Second syndrome trisomique découvert chez l'homme, la trisomie 17
réalise un tableau malformatif aussi typique que celui du mongolisme, bien que
très différent.
La fréquence de cette affection à la naissance est inconnue, mais il
est à supposer que la maladie est beaucoup moins exceptionnelle qu'il ne le
semble à l'heure actuelle et qu'un diagnostic clinique soigneux permettrait de
la détecter précisément. En raison de la, nouveauté de ce syndrome, il nous
a paru souhaitable de présenter cette observation, la première faite en
France.
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Observation
Le 15 mai 1962, entre au pavillon des Prématurés du Centre
hospitalier de Saint-Denis (Service de Pédiatrie: Dr Georges See), l'enfant M.
C..., envoyé par le Service de la Maternité.
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Circonstances périnatales
La mère, 25 ans, a eu une grossesse apparemment normale. Les
dernières règles datent du 26 juillet 1961, la grossesse a donc duré 40
semaines.
L'enfant est le deuxième de la fratrie ; le premier enfant, garçon
de 2.650 g, né le 21 janvier 1960, par présentation du front, n'a eu ni
battement cardiaque, ni respiration et n'a pu être ranimé.
La présentation est un siège décomplété, l'accouchement est
aisé ; l'enfant présente une double circulaire d'un cordon grêle. Le
placenta pèse 450 g. L'enfant crie aussitôt après la désobstruction.
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Examen de l'enfant
A l'entrée dans le Service des Prématurés, l'enfant, de sexe
féminin, pèse 1.660 g. Les troubles de l'hématose sont évidents : la
cyanose, très marquée, est généralisée et prédomine aux extrémités qui
sont littéralement bleues ; la dyspnée régulière, de rythme lent,
s'accompagne d'un fort tirage sous-sternal qui réalise un profond entonnoir ;
les muscles respirateurs accessoires font saillie à chaque inspiration.
De multiples malformations attirent d'emblée l'attention :
1° Au niveau de l'extrémité céphalique
a) un bec-de-lièvre complet à droite ; b) une obliquité
mongoloïde des deux fentes palpébrales ; c) une brièveté anormale du cou,
accompagnée de pterygium colli plus marqué à droite ; d) des anomalies des
deux oreilles externes : plantation basse, lobules attachés, absence des deux
tragus et de la partie antérieure des deux hélix, direction générale des
pavillons, non pas verticale, mais oblique en bas et en avant ; e) hypo- et
rétrognatisme, avec saillie occipitale accentuée.
2° Sur le reste du corps
a) brièveté du thorax ; b) étroitesse du bassin : petit pelvis
; c) position anormale du membre inférieur gauche en légère adduction et
rotation interne. L'examen clinique (signe d'Ortolan) et le cliché
radiographique révéleront qu'il s'agit d'une luxation congénitale de la
hanche gauche ; d) au niveau des mains, la flexion bilatérale du deuxième
doigt sur le troisième ; e) au niveau des pieds, l'étroitesse des deux pieds
et une légère extension permanente des gros orteils.
3° L'examen des viscères ne révèle rien d'anormal au niveau
des poumons, ni de la rate. Le foie déborde de deux travers de doigt. Le coeur
est régulier, assez lent (104).
L'on constate un rythme anormal avec bruit de galop. Les jours
suivants, apparaîtra un souffle systolique mésocardique.
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Evolution
Les signes de défaillance cardiaque se précisent : la cyanose
persiste, la respiration devient rapide et irrégulière, une toux moniliforme
apparaît. Le coeur est irrégulier, des râles fins sont entendus aux deux
bases pulmonaires. En dépit d'une thérapeutique tonicardiaque, l'enfant meurt
asystolique, le 25 mai, à l'âge de dix jours.
L'autopsie montre: au niveau du thorax, une hépatisation des deux
bases pulmonaires ; dans la cavité abdominale, la rate et les reins sont
normaux. Le foie est d'aspect muscade. Il existe deux trompes et deux ovaires
d'apparence normale. On constate un diverticule de Meckel.
Examen du coeur (professeur agrégé Nézeloff). - La dissection du
coeur montre une dilatation + + de l'oreillette droite et du ventricule droit,
une large communication interventriculaire (absence de septum fibreux). Pas de
communication interauriculaire, un sinus veineux dilaté béant.
L'étude histologique de ces différents prélèvements ne montre
aucune anomalie.
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Analyse chromosomique
Une biopsie de fascia lata, cultivée selon la technique habituelle
[Lejeune, Turpin, Gautier (1960)] a permis le diagnostic de l'affection.
Cinquante cellules ont été analy-sées, révélant la présence de 47
chromosomes. Par ailleurs, l'établissement de six caryo-types a permis
d'identifier le chromosome surnuméraire comme étant un élément du type
17.
Les deux paires 17 et 18 présentent une morphologie assez comparable,
mais le chromosome 17 est un peu plus grand que le 18, et la position de son
centromère est un peu moins distale.
Ces différences sont faibles, mais l'étude de mitoses très claires
et non colchicinées permet d'aboutir à des conclusions définitives: il existe
deux chromosomes du type 18 et trois du type 17 (fig. 1).
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Maladie de la trisomie 17
A l'aide des vingt-deux cas déjà publiés et de l'actuelle
observation, il est possible d'établir une description clinique simple, basée
sur le tableau de fréquence des diverses anomalies (tableau I).
