L'étude d'une observation de trisomie 13 nous a permis de découvrir
qu'elle était due à une translocation familiale et de préciser le risque de
récurrence.
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Observation
L'enfant, de sexe masculin, est né le 9 janvier 1970, pesant 2,400
kg, et mesurant 47 cm. La conception est survenue huit mois après
l'interruption d'oestroprogestatifs administrés durant dix-huit mois à titre
anticonceptionnel.
La mère, primigeste, âgée de 28 ans, est traitée depuis l'enfance
pour une toxoplasmose oculaire congénitale ; le père est âgé de 45 ans
(fig. 1). L'accouchement s'est déroulé normalement, quinze jours avant le
terme d'une grossesse sans incident. Une apnée secondaire a nécessite une
réanimation de courte durée. L'indice d'Apgar était de 10 à la cinquième
minute. Un ictère physiologique est survenu le troisième jour (bilirubinémie
à 142 mg‰). L'étranglement d'une hernie inguinale gauche a motivé le
transfert de l'enfant dans le service de médecine. Le décès est survenu le
44° jour.
L'ensemble malformatif a permis de poser, dès la naissance, le
diagnostic clinique de trisomie 13 (fig. 2 et 3).
Le crâne est petit : le périmètre crânien de 31 cm à la naissance.
Le front, fuyant, est recouvert d'un duvet important. La suture métopique est
large ; la fontanelle antérieure mesure 2 X 4 cm. Dans la région
pariéto-occipitale, il existe une zone allongée, dépourvue de cheveux mais
non ulcérée ; l'os sous-jacent fait légèrement saillie sous la peau
glabre.
Les paupières, constamment fermées, sont le siège d'un hémangiome
qui s'étend à la racine du nez. Les fentes palpébrales sont horizontales. Il
existe un colobome irien bilatéral.
Le nez est épaté, réalisant une cébocéphalie. A la racine du nez,
la peau, lâche, forme un bourrelet important qui se prolonge sur la crête
nasale. La lèvre supérieure est normale ; il n'y a ni bec-de-lièvre, ni
fissure palatine. La langue encochée par un sillon médian trop profond, est
amarrée de court au plancher de la bouche. Il existe une fossette
sus-mentonnière.
Les oreilles, très petites, sont normalement implantées. L'hélix
est écrasé, martelé, adhérent. La racine de l'hélix traverse la conque
dans sa totalité et déforme l'anthélix. Les conduits auditifs sont
normaux.
Le cou est court, la peau de la nuque est lâche. Les mamelons sont
hypoplasiques. Il existe une hernie ombilicale modérée ; la hernie inguinale
gauche est, par contre, volumineuse. La verge est normale, les testicules sont
perçus à l'anneau, il y a une hydrocèle vaginale gauche.
Les quatre extrémités possèdent six doigts ; les doigts
surnuméraires, munis d'ongle, sont sessiles. A la main droite, les deux
premières phalanges du quatrième doigt sont fléchies à angle droit ; cette
flexion est réductible. Le cinquième doigt a la même longueur que le
quatrième et le recouvre presque totalement. La main gauche présente les
mêmes anomalies, mais le cinquième doigt est de taille normale (fig. 4).
Les plantes des pieds sont convexes, les talons normaux. Il existe une
palmature II-III et V-VI, complète à droite, partielle à gauche. Les orteils
surnuméraires n'ont pas de squelette osseux visible sur le cliché
radiographique. Il y a un petit ressaut à la manoeuvre d'Ortolani, à droite.
 Fig. 1. - Arbre généalogique. Famille I.P.
n°6912.
 Fig. 2 et 3. -
Trisomie 13. Tête de l'enfant, face et profil.
 Fig. 4. - Trisomie 13.
Hexadactylie.
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Examens complémentaires.
Electro-cardiogramme : microvoltage ; axe électrique à 110°.
Radiographies : Coeur globuleux avec gros débord droit. Squelette
apparemment normal, hormis l'ethmoïde qui n'est pas visible sur les
clichés.
