Dans le cadre des recherches poursuivies depuis dis ans, le, Pr
Raymond TURPIN et le Dr Jérôme LEJEUNE ont entrepris l'étude des chromosomes
humains.
Ils découvrirent en 1959 Le premier exemple d'anomalie de nombre chez
des sujets atteints de mongolisme, et le premier exemple d'anomalie de
structure chez un enfant débile et malformé.
Ces images et leurs commentaires sont extraits du film que les auteurs
ont réalisé à l'Institut de Progénèse de la Faculté de Médecine de
Paris.
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Aberrations chromosomiques et maladies
humaines
Le tableau clinique du mongolisme est depuis longtemps connu. Cette
maladie mentale est caractérisée par une arriération mentale plus ou moins
profonde et par une morphologie très évocatrice.
Le crâne est petit et sphérique, la nuque large et plate ; les
oreilles sont mal ourlées. Les traits du visage ne sont qu'ébauchés et la
mimique est pauvre.
Les fentes palpébrales sont étroites et obliques en haut et en
dehors ; un pli cutané, l'épicanthus, arrondit leur angle interne. Les
paupières sont souvent le siège de blépharites.
Le strabisme, le nystagmus, sont fréquents.
La langue est souvent fissurée, plicaturée.
Les mains sont courtes et trapues, les anomalies des crêtes
épidermiques et des plis palmaires (présence d'un seul palmaire au lieu de
deux) constituent en général un ensemble très caractéristique.
La palmature des deuxième et troisième orteils est fréquente.
L'hyperlaxité ligamentaire est très marquée.
A ces troubles organiques s'ajoutent souvent des malformations graves,
notamment cardiaques.
Leur croissance achevée, ces sujets sont de petite taille et
corpulents, satisfaits et sociales.
Ce sont de grands débiles mentaux dont le quotient intellectuel ne
dépasse pas 0,50.
Tous ces signes sont décelables dès la naissance et permettent
d'établir, un diagnostic précoce.
L'un des plus flagrants est l'hypotonie musculaire jointe à l'hyperlaxité ligamentaire.
L'origine de cette curieuse maladie a été élucidée par la
découverte dans le laboratoire de l'Institut de Progenèse, d'une anomalie
chromosomique caractéristique expliquant les conditions de son apparition.
On sait qu'une espèce est caractérisée par le nombre et la forme de
ses chromosomes.
Les cellules de la mouche Drosophila melanogaster comportent quatre
paires de chromosomes, celle de Vicia faba, sept paires de chromosomes, celles
de la souris, vingt paires ; l'homme : vingt--trois paires.
Mais il n'est pas facile de trouver quand on le veut une cellule en
cours de division. Quand on l'a trouvée, la cellule est souvent coupée par le
microtome et les chromosomes altérés. En outre, placés dans différents
plans, ils se superposent et, de ce fait, sont difficiles à individualiser.
C'est grâce à la culture de tissus imaginée par Alexis Carrel, que ces
difficultés ont pu être surmontées.
Cette culture doit être pratiquée en asepsie complète.
Un morceau de tissu conjonctif, prélevé stérilement par biopsie,
est découpé en petite fragments de 2 mm de côté. Trois de ces fragments
sont déposés sur une lamelle microscopique, préalablement enduite de plasma
de coq, et placés dans un tube à essais comportant une portion aplatie.
L'addition d'une goutte d'extrait d'embryon de poulet coagule le plasma, et
fixe le fragment sur le verre. Du liquide nutritif, composé de sérum humain,
de solution de Hanks et d'extrait embryonnaire est ensuite ajouté. Les tubes
hermétiquement bouchés sont mis à l'étuve à 37°. Le développement des
cultures est observé périodiquement.
Au bout de quatre à six jours, une couronne de cellules en pleine
activité s'étend autour de l'expiant. Les explants sont alors retirés à la
pipette, en prenant soin de ne pas arracher la couronne de cellules qui les
entoure. Celles-ci continuent à croître pendant un nouveau séjour en étuve,
et cette croissance entraîne une acidification du milieu, qui vire au
jaune.
Le milieu est alors ramené à la neutralité par adjonction de liquide
de Hanks et de 2 à 3 gouttes d'extrait embryonnaire.
