En analysant les contraintes auxquelles satisfont toutes les machines
capables de simuler certains effets de l'intelligence, une classification des
troubles primaires est proposée. L'importance de la vitesse d'interrogation
des circuits permet de proposer un modèle biochimique fondé sur
l'interférence de certaines molécules avec les surfaces sensibles des
synapses et des relais de transmission. Un modèle heuristique est proposé,
tant pour la configuration électronique des synapses que pour l'investigation
systématique de perturbations métaboliques localisées.
Bien que nous connaissions un très grand nombre d'affections
susceptibles de provoquer la débilité de l'intelligence, nous ne savons
presque rien du mécanisme de cette amputation de l'esprit.
Même dans la maladie la mieux étudiée, la phénylcétonurie. la
certitude du déterminisme génétique, l'évidence du trouble chimique et
même la décou-verte d'une thérapeutique efficace n'ont point encore permis
de répondre à la question naïve : mais pourquoi de tels malades ne sont-ils
pas intelligents ?
Répondre à cette question serait d'une importance extrême car en
détectant le point d'impact de la maladie, le médecin pourrait entreprendre
une action palliative, même sans connaître entièrement le fonctionnement
cérébral : un peu comme un dépanneur remet en marche une automobile par un
froid matin d'hiver en rechargeant la batterie, sans trop se préoccuper des
lois de l'électrochimie à basse température.
Pour modeste qu'elle soit, une telle démarche im-pose cependant un
minimum de savoir faire et requiert un modèle, aussi rudimentaire soit-il,
afin de raisonner sur l'origine des accidents.
Haut
L'intelligence et la machine
Devant l'impérieuse urgence de traiter les malades. il ne peut être
question d'attendre que la patiente approche des neurologues et des
neurophysiologistes ait suffisamment éclairé les étranges rapports entre le
système nerveux et les fonctions de l'esprit. Force est donc de se contenter
d'un modèle inventé, à savoir les machines à simuler certains effets de
l'intelligence.
On a tant écrit sur le cerveau et la machine qu'il peut paraître
vain de reprendre ce parallèle. Mais peut-être serait-il profitable d'en
cerner d'abord les insuffisances pour voir ensuite si l'on pourrait en tirer un
enseignement pratique.
Haut
La complexité des systèmes
Que le cerveau humain soit beaucoup plus complexe qu'un grand
ordinateur ressort de simples chiffres. Notre cerveau contient peut-être
1010 à 1011 neurones. Comme chacun d'eux est relié à plusieurs centaines ou plusieurs milliers d'autres, on peut esti-mer que le
total des connexions s'élève à quelque 1012 ou 1013.
Cet ordre de grandeur surpasse des milliers de fois le nombre des composants
des plus puissantes machines.
D'autre part. le fonctionnement électronique des ordinateurs
paraît fondamentalement différent des réactions biochimiques des éléments
nerveux.
Mais cette différence même est d'un grand intérêt puisqu'elle
démontre que des processus rappelant ceux de l'intelligence peuvent mettre en
jeu des pro-priétés fort diverses de la matière.
Alors que l'ordinateur utilise un flux dirigé d'électrons qui
passe ou ne passe pas au travers d'un composant selon l'état de celui-ci, la
simple machine de Pascal ne fait appel qu'à l'invariance géométrique d'un
matériau solide façonné en roues et tringlerie. D'autres dispositifs fondés
sur la dynamique des fluides sont constitués de jets orientés selon des
déviations variables, alors que les engins à laser mettent en œuvre des
effets photoniques et que cer-tains systèmes reposent sur la migration
dirigée d'une bulle magnétique.
Quelle que soit, si l'on peut ainsi parler, la physiologie de ces
systèmes on s'aperçoit qu'ils répondent tous à certaines caractéristiques
apparemment impératives.
Haut
Les conditions de fonctionnement
1) Tous les systèmes connus sont constitués d'un enchaînement
d'effets en cascades, strictement déterminés et constituant un réseau
extrêmement complexe et rigoureusement établi. C'est-à -dire que tous ces
engins possèdent en commun une multitude de circuits ayant potentiellement une
signification logique.
