Extension récente de la méthode anatomo-clinique, la confrontation
caryotype-phénotype est fructueuse.
En septembre 1964, Grouchy, Royer, Salmon et Lamy (4) publiaient un
caryotype comportant une délétion du bras long d'un chromosome 18 et
rapportaient diverses particularités phénotypiques constatées chez ce
premier malade.
Au début de 1966, Lejeune, Berger, Lafourcade et Rethoré (8),
reprenant l'étude du malade de Grouchy et collaborateurs et rapportant deux
observations personnelles, dressent le phénotype correspondant à cette
aberration chromosomique. Ces auteurs estiment que la concordance des
manifestations cliniques observées chez ces trois malades est suffisamment
convaincante pour pouvoir avancer que ce syndrome constitue une nouvelle
entité morbide cliniquement reconnaissable.
L'analyse des 21 observations actuellement disponibles (tableau I) ne
permet pas de douter de l'autonomie du tableau clinique.
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Phénotype
L'étude sémiologique que nous présentons ne saurait être
considérée comme exhaustive ni même définitive en raison du nombre
relativement petit d'observations et des lacunes importantes de certaines
d'entre elles. Il est cependant possible, sur ce matériel, d'estimer
approximativement la fréquence et, par conséquent, la valeur des symptômes
constatés (tableau II).
Tableau I. - 21 observations de syndrome 18 q-.
CAS N° | Auteurs |
1 | Grouchy et coll., 1964 (4) |
2, 3 | Lejeune et coll., 1966 (8) (9) |
4, 5 | Insley et coll., 1966 (5) |
6, 7 | Destiné et coll., 1966 (1) |
8 | Eiben et Blair, 1966 (2) |
9, 10, 11, 12 | Wertelecki et coll., 1966 (13) |
13, 14 | Law et Masterson, 1966 (7) |
15, 16 | Summitt, 1966 (11) |
17 | Gilgenkrantz,1967 (3) |
Mosaïques |
18, 19 | Lejeune et coll., 1967 (10) |
20 | Laurent et coll., 1967 (6) |
21 | Vianello, 1967 (12) |
Tableau II. - Principaux symptômes cliniques du syndrome 18
q--.
symptômes | fréquence |
Arriération mentale profonde | 18/18 |
Hypotrophie somatique | 15/17 |
Microcéphalie modérée | 14/15 |
Rétraction étage moyen de la face | 11/14 |
Hypertrophie anthélix-antitragus | 18/18 |
Bouche en " accent circonflexe " | 7/10 |
Doigts fuselés | 9/9 |
Fossettes sous-acromiales | 6/8 |
Manifestations ophtalmologiques (*) | 12/19 |
Excès de tourbillons digitaux | 15/16 |
(*) (dont 8 atrophies optiques). |
Comme la plupart des aberrations autosomiques, la traduction
phénotypique du caryotype 18 q- comporte d'une part un syndrome dysmorphique
évocateur, d'autre part un état d'arriération mentale profonde avec
hypotrophie somatique, malformations viscérales et particularités
dermatoglyphiques.
Les modalités d'association de ces symptômes communs et la
spécificité de certains d'entre eux permettent de reconnaître la
maladie.
Les particularités évolutives sont fort mal connues, mais il n'est
pas déraisonnable d'estimer que l'espérance de vie de ces sujets est moins
réduite que celle des enfants atteints de trisomie 13 ou 18.
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Le syndrome dysmorphique
La tête, examinée de profil, frappe par la rétraction de l'étage
moyen de la face qui apparaît en retrait sous un front de forme et
d'orientation normales. La mandibule, de taille normale, se termine par un
menton bien fariné et même légèrement saillant, sans micro ni
rétrognathisme.
Les pavillons des oreilles ont une orientation et une implantation
normales au très peu abaissée. Il existe une inégalité de développement
des divers éléments constitutifs ; ceux issus des caroncules du deuxième arc
sont anormalement saillants. L'hélix est très ourlé mais surtout l'anthélix
et le tragus paraissent anormalement développés, l'emportant sur l'hélix
lui-même. Les conduits auditifs sont souvent étroits et atrésiques.
Le nez est court mais bien formé. L'implantation des ailes du nez
au-dessus de la lèvre supérieure se fait selon deux petits triangles à sommets opposés et à bases externes, limitant les orifices narinaires en bas
et en dehors.
Les lèvres sont bien dessinées, souvent inégalement charnues. Les
commissures sont tombantes, donnant à la bouche un aspect en accent
circonflexe. La lèvre supérieure est lisse, dépourvue de columelles. Parfois
celles-ci sont remplacées par une saillie unique, médiane, verticale,
prolongeant la cloison nasale.
