La recherche systématique d'un retentissement biochimique possible de
la trisomie 21 chez les enfants mongoliens nous a conduit à étudier leur
élimination unirnaire des amino-acides et de certains de leurs
métabolites
Haut
I. - Etude quantitative de l'élimination rénale de
l'azote a-aminé
Une première étude des acides aminés urinaires par chromatographie
sur papier n'a révélé aucune particularité qualitative, mais seulement un
déficit global des acides aminés visibles.
Une dexusième étape a consisté à déterminer l'excrétion d'azote
a-aminé (Méthode de SØRENSEN avec estimation potentiométrique d'u point de
virage) et celle de l'azote total (méthode de KJELDAHL).
Chez 31 mongoliens et 23 témoins les éliminations rénales d'azote
total par 24 h sont comparables ; par contre l'excrétion de l'azote a-aminé
est significativement plus basse chez les mongoliens. Pour pallier toute erreur
matérielle dans le receuil des urines le rapport R = (a-NH2) / (N total) a
été calculé pour chaque enfant. Ce rapport est plus faible chez les
mongoliens que chez les témoins, la différence étant hautement
significative. L'ensemble de ces résultats se trouve consigné dans le tableau
I.
Tableau I. - Elimination urinaire par 24 heures de l'azote des
amino-acides et de l'azote total (valeur moyenne ± l'erreur standard de cette
moyenne)
| Azote aminé | Azote total | (Azote
aminé x 1000) / (Azote total) |
Mongoliens (N=31) | 149 ± 10 | 8,20 ±
0,54 | 18,6 ± 0,9 |
Témoins (N=23) | 200 ± 20 | 7,75 ±
0,56 | 26,0 ± 1,0 |
Test de Student | t=2,4 ; P = 0,02 | t=0,6 ; 0,6
> p > 0,5 | t =5,7 ; p << 0,001 |
Il est à noter que les taux sanguins de l'azote a-aminé et de
l'azote total non protéique semblent plus élevés chez les mongoliens (15
sujets) que chez les témoins (12 sujets). Cependant la variance considérable
entre les échantillons successifs ne permet pas de tenir cette différence
pour significative.
Enfin, à âge égal, les mongoliens excrètent moins de créatinine
que les témoins. Cependant les pentes des droites de régression entre le
rapport créatinine/azote total d'une part, et l'âge d'autre part, ne
diffèrent pas significativement. Les formules de ces droites sont en effet
:
Ym = 81,1 + (2,297 ± 1,183)(Xm - 13,5)
Ytem = 83,0 + (5,718 ± 1,290)(Xtem - 9,7)
(Y = créatinine/azote total ; X = âge en années)
La différence des pentes est de :
3,43 ± 1,76, d'où t = 1,95 et 0,1 > p > 0,05.
L'hypotonicité et le développement médiocre des masses musculaires
des mongoliens nous semblent susceptibles de rendre compte de ce fait. Il n'y a
donc aucune raison de supposer l'existence d'une anomalie de filtration du rein
mongolien.
En conclusion nous ne pouvons décider si le net déficit de
l'élimination de l'azote des acides aminés relève d'un mécanisme rénal ou
d'une perturbation globale du métabolisme des acides aminés.
Haut
II. - Etude du tryptophane et de certains de ses
métabolites
Dans le but d'analyser ce phénomène nous avons ensuite étudié les
dérivés du métabolisme du tryptophane en raison du rôle important que
certains d'entre eux semblent jouer dans le fonctionnement du système nerveux
central.
L'existence d'une anomalie de l'excrétion de certains métabolites du
tryptophane chez les enfants mongoliens a été précedemment décrite (JEROME,
LEJEUNE et TURPIN, 1960).
L'extension de ces recherches au cours de l'année 1961 nous a permis
de confirmer pleinement ces premiers résultats, en ce qui concerne l'acide
5-hydroxy-indole acétique, l'acide indole acétique, la cynurénine et l'acide
xanthurénique. L'enseble des résultats est résumés dans le tableau II.
