Un chromosome G anormal est observé chez deux germains dysmorphiques
et débiles mentaux. Le même élément est retrouvé dans le caryotype de leur
mère dont le phénotype est normal. Une translocation réciproque n'est mise
en évidence chez cette dernière qu'après l'emploi de la technique de
dénaturation ménagée [2]. L'identification des éléments remaniés indique
que les enfants sont partiellement trisomique 15 et monosomiques 21.
Haut
Observations de la famille I.P. n° 9048 (fig.
1)
Sujet V-3 : l'enfant, du sexe féminin, est née le 15 juillet 1958,
au terme d'une grossesse normale, pesant 2,6 kg. Un purpura thrombopénique est
survenu à 4 ans et a régressé sans séquelles. Les premières règles sont
apparues à 12 ans. Il ne semble pas exister d'anomalie viscérale.
En avril 1973 (fig. 2), soit à 14 ans 9 mois, le poids est de 57 kg,
la taille de 149 cm, le périmètre crânien de 54 cm.
Le visage est ovalaire. Le front est haut et plat, les régions
temporales rétractées, le chignon occipital très marqué. Les cheveux,
châtain avec des reflets roux, sont implantés bas sur la nuque. Le cuir
chevelu, de même que tout le revêtement cutané, est très
séborrhéique.
Les yeux sont trop enfoncés dans les orbites. Il existe un strabisme
divergent. Les iris, marron foncé, ont une structure normale. Les fentes
palpébrales sont horizontales ; il n'y a ni épicanthus, ni hypertélorisme.
La racine du nez est saillante, le, nasion peu marqué.
Le nez, volumineux et charnu à son extrémité, paraît avoir été
cassé dans l'enfance (chute à 4 ans). La lèvre supérieure est courte ; le
raphé médian du philtrum est très prononcé, la lèvre inférieure
éversée, le menton en retrait.
Les oreilles sont implantées un peu bas. Des deux cotés, l'ourlet de
l'hélix est large, régulier, avec une petite encoche à la partie supérieure
du pavillon. La branche horizontale de l'anthélix s'insère un peu bas. Le
lobe est très charnu, le conduit auditif large.
Le cou est court. Les épaules, étroites, sont déportées en avant ;
les acromions sont saillants. Les seins sont très développés. La cyphose
dorsale est irréductible. Les organes génitaux externes sont normaux.
Dans les deux mains, la deuxième phalange des IIIe et IVe doigts est
trop longue. Il existe une palmature des IIe et IIIe orteils. Les
dermatoglyphes sont schématisés sur la figure 3.
L'hypertonie est généralisée. La patiente marche sur la pointe des
pieds. L'extension des membres est limitée. La débilité mentale est profonde
: le Q.D. est de 17 en avril 1973. Le visage est peu expressif, le regard
absent, la lenteur extrême.
Sujet V-4 : l'enfant, du sexe masculin et pesant 2,4 kg, est né le 16
avril 1968, à la fin du huitième mais d'une grossesse bien tolérée. Il ne
semble pas exister d'anomalie viscérale.
En avril 1973 (fig. 4), soit à l'âge de 5 ans, l'enfant pèse 19,6
kg, mesure 110 cm ; le périmètre crânien est de 52 cm.
La forme générale du visage est ovalaire. Le front est haut avec une
suture métopique légèrement saillante. Les tempes sont rétractées ; la
région occipitale est très développée. Les cheveux roux et frisés,
clairsemés sur la partie antérieure du crâne, sont abondants et implantés
bas sur la nuque.
Les yeux sont trop enfoncés dans les orbites. L'espace
intercaronculaire est de 3,2 cm alors que les fentes palpébrales.
horizontales, mesurent 2,2 cm. Il n'y a pas d'épicanthus. Les iris, marron
foncé, ont une structure normale. Le strabisme, convergent, est très
intense.
La racine du nez est saillante, le nasion peu marqué. La lèvre
supérieure est courte, le philtrum normal, la lèvre inférieure éversée, le
menton en retrait, le palais ogival, la langue normale.
