La coincidence de gémellité et de syndrome de Klinefelter a déjà été signalée depuis plusieurs années. L'observation que nous présentons se
singularise par le fait que les deux jumeaux, quoique monozygotes, ont des
dermatoglyphes différents.
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Étude clinique et hormonale
G... Roger, peintre, âge de 56 ans, est hospitalise à la Clinique
Médicale pour un malaise sur la voie publique. L'examen clinique montre un
hypogonadisme avec atrophie testiculaire et hypopilosité. La barbe est rare ;
il existe une gynécomastie bilatérale.
De plus, existe depuis 10 ans une polyarthrite chronique évolutive,
en poussée au moment de l'hospitalisation : deviation cubitale des 2 poignets,
gonflement et limitation des mouvements des chevilles et des genoux.
G... Numa, frère jumeau du précédent, est hospitalisé sur notre
demande. On retrouve chez lui les mêmes anomalies génitales. Il n'existe
aucun signe de polyarthrite chronique évolutive.
- Le morphogramme met en evidence, chez les 2 frères, une légère
macroskélie et un effondrement du diamètre bi-huméral, témoin d'une
diminution des caractères androïdes.
- L'exploration endocrinienne (cf. Tabl. I) confirme L'hypogonadisme :
diminution importante du taux d'élimination des 17-C.S. et réponse nulle ou
insuffisante aux gonadotrophines chorioniques sous couvert de
dexaméthasone.
- Une olfactométrie a été réalisée avec l'exaltolide (lactone en
C 15) dont l'odeur n'est pas perçue par l'homme normal mais seulement par la
femme pubère, particulièrement au cours de la période folliculinique du
cycle.
Roger perçoit l'exaltolide à une concentration de 1/10000 et Numa à une concentration de 1/1000.
- Enfin, la reaction de Waaler-Rose est positive a 1/512 chez Roger,
atteint de P.C.E. ; chez Numa, indemne de maladie articulaire, elle est
positive au taux de 1/64.
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Examen cytogénétique
Le frottis buccal a mis en evidence, chez les 2 jumeaux, la présence
de corps de Barr dans les noyaux des cellules.
Le caryotype a été realisé à partir d'une culture de leucocytes
selon la microtechnique de de Grouchy. Il a mis en évidence, chez les 2
frères, la presence de 47 chromosomes, dont 44 autosomes et XXY. Chez Roger,
20 cellules ont été étudiées : 18 à 47 chromosomes, 1 à 46, 1 à 45. Chez
Numa, 8 cellules ont été étudiées, toutes à 47 chromosomes.
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Étude hématologique
Les phénotypes sanguins érythrocytaires et sériques des 2 jumeaux,
qui sont indiqués dans le tableau II, sont identiques.
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Examen dermatoglyphique
Cet examen a mis en évidence les caractères suivants :
Chez Roger (Fig. 1), le triradius axial occupe une position t' avec un
angle atd de 56° à gauche et de 55° à droite. Les formules des triradii
sous-digitaux sont les suivantes : à droite a4, b5, c7, d9 ; à gauche a3, b5,
c9, d9. La disposition et le nombre des crêtes sur les pulpes digitales sont
indiqués dans le tableau III. Le nombre total des crêtes est de 118.
Chez Numa (fig. 2), le triradius axial occupe une position t' avec un
angle atd de 42° à droite et à gauche. Les formules des triradii sous-digitaux
sont les suivantes : à droite a2, b5, c9, d9; à gauche a3, h5, c7, d9. La
disposition et le nombre des crêtess par les pulpes digitales sont indiqués
dans le tableau III. Le nombre total des crêtes est de 110.
Nous ne nous étendrons pas sur la coincidence de gémellité et de
syndrome de Klinefelter qui a déjà été signalée plusieurs fois depuis
l'observation initiale de HOEFNAGEL en 1962. Rappelons qu'il peut s'agir de
gémellité intéressant la famille, les germains ou l'XXY lui-même. Dans ce
dernier cas, le frère jumeau de l'XXY est normal ou XXY lui aussi (HOLUB et
coll.; NOWAKOWSKI et coll.). Signalons également que la coincidence
gémellité, syndrome de Klinefelter et trisomie 21 a été observée chez des
jumeaux (HUSTINX et coll.; TURPIN et coll.). Le facteur déterminant commun de
ces anomalies est peut-être l'âge maternel. En effet, il semble bien que
l'accroissement de l'âge maternel augmente la fréquence des gémellités, du
syndrome de Klinefelter, comme celle de la trisomie 21.