Tableau II. Excrétion de dérivés du tryptophane chez les
mongoliens et les témoins. Valeur moyenne ± l'erreur standard de cette
moyenne.
| Mongoliens | Test de student | Témoins |
N | µg/kg/h | N | µg/kg/h |
5 HIAA | 26 | 3,05 ± 0,25 | t=4,18 ;
p<<0,001 | 27 | 5,10 ± 0,42 |
IAA | 26 | 13,56 ± 1,60 | t=2,7 ;
p=0,01 | 27 | 23,99 ± 3,54 |
Ac. Xanth. | 13 | 2,50 ± 0,30 | t=2,2 ;
0,05>p>0,02 | 13 | 3,62 ± 0,42 |
Cynérénine | 19 | 2,31 ± 0,19 | t=0,32 ;
0,8>p>0,7 | 19 | 2,20 ± 0,29 |
Ces chiffres montrent que les mongoliens excrètent moins de 5 HIAA,
d'IAA et d'acide xanthurénique que les témoins. Il est à noter que les
fifférences observées sont tout à fait comparables à celles précédemment
rapportées (JEROME, LEJEUNE et TURPIN, C.R. Académie des Sciences, Paris
(1960) 251, 474). L'accroissement de taille de l'échantillon ayant simplement
permis d'augmenter sensiblement la signification statistiques. par contre
l'excrétion de la cynurénine est strictement comparable dans les deux lots.
Des chromatographies semi-quantitatives sur papier après séparation
préalable sur DOWEX 50 nous ont permis de confirmer l'élimination basse de
l'acide xanthurénique chez les mongoliens et de constater également une
diminution de l'élimination rénale de l'acide cynurénique chez ces mêmes
sujets.
Afin d'éliminer des erreurs toujours possibles dans le recueil des
urines, particulièrement chez les mongoliens, nous avons calculé pour chaque
enfant le rapport entre l'excrétion urinaire du 5 HIAA et de la cynurénine.
Ici encore une différence hautement significative est observée (tableau
III).
Tableau III. Rapport de l'excrétion urinaire du 5 HIAA et de
la cynurénine
| Mongoliens (N=19) | Témoins (N=19) |
5 HIAA / Cynurenine | 1,41 ± 0,13 | 3,05 ±
0,44 |
Teste de Student | t = 3,4 ; 0,01 > p
> 0,001 |
Le déficit dans l'élimination rénale du 5 HIAA étant
définitivement établi, nous avons recherché s'il pouvait être dû à une
diminution de la décarboxylation du 5-OH tryptophane. En fait l'administration
de 5 OH tryptophane par voie parentérale détermine une augmentation très
importante de l'élimination du 5 HIAA qui devient comparable chez les
mongoliens et chez les témoins. Nous pouvons donc en conclure que la voie
métabolique conduisant du 5-hydroxy-tryptophane au 5 HIAA semble normale chez
les mongoliens, contrairement à ce qui a été observé chez les oligophrènes
phénlycétonurique (PARE, SANDLER et STACEY - Lancet (1957) 551 et (1958)
1099). (Tableau IV).
Tableau IV. - Excrétion urinaire du 5 HIAA avant et après
administration sous-cutanée de 5-hudroxy-tryptophane à la dose de 0,5 mg par
kilogramme de poids du sujet.
| 5 HIAA
µg/kg/h |
Avant traitement | | Après traitement |
Mongoliens (N=6) | 3,63 ± 0,42 | t=8,7
p<<0,001 | 13,23 ± 1,03 |
| t=3,6 0,01>p>0,001 | | t=0,47
0,7>p>0,6 |
Témoins (N=6) | 6,37 ± 0,64 | t=3,2
0,01>p>0,001 | 14,47 ± 2,44 |
L'administration intraveineuse de L-tryptophane (10 mg par kg de poids
du sujet) détermine une augmentation modérée du 5 HIAA, de l'IAA, de l'acide
xanthurénique et de la cynurénine (4 mongoliens et 4 témoins).
