L'existence de translocations, observées chez l'homme des 1959,
conduit à discuter de leur importance dans le déterminisme de nombreuses
maladies par anomalie chromosomique.
Les fusions centriques entre chromosomes acrocentriques sont, de
beaucoup, les plus fréquentes parmi les cas actuellement publiés. Il est
vraisemblable cependant, d'après ce que nous savons des populations sauvages
de drosophiles par exemple, que notre espèce est affligée d'un grand nombre
de remaniements de structure, indécelables avec les techniques actuelles mais
pouvant représenter un lourd fardeau génétique.
Très généralement, les remaniements de structure peuvent provoquer,
lors de la méiose trois types d'effets défavorables : la malségrégation des
éléments intéressés par le remaniement, la malségrégation d'autres
éléments, par effet interchromosomique, et, enfin, la production d'aneusomie
de recombinaison sans malségrégation.
La malségrégation des homologues intéressés par le remaniement est
bien connue maintenant chez l'homme (voir Lejeune, 1965, pour revue).
Par exemple, un sujet normal, porteur d'une fusion centrique
réalisant une translocation 21 ~ 15, est phénotypiquement normal puisqu'il
possède deux chromosomes 21, l'un libre, et l'autre transloqué sur un 15.
Une ségrégation méiotique normale conduit à deux types de gamètes
équilibrés : l'un porteur de 21 ~ 15, qui donnera un individu à 45
chromosomes, porteur de la translocation et normal, comme son progéniteur,
l'autre porteur du 21 libre et du 15 libre, c'est-à -dire entièrement
normal.
La malségrégation du 21 libre, détermine deux types de gamètes
déséquilibrés :
- l'un reçoit le chromosome transloqué 21 ~ 15, le 21 libre, donnant
après fécondation par un gamète normal, porteur lui aussi d'un 21 libre, un
malade trisomique 21 par translocation ;
- l'autre ne reçoit pas de 21 du tout et conduirait à un zygote haplo
21, qui n'a jusqu'ici jamais été observé dans ces familles.
Un exemple de malségrégation méiotique intéressant un chromosome
du groupe D et un chromosome 5 a permis de démontrer que la " maladie du cri
du chat " était bien la traduction d'une monosomie pour le bras court du
chromosome 5 (cf. Lejeune et coll., ce numéro).
Un autre exemple de malségrégation d'un élément 10 ~ 13 permet à Grouchy et Canet (ce numéro), de démontrer l'existence d'une trisomie
partielle pour un chromosome moyen.
L'effet interchromosomique, déterminant la malségrégation
d'éléments non intéressés par la translocation est lui aussi connu dans
notre espèce. Ce phénomène consiste en ce que la présence d'une
translocation autosomique par exemple, peut gêner l'appariement des
chromosomes intéressés par le remaniement. Ces chro mosomes non appariés
peuvent à leur tour gêner l'appariement d'autres paires et induire de ce fait
la malségrégation des éléments de celles-ci. Le premier effet observé dans
notre espèce est la malségrégation des chromosomes sexuels dans la
descendance de certains sujets parieurs de translocations autosomiques (Lejeune
et coll., 1963).
De nombreux autres exemples sont maintenant connus et ce phénomène
de l'effet interchromosomique permet de rendre compte de l'accumulation
d'anomalies chromosomiques chez certains individus et dans certaines
familles.
Une tentative d'explication de ce phénomène, interprété comme un
appariement distributif entre les chromosomes a été récemment proposée par
Grell et Valencia (1964) à l'occasion d'une revue des données disponibles.
Plus récemment une théorie, plus simple mécaniquement, et fondée sur la
nation de proximité des chromosomes, dont les centromètres seraient
fusionnés au début de la métaphase en un seul amas chromocentrique, a été
proposée par Novitski (1964).
Bien qu'aucune de ces deux hypothèses ne puisse être actuellement
considérée comme définitivement prouvée, l'effet d'une translocation sur la
mécanique chromosomique de la méiose est d'une importance théorique et
pratique évidente.
Les aneusomies de recombinaison sont beaucoup plus difficiles à observer dans notre espèce.
Certaines données cytologiques ont laissé à penser que des
remaniements, spécialement de petites translocations intercalaires, pouvaient
exister sans qu'elles soient cytologiquement décelables.
Par contre, la production d'aneusomies de recombinaison résultant
d'un échange normal de chromatides, lors d'une méiose chez un sujet porteur
d'un remaniement chromosomique, n'avait pas encore été discutée. Le
mécanisme général de ces aneusomies de recombinaison est exposé dans ce
numéro à propos de deux cas (Lejeune et Berger).
Un second exemple est fourni par l'observation de Grouchy et Gabilan
(ce numéro) montrant que la monosomie pour le bras court du chromosome 5,
réalisant la " maladie du cri du chat ", peut être la résultante d'un
échange normal de chromatides lors de la méiose chez un sujet présentant une
autre anomalie de structure, préexistante.
La production de ces aneusomies de recombinaison présente une grande
importance théorique, du fait qu'elle n'entraîne pas nécessairement de
changement morphologique des éléments remaniés.
On voit immédiatement qu'un tel caractère permettrait d'incriminer
ce mécanisme dans la production d'anomalies constitutionnelles, actuellement
inexpliquées, et ne s'accompagnant pas de changement morphologiquement
décelable du caryotype.
Bien que l'existence même de ce mécanisme ne nous semble plus faire
de doute dans notre espèce (ce qui ne fait d'ailleurs que confirmer des
données largement antérieures de la génétique expérimentale), il est
évident qu'il ne faut l'invoquer qu'avec une extrême prudence. Tout
spécialement, ce mécanisme permettant d'expliquer les cas dans lesquels on ne
" voit rien ", on conçoit combien il serait dangereux d'en faire un deus ex
machina, que l'on appliquerait justement, chaque fois que l'on ne " voit rien
".
Quoi qu'il en soit, il semble que les aneusomies de recombinaison chez
des sujets porteurs d'une translocation complexe représentent une autre cause
de déséquilibre génétique dans notre espèce, en plus des trisomies et
monosomies déjà bien classiques.
L'accumulation patiente des données permettra seule de mesurer
l'importance relative de ce mécanisme particulier dans le fardeau général
des aberrations chromosomiques dans notre espèce.
Haut
Bibliographie
GRELL R. F., VALENCIA J. I. - Distributive pairing and aneuploidy in
man. Science, 1964, 145, 66-67.
LEJEUNE J. - Les remaniements de structure, in TURPIN R, et LEJEUNE J.
- Les chromosomes humains. 1965, 1 vol., Gauthiers-Villars édit., Paris.
LEJEUNE J., LAFOURCADE J., SALMON Ch., TURPIN R. - Translocation
familiale 2 ~ 22. Association à un syndrome de Turner haplo-X. Ann. Génét.,
1963, 6, 3-8.
NOVITSKI E - An alternative to the distributive pairing hypothesis in
drosophila. Genetics, 1964, 50, 1449-1451.
|