Avec le double critère de la dyschromatopsie et du groupe Xg,
l'origine paternelle de l'X d'un s. de Turner XO a été recherchée. Le
rapport de probabilité entre l'origine paternelle et l'origine maternelle du
chromosome X porté par le sujet XO est apparu certainement supérieur à 1000
contre 1.
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Observation
La proposante, aménorrhéique primaire âgée de 17 ans 6/12 pèse
43,800 kg et mesure 1,43 m. L'infantilisme génital externe, le
non-développement des caractères sexuels secondaires, la dysmorphie faciale,
le cubitus valgus, complètent cet aspect évocateur d'un s. de Turner.
L'élimination urinaire par 24 h de FSH est supérieure à 50 u. s. Le
corpuscule chromatinien étudié sur plus de 300 cellules buccales, est absent.
Le caryotype est 2 A XO vérifié sur 16 cellules (culture de sang). Un cycle
menstruel quasi normal est obtenu avec le di-éthylstilboetrol. Seize mois plus
tard on note un minime développement mammaire; un début de pilosité
axillaire; un accroissement de taille de 2,2 cm ; de poids de 2,600 kg.
Le père de la proposante étant aveugle aux couleurs, l'origine
paternelle ou maternelle de cette XO est recherchée par l'analyse de la
ségrégation familiale de deux caractères liés à l'X : la cécité aux
couleurs et le groupe sanguin Xg (1). Les résultats de cette analyse sont
très évocateurs d'une origine paternelle : l'XO et son père sont tous deux
protanopes (Professeur Guy Offret) et Xg (a-); le frère de ce dernier est
protanope lui aussi ; la mère, les deux frères et les deux soeurs de l'XO
sont tous Xg (a+) et indemnes de dyschromatopsie.
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Discussion
L'origine maternelle de l'X est bien établie actuellement chez des
sujets atteints de s. de Turner XO et sans évidence de mosaïcisme. L'origine
paternelle est moins souvent prouvée. Certains ont remarqué à ce propos que
la souris XO tenait son X de sa mère plutôt que de son père (2).
Avec le seul critère Xg, l'étude dans 56 familles du père, de la
mère et de l'enfant XO, a montré que l'origine de l'X de celui-ci était 20
fois maternelle (3), 1 fois paternelle et 35 fois non décelable.
Avec le double critère de la dyschromatopsie et du groupe Xg,
l'origine paternelle de l'X d'un s. de Turner est apparue très vraisemblable :
XO et son père deutéranopes et Xg (a-); mère Xg (a+), soeur et frère de
l'XO indemnes de cécité aux couleurs (4).
L'observation que nous rapportons se prête à une comparaison de
probabilité d'origine paternelle ou d'origine maternelle de l'X de l'XO :
L'origine paternelle [l'XO étant Xg (a-) et protanope comme son
père], conduirait dans tous les cas à la répartition observée : sujet XO de
phénotype [a-] et [p] et ses quatre frères et soeurs (germains) à caryotype
normal [a+] et [P].
L'origine maternelle, pour obtenir cette même répartition,
obligerait à supposer que la mère II3 est double hétérozygote Xg (a+ a-) et
Pp.
Si l'on suppose que la mère II3, est double hétérozygote il est
possible de calculer la probabilité d'obtenir la répartition observée : XO
[a-] et [p] et les quatre enfants [a+] et [P]. Le génotype d'une femme double
hétérozygote peut être soit en couplage (a + P)/(a - P), soit en répulsion
(a + p)/(a - P), ces deux combinaisons étant à priori également
probables.
Dans le cas de répulsion il faut, pour obtenir la répartition
observée, qu'une recombinaison se produise entre les locus de Xg et de P ;
chaque enfant possède alors une chance sur deux de recevoir le chromosome
recombiné correspondant à son phénotype. La probabilité d'une telle
répartition est alors 1/2 (x/2)5 si x est égal au pourcentage de
recombinaison.
Dans le cas de couplage, il faut qu'aucune recombinaison ne se
produise entre les locus Xg et P ; chaque enfant possède alors une chance sur
deux, de recevoir le chromosome non recombiné correspondant à son phénotype.