Hémogramme: 4.050.000 globules rouges, Hb 12,5g, globules blancs
12.000, polynucléaires neutrophiles 46, polynucléaires éosinophiles 5,
lymphocytes 36, monocytes 12, myélo-neutro 1. L'étalement de sang met en
évidence de très nombreuses projections nucléaires des globules blancs (fig.
5).
Haptoglobine, type 2-2 : 0,65 g ‰.
Hémoglobines: en électrophorèse sur gel d'amidon, l'hémoglobine
F représente la presque totalité du constituant majeur ; l'hémoglobine
Bart's représente 2 % environ avec présence d'un constituant rapide minime
(sans doute ß4 ou hémoglobine H). Les deux hémoglobines embryonnaires sont
visibles: Gowers 1 (0,5 % ), et Gowers 2 en quantité moindre (Dr Labie).
 Fig. 5. - Leucocyte polynucléaire ; projections
nucléaires.
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Vérification anatomique (Dr Watchi, AP
1230).
Cerveau : taille et forme normale, 520 g. Les commissures sont en
place. Le corps calleux est réduit dans le sens antéro-postérieur, et les
cornes frontales s'écartent en avant. Trigone et fimbria sont en place.
Absence des tiges et des bulbes olfactifs. Examen microscopique (Dr Robin) :
pas d'anomalie histologique ; aucune trace de tubercule, tige ou bulbe
olfactif.
Coeur : large communication interauriculaire, canal artériel
perméable.
Abdomen : côlon droit flottant, absence des 2e et 3e portions du
duodénum, inclusion splénique dans la queue du pancréas, petit abcès
appendiculaire, microkystes rénaux cortico-médullaires, testicule droit
pelvien.
Globes oculaires (Dr Dhermy, Clinique ophtalmologique de
l'Hôtel-Dieu): colobome de l'iris (fig. 6). Un repli rétinien dysplasique
s'étend en avant, jusqu'au cristallin, et latéralement jusqu'au colobome. Ce
pli contient, dans son épaisseur, de nombreuses pseudo-rosettes (fig. 7). La
rétine visuelle recouvre la pars plana jusqu'au procès ciliaire. Le
cristallin est profondément remanié : cataracte, migration postérieure de
son épithélium jusqu'au contact du pli rétinien, et persistance de vaisseaux
cristalliniens. Absence de colobome choroïdien et d'hyperplasie du vitré
primitif.
 Fig. 6. - Colobome irien.
 Fig. 7. -
Pseudo-rosettes.
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Dermatoglyphes.
Main droite : pli palmaire transverse. Triradius axial en t"',
situé au-delà du pli palmaire. Il n'y a pas d'image dans les éminences. Il
existe un pli surnuméraire dans la région distale de la paume joignant les
IIe et IIIe espaces interdigitaux (anneau de Vénus). Triradius sous-digitaux :
a 1, b 9, c 11, d 11, e illisible. Figures digitales : I, boucle radiale ; II
et III, arche ; IV, boucle cubitale ; V, boucle radiale ; VI, boucle
cubitale.
Main gauche : pli palmaire transverse, Triradius axial en t"'. Image
complexe dans l'éminence thénar (double boucle) ; il n'y a pas d'image dans
l'éminence hypothénar. Triradius sous-digitaux : a 1, b 7, c 9 avec pelote en
9, d et e illisibles. Figures digitales : I et II, arche ; III, boucle cubitale
; IV, raquette cubitale ; V, boucle cubitale ; VI, boucle radiale.
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Cytogénétique.
L'examen chromosomique de l'enfant (I.P. n° 6912), réalisé à partir d'une culture de sang périphérique, révèle un caryotype masculin à 46 chromosomes (fig. 8). Dans les 18 mitoses analysées, il manque un élément
du groupe D qui est remplacé par un chromosome métacentrique de la taille
d'un 3. On peut conclure de cette analyse que l'enfant est trisomique pour un
chromosome D, par translocation, le caryotype étant 46,XY,-D,t(Dq Dq). Cette
trisomie homogène par translocation est retrouvée sur les 7 cellules
médullaires qui ont pu être examinées. Le frottis buccal ne décèle aucun
corpuscule chromatinïen.