2) Tous sont capables d'orienter des enchaîne-ments d'effets en
excluant toute diffusion parasite. C'est-à -dire que chacun des circuits
possibles comporte des aiguillages dont le jeu définit le chemin à parcourir
et que toutes les liaisons à distance sont correctement isolées les unes des
autres.
3) Tous sont faits de composants ayant une action strictement
ponctuelle et localisée, toujours la même. et toujours déclenchée dans des
conditions identiques. C'est-à -dire que chaque pièce obéit strictement à sa
loi d'action propre.
4) Enfin, chaque chaîne d'effets se déroule dans un temps précis
afin que ses conséquences puissent être confrontées avec les résultats
obtenus par un autre circuit. C'est-à -dire que la vitesse des proces-sus
élémentaires est d'une importance absolue et ne peut être modifiée.
Comme toutes les machines connues satisfont à ces contraintes, sous
peine d'inefficacité, il paraît plausible de supposer que le substratum de
l'intelli-gence réponde à ces mêmes nécessités.
Une telle analogie reste forcément très grossière puisqu'aussi
bien les machines ne simulent que certains effets de l'esprit, mais il se
pourrait que les " pannes " des machines puissent nous permettre de discerner
le point d'impact de certaines affections qui font d'un malade un débile
mental.
Haut
Les défaillances du réseauHaut
Les délabrements de structure
La constatation la plus élémentaire pourrait être l'absence d'une
partie du réseau. Ainsi l'arrhinencéphalie de la trisomie 13, l'agénésie du
corps calleux de la trisomie 18. correspondent à des défauts de constitution.
De même dans les destructions secondaires par anoxie, par hémorragie, par
infection, ou même par laminage sous la pression hydraulique d'une
hydrocéphalie, c'est la défaillance de tout ou partie du réseau qui rend
compte du déficit.
Ici, pour réparer, il faudrait réactiver les processus
embryonnaires pour obtenir une " repousse " une régénération, qu'aucun
indice ne permet d'espérer dans un proche avenir. Une autre possibilité
serait d'utiliser les extraordinaires suppléances observées dans certaines
destructions étendues. Quand on remarque que tout homme bien portant perd
chaque jour quelques milliers de neurones, on ne peut s'empêcher de penser
qu'aucune machine, si perfectionnée soit-elle, ne résisterait à cette
dégradation continue. Mais la façon dont ces suppléances peuvent être mises
en œuvre nous est totalement inconnue.
Haut
Les insuffisances de circuits
Des accidents comparables, bien que beaucoup plus fins, pourraient
porter sur l'élaboration des circuits entre neurones. Une partie des
différences innées pourraient être sous la dépendance de la qualité des
circuits constitués au cours du développement de l'individu ; bien au-delà des mises en place embryonnai-res, éventuellement jusqu'à l'âge de raison qui
correspond à la fin de la myélinisation des gaines et à l'établissement de la
plupart des connexions. Il se pourrait que des agressions toxiques puissent
gêner ce développement et que, par exemple, la débilité mentale d'enfants
génétiquement indemnes, nés de femmes atteintes de phénylcétonurie relève
d'une pathogénie de ce genre.
Haut
Les imperfections des isolants
Un autre type d'accidents pourrait résulter d'une imperfection des
isolants qui protègent le réseau contre les courts-circuits. Ces affections
des gaines sont hélas bien connues, qu'il s'agisse d'une impossibilité de
détruire l'excès d'isolant produit (inactivité de la ß-hexosaminidase dans
la maladie de Tay-Sachs) ou d'autres troubles portant sur les molécules
utilisées dans la confection des gaines de myéline (leucodystrophie
métachromatique, maladie de Niemann-Pick. de Gaucher, etc. ). Dans ces
diverses maladies, l'accumulation des substances isolantes ou de certains de
leurs dérivés amène progressivement l'inactivité et la mort du neurone et
finalement l'effondrement des performances du système.
A l'inverse de ces troubles par surcharge, de nom-breuses affections
dégénératives aboutissent à une détérioration des gaines de myéline. En
plus des syndromes neurologiques spécifiques, ces processus entraînent eux
aussi une profonde atteinte des facultés mentales.
