Il est généralement admis que des jumeaux monozygotes doivent
présenter une identité génétique parfaite puisqu'ils sont issus d'un seul
et même oeuf. Il est cependant concevable qu'une anomalie de la ségrégation
chromosomique, lors du clivage des premiers blastomères, puisse changer le
caryotype de l'un des jumeaux seulement. Un premier exemple de ce type de
gémellité exceptionnelle a été précédemment rapporté [(1), (2)]; il
s'agissait de jumeaux de phénotype sexuel différent, l'un mâle (XY) et
l'autre neutre (syndrome de Turner haplo X).
La présente note concerne un cas analogue intéressant deux jumeaux,
l'un normal, l'autre mongolien.
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Description
Les différents critères de monozygotisme sont les suivants :
1° en 1958, constatation d'une gémellité monochoriale diamniotique;
2° la concordance de tous les critères anthropométriques de
similitude (couleur de la peau, des iris, des cheveux, forme du crâne, forme
des oreilles, etc.), si l'on excepte les stigmates du mongolisme (épicanthus,
nuque large, petite taille, hypotrophie, etc.) chez l'enfant malade.
Une discordance est toutefois notée pour deux particularités
morphologiques : cheveux frisés chez l'enfant normal et plats chez le
mongolien; présence de taches de Brushfield dans les iris du mongolien seul.
Il est à noter que ces deux particularités sont fréquentes ches les
mongoliens de race blanche;
Tableau 1.
Famille F. |
Père, F. Mo, 44 A, XY. | Mère, F. Ma, 44 A,
XX. | F, Pe. ?-?F, M0, 44 A, XY-l-21. 44 A, XY. | F.
W. | F. R. | Probabilité de concordance phénotypique. |
Phénotypes érythrocytaires. |
A1 | A1B | A1 | A1 | A1 | 0,
391 |
MNSs | MNss | MNss | MNSs | MNss | 0,
250 |
P1 | P1 | P1 | P2 | P2 | 0,
625 |
CCDee | CCDee | CCDee | CCDee | CCDee | 0,
999 |
Kp (a-), K- | Kp (a-), K - | Kp (a-),
K- | K- | K- | 1, 000 |
Lu (a+) | Lu (a-) | Lu
(a+) | - | - | 0, 510 |
Le (a-b-) | Le (a-b-) | Le
(a-b-) | - | - | |
Fy (a-b-) | Fy (a+b+) | Fy
(a-b+) | Fy(a-b+) | Fy(a-b+) | 0, 500 |
Jk (a+b+) | Jk (a+b+) | Jk (a-b+) | Jk
(a-b+) | Jk(a-b+) | 0, 375 |
Xg(a+) | Xg(a+) | Xg(a-) | - | - | 0,
250 |
Lef(-) | Lef(-) | Lef(-) | - | - | |
Phénotypes sériques. |
Gm (a-b+x-r-e+) | Gm (a+b-x+r+e-) | Gm
(a+b+x+r+e+) | Gm (a+b+x-) | Gm (a+b+x-) | 1, 000 |
Inv (a+b+1+) | Inv (a-b+1-) | Inv
(a+b+1+) | - | - | 0, 500 |
Hp (2-1) | Hp (2-2) | Hp (2-1) | Hp
(2-1) | Hp (2-2) | 0, 500 |
GC (2-2) | Gc (1-1) | Gc (2-1) | GC
(2-1) | Gc (2-1) | 1, 000 |
Phenotypes salivaires. |
Se | Se | Se | - | - | 0,
837 |
Le | le le | Le | - | - | 0,
737 |
| P = 0, 000 225 |
MM. Dr. Sanger et Tippett (Lister Institut de
Londres), Dr. Hassing (Zentrallaboratorium des Schweiz. Roten Kreuses Berne) et
Dr. Ropartz (Centre de Trans-fusion de Rouen) ont exécuté le contrôle de ces
phénotypes et l'établissement de certains d'entre eux. |
3° l'analyse palmoscopique révèle une identité complète des
crêtes de la partie distale de la main, et une image en miroir pour une pelote
en Pli. Par contre seul le mongolien présente un pli. palmaire transverse (à gauche) et un triradius pseudo t" dans les deux mains, signes caractéristiques
de la maladie;
4° la détermination des groupes réalisée simultanément par
plusieurs laboratoires démontre l'identité des jumeaux pour tous les facteurs
étudiés. Les données résumées dans le tableau I, révèlent que la
probabilité d'une telle ressemblance entre des dizygotes serait de l'ordre de
P = 0, 000225;
5° l'analyse des caryotypes, réalisée sur biopsie de peau, a donné
les résultats suivants :
Mongolien : 47 chromosomes, trisomie 21 typique (44 A + XY + 21) ;
Jumeau normal : 46 chromosomes normaux (44 A + XY) ;
Père : 46 chromosomes normaux (44 A + XY) ;
Mère : 46 chromosomes normaux (44 A + XX).
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Conclusion
Malgré l'absence de greffes réciproques, non encore réalisées, les
données précédentes : gémellité monochoriale diamniotique, concordance
absolue pour tous les caractères indépendants du mongolisme, nous semblent
légitimer l'hypothèse du monozygotisme.
Ce monozygotisme exceptionnel peut, en théorie, résulter de divers
mécanismes.
Zygote normal donnant d'une part un jumeau normal diplo 21 et d'autre
part, à la suite de la ségrégation anormale des 21 d'un blastomère, un
jumeau anormal triplo 21 et un clone haplo 21, non viable.
Zygote anormal triplo 21 donnant d'une part un jumeau mongolien triplo
21 et d'autre part, en raison de la perte du 21 surnuméraire, peut être par
retard lors de l'anaphase, un jumeau normal diplo 21. Nous avons déjà invoqué
un mécanisme de ce genre pour expliquer la réalisation à partir d'un zygote
XY, par perte d'un Y, du couple exceptionnel XY et X (1).
Le rapprochement de ces deux observations accroît la valeur relative
de chacune d'elles. Elles conduisent à individualiser un nouveau type de
gémellité que nous proposons d'appeler " monozygotisme hétérocaryote ",
d'intérêt majeur pour la génétique humaine. Ces " hétérocaryotes " issus
d'un même oeuf offrent en effet un moyen quasi expérimental d'analyse
génétique du seul chromosome qui les distingue.
Des examens sont en cours à ce sujet chez ces jumeaux concernant leurs
différentes caractéristiques antigéniques ou morphologiques et les troubles
biochimiques déjà observés dans le mongolisme (3).
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Références
(1) R. TURPIN, J. LEJEUNE, J. LAFOURCADE, P.-L. CHIGOT et C. SALMON,
Comptes rendus, 252, 1961, p. 2945.
(2) J. LEJEUNE et R. TURPIN, Comptes rendus, 252, 1961, p. 3148.
(3) H. JÉRÔME, J. LEJEUNE et R. TURPIN, Comptes rendus, 251, 1960,
p. 474.
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