A coté des dérivés de la quinacrine qui mettent en évidence la
structure fine des chromatides (1), l'acridine orange permet, elle aussi, une
analyse en fluorescence des préparations chromosomiques.
Après dénaturation thermique, les zones colorables au giemsa
émettent une fluorescence verte, alors que celles qui retiennent peu ce
colorant ont une fluorescence rouge [(2), (3)]. Chez l'Homme, des chromosomes
traités par dénaturation thermique ménagée présentent une fluorescence
verte localisée au niveau des bandes R et une fluorescence rouge au niveau des
bandes Q (4). Cette observation suggérait que la fluorescence verte
correspondait à l'ADN non dénaturé (ou déjà renaturé) et la fluorescence
rouge à l'ADN dénaturé.
Des essais systématiques nous ont montré que l'acridine orange
induisait la même fluorescence verte au niveau des bandes R, aussi bien après
dénaturation thermique ménagée qu'en l'absence de toute dénaturation.
Cette même spécificité est retrouvée après coloration avec la
coriphosphine O et l'aurophosphine : ces deux fluorochromes induisent eux aussi
une fluorescence des bandes R. Par contre, des dérivés voisins (acridine
jaune, acriflavine, moutarde à la quinacrine) provoquent tous, dans les mêmes
conditions expérimentales, une fluorescence des bandes Q.
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Matériel et méthode
Une solution-mère d'acridine orange, de coriphosphine ou
d'aurophosphine est préparée à la concentration de 1 mg/ml dans de l'eau
bidistillée ; cette solution-mère semble se conserver aisément. La solution
finale qui reste stable plusieurs jours, est faite en diluant 5 ml de cette
solution-mère dans 95 ml de solution tampon phosphate M/15 de pH compris entre
6 et 7 ; les meilleurs résultats ont été obtenus à pH 6,7.
Les lames préparées selon la technique habituelle (5) sont
hydratées jusqu'à l'eau distillée par passage dans des bains d'alcool
éthylique de titre dégressif. Elles sont ensuite plongées dans la solution
colorante pendant 20 mn. Au bout de ce temps, elles sont rincées rapidement
dans un bain de tampon phosphate à pH 6,7. Les préparations sont enfin
montées sous une lamelle dans une goutte de tampon phosphate.
L'observation microscopique en lumière ultraviolette est pratiquée
avec un microscope " Zeiss " équipé d'une lampe à vapeur de mercure " HBO 200
" avec filtre d'excitation II et filtre d'arrêt " 47 ", Pour les photographies
en noir et blanc, le contraste peut être augmenté par l'emploi du filtre
d'arrêt " 65 ". L'intensité de la fluorescence est cependant suffisante pour
permettre l'utilisation d'une simple lampe au tungstène, survoltée, avec
filtre d'excitation " BG 38 " et " KP 500 " et filtre d'arrêt " 50 ".
L'expérience nous a montré que des lames préalablement colorées
par le mélange de giemsa peuvent être utilisées.
De même, la coloration par l'acridine orange peut être appliquée à des lames ayant été traitées par dénaturation thermique ménagée (6),
digestion enzymatique protéolytique (7) ou par la RNase employée ici à la
concentration de 1 mg/ml pendant 1 h à 37°.
Enfin, une lame précédemment colorée à l'acridine orange peut être
rincée à l'alcool et secondairement colorée à la quinacrine.
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Résultats
Après coloration avec l'acridine orange, la coriphosphine ou
l'aurophosphine, les préparations émettent une fluorescence intense et
durable d'aspect général bicolore.
L'observation des mitoses révèle 3 types de coloration :
1. Dans celles des amas cellulaires, la fluorescence est, dans
l'ensemble, uniformément orangée. Après une irradiation ultraviolette de
quelques minutes, il apparaît sur les chromosomes une fluorescence verte à l'emplacement des bandes R et une fluorescence rouge orangée à l'emplacement
des bandes Q. Après une irradiation prolongée, la teinte verte s'étend à toute la longueur des chromatides.
2. La plupart des mitoses se révèlent d'emblée bicolores
(fluorescence verte des bandes R et orange des bandes Q, avec une fluorescence
rouge du nucléoplasme périchromosomique) ; elles deviennent uniformément
vertes après plusieurs minutes d'irradiation.
3. Les mitoses isolées sont souvent d'emblée entièrement vertes ;
Leur fluorescence reste stable pendant longtemps et ne laisse apparaître de
marquage à aucun moment.
Les lames ayant été soumises à une dénaturation thermique ménagée
(6), ou à une digestion enzymatique protéolytique (7) donnent un marquage des
bandes R identique à celui des préparations non traitées. L'action de la
RNase fait disparaître la fluorescence rouge du nucléoplasme
périchromosomique, mais laisse persister la fluorescence chromosomique R et
Q.