Cette observation constitue le 23e cas publié de trisomie du groupe
16, 17, 18. L'étude de ces publications permet d'établir, à titre provisoire,
un tableau clinique de l'affection.
Parmi les caractères habituellement observés, signalons : en premier
lieu l'hypotrophie, signalée dans 21 cas sur 22. Notre malade possédait bien
ce critère, puiqu'après une grossesse de 40 semaines, le poids de naissance
était de 1.660 g. : elle était donc une grande débile. Les malformations et
défauts d'implantation des oreilles sont signalés dans tous les cas (23 sur
23). Deux anomalies sont presque constantes: le menton en retrait, avec
atrophie mandibulaire (22 sur 22) et la position anormale des doigts, les
deuxième et cinquième fléchis par-dessus le troisième et quatrième (21 sur
23). L'allongercent antéro-postérieur du crâne, avec occiput proéminent,
est noté 18 fois sur 23. Le thorax court, l'hyperflexion. du 1er orteil, le
petit pelvis, ainsi que le ptérygium coli, l'étroitesse et l'obliquité des
fentes palpébrales sont des malformations moins constantes, mais
caractéristiques, et qui servent à préciser le diagnostic.
Enfin, la débilité mentale aurait été observée 22 fois sur 22.
Notons que, dans la plupart des cas, les retards de développement sont
difficiles à apprécier. En effet, presque tous ces sujets meurent, du fait de
leur cardiopathie, dans les premières semaines ou les premiers trois ; un seul
a dépassé un an.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble morphologique est extrêmement typique,
et l'on peut dire que les trisomiques 16, 17 et 18 se ressemblent entre eux
aussi singulièrement que les trisomiques 21 (mongoliens).
Un dernier détail, la fréquence très grande des arches sur les
empreintes digitales [Uchida (1962)], est un appoint utile au diagnostic.
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Conditions d'apparition
Un trait commun de cette trisomie 17 avec la trisomie 21 est l'effet
flagrant de l'âge de la mère. Sur les 23 mères connues, l'âge moyen est de
34,2 ans ± 7,3. L'erreur standard de cette moyenne étant de 1,5, il est
évident que cet âge moyen 34,2 ± 1,5 diffère très largement et très
significativement de la moyenne d'âge des mères d'enfants normaux (entre 26
et 27 ans dans les populations européennes et nord-africaines).
Une deuxième remarque concerne le sexe des enfants atteints. La
prépondérance des filles, déjà notée par Ferguson Smith (1962), est énorme
: sur les 23 cas de la littérature, le nôtre y compris, on dénombre 5 ?et
18 ?(2 = 7,2 pour un degré de liberté). Un tel excès ne peut être dû au
hasard, mais ne correspond nullement aux observations faites dans la trisomie
21. L'hypothèse d'une surmortalité mâle in utero ne peut évidemment pas
être exclue, mais il n'est pas actuellement possible d'apporter une
explication précise de ce phénomène.
Enfin, deux cas d'association à une autre anomalie chromosomique sont
connus, trisomie 17 et 30 [Uchida et Bawman (1961)], et trisomie 17 + trisomie
21 [(Gagnon et Katyk-Longtin (1961)].
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Conclusions
Il nous a semblé intéressant d'attirer l'attention des pédiatres
sur ce syndrome de la trisomie 17, en raison des possibilités réelles de
diagnostic clinique dès la naissance.
Il est ainsi réconfortant de voir que l'individualisation de nouveaux
syndromes, grâce à l'analyse chromosomique, permet au pédiatre averti de
reconnaître des formes cliniques nouvelles et bien identifiables, autrefois
méconnues et vaguement dénommées sous l'étiquette " malformation
congénitale " ou " prématurité ".
Tableau I. - Principaux symptômes de la trisomie 17, classés
par ordre de fréquence, d'après les observations de: Edwards et coll. 1960 (1
cas) Smith et coll. 1961 (7 cas), German et coll. 1962 (2 cas), Van Wijck et
coll. 1961 (1 cas), Crawfurd 1961 (1 cas), Uchida 1961 (6 cas), Voorhess et
coll. 1962 (4 cas), et la présente observation.
Malformations visibles | Malformations internes et
anomalies fonctionnelles |
Oreilles malformées et implantées bas : 23/23 ; Menton en
retrait, mandibule petite : 22/22 ; Flexion des doigts et clinodactylie du II
et du V, recouvrant respectivement le III et le IV : 21/23 ; Allongement
antéro-postérieur du crâne et occiput proéminent : 18/23 ; Thorax court et
sternum court : 16/21 ; Hyperflexion 1er orteil avec ou sans pied bot :
14/16 | Hypotrophie : 21/22 ; Débilité mentale : 22/22 ; Hypertonicité
: 16/19 ; Cardiopathie congénitale : 16/21 dont : Cardiopathie
intraventriculaire : 16/21 ; Cardiopathie intraauriculaire : 3/19 ; Canal
artériel : 10/19 ; Malformations rénales : 10/20 ; Malformations rénales :
10/20 |
Enfin, l'atrésie du pelvis (7/16), les hernies (13/21), le pterygium
colli (7/22), le diverticule de Meckel (8/18), l'étroitesse des fentes
palpébrales (6/23) complètent le tableau clinique.
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