Le syndrome de délétion partielle du bras court du chromosome 5 est
de connaissance récente. Les trois premières observations ont fait l'objet
d'une Note à l'Académie des Sciences de Paris le 13 novembre 1963 (9).
Le Professeur J. A. Böök (Uppsala) nous a communiqué les données
préliminaires d'un quatrième cas qui, depuis, ont été mentionnées dans une
publication (1).
L'observation présentée ici est, par ordre chronologique, la
cinquième. Ses particularités séméiologiques et anatomiques justifient sa
présentation.
Une sixième observation est rapportée par jean de Grouchy et coll.
(5) dans le même numéro des Annales.
Au total, six cas de ce syndrome qui constitue, croyons-nous, une
entité nosographique nouvelle, sont actuellement connus.
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ObservationHaut
Obs. (Institut de Progénèse n° 968).
Enfant de sexe féminin, née le 6 février 1962. La grossesse s'est
déroulée normalement, sans maladie infectieuse (notamment pas de rubéole),
sans thérapeutique hormonale ni application de R.X.
L'accouchement, par présentation céphalique, s'est produit sans
incidents au terme de 40 semaines. Le poids de naissance était 2.400 g.
Il s'agit d'une première grossesse. Le père est âgé de 26 ans,
la mère de 26 ans. La grand-mère du père était soeur de la grand-mère
maternelle de l'enfant. Les parents sont donc liés par cinq chaînons de
parenté.
Au haut de quelques jours, la cyanose s'installe, révélant une
cardiopathie complexe et sévère. L'enfant est hospitalisé dans le Servile du
Dr Nouaille. Il est alors âgé de un mois, pèse 2.800 g et mesure 47 cm.
a) On est d'emblée frappé par une morphologie crânio-faciale
inhabituelle : microcéphalie, visage " rond ", hypertélorisme, obliquité des
fentes palpébrales en bas et en dehors, épicanthus, strabisme, implantation
relativement basse des oreilles, aplatissement de la racine du nez (fig. V
couleurs). Le cri est éteint et plaintif comme celui d'une " petite bête
".
b) La cardiopathie cyanogène est caractérisée par l'existence
d'un souffle systolique (SS) latéro-sternal à maximum bas-situé. Le 2e bruit
n'est pas perçu au foyer pulmonaire. La diastole est libre. Les pouls sont
bien perçus. A l'écran radioscopique, le coeur est de volume normal, mais
déporté à droite. La pointe est en avant et plus haute que normalement ;
l'arc moyen très creux ; l'arc aortique large. Les poumons sont très
clairs.
Électrocardiogramme : axe électrique : 120° ; ondes P
négatives en D1 ; ondes Q en dérivations précordiales droites. Surcharge
droite importante.
Une cinéangiocardiographie par voie veineuse est faite le 15
novembre 1962, Le départ de l'aorte est un peu anormal et semble ensuite
passer à gauche de la trachée. L'aorte et l'artère pulmonaire s'injectent à peu près simultanément. L'artère pulmonaire est de petite taille.
La polyglobulie s'accentue : 6.500.000, puis 8.200.000 globules
rouges, avec érythroblastose (26 %).
La constatation, à plusieurs reprises, de corps de Jolly,
associée à l'érythroblastose et à la position anormale du coeur (sans
évidence d'inversion viscérale) font suspecter un syndrome d'Ivemark.
Le 26.11.1962, l'enfant étant âgée de 9 mois et demi,
s'installe brutalement un coma avec hémiplégie droite, puis gauche. Elle ne
mène plus alors qu'une vie végétative jusqu'à sa mort, le 2.1.1964, au cours
d'un épisode de surinfection pulmonaire.
c) Dès les premières semaines de la vie, il était apparu que le
développement psycho-moteur ne se faisait pas normalement : sourire tardif et
rare, aucune acquisition motrice dans le premier semestre avant même la
survenue de l'accident cérébral.
Le développement corporel était également très ralenti. A un
mois, le poids est 2.800 g et la taille 47 cm ; à cinq mois, 4.540 g et 60 cm ;
à 12 mois, 5.500 g à 23 mois, 7.560 g.
La microcéphalie est nette : à un an, le périmètre crânien est
39 cm.
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Dermatoglyphes (fig 1 et 2).Haut
Main droite :
Paume : Le pli de flexion supérieur est strictement transversal et
rejoint le pli de flexion moyen au niveau du bord radial de la paume
(équivalent du pli palmaire transverse). Le triradius axial est en position
normale.
Doigts : La disposition des arêtes sur les pulpes digitales est la
suivante : boucles cubitales sur les trois premiers doigts, tourbillons sur les
deux derniers.
 Fig. 1 et 2. - Dermatoglyphes
Haut
Main gauche :
Paume : Pli palmaire transverse unique. Triradius axial en t'.
Doigts : Pouce : boucle cubitale ; index et médius : raquettes
radiales ; index, 4e et 5e doigts : tourbillons.