La probabilité d'une telle répartition familiale est alors (1/2) [(1 -
X)/2]5.
D'où, au total, une femme double hétérozygote pourrait donner la
répartition observée avec une probabilité de (1/2)6[x5 + (1 -
x)5].
On voit immédiatement que si le pourcentage de recombinaison est nul,
la probabilité devient (1/2) 6. Cette estimée est la plus forte
probabilité possible puisqu'une fréquence de recombinaison égale à 1/2
conduirait à (1/2)10.
On peut donc affirmer que l'origine maternelle du chromosome X de
l'XO, accompagnée de la répartition observée chez ses germains
correspondrait à une probabilité sûrement inférieure à 1/64 et très
certainement supérieure à 1/1024.
La valeur exacte de la fréquence de recombinaison entre les locus Xg
et P n'est pas exactement connue mais elle peut être estimée à environ 1/3
(5) ce qui correspondrait à une probabilité de 1/416.
Par ailleurs, aucun argument généalogique ne permettant d'établir
l'hétérozygotie du sujet II3, il devient logique d'estimer que la
probabilité qu'a cette personne d'être double hétérozygote est égale au
produit des probabilités élémentaires pour chacun des locus.
Parmi les femmes Xg (a+) on estime (3) que la fréquence des Xg (a +
a-) est d'environ 1/2.
D'après les données recueillies (6) on peut estimer à 0,124 la
fréquence des hétérozygotes Pp dans la population féminine.
On peut en déduire que la probabilité de double hétérozygotie
a+/a-, P/p sujet II3, est égale à 0,062.
En conclusion on est conduit au tableau suivant :
Probabilité de la répartition observée dans la
fratrie. | Origine paternelle de l'X du s. de Turner
considéré. | Origine maternelle de l'X du s. de Turner considéré |
1 | Pas de recombinaison entre les locus :
P = 0, 06 x 1/60, d'où # 1.10-3 |
Fréquence de recombinaison = 1/3 : P = 0, 06 x 1/416, d'où
# 1,4.10-4 |
Fréquence de recombinaison = 1/2 : P = 0, 06 x 1/1024, d'où
# 0, 6.10-4 |
En définitive le rapport de probabilité entre l'origine paternelle
et l'origine maternelle du chromosome X porté par le sujet XO peut être
considéré comme certainement supérieur à 1000 contre 1.
Si l'on suppose que le processus responsable est prézygotique, il
faut admettre qu'un spermatozoïde A + X a fécondé un ovule X-prive ; si l'on
suppose qu'un zygote XX a perdu un X, cet X serait maternel.

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Bibliographie
(1) Laboratoire de recherches des groupes sanguins du Lister Institute
de Londres (Dr R. R. Race, Directeur).
(2) W. J. WELSHONS et L. B. RUSSELL, Proc. nat. Acad. Sc., Washington,
45, 1959, p. 560.
(3) J. LINDSTEN, P. BOWEN, C. S. N. LEE, V. A. MCKUSIK, P. E. POLANI,
M. WINGATE, J. N. EDWARDS, J. HAMPER, P. TIPPETT, R. SANGER et R. R. RACE,
Lancet, i, 1963, p. 558.
(4) S. ALMQVIST, in J. LINDSTEN, The nature and origin of X chromosome
aberrations in Turner's syndrome. A cytogenetical and clinical study of 57
patients, Almqvist and Wiksells, Uppsala, 1963.
(5) A. ADAM, C. SHEBA, R. SANGER, R. R. RACE, P. TIPPETT, J. HAMPER,
J. GAVIN et O. J. FINNEY, Ann. Hum. Genet. Lond., 26, 1963, p. 187.
(6) G. H. M. WAALER, Acta Opht., 5, 1927, p. 309 et Z. menschl. Abst.
u. Vererbungslehre, 45, 1927, p. 279.
(7) Ce travail a été réalisé avec l'aide financière du
Commissariat à l'Energie atomique (contrat n° 6885 r) et du National Institute
of Health (contrat n° B 4322.)
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