Lors d'une analyse systématique du caryotype de nouveau-nés débiles
à terme, on observe un cas de chromosome D en anneau. Le phénotype de
l'enfant, relativement peu perturbé par rapport à celui qui est habituellement
observé chez les sujets porteurs de cette anomalie nous conduit à réexaminer
le caryotype par la technique de dénaturation.
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Observation
L'enfant est née à terme de parents bien portants respectivement
âgés de 35 ans pour le père et de 31 ans pour la mère. L'un et l'autre sont
de petite taille. Une soeur aînée, bien portante est née 8 ans auparavant.
La mère n'a pas eu d'autre grossesse, n'a pas pris de contraceptifs oraux et
n'a pas remarqué de difficulté de conception.
L'accouchement se déroule normalement, la présentation est
eutocique. L'enfant crie immédiatement et son état ne nécessite pas de
réanimation. On remarque alors, pour toute anomalie, un poids de naissance
insuffisant, de 2,3 kg et une hyperlaxité cutanée.
Au 5e jour, apparaît une discrète cyanose généralisée
prédominant aux extrémités, et coexistant avec une tachycardie. Un E.C.G.
pratiqué au 7e jour, décèle une hypertrophie ventriculaire et une surcharge
droites. Au 8e jour on note la disparition de la cyanose et l'apparition de
vomissements, d'une asthénie et d'une anorexie.
La répétition des troubles digestifs et l'aspect radiologique de
l'estomac font envisager le diagnostic de sténose hypertrophique du pylore.
L'intervention pratiquée au 17e jour infirme ce diagnostic et montre un simple
épaississement pariétal qui est incisé. Les vomissements cessent deux jours
après, et une prise de poids régulière est observée ensuite.
Depuis, la croissance est régulière mais toujours à la limite
inférieure de la normale. A 16 mois, date du dernier examen, elle pèse 10 kg,
mesure 67 cm et son périmètre cranien est de 44 cm. On constate aussi un
léger retard de la poussée dentaire : à 16 mois elle possède 8 dents.
Elle marche seule à 13 mois et prononce quelques mots à 16 mois. Son
développement psychomoteur n'a jamais été évalué par test, mais a toujours
paru tout à fait satisfaisant.
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Phénotype.
Le visage est eumorphique (fig. 1). Il n'y a pas d'anomalies de
l'angle naso-frontal, qui est bien marqué, ni d'atteinte oculaire, ni
d'anomalies du pavillon des oreilles qui portent cependant un lobule très
charnu. Le tronc et les membres sont bien formés. Aux mains, on constate des
doigts un peu courts et fusiformes.
Les dermatoglyphes montrent, à droite, un indice de transversalité
des crêtes à 29, un triradius axial en position t se terminant en 13. A
gauche, l'indice de transversalïté est à 25 et le triradius, en position t',
se termine en 13.
Dans chaque main, on constate que le pli de flexion distal de la
paume se prolonge en 11. De plus, il existe une brachymésaphalangie,
prédominant aux 2e et 5e doigts à droite et aux 4e et 5e doigts à gauche.
 Fig. 1. - Photographie du proposant.
Examens complémentaires
- Numération et formule sanguine : normales.
- Glycémie normale, taux de sodium et potassium plasmatiques
normaux.
- Glycosurie, fructosurie, galactosurie, ribosurie normales, mais
lactosurie très augmentée. Les autres examens urinaires de routine sont
normaux. Radiographies thoracique et abdominale normales.
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Examen cytogénétique.
L'analyse du caryotyppe du proposant est effectuée, à deux reprises
après culture de cellules sanguines. Sur 80 métaphases examinées, on
constate qu'un chromosome D est remplacé par un anneau. Une seule fois, on
observe un caryotype à 45,XX, -D. La présence de deux anneaux dans une même
cellule n'est jamais observée.
La taille de l'anneau est remarquablement stable, et paraît
toujours contenir un peu moins de matériel due les autres éléments du groupe
D. Aucun anneau de grande taille n'est observé. De plus, on constate la
présence d'un chromosome Gp+ dans toutes les cellules.
En méthode classique, il est impossible de préciser la nature du
r(D) (fig. 2).
Le traitement des préparations, colorées un an auparavant, par la
méthode de dénaturation ménagée [3, 7] permet l'identification du
chromosome r(D) comme un r(15) (fig. 3). De plus, le chromosome Gp+ se révèle
être un 21p+.
L'analyse des chromosomes de la mère ne montre aucune anomalie.
Chez le père et la soeur on retrouve la présence du chromosome Gp+ le reste
du caryotype étant d'apparence normal. L'analyse après coloration à la
quinacrine des cellules du père montre tune très vive fluorescence de la
partie excédentaire du Gp+.
 Fig. 2. - Montage des chromosomes
du groupe D, en coloration ordinaire. Remarquer la taille constante de
l'anneau.
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Discussion
Plusieurs dizaines d'observations de chromosomes D en anneau,
actuellement publiées, montrent que cette anomalie n'est pas
exceptionnelle.
L'analyse en autoradiographie d'un certain nombre de cas a montré
qu'il s'agit le plus souvent d'une atteinte du 13 : r(13) [pour revue, voir
5].
D'autre part, l'analyse du phénotype de trois cas, par Lejeune et
coll., puis d'un 4e [9, 12] montrait une grande ressemblance entre des
patients, dont les dysmorphies évoquaient fortement, par certains côtés, le
contretype du syndrome de la trisomie 13.
Ces dysmorphies étaient d'ailleurs observées chez des patients
reconnus porteurs d'un r(l3) par l'autoradiographie [1, 2, 11].