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Analyse chromosomique (Fig. 3 et 4)
Une culture de sang, par une technique utilisant quelques gouttes de
sang périphérique, révèle une anomalie strictement semblable à celle des 4
cas antérieurs. Caryotype à 46 chromosomes avec formule sexuelle XX normale,
comportant au lieu et place de l'un des éléments du groupe (4-5) un
chromosome à bras court partiellement amputé. Cet élément est retrouvé dans
les 12 cellules analysées.
Le caryotype des parents n'a pu encore être établi.
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Autopsie
Les données anatomiques confirment le syndrome d'Ivemark et
révèlent des malformations viscérales insoupçonnées.
1) Le coeur
Le sillon interventriculaire est difficile à reconnaître. La
pointe du coeur est en avant.
L'aorte part du ventricule antérieur et est en position de
transposition. Sa circonférence est de 30 mm.
L'artère pulmonaire se trouve derrière l'aorte. Elle est petite
(circonférence : 20 mm). Ses branches sont grêles (circonf : 8 mm), mais
perméables. Il existe une sténose pulmonaire orificielle (diam. : 2 mm
environ), en " museau de tanche ", perméable.
L'auricule gauche vient occuper la région de l'arc moyen et
reçoit une veine cave supérieure gauche.
Les veines caves débouchent, normalement, dans l'oreillette
droite.
La cloison inter-auriculaire est percée de nombreux orifices dans
sa partie antéro-supérieure.
Persistance d'un canal atrio-ventriculaire.
Les valvules auriculo-ventriculaires sont assez bien formées et
se réunissent en pont sur le septum haut de 10 mm.
Les veines pulmonaires aboutissent à l'oreillette gauche.
L'aorte et l'artère pulmonaire partent du ventricule droit.
Il existe une sténose infundibulaire relative.
On ne retrouve qu'un seul orifice coronaire.
2) Absence de rate.
3) Absence de rein droit. Le pôle inférieur du rein gauche est
volumineux et empiète sur la ligne médiane, ébauchant un rein en " fer à cheval ".
4) Mésentère commun avec pancréas mobile.
5) Hémisphère cérébelleux gauche très petit.
 Fig. 3. - Culture de sang périphérique. Cellule dispersée.
 Fig. 4. - Culture de sang
périphérique. Caryotype.
La comparaison des six observations connues permet d'attribuer au
syndrome de la délétion partielle du bras court du chromosome 5 les
caractéristiques suivantes.
1) Dysmorphie crânio-faciale : microcéphalie importante. Visage
arrondi, " lunaire ". Hypertélorisme avec obliquité des fentes palpébrales
en bas et en dehors. Epicanthus. Implantation basse du pavillon des oreilles
dont la forme est sensiblement normale (planche en couleurs - fig. I à VI).
2) Débilité mentale profonde associée à une hypotrophie
pondéro-staturale.
3) Consonance particulière du cri simulant par son timbre aigu et
sa tonalité plaintive le miaulement du chat.
4) Anomalies dermatoglyphiques : pli palmaire transverse (ou son
équivalent) uni ou bilatéral. Triradius axial en position t'.
5) Délétion de la moitié (environ) de la longueur du bras court
d'un des chromosomes du groupe (4-5) . Bien qu'il soit très difficile
d'individualiser les paires 4 et 5, il semble que le chromosome porteur de la
délétion soit l'homologue du 5 normal. Les deux autres chromosomes,
correctement appariés, semblent, en effet, appartenir à la paire 4.
Cette observation possède l'ensemble des caractéristiques cliniques,
dermatoglyphiques et cytogénétiques ci-dessus décrites et communes aux six
observations. Le syndrome semble encore devoir attirer l'attention par les
constatations suivantes :
- la prépondérance féminine (5 filles, 1 garçon) ;
- le faible poids de naissance contrastant avec la durée
habituellement normale de la grossesse ;
- la variabilité du rang de naissance et de l'âge des procréateurs
;
- l'abaissement de l'indice de segmentation nucléaire dans les trois
cas où il a été mesuré (9) .
Elle se distingue cependant par les particularités suivantes :
a) la consanguinité des parents qui sont unis par cinq chaînons de
parenté.
b) La cardiopathie cyanogène complexe avec asplénie réalisant un
syndrome d'Ivemark. Il ne semble pas exister de relation de causalités directe
ou constante entre ce syndrome d'Ivemark et la délétion chromosomique. Le
caryotype d'une enfant porteur de cette cardiopathie mais ne présentant pas
les stigmates du présent syndrome s'est révélé normal (Institut de
Progénèse, n° 386).
c) Les malformations viscérales découvertes à l'autopsie notamment
mésentériques et rénales. Cette dernière ne semble pas exister dans les cas
1 et 2 (9) chez lesquels l'urographie est normale.
d) L'évolution rapidement fatale est à mettre sur le compte de la
cardiopathie cyanogène et de la complication cérébrale qu'elle a
entraînée. L'affection ne paraît pas avoir un retentissement aussi fâcheux
chez les cinq autres enfants dont le coeur semble cliniquement indemne. Mais
tous sont de grands oligophrènes très hypotrophiques.
L'individualité clinique de ce syndrome morbide tient plus au
groupement des signes qui le composent qu'à l'originalité de chacun d'eux.