Cette adjonction a pour effet de favoriser une multiplication
cellulaire intense, au cours d'un nouveau séjour en étuve. Seize heures plus
tard, cet effet est maximum. la lamelle est retirée du tube et plongée dans
une solution hypotonique, ce qui entraîne un gonflement des cellules et la
dispersion des chromosomes.
Les préparations sont alors transférées dans un bain de fixation,
puis séchées à l'air libre pour aplatir les préparations et permettre la
répartition sur un même plan de tous tes chromosomes d'un noyau.
La cellule peut être facilement photographiée et nous voyons que les
chromosomes sont bien étalés.
Il est possible de classer ces chromosomes en fonction de leur
longueur, d'une part et d'autre part en fonction de la position du centromères
(fig. 1), élément par lequel deux chromosomes fils sont encore accolés,
alors que les bras sont déjà nettement séparés.
Cette classification se fait en découpant la première photographie
et en assemblant les chromosomes par paires.
Une nomenclature internationale a été ainsi établie qui permet de
constituer le caryotype d'un individu. Nous trouvons ainsi :
- Un premier groupe de 5 grandes paires (1 à 5).
- Un second groupe de 7 paires moyennes à centromère submédian (6 à 12).
- Un troisième groupe de 3 paires à centromère presque terminal (13,
14, 15).
- Le quatrième groupe comprend 3 petites paires à centromère
submédian (16, 17, 18).
- Le cinquième groupe, 2 petites paires à centromère quasi médian
(19, 20).
- Un sixième groupe de 2 petites paires à centromère quasi terminal
(21, 22). L'une présente des petits satellites hétérochromatiques. C'est la
paire " 21 " de la classification internationale, dont nous verrous glus loin
l'importance. En plus de ces 22 paires de chromosomes non sexuels composées
chacune d'un chromosome paternel et de son équivalent maternel, on trouve 2
chromosomes sexuels : " X " chromosomes de taille moyenne à centromère
paramédian ; " Y " petit chromosome à centromère quasi terminal.
L'équipement chromosomique de, l'homme normal comporte un " X " et un
" Y " celui de la femme normale, deux " X " et pas d'" Y ".
 Figure 1.
 Fig. 2. -
Mongolisme (garçon) 47 chromosomes (44A, XY + 2. Trisomie 21).
 Figure 3.
 Figure 4.
 Fig. 5. - Syndrome deTurner 45
chromosomes (44A + X).
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Les anomalies du nombre
Les anomalies du nombre constituant le premier groupe des aberrations
chromosomiques humaines :
le mongolisme en est l'exemple le plus typique (fig. 2). Il est
caractérisé par la présence d'un petit chromosome 21, supplémentaire,
reconnaissable à ses satellites portés par des petits bras
hétérochromatiques. On pense que c'est au cours de la mitose réductionnelle,
qui préside à la formation des cellules reproductrices ou gamètes, que cet
accident se produirait.
Après une nouvelle mitose il existe deux types de gamètes : l'un
auquel manque un chromosome, l'autre qui le possède en double exemplaire.
Ce dernier gamète fécondé par un spermatozoïde normal devient la
première cellule de l'individu. Elle possède trois exemplaires du même
chromosome (fig. 3 et 4).
Cet accident est lié au mécanisme de la division cellulaire.
L'observation en microcinématographie accélérée d'une cellule végétale en
métaphase, montre la complexité de ce mécanisme et l'importance du risque de
non-disjonction.
La séparation des bras étant achevée, chaque chromosome fils est
guidé par son centromère vers la cellule fille à laquelle il est destiné
(fig. 3).
Mais il arrive que deux chromosomes fils, au lieu de se séparer,
partent vers le même pôle, c'est-à -dire vers la même cellule fille.
Au cours des multiplications cellulaires successives, cette anomalie
est transmise à toutes les cellules de l'individu. Il en résulte un surdosage
génique, et probablement enzymatique qui, affectant le métabolisme
cellulaire, serait responsable des anomalies mentales et corporelles.
Depuis la découverte de la trisomie " 21 " du mongolisme, on a
constaté que de tels accidents de non-disjonction peuvent porter sur d'autres
autosomes.
Par exemple, la trisomie " 17 ", observée par Edwards en 1960, donne
de graves déformations congénitales, notamment du crâne, des mains et du
coeur.