Enfin le chromosome D en anneau était identifié comme un r(13) par
autoradiographie [4] et définitivement par dénaturation [1] chez deux des
patients décrits par Lejeune et coll. [9].
Ce syndrome dysmorphique r(13) paraît maintenant bien établi et
caractérisé par la microcéphalie, la saillie du massif naso-frontal,
l'atteinte oculaire et la forme particulière de l'oreille externe (gouttière
de l'hélix profonde et lobule charnu).
Il est évident que l'aspect clinique de notre patient ne correspond
pas à cette description.
De plus, il ne correspond pas à la seule description d'un patient
porteur d'un r(14) par Gilgenkrantz et coll. [5].
Par contre, la discrétion de l'atteinte clinique de notre patient
rend ce cas compatible avec celui de Jacobsen [6], décrit secondairement comme
un r(15) après analyse autoradiographique et avec celui de Turner [14].
Ce faible retentissement phénotypique qui empêche toute
caractérisation clinique de l'anomalie chromosomique pourrait s'expliquer de
trois façons :
1° Le chromosome 15 possède un contenu génique dont la duplication
ou la déficience n'entraîne pas de retentissement phénotypique majeur. En
fait, la symptomatologie clinique grave observée chez un patient atteint d'une
délétion du 15 (15q-) [8] n'est pas en faveur de cette première
hypothèse.
2° La délétion entraînée par la formation de l'anneau est
contrebalancée par l'excès de matériel sur le bras court d'un 21p+ à la
suite d'une translocation 15-21 complexe. En fait, l'observation d'un Gp + chez
le père et la sueur du proposant, dont le caryotype et le phénotype sont par
ailleurs normaux laisse penser que la coexistence de l'anneau et du 21p+ est
fortuite. Ceci est confirmé par l'analyse en fluorescence montrant une région
très fluorescente sur le bras court du Gp+, ce qui ne correspond pas au
marquage habituel du chromosome 15.
3° D'anomalie subie par le chromosome n'entraîne qu'une modification
légère de son contenu génique.
En faveur de cette hypothèse plaide la stabilité de l'arceau dont la
taille est sensiblement peu diminuée par rapport à celle d'un 15 normal.
Si seules les régions télomériques ont été exclues de l'anneau,
la délétion subie correspond en effet à celle qui est entraînée par la
formation d'une translocation entre acrocentrique. En particulier une
translocation 15-15 en tandem produirait le même effet.
La stabilité de l'anneau r(15) reste difficile à expliquer, comparée
à l'instabilité observée en cas de r(13).
Le remaniement pourrait en effet entraîner la duplication-déficience
[10] d'un segment plus ou moins étendu adjacent au point de cassure du bras
long, et la description d'un cas de 15q- [8] laisse supposer que la
déficience, au moins, est compatible, avec la survie cellulaire.
On peut donc envisager l'existence d'un facteur purement mécanique
qui préserve tout particulièrement la structure de cet anneau du chromosome
15.
 Fig. 3. - Caryotype à 46, XX, r(15) après dénaturation
ménagée.
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Références
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Newborn with pecular face, polydactyly, imperforate anus, arrhinencephaly and
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second case associated with anomalous haptoglobin inheritance. Science, 156,
1746.
3. DUTRILLAUX B., LEJEUNE J. (1971). - Sur une nouvelle technique
d'analyse du caryotype humain. C.R. Acad. Sci., 272, 2638-2640.
4. EMERIT I, BOUQUEREL J., RETHORÉ M.O., LEJEUNE J. (1970). - Etude
autoradiographique d'un chromosome D en anneau. Ann. Génét., 13, 123-124.
5. GILGENKRANTZ S., CABROL C., LAUSEKER C., HARTELEYB M.E., BOHE B.
(1971). - Le syndrome Dr. Etude d'un nouveau cas (46,XX,14r). Ann. Génét.,
14, 23-31.
6. JACOBSEN P. (1966). - A ring chromosome in 13.15 group associated
with microcephalic dwarfism, mental retardation and emotional immaturity.
Hereditas, 55, 188-191.
7. LAURENT C., DUTRILLAUX B., BENDER P. (1972). Application de la
méthode de dénaturation ménagée dénaturation de préparations colorées
antérieurement. Ann. Génét., 15, 201-202.
8. LAURENT C., NOEL B., DAVID M. (1971). - Essai de classification des
délétions du bras long d'un chromosome du groupe D. A propos d'un cas 15q-
Ann. Génét., 1, 33-40.
9. LEJEUNE J,, LAFOURCADE J., BERGER R., CRUVEILLER J., RETHORÉ M.O.,
DUTRILLAUX B., ABONYI D., JÉRÔME, H. (1968), - Le phénotype Dr. Etude de
trois cas de chromosome D en anneau. Ann. Génét., 11, 79-87.
10. LEJEUNE J. (1968). - De la duplication des structures circulaires.
Ann. Génét., 11, 71-77.
11. MIKKELSEN M., NIEBUHR E, (1969). - A ring chromosome (46,XY,13r)
occuring in a family with a D.D. translocation 13-, 14-, t(13q 14q). Ann.
Génét., 12, 51-56.
12. RETHORÉ M.O., PRAUD E., LE LOCH J,, JOLY C., SARAUX H.,
AUSSANNAIRE M., LEJEUNE J. (1970). - Diagnostic clinique du phénotype
correspondant à un chromosome D en anneau. Presse méd., 78, 955-958.
13. RETHORÉ M.O. - Communication personnelle.
14. TURNER B., DEN DULK G.H., JENNINGS A.N. (1964). Ring chromosomes
and their signifiance in mental retardation. Proc. Int. Copenhagen Congress on
the Scientific Study of Mental Retardation, I, 156-161.
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