Haut
Les troubles des connexions
A l'inverse des soudures qui relient les composants d'un calculateur
électronique, les connexions du système nerveux, les synapses, n'établissent
aucune continuité physique d'un neurone à l'autre. Bien au contraire, le
bouton d'un axone est séparé de la surface réceptrice du neurone suivant par
un espace de quelques dizaines d'ansgtröms.
Cette discontinuité confère à la synapse une loi d'action qui la
situe à mi-chemin entre une soudure et un transistor.
Schématiquement, on peut admettre que les vési-cules synaptiques
contenues dans le bouton axonal sont brusquement rompues lorsqu'un " influx
nerveux " parvient jusqu'à elles. Elles déversent alors dans l'intervalle
synaptique les molécules de médiateur chimique qu'elles contenaient. C'est
l'arrivée de ce médiateur chimique sur la surface réceptrice qui modifie
brusquement celle-ci, au point de la rendre soudainement et transitoirement
perméable à certains ions. Ce changement de perméabilité produit dans le
neurone récepteur un changement de concentration ionique dont la propagation
constitue l' "influx nerveux ",
De même. sur les fibres nerveuses, on rencontre tous les quelques
millimètres des relais de transmission, les nœuds de Ranvier, fonctionnant
vraisemblablement d'une manière assez comparable à celle des synapses, bien
que fort mal connue.
Synapses et nœuds de Ranvier sont particulièrement vulnérables
puisque de nombreuses substances peuvent bloquer leur fonctionnement, comme le
montrent abondamment les expériences pharmacologiques.
Il se pourrait alors que diverses molécules fabriquées par
l'organisme puisse modifier le fonctionnement d'un réseau, par ailleurs bien
construit. Cette situation semble correspondre à la majorité des cas de
débilité mentale dans lesquels aucun trouble anatomique majeur n'est
décelé. Dans cette hypothèse, ces malades seraient en quelque sorte des
drogués.
Qu'une intoxication puisse restreindre ou exciter les activités
intellectuelles est d'ailleurs une observation fort banale et le plus
intrépide des calculateurs ne saurait extraire une racine carrée après
l'absorption d'un ou deux verres de vin.
Haut
La vitesse d'interrogation des circuits
Compte tenu du nombre énorme des connexions nécessaires à l'établissement d'un circuit, toute perte d'efficacité se traduirait par un
allongement du temps de parcours, allant du simple ralentissement au blocage
presque complet. Comme l'activité de l'entendement face au monde extérieur
s'effectue en temps réel, on conçoit que cette vitesse joue un rôle
primordial.
Chacun sait par exemple que l'ordinateur de bord de la première
fusée lunaire devint pratiquement débile mental lors de l'arrivée sur notre
satellite. La cadence à laquelle lui parvenaient les données des instruments
excédait sa capacité de traitement des informations.
Cette servitude de temps nous est d'ailleurs familière. De même
qu'on ne peut raisonner à bride abattue, il est impossible de trop ralentir le
cheminement de la pensée sous peine de perdre, comme on le dit. le fil de ses
idées. Ainsi la conscience claire et l'analyse logique requièrent un rythme
particulier qui ne peut être volontairement modifié que dans d'étroites
limites.
Pour réaliser cet équilibre dynamique sans modification importante
des vitesses, le réseau central s'oppose à l'encombrement possible en
débranchant certains circuits qu'il contrôle ordinairement. Tel l'homme
attentif qui reste bouchée bée et langue pendante lorsqu'il admire une chose
belle : ainsi du débile mental qui tire la langue sitôt qu'il ne la rétracte
pas volontairement, tant il doit économiser ses faibles possibilités.
Haut
La recherche biochimique
De ce parallèle mécaniste entre le fonctionnement des machines et le
déroulement de la pensée, il ne ressort nullement que l'ordinateur soit un
modèle acceptable. Plus simplement, si la machine est peut-être de
l'intelligence désincarnée, l'homme est véritablement une incarnation de
l'intelligence. Et de même que les performances des machines dépendent de la
qualité de leur construction et du jeu régulier de chacun de leurs
composants, de même les défaillances du substratum de l'intelligence peuvent
expli-quer les déficiences de celle-ci.