Le caryotype de la mère (I.P. n°7416) est normal : 46,XX dans 16
mitoses ; le frottis jugal révèle 17 % de corpuscules de Barr.
Le caryotype du père (I.P. n°7015) a révélé de façon homogène
45 chromosomes (fig. 9). Dans les 11 mitoses analysés, il manque deux
éléments du groupe D, et l'on observe, comme chez l'enfant un chromosome 3
surnuméraire. On peut conclure à une translocation entre deux éléments du
groupe D, le caryotype étant 45,XY,-D-D, t(Dq Dq). Il n'a pas été observé
de corpuscule sur le frottis buccal.
Le caryotype de la grand-mère paternelle (I.P. n° 7332) est normal
: 46,XX dans 16 mitoses.
 Fig. 8. - Caryotype de
l'enfant.
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Autoradiographie.
L'étude autoradiographique a été faite selon la technique de W.
Schmid (7) à partir d'une culture de lymphocytes, à l'aide du marquage par la
thymidine tritiée (4). Chez l'enfant (fig. 10, F), parmi les 5 chromosomes D
libres, 2 sont fortement marqués dans la partie moyenne et distale de leur
bras long, et peuvent être identifiés comme des n°s 13 ; deux ne sont que
très faiblement marqués (les n°s 15) ; le dernier D libre est davantage
marqué ; surtout au niveau de son centromère (chromosome n° 14).
Le chromosome formé par fusion centrique a un marquage intense dans
la partie médiane et discale de l'un de ses bras. L'autre bras est surtout
marqué près du centromère. On peut donc penser que la fusion intéresse un
chromosome 13 et un chromosome 14.
Chez le père (fig. 10), il n'existe qu'un seul 13 et qu'un seul 14
parmi les chromosomes D libres. L'un des bras du chromosome 3 surnuméraire est
fortement marqué dans la partie médiane et distale, l'autre l'est au niveau
du centromère. L'étude autoradiographique permet donc de conclure à une,
translocation équilibrée entre les chromosomes 13 et 14 ; le caryotype peut
donc s'écrire : 45,XY, 13-, 14-, t(13q 14q).
L'observation de trisomie 13, par malségrégation d'une
translocation familiale Dq Dq que nous rapportons, montre l'intérêt de
l'identification des éléments du groupe D impliqués dans la fusion centrique
pour évaluer le risque de récurrence de la maladie.
La constatation, chez notre patient, d'une trisomie 13 homogène par
translocation imposait l'examen chromosomique des parents. Une trisomie par
translocation peut, en effet, survenir de novo chez l'enfant ; dans ce cas, le
caryotype des deux parents est normal et le risque de récurrence pratiquement
nul. Elle peut aussi - c'est le cas de notre observation - être la
conséquence d'un remaniement chromosomique existant chez l'un des parents. La
fusion centrique de deux éléments du groupe D : t(Dq Dq) observé chez le
père de notre proposant est la translocation la plus souvent observée dans la
population ; sa fréquence est de l'ordre de 1 pour 2.000 (2, 8, 9). Lorsque la
fusion chromosomique n'a entrainé aucune variation du dosage génique, le
phénotype de celui qui en est porteur est normal ; le risque couru par la
descendance est fonction des chromosomes impliqués dans la translocation.
Le groupe D est constitué de trou paires clé grands acrocentriques
(numéros 13, 14 et 15) qu'il est possible de distinguer par marquage
isotopique à la thymidine H3 (4). Bloom et coll. (1), Rowley et coll. (6) ont
montré que la plupart des translocations Dq Dq étaient le résultat de la
fusion d'un chromosome 13 avec un 14 ; J. de Grouchy et coll. (5) ont recensé
30 observations qui se répartissent ainsi : 23 t(13q 14q), 3 t(13q 15q), 2
t(13q 13q), 2 t(14q 15q), 1 t(15q 15q) ; une de ces observations concerne un
enfant porteur d'une double translocation : t(13q 14q) et t(13q 15q).