C'est ainsi que considéré isolément l'un des élément de la
dysmorphie crânio-faciale pourrait faire évoquer ce que David M. Greig a
décrit sous le nom de " Ocular hypertelorism " (3). Cet auteur rapporte
l'observation de deux jeunes filles décédées de tuberculose à 22 et 17 ans.
Il s'agit de débiles mentales ayant un écart considérable des orbites (bien
plus important, sur la foi des photographies, que dans le présent syndrome),
sans obliquité des fentes palpébrales ni épicanthus et sans hypotrophie
corporelle. L'étude anatomique minutieuse de ces deux cas permet d'incriminer
une conformation particulière et congénitale du sphénoïde (petitesse des
petites ailes, taille disproportionnée des grandes ailes). Mais ce symptôme
anatomique est commun à divers états morbides et ne peut être, qu'il soit ou
non associé à l'oligophrénie (comme il en a été rapporté d'autres
observations), considéré, à lui seul, comme une entité autonome.
Les six enfants ont frappé les divers observateurs par les
particularités du cri rappelant le miaulement. Cependant, le caractère
subjectif de ce symptôme en rend l'appréciation délicate. Le mécanisme
responsable n'a pu être décelé. Il faut remarquer cependant l'existence
d'anomalies laryngées intéressant l'étage sus-glottique chez 2 enfants (obs.
1 et 2) et la petitesse du larynx, retrouvée à l'âge de 3 ans, chez un autre
(obs. 6).
La concordance de ces caractères dysmorphiques chez les six enfants,
jointe à la remarquable identité morphologique de l'aberration chromosomique,
fait envisager l'hypothèse d'une relation de causalité entre la délétion
partielle du bras court d'un chromosome 5 et l'anomalie constitutionnelle dont
sont affectés ces malades.
En dehors des minimes pertes de matériel génique accompagnant
certaines translocations les délétions chromosomiques semblent, en général,
léthales dans notre espèce.
Une lésion chromosomique tout à fait comparable a été mentionnée
par K. Hirshhorn et H. L. Cooper (7) chez un enfant ayant un défaut central du
scalp, un colobome de l'iris droit, une absence du septum pellicidum, une
fissure du voile du palais et un hypospadias.
Il est actuellement difficile de savoir si ce cas rentre dans le cadre
du syndrome décrit ci-dessus ou s'il faudra le considérer comme une anomalie
intéressant un autre chromosome, le 4 par exemple.
Deux cas sont connus concernant l'absence totale du bras court d'un
chromosome 18. Le premier chez un enfant oligophrène malformé [de Grouchy et
coll. (4)] ; le deuxième chez un enfant hypothyroïdien sans malformations
apparentes [Bühler et coll. (2)].
Une translocation balancée (4-5) ~ (21-22) réalisant un élément
très comparable à celui décrit ici a été observé par Gustavson et coll.
(6) chez une mère et son fils. Ce dernier plurimalformé présentait une
trisomie pour le fragment transloqué.
L'origine de cette délétion partielle du bras court du chromosome 5
pourrait se concevoir de deux façons :
- soit une cassure préférentielle au niveau d'un point faible qui
pourrait être représenté par la constriction secondaire fréquemment
observée sur le bras court du chromosome (4-5) ;
- soit une cassure au hasard réalisant divers types de délétion
dont seules pourraient être observées celles qui n'intéressent que certains
gênes non strictement indispensables.
Ces deux modes de production rendraient compte également de
l'identité morphologique des lésions observées.
L'étude, en l'espace de six mois, de cinq cas de délétion partielle
du bras court du chromosome 5, cliniquement et cytologiquement identiques,
auxquels vient s'ajouter le cas de J. A. Böök et coll., laisse supposer qu'il
s'agit d'une entité nosographique moins exceptionnelle que ne pourrait le
faire penser sa découverte tardive.
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Sumario
Los autores reportan una nueva observacion de un sindrome descrito con
anterioridad y caracterizado por la asociación de los sintomas siguientes
:
Dismorfia craneo-facial con una particularidad fonética que semeja a
un " maullido ". Oligofrenia profunda e hipotrofia estaturo-ponderal. Anomalià s dermatoglificas.
Este sindrome está caracterizado por una aberracion cromósomica
particular : deleción de la mitad del brazo corto del cromosoma 5.
Su individualidad nosográfica es discutida.
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Zusammenfassung
Die Verfasser berichten einen weiteren Fall eines zuvor beschriebenen
Syndroms, das folgendermassen charakterisiert ist :
Craniofaciale Dysmorphie mit einer phonetischen Eigentümlichkeit, die
an den Schrei einer Katze erinnert, schwere Oligophrenie, Dystrophie und
Minderwuchs, dermatoglyphische Anomalien.
Das Syndrom beruht auf Biner Chromosomenanomalie, nämlich einer
Deletion der distalen Hälfte des kurzen Armes des Chromosoms 5.
Seine nosographische Individualität wird diskutiert.
 Fig. I - Obs 1.
 Fig.
II - Obs. 1.
 Fig. III -
Obs. 2.
 Fig. IV - Obs.
3.
 Fig. V. - Obs. 5
 Fig. VI - Obs. 6.
Haut
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