On observe une lacune juxtacentrique du bras long du chromosome 2,
chez une femme et chez l'une de ses deux filles. Plusieurs endoréduplications
sélectives du fragment compris entre la lacune et le télomère ont été
constatées. La signification de ce phénomène est discutée.
Haut
Observations.
- Cas I. P. n° 3664. - Après une hospitalisation pour syndrome
dépressif aigu, la malade nous est envoyée par le Professeur Kourilsky. La
patiente, mère de deux filles, est âgée de 31 ans et appartient à une
fratrie de 13 enfants dont 9 sont décédés en bas âge. En dehors de quelques
naevus pigmentaires, elle n'est affectée d'aucune dysmorphie évidente. Sa
taille est petite (1,48 m et 44 kg) et son développement intellectuel est
nettement déficient. Ses dermatoglyphes sont normaux, t' bilatéral.
Tableau I : Répartition des différents caryotypes observés.
Le nombre total des éléments libres figure en premier, bien que la présence
d'un véritable centromère sur le fragment qh(2) soit incertaine.
| 46 XX | 46 XX, 2 qh | 46XX, 2qh
endoréduplication de qh(2) | 46XX, 2q- perte de qh(2) | 47XX, 2qh
gain de un qh(2) | 48XX, 2qh gain de deux qh(2) | 49XX, 2qh gain de
trois qh(2) | Total |
I.P.
3664 | 339 | 293 | 4 | - | 2 | 1 | 1 | 640 |
I.P.
3874 | 50 | - | - | - | - | - | - | 50 |
I.P.
3742 | 134 | 147 | 1 | 2 | 1 | 2 | - | 287 |
Cas I. P. n° 3874. - Née le 4 novembre 1959, fille aînée de la
proposante, cette enfant a un développement physique et intellectuel normal et
n'est affectée d'aucune dysmorphie. Ses dermatoglyphes sont normaux.
Cas I. P. n° 3742. - Fille cadette, née le 14 juillet 1961, cette
enfant est de petite taille (14,800 kg et 1,04 m à 6 ans): Une rétraction du
massif facial est en relation avec une division palatine (opérée), sans bec
de lièvre. La denture est anormale et la luette manque. L'implantation des
oreilles est un peu basse. Les iris, verts, sont cryptiques.
Aucune autre dysmorphie majeure n'est notée, mais en plus de la
difficulté d'élocution imputable à l'anomalie du palais, le retard du
développement intellectuel est certain. Ses dermatoglyphes sont normaux, t'
bilatéral.
Haut
Anomalies chromosomiques
L'examen chromosomique par culture de sang périphérique
(microméthode habituelle) révèle une même anomalie chez la mère (I. P.
3664) et chez sa fille cadette (I. P. 3742), la fille aînée (I. P. 3874)
posséde un caryotype entièrement normal.
Chez la mère, sur un total de 640 cellules analysées, 339 ont un
caryotype 46 XX d'aspect normal. Par contre dans 293 cellules l'un des
chromosomes 2 porte sur le bras long, à peu de distance du centromère, une
constriction secondaire très marquée. L'association d'un chromosome G et d'un
chromosome D avec cette région achromatique du bras long du 2 a été
observée deux fois.
Pour rendre compte des anomalies nous définirons le chromosome
anormal en accord avec la nomenclature établie à Chicago (fig. 1 A).
 Fig. 1. - A. Le chromosome 2 anormal, 2 qh, porte une lacune à quelque distance du centromère, sur le bras long. B. Dans une mitose, par
ailleurs entièrement normale, l'un des chromosomes de la paire 2 (seule
représentée ici) a subi une endoréduplication sélective du fragment qh (2),
alors que le fragment 2 q- est normal.
1. Le chromosome 2 porteur de la lacune hétérochromatique est
dénommé : 2 qh.
2. Le segment incluant le bras court du 2, son centromère, et la
partie du bras long située entre le centromère et la lacune devient : 2
q-.
3. Le segment distal du bras long, de la lacune au télomère est
alors : qh(2).
