C'est en 1960 que HUNGERFORD et collaborateurs décrivent une nouvelle
culture des cellules du sang circulant (11).
Cette méthode est capable de donner d'excellentes figures de
chromosomes et peut servir à une bonne analyse des caryotypes des cellules
sanguines.
Plusieurs auteurs entreprirent aussitôt d'analyser le stock
chromosomique des cellules nucléées du sang chez les malades porteurs de
diverses hémopathies.
Les premiers résultats furent assez difficiles à interpréter. Par la
suite et grâce sans doute aux progrès de la méthode y il apparut que
certaines hémopathies s 'accompagnaient assez souvent d'anomalies
chromosomiques singulières. C'est ainsi que chez ces malades, on trouvait
parfois côte à côte, deux clones de cellules sanguines, l'un à caryotype
normale l'autre à caryotype porteur d'une aber-ration caractéristique. Parmi
les hémopathies ainsi étudiées, il faut citer la macroglobulinémie de
Waldenstrom où BOTTURA et coll. (3), GERMAN et coll. (7), BERNISCHKE et coll.
(2) décrivent un grand chromosome surnuméraire. En ce qui concerne les
leucoses la question est plus complexe. Les leucoses portant sur la série
lymphoïde ont donné lieu à divers travaux : FORD (5), NOWELL & HUNGERFORD
(14), HUNGERFORD (9), WAHRMAN, SCHAAP & ROBINSON (18), DE GROUCHY &
LAMY (8), LEJEUNE (11), au cours desquels il semble bien que l'on ait noté
parfois la présence de clones cellulaires présentant des aberrations
constantes.
Toutefois le nombre de cas étudiés est encore insuffisant pour
pouvoir rattacher en toute certitude ces diverses aberrations chromosomiques à un type cytologique de leucose bien individualisé.
Nos connaissances sont plus avancées en ce qui concerne les leucoses
portant sur la lignée rnyéloïde. On peut les résumer ainsi :
Haut
1 - Les leucémies myeloïdes chroniques
Dans la majorité des cas ces leucoses révèlent l'existence d'un
clone porteur d'un très petit chromosome acrocentrique. Appelé Ph1, en
souvenir de la ville de Philadelphie dans laquelle il fut découvert par NOWELL
et HUNGER-FORD, 1960 (13) ce chromosome semble être un 21, dont les grands
bras auraient été amputés de la moitié de leur longueur.
Dans une revue générale de la littérature, incluant leurs
observations personnelles, TOUGH, COURT BROWN et coll., 1962, rapportent que
sur 22 cas étudiés avant tout traitement, 21 présentaient le clone mutant
Ph1. Par ailleurs, ces auteurs observant 5 malades avant et après
radiothérapie splénique, montrent que l'importance du clone Ph1 dans le gang
périphérique diminue en fonc tion du traitement. Lorsque la leucocytose tombe
au dessous de 20 000 G B mm3 le clone disparaît entièrement du
sang circulaire alors qu'il persiste y prépondérante dans la moelle
osseuse.
Haut
2 - Les leucémies myéloblastiques aiguës
Elles ont fait, elles aussi l'objet de divers travaux. FORTUNE, LEWIS
& POULDING (6) rapportèrent en 1962 le cas d'une leucose myéloblastique
chez l'enfant qui présentait un clone porteur d'un Ph1 spécialement
petit.
En 1961, HUNGEEFORD avait de son côté décrit un cas de leucémie
myéloblastique aiguë dans laquelle 10 % des mitoses étaient à 45
chromosomes. Malheureusement il ne signale pas quel est le chromosome manquant
(9).
En 1962, RUFFIE & LEJEUNE (16) étudièrent les caryotypes
sanguins de deux malades porteurs de leucoses aiguës myéloblastiques qui se
caractérisaient par des clones cellulaires à 45 chromosomes par suite de la
perte totale d'un petit acrocentrique.
Depuis nous avons poursuivi nos recherches dans ce sens. C'est le
résultat actuel de nos travaux que nous exposons ici.
Haut
Technique
Nous avons essayé de cultiver 17 leucoses qui se présentaient
cliniquement et histologiquement comme des leucoses aiguës de la lignée
granulocytaire. L'envahissement cellulaire portait toujours sur des stades
jeunes. Le plus souvent paramyéloblastes et promyélocytes accompagnés
parfois de quelques hémocytoblastes. Comme on pouvait s'y attendre, les
malades chez qui les promyélocytes dominaient ont présenté une évolution un
peu moins rapide que les autres.
Sur 17 sangs de leucose myéloblastique cultivés, 10 ont poussé et
donné des caryotypes analysables. Sur ce nombre 7 n'ont révélé que des
cellu-les à stock chromosomique normal. (TABLEAU 1).