Ces mêmes techniques laissent subsister aussi le marquage spécifique
des bandes Q par la moutarde à la quinacrine.
La possibilité de colorer les préparations par la " moutarde de
quinacrine " après l'acridine orange permet d'obtenir, pour la même mitose,
le type et le contretype du marquage par ces deux procédés de coloration
très comparables (pl.).
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Explication de la planche
Photographie de chromosomes humains colorés successivement à l'acridine orange puis à la quinacrine.
Le même chromosome d'une paire donnée a été choisi pour comparer
les différences de fluorescence. Dans chaque doublet, l'élément situé à gauche a été coloré à l'acridine orange et montre les bandes R ; celui
placé à droite a été coloré ensuite à la quinacrine et montre les bandes
Q.
Ainsi, l'opposition des zones de fluorescence est clairement mise en
évidence.
Correction sur épreuve : Lors du clichage l'élément de droite du
chromosome 3 a été retourné, d'où l'apparente incohérence entre les bandes
R et Q.
 Planche I.
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Discussion
Ces essais montrent qu'il est possible d'analyser spécifiquement les
bandes R en fluorescence à l'aide de trois fluorochromes : acridine orange,
aurophosphine et coriphosphine O, et les bandes Q par d'autres dérivés
voisins de la quinacrine.
La dénaturation thermique ménagée et la digestion enzymatique
modifient peu l'action des fluorochromes qui conservent leur spécificité
propre de type R ou de type Q.
Ces résultats différent grandement de ceux obtenus par la coloration
au mélange de giemsa qui est profondément modifiée par ces traitements
préalables [(6), (7)].
La spécificité R ou Q dépendant de la structure chimique du
fluorochrome utilisé, il serait intéressant de tenter de prévoir la
structure chimique du " récepteur " sur lequel ces deux types de fluorochromes
peuvent se fixer.
Dès maintenant, deux hypothèses sont possibles. Ou bien les bandes R
et les bandes Q portent le même " récepteur " et diffèrent seulement par la
quantité de ce dernier, ou bien les bandes R et les bandes Q Correspondent à des " récepteurs " différents.
Dans la première hypothèse, les bandes Q auraient une affinité plus
grande que les bandes R pour les fluorochromes. Ainsi, une forte concentration
au niveau des zones Q, donnerait une fluorescence rouge des fluorochromes de
type R et une fluorescente verte des fluorochromes de type Q. Inversement, une
faible concentration au niveau des bandes R donnerait une fluorescence verte
des fluorochromes de type R et une fluorescence extrêmement faible des
fluorochromes de type Q.
Dans la seconde hypothèse, la constitution chimique moyenne des deux
zones Q et R diffèrerait par la concentration locale des deux " récepteurs "
spécifiques R et Q et les expériences décrites ci-dessus correspondraient à une analyse " chimique " des chromatides.
La spécificité bien connue de l'acridine orange (8), donnant une
fluorescence verte avec l'ADN et rouge avec l'ARN pourrait fournir une
première approche, mais la persistance de bandes Q orange après action de la
RNase ne permet pas de proposer un modèle explicatif simple. De plus, la
fluorescence orangée de l'acridine orange avec divers mucopolysaccharides est
une autre cause d'incertitude.
Enfin, la possibilité de fluorescence verte ou rouge selon que
l'acide nucléique observé est monocatenaire ou bicatenaire, rendent la
discussion particulièrement difficile.
En conclusion, il nous apparaît que la différence entre bandes Q et
bandes R, démontrée directement par les fluorochromes de type Q et de type R,
renforce la notion d'une différence chimique entre ces deux zones
chromosomiques, mais ne permet pas encore de trancher entre le caractère
qualitatif ou quantitatif de cette différence.
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Références
(1) T. CASPERSSON, L, ZECH, F,. J. MODEST, G. F. FOLEY, U. WAGH et E.
SIMONSSON, Exp. Cell. Res., 58, 1969, p, 141.
(2) A. DE LA CHAPELLE, J. SCHRODER et R. K. SELANDER, Hereditas, 69,
1971, p. 149.
(3) J. C. STOCKERT et J. A. LISANTI, Chromosoma, Berlin, 37, 1972, p.
117.
(4) H. LUBS, Proc. Nobel Symposium, 1972 (à paraître).
(5) B, DUTRILLAUX et J. COUTURIER, in: Monographie annuelle, ,Soc.
Fr. Biol. Clin., 1972, p. 5.
(6) B. DUTRILLAUX et J. LEJEUNE, Comptes rendus, 273, Série D, 1971,
p. 2638.
(7) B. DUTRILLAUX, J. DE GROUCHY, C. FINAZ et J. LEJEUNE, Comptes
rendus, 273, Série D, 1971, p. 587.
(8) P GANTER et G. JOLLES, Histochimie normale et Pathologique,
Gauthier-Villars, Paris, 1969.
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