Ainsi, les " pannes " que nous avons schématisées devraient
correspondre à des troubles métaboliques précis qui restent à découvrir.
Si la structure et le fonctionnement de la synapse étaient déjà connus, cette recherche serait grandement facilitée et c'est dans ce but que
l'ébauche suivante peut être proposée.
Haut
La signalisation moléculaire
La membrane sensible d "un neurone est assez comparable à la trappe
moléculaire qu'actionnait le fameux démon de Maxwell, laissant passer
certaines molécules et refusant l'entrée à d'autres. En effet l'adaptation du
médiateur chimique modifie sélectivement la perméabilité ionique de la
membrane et lui permet en quelque sorte de trier les particules en laissant
passer préférentiellement certains ions.
Cette rencontre du démon de Maxwell an cœur du fonctionnement
svnaptique n'est d'ailleurs nullement surprenante, puisque le cerveau étant
destiné a extraire de l'information du monde extérieur, il doit partiellement
remonter le cours de l'entropie.
On connaît à l'heure actuelle une dizaine de molécules capables de
jouer le rôle de médiateur chimique. On sait aussi qu'une surface donnée est
spécifiquement sensible à tel médiateur et non à d'autres et que des circuits
entiers utilisent exclusivement un médiateur donné (l'acétylcholine pour le
système parasympathique et la noradrénaline pour les terminaisons
sympathiques par exemple).
La spécificité moléculaire des circuits cérébraux est presque
encore inconnue mais il paraît plausible qu'un " langage moléculaire " commun
soit la caractéristique essentielle des circuits et, peut-être, la raison
même de leur relative autonomie.
On comprendrait alors que certaines intoxications ou, au contraire,
certaines médications puissent agir préférentiellement sur certaines
fonctions, comme l'humeur, la vigilance, l'idéation ou le jugement, si les
circuits qui les sous-tendent utilisent des récepteurs capables d'être
influencés par ces toxiques ou ces médicaments.
Dans cette hypothèse générale, la débilité de l'intel-ligence
ne serait que l'une des formes des maladies du substratum de l'esprit et
refléterait surtout une exploi-tation imparfaite des circuits d'analyse.
Une telle possibilité sérail en bon accord avec la préservation
remarquable de l'humeur et de la mé-moire chez de nombreux débiles mentaux et
avec le développement, souvent parfaitement normal chez ces malades, des
facultés morales et artistiques.
Haut
La structure de la membrane svnaptique
Pour ordonner un flux de particules ionisées, la membrane doit
posséder des pores dont le calibre et les propriétés électroniques soient
strictement spécifiées. D'autre part, pour reconnaître la molécule de
médiateur chimique approprié, la membrane doit présenter des sites qui lui
soient exactement complémentaires.
Les pores ioniques
Ainsi que permet de s'en assurer la construction de modèles
moléculaires [1], une chaîne peptidique refermée sur elle-même fournit un
exemple de pore ionique. En effet, le trou central se trouve bordé d'une
couronne de carbonyles qui surplombe une couronne d'azotes peptiques (planche
1).
Comme les carbonyles sont légèrement négatifs et les azotes
légèrement positifs, il s'établit une barrière de charge fermant le pore.
Cet équilibre est rompu lorsqu'une charge positive portée par le médiateur
chimique, vient s'adapter sur la couronne de carbonyles. Ainsi, l'adaptation du
médiateur peut-elle modifier sélectivement la perméabilité ionique de la
membrane.
Les sites cognitifs
La spécificité de l'adaptation du médiateur laisse supposer que
cette molécule épouse rigoureusement la surface de la membrane réceptrice.
C'est-à -dire que le site cognitif doit présenter, en regard de chacun des
atomes de la molécule du médiateur, un atome possédant une charge
électrique exactement complémentaire.
Si les pores ioniques sont bien constitués de cyclopeptides on
voit qu'il suffit de choisir les acides aminés qui les composent de telle
façon que l'assemblage de ceux-ci fournisse justement la répartition
électronique adéquate.
Par exemple, en face de la partie :

de l'acétylcholine on trouvera le cycle imidazole d'une histidine
:

parce que ces deux configurations sont topologiquement et
électroniquement complémentaires.