Seules les exceptionnelles fusions entre deux chromosomes 13 : t(13q
13q) ne permettent pas la formation de gamètes équilibrés, les uns étant
porteurs des deux chromosomes 13 fusionnés, les autres étant haplo 13 ; de ce
fait, les zygotes ne peuvent être que soit trisomiques 13 par translocation,
soit monosomiques 13, condition non viable dans l'espèce humaine. La fusion
entre deux chromosomes D de paires différentes - cas habituel - peut, par
contre, se transmettre telle quelle ; l'enfant sera alors de phénotype normal,
mais porteur de la translocation parentale. Elle peut également induire une
malségrégation ; l'enfant sera alors porteur d'une trisomie par
translocation.
La fréquence de ces accidents méiotiques a été récemment
précisée à partir de l'étude de 67 familles dans lesquelles la transmission
d'une translocation Dq Dq a été rapportée (3). Cette analyse révèle que
dans la descendance des femmes porteuses de la fusion centrique la fréquence
de la trisomie 13 est comprise entre un et cinq pour cent ; chez les entants de
phénotype normal, il ne semble pas exister de transmission préférentielle de
la translocation équilibrée. Dans la descendance des hommes porteurs de la
translocation Dq Dq, la fréquence de la trisomie 13 est de l'ordre de 1 pour
cent ; les enfants de phénotype normal se répartissent équitablement entre
porteurs et non-porteurs de la fusion centrique.
Le père de notre proposant est porteur d'une translocation Dq Dq ;
notre patient, trisomique 13 par translocation, est son fils unique.
L'hypothèse d'une fusion centrique 13q 13q n'a pu être éliminée par
l'observation de la translocation équilibrée chez l'un des ascendants, le
grand-père paternel étant décédé et le caryotype de la grand-mère
paternelle étant normal. Seul le marquage isotopique permet de penser qu'il
s'agit d'une fusion 13q 14q et que, de ce fait, le risque de récurrence est
très faible, de l'ordre d'un pour cent.
 Fig 9. - Caryotype du
père.
 Fig. 10. -
Autoradiographie. A, B, C, D, E = chromosomes D du père, F = chromosomes D de
l'enfant. Marquage à la thymidine tritiée.
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Références
1. BLOOM G. E., GERALD P. S. - Autoradiographic studies of D
chromosomes. Abstract Annual Meeting. Amer. Soc. Hum. Genet., 1967, 56.
2. COURT-BROWN W. M. - Human Population Cytogenetics, North-Holland
Publishing Co., Amsterdam, 1967.
3. DUTRILLAUX B., LEJEUNE J. - Etude de la descendance des individus
porteurs d'une translocation t(Dq Dq). Ann. Génét., 1970, 13, 11.
4. GIANNELLI F., HOWLETT R. M. - The identification of the chromosomes
of the D group (13-15) Denver: an autoradiographic and measurement study .
Cytogenetics, 1966, 5, 186.
5. GROUCHY J. de, CRIPPA L., GERMAN J. - Etudes autoradiographiques
des chromosomes humains VII. Cinq observations de t(Dq Dq) familiales. Ann.
Génét., 1970, 13, 19.
6. ROWLEY J. D., PERGAMENT E. - Possible non random selection of
D-group chromosomes involved in centric-fusion translocations. Ann. Genet.,
1969, 12, 177.
7. SCHMID W. - DNA replication patterns of human chromosomes.
Cytogenetics, 1963, 2, 175.
8. WALZER P., BREAU G., GERALD P. S. - A chromosomal survey of 2 400
normal new-born infants. Pediat., 1969, 7, 438.
9. Hurnan Population Cytogenetics, Proceeding fifth Pfizer
International Symposium, Edimburg, mai 1969.
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