L'existence d'une fente palatine est notée deux fois (8) (12).
A peu prés à l'emplacement des fossettes habituelles des joues, il a
pu être vu et palpé un petit nodule de 3 ou 4 mm de diamètre, nodule
sous-cutané ou dermique qui a semblé s'atténuer avec l'âge (8) (10).
Les fentes palpébrales ne sont pas particulièrement petites ni
diminuées de façon fréquente par un épicanthus ; elles sont très
légèrement obliques en bas et en dehors, ou horizontales.
La partie supéro-interne du rebord orbitaire est rétractée et
émoussée ; lors de la contraction des peauciers, les parties molles
sous-jacentes font une saillie inhabituelle.
Les globes oculaires sont fréquemment anormaux et malformés. Nous y
reviendrons.
Le tronc n'offre pas de particularités notables si ce n'est un
écartement anormalement grand des mamelons et surtout la présence de
fossettes sous-acromiales uni ou bilatérales. Des fossettes existent aussi,
souvent, dans les régions épitrochléenne, latéro-rotulienne et au dos de la
main.
Les extrémités des membres sont particulières. Le pouce peut être
anormalement long ou implanté trop proximal. Les autres doigts sont longs,
plus larges à la racine qu'à l'extrémité, " en fuseau ". En regard des quatre
dernières articulations métacarpo-phalangiennes, sur le dos de la main,
existent également des fossettes.
L'existence de pieds bots est signalée trois fois (1) (4) (8). Le
bord du pied peut être le siège d'un oedème ou d'un coussinet adipeux.
L'implantation des orteils peut se faire sur des plans différents avec
chevauchement des uns sur les autres. Clinodactylies et palmatures ont été
observées.
L'hypotrophie somatique est constante et semble s'accentuer avec
l'âge. Le poids et la taille sont très en dessous de la moyenne. Le
périmètre crânien est faible. Cette microcéphalie est réelle, compte tenu
de l'hypotrophie générale, mais elle reste modérée.
L'arriération mentale est profonde. Dans les formes " régulières ",
le Q.I. ne dépasse pas 0,25 ou 0,30. Certains enfants, déjà âgés d'une
dizaine d'années, ne parlent pas. Les trois cas de " mosaïques " semblent
relativement moins atteints.
Cette arriération mentale accompagne une hypotonie marquée. La
survenue de convulsions est signalée chez trois enfants (6) (8) (11) et un
autre, âgé de 10 ans, présente un tracé électro-encéphalographique
d'hypsarythmie (1).
Les explorations radio-neurologiques ont été rarement faites : elles
ont montré une fois une dilatation du 4e ventricule ; une autre fois, une
dilatation modérée des ventricules latéraux.
Ces enfants arriérés, hypotrophiques et dysmorphiques peuvent
souffrir, en outre, de malformations viscérales.
Les plus particulières intéressent l'appareil oculaire. Elles
semblent particulièrement fréquentes, mais il est difficile, à travers les
descriptions des auteurs, de reconnaître une unicité aux lésions
ophtalmologiques rapportées.
Sur 14 observations comportant un examen ophtalmologique, on relève :
nystagmus (7 fois), strabisme convergent (3 fois), glaucome bilatéral (3
fois), dégénérescence tapéto-rétinienne (1 fois), atrophie optique
bilatérale (8 fois).
Les complications cardiaques ne semblent pas inhabituelles (4) (16),
sans que leur type puisse être précisé en l'absence de tout document
anatomique. Les uropathies malformatives sont notées 3 fais sur 6 examens.
Parmi les malfaçons squelettiques, la présence d'une paire de côtes
supplémentaires est signalée 5 fois : 4 fois il s'agit de côtes cervicales,
une fois la localisation n'est pas précisée.
L'apophyse crista galli paraît anormalement grande dans 2 cas (8)
(12).
Dans les deux sexes, l'appareil génital externe participe à l'ensemble malformatif. Les petites lèvres sont rudimentaires ou absentes et
le clitoris petit chez la fille. La verge est très petite avec ou sans
cryptorchidie chez le garçon.
Plusieurs fois la phonation a paru particulière : voix rauque,
cassée, désaccordée, " voix de rogomme ", mais aucun examen laryngoscopique
n'est disponible. Il est possible que l'ouïe soit défectueuse (13).