L'administration per os de 30 mg par kg de L-tryptophane détermine chez les
mongoliens et chez les témoins une augmentation beuacoup plus importante des
quatre métabolites précédents dont l'élimination est pratiquement doublée
(cf note C.R. Acad. Sciences - Paris).
On peut inférer à ces résultats qu'une fraction importante du
tryptophane administré per os est absorbé par l'intestin aussi bien chez les
mongoliens que chez les témoins. Par conséquent le déficit chronique des
mongoliens en 5 HIAA, IAA et acide xanthurénique ne peut guère être
rapporté à une insuffisante absorbtion intestinale du tryptophane. D'ailleurs
le taux normal de cynurénine s'accorderait mal avec cette hypothèse.
D'autres métabolites tels que : le 3-hydroxy-cynurénine, l'acide
anthramilique, la N-methyl pyridine carboxamide ne présentent pas un
élimination urinaire chez les mongoliens différente de celle des témoins,
mais le nombre des dosages réalisés est actuellement trop restreint pour
permettre une conclusion ferme.
L'hypothèse d'une action particulière de la flore microbienne
intestinale chez les mongoliens (symbiote particulier à un organisme trisomique
21 ?) a été indirectement testée par des dosages d'indican dans l'urine dont
l'élimination se révèle identique chez les témoins et chez les mongoliens :
mongoliens (N=5= 121,1 µg/kg/h ; témoins (N=5) 112,9 µg/kg/h.
Pour explique le déficite de l'élimination du 5 HIAA, de l'IAA et de
l'acide xanthurénique deux hypothèses pourraient être envisagées ; ou bien
le seuil rénal de ces substances est plus élevé chez les mongoliens que chez
les témoins ; ou bien il existe chez les mongoliens un déséquilibre dans le
métabolisme intermédiaire du tryptophane.
Actuellement aucune donnée expérimentale ne nous permet de trancher
définitivement entre ces deux hypothèses. Cependant l'hypothèse rénale
suppose l'existence de seuils d'élimination anormaux pour des subtances de
structure chimique très différente.
Haut
En conclusion
Nous avions précédemment proposé une hypothèse expliquant le
déficit de l'IAA, du 5 HIAA et de l'acide xanthurénique par une
accélération de la voie métabolique passant par la cynurénine et
l'hydroxy-cynurénine. Vette accélération pourrait être commandée par un
surdosage enzymatique résultant de la trisomie 21 et entraînerait un déficit
de la voie conduisant à la sérotonine. Actuellement les résultats antérieurs
sont amplement confirmés et complétés par l'indication d'un déficit dans
l'élimination de l'acide cynurénique. Les déterminations concernant la voie
métabolique principale : cynurénine, 3-hydroxy cynurénine, acide
anthramilique et N-méthyl-pyridone-5-carboxamide ne révèlent pas de
différences marquées entre les mongoliens et les témoins. S'il est donc
probable qu'il n'existe pas de déficit de ces métabolites chez les
mongoliens, nous n'avons pas de preuve de l'accélération des voies
métabolites correspondantes.
Haut
Références
Jérôme, H., Lejeune, J. et Turpin, R. 1960. - Etude de l'excrétion
urinaire de certains métabolites du tryptophane chez les enfants mongoliens.
C.R. Acad. Sciences 251, 474-476.
O'Brien, D., GMoshek, A.P., Streamer, C.W. 1960. - Abnormalities of
tryptophan metabolism in children with mongolism. Am. J. Dis. Children 100,
120/540.
Gershogg, S.N., Heysterl, D.M. et Thuslon, M. 1958. - Metabolic
studies of mongoloids. Am. J. Clin. Nutrition 6, 52-530.
Gershoff, S.N., Mayer, A.L. et Kulczycki, L.L. 1959. - Effect of
Pyridoxine administration on the urinary excretion of oxalic acid, Pyridoxine
and related compounds in mongoloids and non mongoloids. Am. J. Clin. Nutrition
1959, 7, 76-74.
|