synthèse), rincée plusieurs fois l'eau distillée et
stérilisée à l'autoclave.
Les milieux sont mis en place avec des pipettes Pasteur ne servant
qu'une seule fois et les explants sont manipulés avec des pipettes identiques
mais à bout recourbé.
La mise en culture proprement dite consiste à étendre sur la lamelle
couvre-objet, logée dans son tube, une goutte de plasma de coq *. On dépose
ensuite les expiants (deux à trois par lamelle) sur ce film de plasma. A ce
moment, l'adjonction d'une goutte d'extrait embryonnaire ** coagule le plasma
et fixe les explants sur le verre.
On abandonne alors les tubes, bouchés au caoutchouc gris non toxique,
pendant quelques heures, ou au besoin une nuit dans l'étuve à 37°. Après ce
laps de temps, on ajoute le milieu de culture. Ce milieu se compose, pour un
tube, des éléments suivants :
5 gouttes de sérum humain (de préférence provenant de sujets de
groupe AB).
5 gouttes de la solution de Hanks (Institut Pasteur) contenant :
Pénicilline : 200 U. O./cm3
Streptomycine : 50 µg/cm3
Chloramphénicol : 5 µg/cm3
Et 2 gouttes d'extrait embryonnaire.
Après un temps variable, de quatre à six jours, on observe la
croissance d'une couronne de fibroblastes autour des explants.
Ceux-ci sont alors enlevés et transférés dans d'autres tubes selon
la technique ci-dessus, si l'on désire continuer la culture.
Il est toujours prudent de maintenir simultanément au moins trois
tubes par biopsie, ce qui permet d'obtenir des lignées cellulaires parallèles
mais indépendantes. Ce dernier fait est important pour pouvoir éliminer à coup sûr la possibilité d'une mutation chromosomique in vitro.
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C. Accumulation des mitoses
L'utilisation de la colchicine et de ses dérivés, proposée par de
nombreux auteurs, permet, par blocage des divisions cellulaires, d'obtenir une
importante accumulation de cellules en mitoses. Cependant, cette drogue nous
semble modifier la résistance mécanique des chromosomes et perturber leur
morphologie. De plus, une séparation précoce des centromères ou même une
fragmentation des chromosomes à leur niveau viennent compliquer les comptages,
et sont probablement la cause des variations du nombre chromosomique
rapportées par certains auteurs. Nous n'utilisons donc pas cette substance et
employons la technique suivante.
Vingt-quatre à quarante-huit heures après enlèvement de l'explant,
une croissance satisfaisante entraîne l'acidification du milieu. Le moment
exact du nourrissement est décidé en fonction de l'aspect de la culture et de
la coloration de l'indicateur de pH contenu dans la solution de Hanks.
A ce moment, le pH est ajusté par addition de quelques gouttes de
solution de Hanks et l'on ajoute deux gouttes d'extrait embryonnaire de
poulet.
Après une nouvelle incubation de seize heures, les lamelles sont
retirées et l'on observe un très grand nombre de mitoses, les stades les plus
fréquents étant des prophases tardives et des pro-métaphases.
Il nous semble que la période d'acidité du milieu permet une
synchronisation des divisions cellulaires, que l'extrait embryonnaire vient
secondairement stimuler.
Pour éviter toute possibilité de variation chromosomique résultant
des conditions anormales de la culture in vitro, seules les toutes premières
pousses (moins de quinze jours in vitro) sont analysées. Il est à remarquer
cependant que plusieurs lignées cellulaires ont pu être maintenues fort
longtemps (six à sept mois) sans entraîner d'anomalie chromosomique
décelable. Cependant, par prudence, seules les cultures très récentes sont
considérées comme représentant un échantillon fidèle des tissus de
l'individu examiné.
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D. Dispersion des chromosomes
A la suite de HSU 1952, de nombreux auteurs ont proposé diverses
solutions salines hypotoniques poux réaliser la dispersion des chromosomes.
Cependant, l'usage des solutions salines hypotoniques risque de léser la
morphologie fine des chromosomes et nous préférons utiliser une solution
étendue de sérum humain. Pour ce faire, sitôt retirées du tube de culture,
les lamelles sont plongées dans la solution suivante :
Sérum humain : une partie.
Eau pure neutre : cinq parties pendant trente-cinq minutes, la
solution étant maintenue à l'étuve à 37°.
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E. Fixation
Une fois retirées de la solution hypotonique, les lamelles sont
plongées dans la solution de Carnoy.
Chloroforme : trois parties.
Acide acétique : une partie.
Alcool éthylique absolu : six parties pendait quarante cinq minutes,
à température du laboratoire.