 Fig. 1. - Fille eurasienne âgée de 20 mois (I.P. N°1906; forme
régulière 46, XX, 18 q -.
 Fig. 2. - Fille âgée de 6 ans 3 mois (I.P. N° 2516) ; mosaïque 46,
XX/46, XX, 18 q-.
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Les dermatoglyphes
Une seule particularité dermatoglyphique semble à peu près constante
: l'excès de tourbillons sur les pulpes des doigts.
Un nombre de tourbillons supérieur à la moyenne (20 p.100) est
relevé dans les 15 cas sur 16 où l'analyse dermatoglyphique a été faite. On
constate que le nombre de tourbillons est très franchement éloigné de la
moyenne dans le plus grand nombre d'observations (fig. 3). Un seul cas fait
exception qui comporte dix boucles cubitales (11).
L'analyse attentive des 5 cas personnels ne nous a pas permis
d'estimer la valeur diagnostique d'autres particularités inconstantes telles
que le pli palmaire transverse et le triradius axial en t".
Les données disponibles ne permettent pas de connaître le devenir
des sujets atteints.
Les 21 observations concernent des sujets d'âges très divers, du
nouveau-né à la période pré-pubertaire. Chez tous, le pronostic fonctionnel
paraît très sombre : des enfants de 10 au 11 ans ne parlent pas, tous
souffrent d'une arriération mentale très profonde.
Les données de démographie familiale sont, elles aussi,
insuffisantes pour qu'on puisse en déduire autre chose que des indications
très générales.
La moyenne des poids de naissance est de 2630 g (10 cas) ; la durée
de la grossesse est habituellement normale ou au plus réduite de deux
semaines, aucun incident pathologique n'étant signalé pendant son
déroulement.
L'âge des parents ne diffère pas de celui de la population
générale : père 31 ans, mère 27 ans (13 couples). La sex-ratio n'apparaît
pas modifiée : 12 filles, 9 garçons.
Autant qu'on puisse actuellement le dire, l'espérance de vie ne
semble pas aussi compromise que dans d'autres aberrations autosomiques : à l'exception d'un nouveau-né qui succomba très rapidement (7), tous les autres
enfants sont actuellement vivants.
 Fig. 3. - Fréquence des
tourbillons sur les pulpes digitales (16 obs.).
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Caryotype
L'aberration chromosomique responsable du phénotype qui vient d'être
présenté est la suivante : un des éléments d'une paire du groupe E est
remplacé par un chromosome impossible à apparier et qui peut être considéré
comme un 18 ayant subi une amputation d'une partie de son bras long (Fig.
4).
La longueur du segment perdu varie légèrement d'un sujet à l'autre :
le tiers ou la moitié du bras peuvent faire défaut.
L'identification de cet élément à un 18 résulte de l'analyse
caryotypique et l'étude de son mode de duplication au moyen de la thymidine
tritiée a été effectuée dans un cas (13).
Toutes les cellules de l'organisme, accessibles à l'examen, peuvent
comporter l'anomalie qui est alors dite " régulière " (17 cas).
Dans 6 cas, le caryotype des parents était normal.
Dans une observation familiale comportant deux germains atteints,
l'anomalie résultait de la ségrégation d'une translocation intéressant une
portion du bras long du 18 et le bras court d'un chromosome G, translocation
portée par la mère phénotypiquement normale (7).
Hormis cette dernière éventualité, l'anomalie peut être
considérée comme accidentelle et son origine contemporaine de la formation de
l'oeuf. Dans de tels cas, l'aberration est limitée au seul sujet qui en est
affecté et épargne ses germains.
Dans les 4 cas de mosaïques (6) (10) (12), la coexistence de cellules
normales et de cellules ayant perdu une partie du bras long du 18 (18 q-)
permet d'affirmer que la maladie est le résultat d'un accident post-zygotique.
Les conclusions progénésiques qu'on en peut tirer sont identiques.
Les variations phénotypiques constatées selon les sujets peuvent
dépendre de plusieurs facteurs : importance de la perte de matériel
génétique liée aux dimensions du fragment perdu ; variations topographiques
possibles d'une mosaïque ; enfin, interaction du reste du génome.
 Fig. 4. - Caryotype 46, XX, 18 q -.
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Conclusion
L'analyse de 21 cas de syndrome 18 q- (dont 4 mosaïques) permet de
dresser le tableau clinique traduisant cette aberration chromosomique. La
concordance de l'anomalie chromosomique et du phénotype caractéristique
permet d'estimer que ce syndrome constitue une nouvelle entité
nosologique.
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Bibliographie
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