Ou encore. la trisomie observée par Patau, intéressant une paire du
groupe " 13 ", " 14 ", " 15 ", et caractérisée par des anomalies multiples de
la face, des mains, des pieds et du coeur.
Par ailleurs, la non-disjonction peut porter sur les chromosomes
sexuels, ce qui donne les classiques dysgénésies gonadiques.
Ainsi que l'a montré Ford, certains sujets ne possèdent qu'un seul
chromosome " X ". C'est une variété du syndrome de Turner. Il s'agit de
femmes de petite taille n'ayant aucun développement mammaire, et présentant
une pilosité sexuelle restreinte, les ovaires sont aplasiques ou inexistants
et ces malades ne sont jamais réglées spontanément. Elles sont souvent
affectées de diverses malformations, telles le Pterigium coli ou palmature du
cou, le rétrécissement de l'aorte, les malformations rénales.
Dans une variété de syndrome de Klinefelter, P. Jacobs a montré que
les sujets possèdent un " Y " comme l'homme normal et deux " X " comme la
femme.
Il s'agit d'hommes souvent longilignes. Cependant, le type eunuchoïde
se rencontre aussi.
La gynécomastie vraie est fréquente mais non constante. Certains ont
une morphologie presque normale, mais dans tous les cas, alors que la verge est
bien développée, les testicules sont extrêmement petits. Ces sujets sont
azoospermiques, donc stériles.
 Figure 6. - Syndrome de
Klinefetter 47 chromosomes (44 A + XXY).
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Les anomalies de structure
Les anomalies de structure constituent le deuxième groupe des
aberrations chromosomiques humaines.
Elles se ramènent toutes en pratique à une " translocation ", c'est-à -dire au transport de tout ou partie d'un chromosome sur un autre, le plus
souvent par le processus dit de " fusion centromérique ". A l'occasion de
cette fusion, les bras hétérochromatiques se détachent, ce qui semble être
sans conséquence (fig. 7 et 7 bis).
Mais parfois, la recombinaison se fait à distance du centromère. Il
en résulte une perte de gènes qui entraîne des malformations congénitales
d'autant plus graves que le segment éliminé est plus important (fig. 8 et 8
bis).
Le premier exemple, observé dans notre laboratoire, concernait un cas
de " translocation " du chromosome " 22 " sur le " 13 " accompagnée
probablement d'une légère perte de substance. L'enfant qui en était porteur
présentait un état dénommé " polydysspondylie " caractérisé par de
multiples malformations de la colonne vertébrale avec retard staturo-pondéral
et léger déficit mental.
Dans d'autres cas, la translocation n'entraîne pas de perte de
substance, et l'anomalie de structure n'a pas de conséquence pour celui qui la
porte, bien qu'il lui manque apparemment un chromosome.
Mais plus tard, lors de la formation des cellules sexuelles, ce
chromosome mixte, un 21-13 par exemple, se retrouve dans 50 % des cellules
(fig. 9).
Le chromosome libre " 21 " peut aller à l'autre pôle. On a alors deux
gamètes équilibrés, l'un tout à fait normal, l'autre porteur de la
translocation (fig. 9 B).
Parfois, le chromosome libre va au même pôle que le chromosome
mixte. Il en résulte deux gamètes anormaux : l'un n'ayant pas de chromosome "
21 ", l'autre en ayant deux (fig. 9 C).
Si ce gamète est fécondé par un spermatozoïde normal, le nombre de
46 chromosomes sera apparemment rétabli, mais l'individu sera en fait porteur
d'une trisomie dissimulée (fig. 10). C'est le cas exceptionnel des mongoliens
à 46 chromosomes, le " 21 " supplémentaire étant attaché soit à un
télocentrique " 13 ", " 14 " ou " 15 ", soit à un des deux autres " 21 ". Ces
sujets présenteront toutes les caractéristiques du mongolien classique à 47
chromosomes. Ainsi, une simple erreur de répartition des chromosomes " 21 "
peut condamner un enfant à l'idiotie mongolienne.
 Fig.
7.
 Fig. 7 bis.
 Fig. 8.
 Fig.8 bis.
 Fig. 9.
 Fig. 10.
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