Toutefois il est intéressant de noter que ces dernières leucoses
étaient sous traitement depuis déjà un certain temps. De plus dans plusieurs
cas le nombre de cellules analysables était trop faible pour que l'on puisse
en tirer des conclusions.
Par contre 3 leucoses ont présenté une double population cellulai-re
: population normale et population à 45 chromosomes par perte d'un petit
acrocentrique. Il faut souligner que dans ces 3 cas, le premier examen des
caryotypes sanguins a été effectué soit avant tout traitement soit chez des
malades traités depuis peu de temps. Par suite, d'autres cultures ont été
pratiquées tout au long de l'évolution de la maladie.
La technique suivie fut celle de NOWELL & HUNGERFORD (12) que nous
avons modifiée sur quelques points de détails.
Rappelons que dans cette technique le sang est prélevé par ponction
intraveineuse sur flacon héparine. Les globules rouges et les granulocytes
âgés sont éliminés par adjonction au milieu de phytoagglutinine et
centrifugation lente après incubation au réfrigérateur. La mise en culture
se fait dans le milieu 199 dont la quantité ajoutée doit être telle que la
concentration cellulaire du milieu soit de 1000 à 2000 éléments au
mm3.
Il importe d'avoir plusieurs tubes de culture par malade afin
d'effectuer l'étude des caryotypes après 24, 48 et 72 heures d'incubation. Au
moment choisi, les mitoses sont bloquées et accumulées par la colchicine. On
effectue ensuite l'éclatement des noyaux en mitose par choc hypotonique
(citrate de soude à 0,95 %). La préparation est fixée par un mélange acide
acétique glacial + alcool absolu. On l'étale sur lames refroidies, en
hydrolyse les frottis par l'HCl normal, on lave, on colore au Giemsa et on
cherche les meilleures préparations qui seront photographiées et serviront au
classement des chromosomes.
Haut
Résultats
Nous avons pu étudier ainsi 3 malades qui présentaient tous à côté
des cellules à caryotype normal, un clone cellulaire à 45 chromosomes par suite
de l'absence d'un petit acrocentrique. Etant donnée la ressemblance qui existe
entre des petits chromosomes de ce type et la difficulté où l'on est
d'identifier un élément manquante il est difficile de savoir avec certitude
si le chromosome absent appartient à la paire 21 ou 22. Toutefois il paraît
assez vraisemblable qu'il s'agisse bien du type 21.
Haut
CAS N° 1 :
Z. TH..., 14 ans, présente une leucémie aiguë à prédominance de
paramyéloblastes. La malade entre en clinique le 28/11/61. Traitement à base
de corticoïdes et d'antibiotiques. Décès le 27/12/61. Pendant la brève
durée de la maladie, nous avons effectué 3 cultures de cellules du sang qui
ont donné les résultats rapportés au tableau 2.
Haut
CAS N° 2 :
HO..., homme de 62 ans y ayant présenté depuis août 1961 un
épisode fébrile inexpliqué. Transporté à TOULOUSE le 10/8/61 pour syndrome
d'anémie et d'agranulocytose, l'examen médullaire nous fait porter le
diagnostic de leucémie aiguë à hémocytoblastes et myéloblastes. Traité par
corticothérapie et antibiotiques. Après une amélioration passagère, le
malade meurt le 30/5/62. L'étude des caryotypes est rapportée au tableau
2.
Haut
CAS N° 3 :
P. PR..., 8 ans, leucose aiguë à prédominance de promyélocytes.
On trouve aussi des myéloblastes atypiques. Traitement à la cortisone puis au
méthotrexate. Le résultat des cultures est donné au tableau 2.
Une culture faite sur un prélèvement cutané nous a montré que
les fibroblastes avaient tous un caryotype normal.
A l'heure actuelle, le petit malade est toujours en vie, bien que
son état se soit encore aggravé au cours des derniers mois.
Haut
Conclusion
II n'est guère possible de tirer des conclusions définitives d'une
étude cytogénétique portant seulement sur trois cas de leucémie aiguë de
la lignée myéloïde. Toutefois l'analyse de ces trois cas permet les
remarques suivantes qui pourront servir de base à des travaux ultérieurs :
1 - Certaines leucémies aiguës portant sur la lignée granulocytaire
semblent se caractériser par l'existence à côté de cellules à caryotype
normal, de clones cellulaires à 45 chromosomes par suite de la perte d'un petit
acrocentrique (élément 21 ou 22, mais vraisemblablement 21).
