Les translocations équilibrées t(DqDq) sont relativement fréquentes
puisque deux enquêtes récentes ont abouti aux estimations de 1 pour 100
(Court Brown, 1967) et 1 pour 2 081 (Sergovich, 1968).
Un grand nombre de ces translocations sont transmissibles ainsi que le
montre l'étude de 26 familles recueillies par Hamerton (1968). Il est donc
certain qu'il s'agit dans ces cas de chromosomes " hybrides " et non
d'iso-chromosomes.
L'analyse autoradiographique a l'avantage de démontrer cette non
homologie des bras du chromosome remanié par l'examen d'un seul sujet
porteur.
Dans les deux exemples qui sont présentés, cette méthode a
clairement confirmé les données généalogiques.
Haut
Observation N° 1
Les parents (II1 et II2), tous deux âgés de 28 ans, nous sont
adressés par le Service de gynécologie-obstétrique (Clinique Baudelocque
--Docteur Ravina) pour étude cytogénétique après la naissance d'un enfant
malformé (III1) suivie de deux avortements aux 2e et 3e mais (III2 et III3).
L'enfant malformé est décédé subitement à l'âge de 2 mois 1/2 dans un
service de pédiatrie (Pr Mozziconacci) ; le diagnostic de syndrome de Pierre
Robin avait été posé. D'après les données fournies par ce service,
l'enfant n'avait aucune des anomalies décrites dans la trisomie 13 et l'examen
anatomique du cerveau n'a pas montré les lésions caractéristiques de cette
affection, en particulier le rhinencéphale était normal. Aucune étude
chromosomique n'a été faite (fig. 1).
L'examen clinique des sujets II1 et II2, n'a révélé aucune
dysmorphie. Les parents du sujet II2, (l1 et I2), ainsi que son frère (II4) et
sa soeur (II6) ont un phénotype normal. Le sujet I2 a eu 3 grossesses normales
et une seule fausse couche. Elle n'a ni frêre, ni soeur, et ses parents sont
décédés.
 Fig. 1 - Arbre généalogique de la famille
1.
Haut
Examen cytogénétique
Réalisé selon la microméthode habituelle sur des cellules du sang
périphérique, le caryotype du sujet 1II2 montre seulement 45 chromosomes. Il
n'existe que 4 chromosomes dans le groupe D et l'on observe un élément
surnuméraire dans le groupe A, de la taille d'un chromosome 3. Ces faits ont
été interprétés comme une translocation par fusion centrique de deux
chromosomes D avec un caryotype 45,XX,t(DqDq).
La même anomalie chromosomique a été retrouvée chez la mère
(I2). Son père (I1), son frère (II4), sa soeur (II6) et son mari (II1) ont un
caryotype normal.
Haut
Observation N° 2
A la suite de l'accumulation de fausses-couches, survenant toutes
entre la 7e et la 12e semaines, dans la descendance du couple II1 - II2,
l'examen cytogénétique du 8e produit d'avortement fut réalisé. La
découverte d'une trisomie 13 par translocation DqDq nous amena à étudier
cette famille (fig. 2).L'examen clinique du couple II1 II2 n'a révélé aucune
anomalie morphologique. La femme II6 célibataire âgée de 28 ans aurait eu 3
avortements non provoqués. Le phénotype de cette personne est normal. La
femme II4 est mariée mais n'a pas d'enfant. Elle n'a pu être examinée ainsi
que le couple I1 et I2. Leur phénotype serait normal.
 Fig. 2.
- Arbre généalogique de la famille 2.
Haut
Examen cytogénétique
Réalisé sur des cellules de sang périphérique le caryotype du
sujet (II2) comporte 45 chromosomes. Il n'existe que quatre éléments dans le
groupe D et l'on remarque un grand chromosome métacentrique en excès. Cette
anomalie est interprétée comme le résultat d'une translocation t(DqDq) :
45,XX,t(DqDq). Le même remaniement est retrouvé chez son père (I1)
45,XY,t(DqDq). Sa mère (I2) et sa sueur (II4) ont un caryotype normal. Son
autre soeur (II4) n'a pas été examinée.
Le caryotype de son mari II1 comporte un chromosome Gp+.
Haut
Examen dermatoglyphique des deux familles
L'analyse des dermatoglyphes des deux familles est résumé dans le
tableau I.
