La recherche des retentissements biochimiques possibles de la trisomie
mongolienne (Lejeune, Gautier, Turpin) (1) nous a conduits à étudier le
métabolisme des acides aminés chez ces malades. En particulier, nous avons
comparé chez des enfants normaux et des enfants mongoliens l'excrétion
urinaire de certains métabolites du tryptophane :
- Acide 5-hydroxy-indol-acétique (5 H. I. A.) par la méthode
d'Udenfriend et coll. (2).
- Acide indol-acétique (I. A.), par la méthode de Weissbach et coll.
(3).
- Cynurénine par la méthode de Tompsett (4).
- Le dosage de l'acide xanthurénique a été effectué par une
modification personnelle de la méthode à l'alun de fer (5) (6), (7), qui sera
exposée dans une publication détaillée.
Tous les résultats exposés dans le tableau sont exprimés en
microgrammes par kilogramme de poids et par heure. Pour les trois séries de
dosages, les enfants mongoliens et les enfants témoins, d'âge et de poids
comparables, ont été hospitalisés et soumis aux mêmes conditions de
régime.
Excrétion urinaire des métabolites du tryptophane chez les
enfants mongoliens et les enfants témoins, avant et après surcharge en
tryptophane.
Dosage | Tryptophane | Série I | Série II | Série
III | Total |
M = 7 | | T = 8 | M = 4 | | T
= 4 | M = 4 | | T = 4 | M = 15 | | T =
16 |
5 H.I.A. | Avant | 1,76 ±
0,31 | t = 1,6 | 2,34 ± 0,94 | 1,14 ± 0,44 | t =
2,2 | 3,36 ± 0,89 | 2,34 ± 0,23 | t = 4,4** | 5,29 ±
o,63 | 1,75 ± 0,22 | t = 3,3** | 3,33 ± 0,41 |
| t = 2,2 * | | t = 1,5 | t =
2,2 | | t = 0,6 | t = 1,6 | | t =
2,6* | t = 3,2** | | t = 1,7 |
Après | 2,73 ± 0,33 | t = o,8 | 3,34 ±
0,97 | 2,39 ± 0,38 | t = 2,4 | 4,02 ± 0,37 | 2,89 ±
0,25 | t = 7,0*** | 7,60 ± 0,62 | 2,68 ± 0,19 | t =
3,0** | 4,57 ± 0,58 |
l.A. | Avant | 8,38 ± 1,72 | t
= 1,7 | 17,43 ± 4,81 | 8,87 ± 4,47 | t = 0,4 | 11,27
± 3,88 | 10,18 ± 2,06 | t = 1,8 | 35,17 ±
13,82 | 9,00 ± 1,42 | t = 2,3* | 20,32 ± 4,58 |
| t = 1,6 | | t = 1,9 | t =
0,8 | | t = 1,5 | t = 1,0 | | t = 0,6 | t
= 2,0 | | t = 1,7 |
Après | 14,92 ± 3,76 | t = 2,6* | 29,23
± 4,08 | 15,37 ± 6,28 | t = 0,6 | 20,06 ±
4,17 | 12,62 ± 1,15 | t = 2,4 | 47,28 ± 14,38 | 14,42
± 2,29 | t = 3,2** | 31,45 ± 4,65 |
Cynurénine | Avant | - | | - | 1,71
± 0,46 | t = 1,5 | 0,96 ± 0,15 | 2,40 ± 0,20 | t =
1,0 | 3,37 ± 0,94 | 2,05 ± 0,19 | t = 0,1 | 2,17 ±
0,45 |
| | | | t =
1,9 | | t = 3,8** | t = 6,4** | | t =
2,0 | t = 2,7* | | t = 2,5* |
Après | | | ~ | 9,81 ±
4,14 | t = 0,8 | 6,36 ± 1,42 | 7,45 ± 0,76 | t
=1,4 | 16,22 ± 6,41 | 8,63 ± 1,75 | t = 1,1 | 11,29
± 2,52 |
Ac.
xanthurénique | Avant | - | | - | - | | - | 2,30
± 0,74 | t = 1,9 | 4,71 ± 1,0 | - | | - |
| | | | | | | t
= 3,2 | | t = 2,7* | | | |
Après | - | | - | - | | - | 5,31
± 0,52 | t = 2,7* | 8,64 ± 1,07 | - | | - |
Les résultats sont exprimés en moyenne ±
l'erreur standard sur la moyenne. t = test de Student. * P < o,o5; ** P <
0,01 ; *** P < 0,001 |
Il ressort de ces nombres que l'excrétion du 5 H.I.A. et de l' I.A.
est moins élevée chez les mongoliens que chez les témoins. Cette
constatation est faite dans chacune des trois séries et l'analyse globale des
résultats révèle des différences très significatives. On n'observe pas de
différence dans l'excrétion de la cynurénine. Par contre, les mongoliens
excrètent moins d'acide xanthurénique que les témoins. Il faut remarquer
qu'après surcharge modérée en tryptophane l'excrétion du 5 H.I.A., de l'
I.A. et de l'acide xanthurénique s'élève dans les mêmes proportions chez
les mongoliens et chez les témoins; l'élimination chez les mongoliens étant
dans tous les cas significativement inférieure à celle des témoins.