Le problème posé par nos deux jumeaux est celui de leur mono- ou
dizygotisme. Bien qu'ils soient morphologiquement identiques - mis à part les
stigmates de polyarthrite chronique constatés chez Roger - à tel point que les
parents n'arrivaient pas à différencier l'un de l'autre dans leur enfance, un
élément en faveur du dizygotisme est la non-similitude des dermatoglyphes. En
effet, la faible différence (8) du nombre de crêtes digitales est en faveur
d'un monozygotisme. Mais la forme des empreintes digitales, sans image en
miroir, n'est pas identique et surtout - c'est le fait le plus notable - la
différence de la somme des angles atd (27°) est considérable. Or une telle
anomalie est inhabituelle chez les jumeaux monozygotes.
Néanmoins, l'éventualité d'un dizygotisme est peu probable. Elle
supposerait en effet ou bien que 2 ovules maternels normaux, donc porteurs d'un
seul X, soient fécondés chacun par un spermatozoïde anormal XY, ou encore
que 2 spermatozoïdes normaux, porteurs du chromosome Y, fécondent chacun un
ovule anormal XX. Une telle coincidence de 2 fécondations contemporaines par 2
gamètes ayant présenté un trouble de la ségrégation chromosomique est
invraisemblable.
On peut également supposer que la mère était triplo X. Dans cette
éventualité, elle aurait pu former deux types d'ovules, certains X (normaux),
d'autres XX, ces derniers fécondés par des spermatozoïdes Y donnant
naissance à des individus XXY. On sait en effet que les triplo X ne sont pas
stériles. Mais on n'a trouvé chez les enfants de telles femmes que des
individus normaux, pas d'XXX ou d'XXY. Il faut cependant préciser que le
materiel étudié est encore trop pauvre pour autoriser une conclusion sur la
descendance des triplo X, de telle sorte que l'on ne peut exclure formellement
cette hypothèse.
L'éventualité d'un monozygotisme est donc plus vraisemblable.
D'ailleurs, en tenant compte des phenotypes érythrocytaires identiques chez
les deux frères, de la concordance du sexe et de la probabilité générale
pour 2 jumeaux d'être dizygotes, la probabilité de dizygotisme est de 0,0084
(Soit 99,16 % de chance de monozygotisme). Même en faisant intervenir la
différence de la somme des angles atd pour le calcul de la probabilité de
dizygotisme, celle-ci reste basse (0,032, soit 96,8 % de chance de
monozygotisme). Mais si, en plus, on tient compte de la difference du nombre de
crêtes digitales, on obtient une probabilité finale de dizygotisme de 0,0085
(99,15 % de chances de monozygotisme). Nous pouvons donc conclure que nos 2
jumeaux sont monozygotes.
Il reste alors à expliquer la non-similitude des dermatoglyphes qui
semble, à première vue, un peu paradoxale. Or on sait actuellement, depuis les
travaux de TURPIN et LEJEUNE, que deux jumeaux monozygotes peuvent être
dissemblables. Ce sont les jumeaux monozygotes hétérocaryotes caractérisés
par une discordance chromosomique entre l'un et l'autre partenaire et
expliquée par un trouble de ségrégation chromosomique blastomérique. Ces
jumeaux sont également en général, des mosaïques, c'est-à -dire qu'ils
présentent une double population cellulaire, chacune avec une garniture
chromosomique différente. Cette mosaïque peut être antérieure à la
séparation des ébauches embryonnaires et consécutive à la scission dun
bouton embryonnaire formé de deux clones différents ou, à l'opposé,
postérieure à la séparation des ébauches embryonnaires. Dans ce cas, le
mosaïcisme est la conséquence d'anastomoses vasculaires entre les deux
circulations des jumeaux, aboutissant à un échange des cellules sanguines,
suivi de greffe réciproque dans les organes hématopoïétiques.
Tableau I : Épreuve à la dexaméthasone et aux gonadotropines
chorioniques (U1 = taux de base; U2 = après 5 jours de dexaméthasone; U3 =
après 3 jours de gonadotropines chorioniques (5 000 U/j)).
| Roger | Numa |
U1 | U2 | U3 | U1 | U2 | U3 |
17-O.H. (mg/24 h) | 6, 1 | 3,
6 | 4 | 5, 6 | 1, 8 | 1, 4 |
17-C.S. (mg/24 h) | 6, 9 | 3, 2 | 5,
4 | 6, 5 | 1, 8 | 1, 6 |
Probabilité de dizygotisme de Roger et Numa, calculée sans
tenir compte des dermatoglyphes. (*) Les probabilités concernant les
phenotypes sériques ont été calculées. Toutes les autres sont tirées des
tables de MAYNARD, SMITH et PENROSE.
