L'étude de trois cas rapportés dans une Note précédente (2), puis
l'analyse de six cas au total (3) nous a permis d'isoler un nouveau syndrome
constitutionnel caractérisé par la perte d'une partie du bras court du
chromosome 5.
L'étude de la famille d'un de ces cas (cas n° 3, I. P. n° 869) [(2),
(3)] permet maintenant d'affirmer que cette maladie est effectivement liée à la perte de ce matériel génétique, ce qui en fait le premier exemple de
monosomie autosomique démontrée dans l'espèce humaine. Dans cette même
fratrie, en effet, deux autres enfants sont atteints d'un état morbide inconnu
jusqu'à présent, et déterminé par la présence en triple exemplaire de ce
même fragment chromosomique.
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Observations. Famille I .P. n° 869.
La mère, II, 3, née en 1922, présente une double anomalie
chromosomique constante dans tous les caryotypes établis (sang périphérique
et peau) : un des chromosomes 5 présente un bras court amputé de la moitié
de sa longueur environ ; un des grands acrocentriques (13-15) montre un excès
de longueur du bras long, cet excès étant approximativement égal à la perte
de substance du chromosome 5. En raison du phénotype normal, l'hypothèse la
plus simple est celle d'une translocation partielle 5 ~ 13.
Le père, II, 2, né en 1918 a un phénotype et un caryotype
normaux.
De cette union ont résulté neuf grossesses : deux avortements
spontanés au troisième mois (III, 4 et III, 5) et sept enfants nés vivants
:
III, 1, garçon, né en 1945, décédé en 1947 de broncho-pneumonie.
Grande arriération mentale sans convulsions. La dysmorphie faciale et le
caractère du cri auraient été semblables à ceux de sa soeur III, 8. Il
pourrait avoir été atteint de la même anomalie que celle-ci (délétion
partielle du bras court du chromosome 5).
III, 2, garçon, né en 1946, décédé en 1947 de mastoïdite. Cet
enfant d'aspect normal présentait une palmature bilatérale des 2e et 3e
orteils. D'après l'observation hospitalière, il souffrait d'arriération
mentale profonde avec convulsions. Le cri aurait été normal.
III, 3, fille, née en 1947 à terme pesant 2500 g. Arriération
mentale profonde : à 16 ans et demi, bredouille quelques mots intelligibles
seulement pour l'entourage, ne fait pas de phrases, ne sait ni lire ni écrire,
ne comprend que quelques ordres très simples. L'habitus extérieur offre peu
de particularités notables : petite taille (144 cm), yeux petits sans
épicanthus, hypertélorisme (écart inter-pupillaire : 65 mm environ, nez
droit et long, oreilles de forme et de position normales. Les 5e orteils sont
implantés haut et recouvrent la base des 4e. Menstruations et caractères
sexuels secondaires normaux.
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Dermatoglyphes
Main gauche : a 4, b 5, c 7, d 9. Pelote en 7. Triradius axial t.
Boucle cubitale à chaque doigt : I, 4 crêtes; II, 2 crêtes, III, 1 crête ;
IV, 6 crêtes; V, 2 crêtes. Main droite : a 5, b 5, c 7, d 9. Pelote en 7.
Triradius axial t. Pelote et triradius accessoires en 9. Boucle cubitale à chaque doigt : I, 8 crêtes; II, 1 crête; III, 3 crêtes; IV, 5 crêtes ; V, 2
crêtes. Pied droit : présence de 4 boucles et de 7 triradius. Pied gauche : 3
boucles, 7 triradius.
 Fig. 1. - Arbre généalogique.
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Caryotype
Sur toutes les cellules (sang périphérique, les bras courts des
chromosomes 5 sont de taille normale ; un des grands acrocentriques (13-15)
présente un excès de longueur du bras long. Ce chromosome est semblable au
grand 13 de la mère. Cette enfant possède donc en triple exemplaire une
portion du bras court du chromosome 5.
III, 6, garçon, né en 1959, décédé en 1961 de déshydratation
aiguë par diarrhée. Son aspect et son développement intellectuel auraient
été absolument normaux.