Tableau I. - Dermatoglyphes des deux familles
| Triradius
axial | Figures de Péminence | Figures
digitales | Plis de flexion |
hypothénar | I | II | III | IV | V |
Première observation | I1 | D | t t' | Boucle
radiale | T | Br | Br | T | Bc | normaux |
G | t | - | Bc | Bc | Bc | Bc | Bc | normaux |
I2 | D | t | - | Bc | Bc | Bc | T | Bc | normaux |
G | t | - | Bc | Bc | T | Bc | Bc | normaux |
II2 | D | t | - | T | T | T | T | Bc | normaux |
G | t | - | Bc | Bc | Bc | Bc | Bc | normaux |
II4 | D | t
t' | Tourbillon | T | T | Ec | T | Bc | normaux |
G | t | - | Bc | T | Bc | Bc | Bc | normaux |
II5 | D | t' | Boucle
radiale | Bc | A | A | Pc | Bc | normaux |
G | t | Boucle
radiale | Bc | Bc | Bc | Bc | Bc | normaux |
Deuxième observation | II1 | D | t' | | Bc | A | A | Bc | Bc | normaux |
G | t | - | Bc | Br | Bc | Bc | Bc | normaux |
Il2 | D | t t' | Boucle
cubitale | Bc | A | A | Bc | Bc | normaux |
G | t t' | Boucle
cubitale | Bc | A | A | Raq.c | Bc | normaux |
Haut
Etude autoradiographique des deux
observations
Les chromosomes des sujets II2 (obs. 1) et II2 (obs. 2) ont été
étudiés après marquage à la thymidine tritiée, selon la technique de Schmid
(1963) respectivement sur 48 et 23 mitoses. La thymidine (activité spécifique
4 curies/mmole, concentration finale 0,5 µCi/ml) a été ajoutée au milieu
pendant les 6 dernières heures de culture. Après 4 h, les mitoses ont été
bloquées en métaphase par l'administration de colchicine. Nous avons utilisé
le Kodak Stripping Film AR 10, qui a été exposé pendant 8 jours à 4 degrés.
Les mitoses reconnues complètes avant pose du Stripping Film ont été
photographiées une première fois et rephotographiées après enlèvement des
grains d'argent.
Dans les deux observations un marquage tout à fait comparable est
observé à un stade tardif de la phase S. Deux des quatre chromosomes D libres
sont régulièrement peu ou pas marqués. Un autre est fortement marqué dans
la portion médiane et distale de son bras long. Le 4e a une forte densité de
grains au niveau du centromère. Le chromosome formé par la fusion des deux
autres chromosomes D se distingue des chromosomes 3 par un type de marquage
différent : l'un de ses bras correspond au chromosome D fortement marqué sur
son bras long, l'autre au chromosome D marqué dans sa région
juxta-centromérique.
Le marquage autoradiographique des chromosomes du groupe D, et des
paires 1 et 3 provenant de plusieurs métaphases est exposé dans la figure 3a
et 3b.
 Fig. 3. - Marquage autoradiographique des chromosomes
du groupe D et des paires 1 et 3 provenant de plusieurs métaphases. a) Sujet
II2 de l'observation 1, b) sujet II2 de l'observation 2.
Haut
Discussion
Le type de marquage des chromosomes du groupe D est bien établi
(Schmid, 1963, German, 1964, Gianelli et Hewlett, 1966). Deux chromosomes ont
une réplication tardive, et la portion médiane et distale de leur bras long
est encore très marquée à la fin de la phase S (chromosomes 13). Au même
stade, deux autres chromosomes ne sont que très peu ou plus du tout marqués
(chromosomes 15). Les deux derniers (chromosomes 14) sont surtout marqués dans
la région proche du centromère.
En appliquant ces critères aux données de nos observations, on peut
conclure à l'existence d'une translocation 13/14 dans ces deux familles, qui ne
sont pas apparentées, à notre connaissance.
L'étude autoradiographique de translocations DqDq, réalisée par de
nombreux auteurs : Yunis et coll. (1964), Gianelli et Howlett (1966), Dekaban
(1966), Tiepolo et coll. (1967) et Krompotic et coll. (1968), Bloom et coll.
(1968), a révélé dans les 10 cas publiés une translocation de type 13-14.
Dans le cas exceptionnel de Cohen et coll. (1968), où deux translocations DqDq
coexistaient chez un même individu (à 44 chromosomes), l'une des
translocations était du type 13-14 et l'autre du type, 13-15. Enfin le cas
d'une translocation entre homologues rapporté par Gianelli (1965) était du
type 13-13.
La prédominance du chromosome 13 est donc quasi absolue, et la
fréquence des translocations 13-14 montre que cette combinaison est
particulièrement favorisée.
Deux ordres de phénomènes pourraient rendre compte de cette
répartition. D'une part, la délétion du bras court de certains éléments
(15 par exemple) peut être très mal tolérée. D'autre part, la configuration
des éléments eux-mêmes favoriserait spécifiquernent certaines
combinaisons.
La probabilité d'une malségrégation lors de la méiose chez les
porteurs d'une translocation 13-14 est encore mal connue.