Comme nous l'avons déjà signalé à une autre occasion (16), ce
phénomène est à rapprocher de la présence du chromosome Ph1 trouvé par
certains auteurs dans les cellules des leucémies myéloïdes chroniques. Ces
deux constatations jointes au fait que la leucémie aiguë est 20 fois plus
fréquente chez les enfants mongoliens que chez les enfants non mongoliens du
même âge posent le problème du rôle du chromosome 21 dans la
granulopoïèse.
2 - L'examen du Tableau 2 paraît montrer que le pourcentage des
cellules anormales rencontrées sur les préparations de culture diminue
rapidement chez le malade traité. C'est donc en début de maladie, chez le
sujet n'ayant encore fait l'objet d'aucune thérapeutique, que l'on a le
maximum de chances de rencontrer les deux clones cellulaires. Par la suite, le
clone anormal tend à disparaître (ou tout au moins à ne plus pousser). Il
semble rester très rare ou même absent des préparations jusqu'à la phase
terminale de la maladie.
Nous avons sur le diagramme suivant visualisé les fréquences
relatives des cellules haplo-21 par rapport à l'ensemble des cellules
étudiées au cours de chaque culture bloquée à la 72e heure. Nous n'avons
évidemment pas tenu compte des cultures qui n'ont pas poussé.
Dans tous les cas les droites obtenues ont la même allure. II nous a
paru intéressant de comparer statistiquement ces baisses de pourcentages.
Dans le cas n°1 (TH...) nous avons utilisé le calcul direct. Il
démontre que la probabilité (P 1) d'obtenir par le hasard seul une baisse de
pourcentage égale ou inférieure à celle observée, correspond à P 1 =
0,16.
Pour le cas n°2 (HO...), nous avons calculé le ?2, selon
la méthode de V.M. DANDEKOR (17) qui donne ?2 = 0,9418,
correspondant à P 2 = 0,31.
Pour le cas n°3 (PR...) le ?2corrigé de Yates donne une
valeur de 43,02 et P 3 inférieur à 0,001 ce qui correspond à moins de une
chance sur mille pour que les variations de pourcentages observées soient dues
au hasard.
Ceci donne à penser qu'il est hautement probable que les variations
des fréquences des cellules anormales observées dans nos trois cas, et qui
affectent toujours la même allure, ne sont pas dues au hasard mais
correspondent à un phénomène systématisé.
Cette disparition progressive du clone haplo-21 (dans le sang
circulant tout au moins, car la moelle de ces malades n'a pu être étudiée),
présente un parallélisme frappant avec la disparition du clone Ph1 signalé
par TOUGH, COURT BROWN et coll.,1962.
3 - Enfin l'étude du cas n°3 pourrait donner à penser que les
cel-lules anormales (haplo-21) poussent plus vite que les cellules normales,
certaines cultures étant porteuses des deux clones uniquement dans le blocage
à la 24e heure, alors que les blocages suivants ne révèlent que des
caryotypes normaux. Toutefois, il s'agit là d'une simple indication non pas
d'une certitude, le nombre de cellules étudiées étant trop faible pour être
absolument démonstratif.
Un tel phénomène a été signalé par NOWELL & HUNGERFORD (14)
pour les clones porteurs du chromosome Ph 1 des leucémies myéloldes
chroniques. Ces cellules ont paru se diviser plus tôt in vitro que les
cellules normales. Pour ces auteurs, c'est au bout de 48 heures d'incubation
que le pourcentage de caryotypes porteurs de Ph 1 est maximum, il décroît
ensuite fortement à partir de la 72 e heure. Donc un blocage de mitose trop
retardé peut faire croire qu'il existe uniquement des cellules à caryotype
normal. Ce phénomène pourrait peut-être expliquer les cas de leucoses
aiguës myéloblastiques où la culture nous a révélé uniquement des
cellules à caryotype normal. A ce moment, toutes nos fixations ont été faites
à la 72e heure.
C'est en tenant compte de ces divers éléments que l'expérimentation
doit désormais se poursuivre.