Ainsi que le montre une analyse systématique [2], la formule du
médiateur et celle des substances connues pour être capables de bloquer la
membrane imposent de si nombreuses contraintes que seules certaines
configurations de polypeptides cycliques peuvent y correspondre.
A titre d'exemple on notera que les configurations des planches 1
et 2 ont des propriétés différentes bien que toutes deux correspondent au
même médiateur chimique, l'acétylcholine. De fait, la configuration 1 est
sensible à la muscarine et insensible à la nicotine, alors que la configuration
II est sensible à la nicotine et insensible à la muscarine. De même,
l'atropine peut bloquer complètement la configuration 1 alors qu'elle ne peut
se fixer sur la configuration 2.
On voit par ces modèles que la spécificité des sites cognitifs
pourrait avoir un support chimique relativement simple.
 Planche 1. - Surface muscarinique représentée en modèle moléculaire
compact S.A.S.M. Configuration moléculaire de deux médiateurs chimiques,
l'acétylcholine et la muscarine, et d'un inhibiteur spécifique, l'atropine.
Dans la représentation de la membrane sensible constituée de dodécapeptides
cycliques : (histidine - phénylalanine - sérine)4, on remarquera le pore
ionique (trou central) et les sites cognitifs (situés entre deux pores
ioniques). La couronne de carbonyles (O) est chargée négativement et
surplombe la couronne d'azotes peptidiques (N) chargée positivement. La
surface a est topologiquement complémentaire des deux médiateurs chimiques,
l'acétylcholine et la muscarine. La surface b est topologiquement
complémentaire de l'inhibiteur, l'atropine. La surface c est topologiquement
com-plémentaire d'un noyau tricyclique.
 Planche 2. - Surface nicotinique
représentée en modèle moléculaire compact S.A.S.M. Configuration
moléculaire de trois médiateurs chimiques : acétylcholine, muscarone et
nicotine. Dans la représentation de la membrane sensible constituée de
dodécapeptides cycliques : (histidine - tyrosine)6, on remarquera le pore
ionique (trou central) et les sites cognitifs (situés entre les pores
ioniques). La surface a est topologiquement complémentaire de l'acétylcholine
et de la muscarone. La surface b est topologiquement complémentaire de la
nicotine. Les surfaces c, d, e, f sont topologiquement complémentaires des
divers curarisants. Dans ces modèles, un médiateur agit sur une couronne en
modifiant la charge du pore ionique et en rompant une liaison hydrogène
reliant un cyclopeptide à un autre. Un inhibiteur occupe le site cognitif d'un
médiateur et relie l'une à l'autre deux couronnes par des liaisons
multiples.
Haut
Les parasites du récepteur
Pour théoriques qu'ils soient, ces modèles fournissent une
explication possible à l'effet toxique précédemment envisagé.
En supposant qu'une molécule soit capable de se fixer plus ou moins
bien sur le site cognitif, sans pouvoir cependant modifier utilement la
barrière de charge du pore ionique, on aurait exactement l'image d'un parasite
dans la connexion. Une compétition s'établirait alors entre le médiateur
chimique et la molécule anormale. En cas de fixation très forte de cette
dernière, il y aurait blocage complet comme avec l'atropine. En cas de
fixation imparfaite, il y aurait un retard à l'action du médiateur qui
finirait cependant par l'emporter.
Ce temps de latence se traduirait par un allongement du temps de
parcours des circuits réduisant d'autant l'efficacité du réseau.
Il va de soi que cet " encrassement " des surfaces synaptiques n'est
pas le seul trouble possible et que des perturbations analogues pourraient
atteindre l'émetteur (le bouton axonal) ou encore les répétiteurs disposés
tout au long des fibres de transmission (les nœuds de Ranvier).
De plus, le raisonnement inductif qui vient d'être exposé pour les
synapses sensibles à l'acétylcholine, devrait être appliqué à tous les
autres types de synapses (noradrénergiques, dopaminergiques,
séroténinergiques, histaminergiques, etc.) avant qu'un premier recensement
des points sensibles puisse être proposé.