Les avortements ou la mortinatalité périnatale qui peuvent résulter
des combinaisons déséquilibrées (monosomie D ou trisomie D comme dans le cas
du foetus III8 de la 2e observation) sont diversement interprétés. Alors que
Court Brown, 1967, relevait un excès d'avortements dans la descendance de
parents porteurs, Hamerton, 1968, conclut de l'analyse de 26 familles que la
fréquence des avortements est du même ordre de grandeur dans la descendance
des porteurs (16 % ) et dans la population générale (15 %).
Il faut remarquer que ces recherches sur la stérilité par
avortements présentent de grandes difficultés statistiques. La série de 8
avortements, sans une seule grossesse normale dans la descendance du sujet II2
de l'observation 2, est à cet égard très remarquable. Cette quasi-stérilité
avait d'ailleurs fait évoquer la possibilité d'une translocation entre
homologues (13-13 par exemple), éventualité que l'autoradiographie, aussi
bien que la transmission par le père (I1) sont venues contredire. Il reste
dans ce cas particulier que le rôle joué par l'anomalie Gp+ portée par le
sujet II1 ne peut être apprécié.
D'une façon générale, les possibilités de prévision sont très
restreintes et la constatation d'une translocation 13-14 peut seulement
permettre d'exclure la possibilité d'une grossesse, à terme, viable et
anormale, puisque la trisomie D et a fortiori la monosomie ne sont pas viables.
Une analyse statistique de nouvelles données permettrait seule d'estimer le
risque réel de récurrence des avortements.
Bien que certaines translocations DqDq s'accompagnent de troubles du
phénotype (pour revue voir Turpin et Lejeune, 1965, Dekaban, 1966 et Hamerton,
1968) la plupart d'entre elles n'entraînent pas de trouble évident.
Il est cependant possible de considérer que certaine, anomalies de la
descendance (cas du syndrome de Pierre Robin de l'enfant III1 de l'observation
1) pourraient être dues à l'hémizygotie partielle résultant de la perte du
centromère et des bras courts de l'un des éléments.
Le diagnostic exact du remaniement devient alors indispensable avant
de tenter d'utiliser ces rares données, phénotypiques pour connaître le
contenu génétique de la région juxta-centromérique des chromosomes en
jeu.
Haut
Bibliographie
BLOOM G.E., GERALD P.S. 1968. - Autoradiographie studies of D
chromosomes. Abstr. Meeting Soc. Pediat. Res. 3. 4. May, Atlantic City N.J.
COURT BROWN W.M. 1967. - Human population cytogenetics. North-Holland
Publishing Company, Amsterdam.
DEKABAN A.S. 1966. - Transmission of a D/D reciprocal translocation in a
family with high incidence of mental retardation. Amer. J. hum. Genet., 18,
288.
GERMAN J.L. 1964. - The pattern of DNA synthesis in the chromosomes of
human blood cens. J. Cell Biol., 20, 37.
GIANNELLI F. 1965. - Autoradiographie identification of the D(13-15)
chromosome responsable for D1 trisomie Patau's syndrome. Nature (Lond), 208,
669.
GIANNELLI F., HOWLETT R.M. 1966. - The identification of the chromosomes
of the D group (13-15) Denvers : An autoradiographic and measurement study.
Cytogenetics, 5,186.
HAMERTON J.L. 1968. - Robertsonian translocations in man : evidence for
prezygotic selection. Cytogenetics 7, 260.
HECHT F., CASE M.P., LOVRIEN E.W., HIGGINS J.V., THULINE H.C., MELNYK J.
1968. - Nonrandomness of translocations in man : preferential entry of
chromosomes into 13-15/21 translocations. Science, 161, 371.
KROMPOTIC E., RAMANATHAN K., GROSSMAN A. 1968. - A family with D/D
translocation. J. Med. Genet., 5, 205.
SCHMID W. 1963. - DNA replication patterns of human chromosomes.
Cytogenetics, 2, 175.
SERGOVICH F.R. 1968. - Chromosome studies in unselected neonates. Abstr.
Conf. Amer. Soc. Hum. Genet. oct. 1968.
TIEPOLO L., FRACCARO M., HULTEN M., LINDSTEIN J., 1967. - Double
aneuploidy [46,XXY,D-,D-,t(DqDq)+]. Ann. Génét., 10, 114.
TURPIN R., LEJEUNE J. 1965. - Les chromosomes humains Gauthiers-Villars,
éd. Paris.
YUNES J.J., ALTER M., HOOK E.B., MAYER M. 164. - -Familial D-D
translocation. Report of pedigree and DNA replication analysis. New. Engl. J.
Med., 271, 1133.
|