L'ensemble des constatations effectuées chez la mère et chez la
fille porteuse du chromosome anormal est résumé dans le tableau I.
On voit que la lacune est fragile et que le fragment qh(2) peut se
perdre.
On voit aussi que ce fragment peut survivre indépendamment et subir
des malségrégations puisque certaines cellules, en plus de leurs deux
chromosomes 2, portent, 1 ou 2 ou même 3 segments qh(2) surnuméraires.
Surtout on constate dans 5 mitoses que la replication du segment qh(2)
est anormale et se produit 2 fois, alors que l'ensemble des autres chromosomes,
y compris le segment 2 q- subissent une duplication normale (Fig.1 B). Cet
accident du segment qh(2) aboutit à des chromatides d'aspect normal et non à des filaments de diamètre réduit de moitié. Il ne peut donc pas s'agir d'une
séparation accidentelle de " chromonémas ", mais d'une endoréduplication
sélective.
Haut
Discussion
La présence du chromosome 2 qh chez la mère et lune de ses filles
conduit à penser qu'il s'agit d'une anomalie de structure stable et
transmissible bien que la lacune n'ait été identifiée que dans une cellule
sur deux environ. On sait d'ailleurs que la mise en évidence d'une telle
structure dépend aussi bien de la phase de la mitose que des conditions de
culture et d'observation.
Nous considérons donc que la mère est porteuse d'un 2 normal et d'un
2 qh et qu'elle a transmis le 2 normal à sa fille aînée et le 2 qh à sa
cadette.
L'endoréduplication sélective de certains segments du génome a
été déjà signalée [(1), (2)], mais comme un événement absolument
exceptionnel. La survenue répétée de cet accident sur le seul segment qh(2)
permet de penser que la commande de réplication se propage dans chaque
chromosome à partir du centromère vers les télomères. La lacune du 2
interromprait la transmission de cette commande et le segment qh(2) pourrait
alors se répliquer à un rythme différent de celui du reste du génôme.
Une autre remarque concerne la persistance des fragments qh(2). On ne
peut affirmer que ces fragments possèdent un centromère, mais il reste
possible que la lacune observée contienne l'équivalent d'un télomère
interstitiel tel que ceux décrits par Hsu chez le Hamster (3).
La relation entre l'instabilité du segment qh(2) et la déficience
physique et mentale des deux sujets atteints est difficile à préciser. On peut
cependant supposer que les accidents observés in vivo ont pu se produire in
vivo, conduisant à des déséquilibres géniques dans de nombreuses
cellules.
Comme l'endoréduplication sélective joue peut être un rôle
important dans l'évolution caryotypique des néoplasies (1), il nous paraît
utile de noter que cette femme et sa fille ne sont atteintes d'aucune affection
maligne. Dans l'hypothèse des " combinaisons interdites " (4) ceci indiquerait
que la polysomie du bras long du 2 ne confère aucun avantage sélectif à la
cellule qui la porte et ne peut donc être le point de départ d'une
transformation maligne.
Haut
Bibliographie
(1) J. LEJEUNE, R. BERGER, M. O. RETHORE, Sur l'endoréduplication
sélective de certains segments du génôme, C. R. Acad. Sc., Paris, 263, 1966,
p. 1880-1882.
(2) J. DE GROUCHY, C. DE NAVA, G. BILSKY-PASQUIER, R. ZITTOUN, A.
BERNADOU. Endoréduplication sélective d'un chromosome surnuméraire dans un
cas de myélome multiple (maladie de Kahler), Ann. Genet., Paris, 10, 1967, p.
43.
(3) T. C. Hsu, Longitudinal differentiation of chromosome and the
possibility of interstital telomeres, Exp. Cell. Res. suppl., 9, p. 73-85.
(4) J. LEJEUNE, Aberrations chromosomiques et Cancer-Monographies U.
I. C. C., 9, 9e Congrès International du Cancer, Tokyo 1966, Springer-verlay,
Berlin, Heidelberg, New York 1967.
|