| Date de la culture | Heure de blocage | Cellules à 45 chromosomes haplo-21 | Cellules normales à 46 chromosomes | Total | % de cellules anormales | Cas 1 | 18/11/61 | 72 | 7 | 10 | 17 | 48,18 % | 8/12/61 | 72 | mitoses trop serrées pour être analysables | | | 20/12/61 | 72 | 1 | 7 | 8 | 12,50 % | Cas 2 | 2/5/62 | 72 | pas de mitose | | | | 7/5/62 | 72 | pas de mitose | | | | 14/5/62 | 72 | 4 | 23 | 27 | 14,82 % | 22/5/62 | 72 | 2 | 40 | 42 | 4,76 % | Cas 3 | 25/11/61 | 72 | 9 | 1 | 10 | 90,00 % | 10/1/62 | 72 | 5 | 2 | 7 | 71,43 % | 1/2/62 | 72 | 0 | 2 | 2 | 0 | 28/3/62 | 24 | 1 | 4 | 5 | 20,00 % | 48 | 0 | 1 | 1 | 0 | 72 | 0 | 4 | 4 | 0 | 17/5/62 | 24 | pas de mitose | | | | 48 | pas de mitose | | | | 72 | pas de mitose | | | | 28/6/62 | 48 | mitoses trop serrées pour être analysables | | | 72 | 0 | 47 | 47 | 0 |
| Dates | Heures de blocage | Nombre de cellules étudiées (normales) | TR.. | 6/4/61 | 72 | 5 | PL.. | 8/9/61 | 72 | 7 | FO.. | 22/11/61 | 72 | 9 | GR.. | 28/3/62 | 48 | 12 | FOI.. | 23/2/62 | 72 | 11 | | 2/3/62 | 72 | 5 | | 9/3/62 | 72 | 13 | MO.. | 20/6/62 | 48 | 11 | | " | 72 | 3 | MA.. | 18/1/62 | 72 | 1 | | 1/2/62 | 72 | 6 | | 14/3/62 | 48 | 5 | | 28/3/ | 24 | 27 | | " | 48 | 6 |
 Fig. 1. - Diagramme figurant les variations de fréquences relatives des cellules haplo-21 ou 22 par rapport à l'ensemble des cellules analysées au coursdes différentes cultures pratiquées durant l'évolution des leucoses muéloblastiques que nous avons étudiées.
Haut
Bibliographie
1 - BAIKIE A.G., COURT BROWN W.M., BUCKTON K.E., HARNDEN D.G., JACOBS
P.A., TOUGH I.M. ; A possible specific chromosome abnormality in human chronic
myeloid leukaemia Nature 188, 1960, 1165.
2 - BENIRSCHKE K., BROWNHILL L..EBAUGH F.G. : Chromosomal
abnormalities in Waldenstrom's macroglobulinaemia Lancet 1, 1962, 594.
3 - BOTTURA C., FERRARI I., VEIGA A.A. : Chromosome abnormalities in
Waldenstrom's macroglobulinaernia Lancet i, 1961, 1170.
4 - FORD C.E. , NOLE R.H. : Chromosome studies in human leukaemia
Lancet ii, 1959, 732.
5 - FORTUNE D.W., LEWIS F.J.W., POULDING R.H. : Chromosome pattem in
myeloid leu-kaemia in a child Lancet i, 1962, 537.
6 - GERMAN J. L., BIRO C.E., BEARN A.G. : Chromosomal abnormalities in
Waldenstrom's macroglobulinaemia Lancet ii, 1961, 48.
7 - DE GROUCHY J., LAMY M. : Communication personnelle.
8 - HUNGERFORD D. A. : Chromosome studies in human leukaemia J. Net.
cancer Inst. 27, 1961, 983.
9 - J. LEJEUNE : Les anomalies chromosomiques dans les hémopathies
Communication IVe Congrès National T. S. Toulouse Juin 1962.
10 - J. LEJEUNE : Communication personnelle.
11 - MOORHEAD P.S., NOVELL P.C,, MELLMAN W.J., BATTIPS D.M.,
HUNGERFORD D.A. : Chromosome préparations of leukocytes cultured from human
peripheral blood Exp. Cell. Res. 1960, 613.
12 - NOWELL P. C., HUNGERFORD D.A., BROOKS C.D. : Chromosomal
characteristics of nor-mal and leukemic human leukocytes after short term
tissue culture. Proc. Amer, Ass. Cancer Res. 1958, 331.
13 - NOWELL P.C., HUNGERFORD D.A. : Aetiology of leukaemia Lancet i,
1960, 113.
14 - NOWELL P.C., HUNGERFORD D.A. : A minute chromosome in human
chronic granulocytic leukaemia Science 132. 1960, 1497.
15 - J. RUFFIE : Les techniques d'étude des chromosomes dans les
cellules du sang circulant, Toulouse-Médicale 1962, 207.
16 - RUFFIE J., LEJEUNE J. : Deux cas de leucose aiguë
myéloblastique avec cellules sanguines normales et cellules haplo (21 ou 22)
Rev. Franc. Et. Clin. Biol. 7, 1962.
17 - RAO : Advanced statistical methods in biometric research J. Widey
and Sous P. 203.
18 - WAHRMAN J., SCHAAP T., ROBINSON E. : Manifold chromosome
abnormalities in leu-kaemia Lancet i, 1962, 1099.
|