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F. Aplatissement des préparations
La facilité de lecture des préparations chromosomiques dépend non
seulement de la dispersion des chromosomes, mais aussi de leur situation dans
l'espace. Une répartition sur un seul et même plan rend fort aisée
l'observation visuelle et constitue une condition sine qua non de la qualité
des photographies.
Cette mise de tous les chromosomes sur un même plan peut être
réalisée par écrasement progressif mais ferme de la préparation (squash
technique). Cette pratique nous semble cependant à déconseiller du fait de
ruptures chromosomiques possibles ou même de perte d'un chromosome, chassé au
loin. Pour éviter ces dangers de l'écrasement, nous laissons simplement
sécher à l'air libre les préparations sortant du Carnoy. Ce séchage de dix à vingt minutes (cellules en dessus) décrit par Rothfels et Siminovitch, 1958,
réalise, sans aucune détérioration du matériel chromosomique, une
planéité parfaite, sans risque de perte d'éléments.
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G. Coloration
Au lieu de l'orcéine, couramment utilisée par les auteurs
anglo-saxons, nous avons mis au point une méthode originale qui permet de
colorer très intensément les chromosomes et de différencier l'euchromatine,
qui apparaît violet pourpre, de l'hétéro-chromatine (présente dans de
petits bras des chromosomes télocentriques), qui apparaît gris bleuté. Par
ailleurs, le contraste obtenu entre le fond absolument incolore et le violet
pourpre des chromosomes facilite grandement l'observation (en lumière jaune
verte de préférence) et la prise de clichés photographiques.
Les étapes de la coloration sont les suivantes :
1) Hydrolyse : Les lamelles sont plongées, cellules en dessus, dans
un godet contenant de l'acide chlorhydrique normal, maintenu à 60° C. Sept
minutes et demie suffisent pour éliminer toute structure cytoplasmique
colorable. Au bout de ce temps les lamelles sont soigneusement rincées à l'eau
pure, neutre (eau de source).
2) Coloration au bleu de Unna. Plonger les lamelles (toujours cellules
en dessus) dans une solution de :
Un vol. bleu de Urina R. A. L. (solution du commerce) Maison
Prolabo.
Quatre vol. eau neutre pendant dix minutes.
3) Retirer et rincer très légèrement à l'eau neutre pour éliminer
l'excès de colorant.
4) Laisser sécher à l'air libre jusqu'à dessiccation complète (cinq
à dix minutes). Ce dernier temps permet d'éviter le passage classique dans
l'alcool éthylique, qui risque d'enlever une partie du colorant fixé sur les
chromosomes.
On monte ensuite la préparation sur lame, cellules entre lame et
lamelle, dans du baume du Canada après passage dans le toluène pour éviter
les bulles l'air.
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H. Observations
Les meilleures mitoses, c'est-à -dire les plus lisibles, sont alors
sélectionnées au faible grossissement (obj. x 8) puis photographiées sur
microfilm Kodak 24 X 36 Panchromatique (obj. immersion 100, grossissement
effectif sur le film de 400 environ).
Les négatifs sont ensuite agrandis d'un facteur x 8 pour donner un
agrandissement terminal sur le positif de 3 000 environ. Tous les comptages et
surtout toutes les études caryotypiques sont effectués sur ces photographies.
Il faut en effet rappeler que l'observation visuelle, même patiente
et avertie, ne permet pas d'identifier avec certitude certaines paires
chromosomiques. Les montages caryotypiques [cf. Lejeune, Turpin, Gautier, 1959
(2)] doivent donc être considérés comme faisant partie intégrante de
l'examen des chromosomes.
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Bibliographie
1. LEJEUNE (J.), GAUTIER (M.) et TURPIN (R.). Les chromosomes humains
en culture de tissus (C. R. Acad. Sciences, 1959, 248, 602).
2. LEJEUNE (J.), TURPIN. (R.) et GAUTIER (M.). Le mongolisme, premier
exemple d'aliénation autosomique humaine (Annales de génétique, 1959, 2,
41).
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Notes
(*) Ce plasma de coq est obtenu par ponction de la veine marginale de
l'aile, et aspiration du sang dans une seringue contenant 1 cm3 d'héparine. Le
sang est immédiatement centrifugé à trois mille tours/minute pendant dix
secondes et le plasma est conservé à la glacière en tube stérile
hermétiquement clos.
(**) L'extrait embryonnaire, obtenu à partir d'oeufs incubés neuf à dix jours, est en réalité le surnageant du broyat, dilué avec la solution de
Hanks en proportion 1 : 1.
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