III, 7, fille, née en 1960, de phénotype et caryotype normaux.
III, 8, fille, née en 1962, maladie du " Cri du chat " typique (cas
n° 3, I. P. n° 869) [(2), (3)] : dysmorphie faciale, grande arriération
mentale avec hypotrophie, " cri du chat ", anomalies dermatoglyphiques. La
délétion partielle du bras court du chromosome 5 réalise un élément
identique au chromosome 5 anormal de sa mère.
III, 9, fille, née en avril 1964, à terme, pesant 3 000 g. L'habitus
extérieur est celui d'un nouveau-né normal ; le cri est fort, sans
particularités.
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Explications de la figure.
 Fig.
2. - Caryotypes des sujets, II, 3 ; III,7 ; III, 8 et III, 9. Seules les paires
4-5 et 13-15 sont représentées.
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Dermatoglyphes
Main droite : a4, b7, c7, d9. Pelotes en 7 et en 9. Triradius axial t.
Triradius accessoire en 9. Boucle cubitale à chaque doigt : I, 8 crêtes ; II,
6 crêtes ; III, 5 crêtes ; IV, 8 crêtes ; V, 12 crêtes. Main gauche : a4,
b5, c9, d8. Deux pelotes et un triradius accessoire en 9 ; une pelote en 7.
Boucle cubitale à chaque doigt : I, 8 crêtes ; II, 7 crêtes ; III, 5 crêtes
; IV, 7 crêtes ; V, 6 crêtes.
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Caryotype (sang périphérique)
Aberration chromosomique identique à celle de sa soeur III, 3 :
trisomie pour la partie discale du bras court du chromosome 5.
III, 10, garçon né en 1949; III, 11, fille née en 1963 et leur
mère II, 4 n'ont pas été examinés ; leur développement somatique et
psychique serait normal.
La grand-mère maternelle I, 2 de ces deux fratries, née en 1900,
semble, d'après les photographies, avoir eu un développement somatique
normal. De 1927 à son décès, en 1941, elle a été internée dans un hôpital
psychiâtrique pour démence précoce avec affaiblissement global des fonctions
intellectuelles.
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Discussion
La ségrégation de cette translocation familiale apporte la preuve de
la monosomie dans la maladie du " Cri du chat ". Les trois caryotypes anormaux
observés dans cette famille correspondent chacun à un phénotype particulier
:
- monosomique, délétion du bras court du 5 : maladie du " Cri du
chat " (III, 8);
- diploïde, translocation balancée : phénotype normal (II, 3);
- trisomique, fragment transloqué sur le 13 : syndrome " réciproque
" (III, 3 et III, 9).
Cependant, les caryotypes normaux des parents des cas nos 2 et 6 (3)
précédemment étudiés permettent d'affirmer que la délétion du 5 peut
apparaître de novo.
Les similitudes dermatoglyphiques chez les deux trisomiques suggérant
l'existence d'un syndrome réciproque qui pourrait être comparable à celui
observé par K. H. Gustavson et coll. (1964) (4) dans un cas de translocation
4-5/21-22. L'individualisation de ce nouveau syndrome rend nécessaire
l'accumulation d'autres observations. La délétion du 5 et sa trisomie
réciproque seraient alors un équivalent humain des conditions haplo-IV et
triplo-IV de la drosophile.
Un tel système est particulièrement favorable à l'étude des
facteurs portés par le segment intéressé et sensibles à l'effet de dosage
génique.
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Bibliographie
(2) J. LEJEUNE, J. LAFOURCADE, R. BERGER, J. VIALATTE, M.
BOESWILLWALD, PH. SERINGE et R. TURPIN, Comptes rendus, 257, 1963, p. 3098.
(3) J. LEJEUNE, J. LAFOURCADE, J. DE GROUCHY, R. BERGER, M, GAUTIER,
CH. SALMON et R. TURPIN, Semaine des Hôpitaux de Paris, 40, 1964, p. 1069.
(4) K. H. GUSTAVSON, S. C. FINLEY, W. H. FINLEY et B. JALLING, Acta
paediatrica, Uppsala, 53, 1964 p. 172.
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(*) Séance du 1er juin 1964.
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