La fréquence des hémopathies malignes chez les mongoliens [(1), (2),
(3)] ainsi que les observations d'anomalies particulières dans certains types
de leucémies [(4), (5)] posent le problème des relations entre aberrations
chromosomiques et processus néoplasiques.
La présente Note concerne un cas d'hémopathie congénitale associée
à une anomalie caryotypique particulière.
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Observation clinique et hématologique
L'enfant, une fille mongolienne née d'une mère primipare alors
âgée de 41 ans, présentait, à la naissance, une hépatosplénomégalie.
L'examen sanguin révélait la présence d'érythroblastes qui disparurent au
5e jour et de " leucoblastes " qui persistèrent.
L'enfant, âgée actuellement de 2 ans 2 mois, a présenté depuis le
4e mois un purpura pétéchial et ecchymotique se manifestant par intermittence
à l'occasion d'incidents infectieux. Tous les hémogrammes montrent une
thrombopénie de taux inférieur à 50000 et des cellules anormales.
Les cellules anormales constatées dès la naissance apparaissent
aujourd'hui en grand nombre, 6 % dans le sang, 80 % dans la moelle osseuse. Il
s'agit d'éléments de grande taille, de l'ordre de 20 µ à noyau très
étendu, jeune, plurinucléolé et à chromatine finement réticulée. Le
cytoplasme est tantôt réduit, tantôt abondant, parois hyperbasophile et
contient, dans quelques cas, des granulations azurophiles. Ces caractères, du
point de vue morphologiques, sont ceux de leucoblastes.
La présence simultanée de tous les autres éléments de la série
myéloïde fait penser qu'il pourrait s'agir de myéloblastes.
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Étude chromosomique
Le diagnostic de mongolisme cliniquement certain en dépit de
caractères ethniques asiatiques (père vietnamien), est confirmé par une
biopsie de peau montrant un caryotype à 47 chromosomes (44 A + XX + 21 ),
révélant la trisomie 21 (6).
Les cellules sanguines et médullaires sont examinées à deux
reprises, à 15 jours d'intervalle. La culture de sang est réalisée selon la
méthode de Moorhead et coll. (7) et la moelle osseuse est cultivée sur
coagulum selon notre technique habituelle (8), le liquide surnageant étant
fixé au 5e jour, et les cellules fixées sur la lamelle au 7e.
Sur 320 cellules décomptées on observe une variation du nombre
chromosomique, allant de 47 à 55 (tableau I).
Tableau I.
Répartition de 320 cellules en fonction du
nombre de chromosomes |
| 47. | 48. | 49. | 50. | 51. | 52. | 53. | 54. | 55. | 56. | Total. |
Sang ( 1re culture)
| 6 | 1 | 2 | - | - | 1 | - | 1 | - | - | 1
1 |
Moelle osseuse : |
Milieu
liquide | 8 | - | 1 | 3 | 4 | 6 | 12 | 36 | 8 | 2 | 80 |
Milieu
solide | 109 | 9 | 1 | - | - | - | - | 3 | - | - | 122 |
Sang (2e culture) : |
Fixation à la 48e
heure | 42 | - | - | 3 | - | 3 | - | 25 | 3 | - | 76 |
Fixation à la 68e
heure | 20 | - | - | 1 | - | - | - | 4 | - | - | 31 |
TOTAL | 191 | 10 | 4 | 7 | 4 | 10 | 12 | 69 | 11 | 2 | 320 |
La fréquence des cellules aneuploïdes diminue très
significativement en fonction de la durée de la culture, révélant la
fragilité in vitro des cellules anormales, progressivement remplacées par les
cellules à 47 chromosomes. Un examen superficiel de la culture de moelle au 7e
jour eût ainsi pu faire conclure à l'absence d'anomalies chromosomiques.
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Analyse des caryotypes anormaux
Sur 80 cellules, un caryotype non ambigu a permis d'établir le
diagnostic morphologique des éléments en excès (tableau II).
Tableau II.
Nombre de chromosomes | Caryolype | Nombre de
cellules |
47 | tri 21 | 22 |
/i8 | tri 2l + 1v | 3 |
49 | tri 21 + 2v | 1 |
50 | tri 21 + 2v + 1T | 1 |
51 | tri 21 + 2v + 2T | 1 |
52 | tri 21+ 2v + 2T + 1 M | 3 |
53 | tri 21 + 2v + 2T + 2 M | 7 |
54 | tri 21 + 2v + 2T + 2 M + 1C | 36 |
55 | tri 21 + 2v + 2T + 2 M + 2 C | 3 |
62 | tri 21 + 2v + 2T + 2 M + 2 C + 18 + 5 M +
2 | 1 |
TOTAL | 78 |
Exceptions : une cellule à 51 chromosomes tri21 +
2v + 1T + 1M ; une cellule à 53 chromosomes tri 21 + 2v + 2T + 1M + 1C. Les
symboles utilisés, décrits dans un précédent travail (6) représentent : v,
groupe (21-22 ); T, groupe (13-15); M, groupe ( 6-l2-X ); C, groupe
(19-20). |
On remarque que chaque nombre chromosomique correspond à un caryotype
particulier et que, d'une catégorie à l'autre, la différence consiste en la
présence d'un élément surnuméraire, puis de deux identiques.
Par ailleurs, les caryotypes de nombre chromosomique supérieur
comportent toutes les anomalies des caryotypes de nombre immédiatement
inférieur, plus une.
Deux cellules seulement sur 80 s'écartent de ce schéma, mais ces
irrégularités s'expliquent peut-être par la perte accidentelle d'un
chromosome lors de la préparation.
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Discussion
Une telle progression évoque une évolution clonale, par accumulation
d'anomalies successives. Un processus de trisomisation, puis de diploïdisation
du surnuméraire, pourrait être ici en cause. Dans cette hypothèse, les
cellules à 48, 49, ..., 53 chromosomes représenteraient les ancêtres du type
à 54. chromosomes actuellement majoritaire, dont les cellules à 55 et 56
chromosomes représenteraient de nouvelles tentatives.
En l'absence d'une preuve directe de filiation d'un caryotype à l'autre, cette hypothèse ne peut être formellement démontrée, mais les
faits observés ne s'accordent guère avec la notion plus simple d'anomalies
fortuites.
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Bibliographie
(1) G. L. SCHUNK et W. L. LEHMAN, J. Amer. Med. Ass., 155, 1954, p.
250.
(2) J. BERNARD, G. MATHS, J.-CL. DELORME et O. BARNOUD, Arch. Franç.
Péd., 12, 1955, p. 470.
(3) W. W. HOLLAND, R. DOLL et C. O. CARTER, Brit. J. Cancer, 16, 1962,
p. 177.
(4) P. C. NOWELL et D. A. HUNGERFORD, Science, 132, 1960, p. 1497.
(5) J. RUFFIE et J. LEJEUNE, Rev. Franç. Études clin. biol., 7,
1962, p. 644.
(6) J. LEJEUNE, M. GAUTIER et R. TURPIN, Comptes rendus, 248, 1959, p.
602.
(7) P. S. MOORHEAD, P. C. NOWELL, W. S. MELLMAN, D. M. BATTIPS.
(8) J. LEJEUNE, Ann. Genet., 2, 1961, P. 1. et D. A. HUNGERFORD,
Exper. Cell Res., 20, 1960, p. 613.
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