Haut
L'investigation systématique
La valeur de ce modèle théorique pourrait être partiellement
jugée par une sorte de contre-épreuve clinique. L' " encrassement " d'une
synapse d'un certain type devrait en modifier les réactions et un malade
souffrant d'un trouble métabolique particulier devrait alors présenter
certaines sensibilités pharmacologiques anormales.
Presqu'aucune investigation de ce genre n'a été menée chez les
malades atteints de débilité de l'intel-ligence, si ce n'est chez les sujets
atteints de trisomie 21. Ceux-ci souffrent d'une sensibilité très exagérée
à l'atropine et réagissent par une mydriase beaucoup plus intense ou une
tachycardie beaucoup plus marquée que les sujets normaux. De même leur
réaction à l'éphédrine révèle des particularités paradoxales.
Il est tout à fait possible d'envisager la mise en œuvre d'une
véritable batterie de tests pharmacologiques pour étudier ces troubles [1].
Par exemple, des essais faisant appel à la sensibilité irienne pourraient
permettre une véritable expérimentation pharmacologique sans danger pour les
patients.
Inversement, le recensement de sensibilités particulières à certains médicaments apporterait de précieuses indications. Par exemple les
réactions anormales aux neuroleptiques tricycliques, aux antidépresseurs, ou
aux inhibiteurs de la monoamine oxydase ne sont pas seulement des incidents
thérapeutiques. Systématiquement analysés, ces faits disparates
constitueraient des résultats d une expérimentation involontaire parfois
très révélatrice.
Ces investigations permettraient d'établir pour chaque maladie un
faisceau de présomptions désignant à la recherche du biochimiste telle ou
telle espèce moléculaire en raison de sa configuration et des effets qu'elle
pourrait avoir sur les récepteurs précédemment discutés.
Ainsi serait tourné l'insupportable paradoxe de Zénon puisque nous
saurions enfin quoi chercher.
Haut
Les traitements spécifiques.
Cerner ainsi le mécanisme intime d'une certaine forme de débilité
de l'intelligence dépasserait largement le seul intérêt de la
découverte.
Face aux maladies, l'arsenal thérapeutique s'accroît chaque jour
et il suffit d en rappeler quelques exemples pour voir combien les moyens sont
divers :
- fourniture de l'enzyme manquante, comme l'insuline dans le
diabète :
- contournement du blocage par des voies métaboliques adventices,
comme il arrive spontanément chez les enfants galactosémiques :
- contrôle par un antimétabolite approprié de réactions
biochimiques accélérées comme le réalisent les antithyroïdiens de
synthèse :
- réduction de l'apport des précurseurs du toxique comme dans le
régime carence en phénylalanine opposé à la phénylcétonurie :
- élimination du lexique par un antidote approprié telle la
pénicillamine chélatant le cuivre dans la maladie de Wilson :
- compensation des effets pharmacologiques comme le permettent les
antidépresseurs ou les neuroleptiques en psychiatrie.
Tous ces moyens, et bien d'autres encore, permettent de penser que
le vrai retard de la médecine de l'intelligence n'est pas dans la
thérapeutique mais bien dans la compréhension de la maladie elle-même. D'où
la nécessité de l'approche heuristique que nous venons de proposer.
Haut
Conclusion
Ces quelques réflexions n'ont pas pour but une nouvelle description
de l'étrange interaction entre l'esprit et la matière. Plus simplement, elles
tendent à déceler les dispositions de la matière qui pourrait empêcher
l'esprit de s'y manifester pleinement.
II n'y aurait alors aucune outrecuidance à tenter de guérir les
déficiences mentales car la médecine ne prétendrait nullement redonner de
l'esprit à ceux qui en seraient mal pourvus, mais leur fournirait les moyens
d'utiliser au mieux leur propre intelligence en compensant les défaillances
d'un réseau imparfait.
Haut
Références
1. Lejeune J. - Sur un modèle de recherche dans certains cas de
débilite mentale. C.R. Acad. (Paris). 1970, 271. 2068-2069.
2. Lejeune J. - Essai d'analyse topologique du site cholinergique.
C.R. Acad. Sci. (Paris), 1972. 274, 3630-3631.
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