L'excrétion de la cynurénine s'élève également et reste comparable chez
les mongoliens et chez les témoins. La régularité du phénomène, avant et
après surcharge, suggère une modification du métabolisme du tryptophane chez
les enfants mongoliens. Des travaux en cours sont cependant destinés à exclure
la possibilité d'un trouble lié aux fonctions intestinale ou rénale.
Il est intéressant de rapprocher ces résultats des observations
faites dans l'idiotie phényl-pyruvique. En effet, Pare, Sandler et Stacey (8)
ont observé dans cette maladie une diminution de l'excrétion du 5 H.I.A., qui
dépendrait de l'inhibition de la 5-hydroxytryptophane-décarboxylase par les
dérivés cétoniques de la phénylalanine accumulés chez ces malades. Par
contre, l'excrétion de l' I.A. serait augmentée dans cette affection
(Armstrong et Robinson) (9).
La diminution concomittante de l' I.A. chez les mongoliens montre que
le trouble ne se situe pas uniquement au niveau de la voie conduisant au 5
H.I.A., et la diminution associée de l'acide xanthurénique suggère une
accélération de la voie principale passant par la cynurénine et
l'hydroxycynurénine. Cette accélération pourrait être commandée par un
surdosage enzymatique résultant de la trisomie 21 et entraînerait un déficit
de la voie conduisant à la sérotonine.
Pour préciser le mécanisme de cette anomalie et tenter de pallier
ses conséquences, nous étudions la chaîne métabolique de la cynérunine et,
par administration de 5-hydroxytryptophane, celle de la sérotonine (10).
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Explication du tableau.
Série I : 8 garçons témoins et 5 garçons et 2 filles
mongoliens.
Premier jour : urines prélevées de 7 h à 15 h. Deuxième jour :
protocole identique avec administration du tryptophane à 7 h.
Série II : 4 filles témoins et 4 mongoliennes.
Premier jour : urines prélevées de 19 h à 7 h puis de 9 h à 12 h
et de 12 h à 15 h, avec administration du tryptophane à 9 h. Deuxième jour :
protocole identique. Pour chaque sujet on utilise la moyenne des deux dosages
analogues avant tryptophane et la moyenne des quatre dosages après
tryptophane.
Série III : 44 garçons témoins et 4 mongoliens.
Premier jour : urines prélevées de 19 h à 7 h et de 7 h à 15 h.
Deuxième jour : protocole identique avec administration du tryptophane à 7 h.
Pour chaque sujet on utilise la moyenne de trois dosages avant tryptophane.
Le L-(-)-tryptophane est administré per os à raison de 30 mg par
kilogramme de poids du sujet.
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(1) J. LEJEUNE, M. GAUTIER et R. TURPIN, Comptes rends, 248, 1959, p.
602.
(2) S. UDENFRIEND, E. TITUS et H. WEISSBACH, J. Biol. Chem., 216,
1955, p. 499.
(3) H. WEISSBACH, W. KING, A. SJOERDSMA et S. UDENFRIEND, J. Biol.
Chem., 234, 1959 p. 81.
(4) S. L. TOMPSETT, Clin. Chim. Acta, 4, 1959, p. 411.
(5) C. C. PORTER, I. CLARK et R. H. SILBER, J. Biol. Chem., 167, 1947,
p. 573.
(6) H. STIX GLAZER, J. F. MUELLER, C. THOMPSON, V. R. HAWKINS et R. W.
VILTER, Arch. Biochem. Biophys., 33, 1951, p. 243.
(7) G. A. BESSEY, D. J. D. ADAM et A. E. HANSEN, pediatrics, 20, 1957,
p. 33.
(8) C. M. B. PARE, M. SANDLER et R. S. STACEY, Arch. Dis. Childhood,
34, 1959, p. 422.
(9) M. D. ARMSTRONG et K. S. ROBINSON, Arch. Biochem. Biophys., 52,
1954, p. 287
(10) Le Docteur Jacques Lafourcade a contrôlé l'exécution du
protocole expérimental pendant l'hospitalisation des sujets. Les dosages ont
été exécutés par Mlle Martine Sueur et Mlle Françoise Michaud.
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