PlîÉNOTYPES ÉRYTHROCYTAIRES ET
SÉRIQUES | PROBABILITE RELATIVE DE DIZYGOTISME (*) |
0 | 0,6891 |
sécréteur | 0,868l |
cDEe, Cw- | 0,4179 |
MNS | 0,5044 |
P- | 0,5699 |
K- | 0,9485 |
Kp (a - b+) | |
Fy (a+) | 0,8056 |
]'k (a-) | 0,5638 |
Di (a-) | |
Gm (a-) | 0,5600 |
Hp 2-2 | 0,4200 |
Probabilité pour les deux jumeaux d'être de même
sexe | 0,500 |
Probabilité générale pour deux jumeaux d'être
dizygotes | 2, 333 |
Probabilité totale de dizygotisme | 0,0084 |
Tableau III : Dermatoglyphes digitaux des malades. (Les
chiffres indiquent le nombre des crêtes du centre de la figure au ?. DB ;
double boucle, BC : boucle cubitale, BR : boucle radiale, T tourbillon, A :
arche).
Main gauche
....... | I | II | III | IV | V |
Roger .......... | DB 6 | BC5 | BC
12 | T 8/17 | BC 6 |
Numa .......... | BC 2 | BC 8 | T 11
/12 | T 9/14 | BC 6 |
Main droite
....... | | | | | |
Roger .......... | T 17/5 | BC 4 | BC
10 | T 10/16 | BC 2 |
Numa .......... | DB 5 | A | BC
10 | T 11/15 | BC 9 |
A titre d'hypothèse, nous pouvons imaginer que nos deux jumeaux sont
des mosaïques XX/XXY ou XY/XXY, variétés observées au cours du syndrome de
Klinefelter, avec répartition inégale des différents clones cellulaires chez
l'un et l'autre des individus, en particulier dans les cellules ectodermiques
expliquant les différences dermatoglyphiques. L'apparence XXY conforme du sang
pourrait s'expliquer soit parce que les cellules originelles des cellules
sanguines des 2 jumeaux proviennent de blastomères appartenant au clone XXY,
soit par sélection préférentielle du clone XXY aux dépens de l'autre. Il
faut noter toutefois que le petit nombre de cellules examinées dans le sang de
Numa ne permet pas d'exclure avec certitude l'éventualité d'une mosaïque
sanguine.
Il est enfin regrettable que nous n'ayons pu étudier le caryotype des
cellules cutanées, ce qui nous aurait peut-être permis de mettre en évidence
cette suppose mosaïque dans les cellules de la peau.
 Fig. 1.
- Dermatoglyphes palmaires et digitaux de Roger.
 Fig. 2. - Dermatoglyphes palmaires
et digitaux de Numa.
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Références bibliographiques
HOEFNAGEL (D.) et BENIRSCHKE (K.). - Twinning in Klinefelter's
syndrome. Lancet, 1962, 2, 1282.
HOLUB (D.), GRUMBACH (M.) et JAILER (J.). - Semineferous tubule
dysgenesis (Klinefelter's syndrome) in identical twins. J. Clin. Endocr.
Metab., 1958, 18, 1359.
HUSTINX (T.), EBERLE (P.), GEERTS (S.), Ten BRINK (J.) et WOLTRING
(L.). - Mongoloid twins With 48 chromosomes. Ann. Hum. Genet., 1961, 25,
111.
LAMOTTE (M.), LABROUSSE (Cl.), PERRAULT (M.-A.), KLEINKNECHT (D.) et
ROZENBAUM (H.). - Polyarthrite rhumatoïde sévère, diabète
insulino-résistant et syndrome de Klinefelter. Sem. Hôp. Paris, 1965, 41,
525.
MAYNARD SMITH (S.) et PENROSE (L.). -Monozygotic and dizygotic twin
diagnosis. Ann. Eugenics, 1953, 18, 273.
NOWAKOWSKI (H.), LENZ (W.), BERGMAN (S.) et REITALU (J.). - Chromosome
studies in identical twins with Klinefelter's syndrome. Path. Biol., 1963, 11,
1239.
TURPIN (R.), THOYER-ROZAT (J.), LAFOURCADE (J.), LEJEUNE (J.), CAILLE
(B.), et KESSELER (A.). - Coïncidence de mongolisme et de syndrome de
Klinefelter chez l'un et l'autre jumeaux d'une paire monozygote. Pédiatrie,
1964, 19, 43.
TURPIN (R.) et LEJEUNE (J.). - Les chromosomes humains.
Gauthier-Villars, Paris 1965.
TURPIN (R.). - Les gémellités monozygotes hétérocaryotes. XXe
Congrès de l'Association des Pédiatres de langue française, Nancy, vol. 3,
pp. 205-220. L'Expansion scientifique française, 1965.
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