Les oreilles, grandes, régulièrement ourlées, légèrement
décollées, sont implantées bas. Des deux cités, la branche horizontale de
l'anthélix s'insère juste au-dessus de la racine de l'hélix, le lobe est
très charnu, le conduit auditif large.
Le cou est très court. Les épaules, étroites, sont déportées en
avant, les acromions sont saillants. Le méso-sternum est déprimé, la cyphose
dorsale irréductible. Il existe, à gauche, un mamelon surnuméraire. Les
testicules sont perçus à l'anneau ; le prépuce est long.
A tous les doigts, la deuxième phalange est trop longue. Il existe
une palmature des IIe et IIIe orteils. Les dermatoglyphes sont schématisés
sur la figure 5.
L'hypertonie est généralisée. L'extension complète des membres est
impossible. L'enfant marche sur la pointe des pieds. La débilité mentale est
très profonde : en avril 1973 le Q.D. est de 20. Le patient ne parle pas,
n'est pas encore propre, ne mange pas seul.
 Fig. 1. - Arbre
généalogique de la famille I.P. n°9048.
 Fig. 2. - sujet V,3 à l'âge de 14
ans 9 mois.
 Fig. 3. -
Dermatoglyphes du sujet V,3.
 Fig. 4. - Sujet V,4 à l'âge de 5 ans.
Haut
Analyse cytogénétique.
Des premiers examens chromosomiques de cette famille ont été
effectués en 1971 selon la technique classique au Giemsa [6]. Chez les deux
enfants, l'analyse des caryotypes révèle que l'un des chromosomes G possède
un bras long trop court et un bras court trop long (fig. 6a). D'éventualité
d'une inversion péricentrique est alors envisagée.
Tandis que les caryotypes du père (IV-4), de la tante (IV-6 ) et de
la grand-mère maternelle (III-4) sont normaux, celui de la mène (IV-5) après
coloration ordinaire, est tout à fait comparable à ceux des enfants avec un Gp+
q- (fig. 6b). Cette observation fait supposer l'existence d'un remaniement plus
complexe et amène à refaire les examens chromosomiques en utilisant les
techniques de marquage.
Après dénaturation par la chaleur [2], on observe, chez les deux
enfants, deux chromosomes 22 et un seul chromosome 21 normal. Le bras long du
quatrième élément du groupe G est trop court et très coloré dans sa partie
juxtacentromérique. Son bras court, de longueur exagérée et très faiblement
coloré, peut être constitué de matériel hétérochromatique banal (fig.
7d). Aucune autre anomalie n'est observée dans les caryotypes.
Chez la mère, la même technique permet de retrouver, à la place d'un
21, un petit acrocentrique identique à celui observé chez les enfants. On
remarque, de plus, que la région juxtacentromérique du bras long d'un
chromosome 15 est trop pâle (fig. 7a).
La Finesse de l'anomalie est telle que de nombreux examens ont dû
être effectués avant qu'on puisse affirmer l'existence du remaniement. Cette
observation nous a amenés à conclure, chez cette femme, à une translocation
réciproque t(15q ; 21q) : le petit acrocentrique étant un 15q - ; le grand
acrocentrique étant constitué d'un chromosome 21 et d'une grande partie du
bras long d'un 15.
Cette translocation a été également mise en évidence en
fluorescence (fig. 7b), après coloration des préparations par la moutarde de
quinacrine [1].
Afin de préciser l'emplacement des points de cassure et la
réciprocité de la translocation, nous avons appliqué la méthode des bandes
T [3]. La bande terminale fluorescente du 21 est alors retrouvée sur le 15q-
(fig. 7c). Cette observation permet d'affirmer qu'il s'agit bien d'une
translocation réciproque et indique que la cassure du 21 se situe dans la
partie distale de q21 ou dans q22,1, celle du 15 étant vraisemblablement dans
la bande q13 [5]. La formule chromosomique de cette translocation est donc
:
46,XX,t(15 ; 21) (q13 ; q22,1)
Les deux enfants ayant reçu de leur mère un 15 normal et le 15q-
sont trimomiques 15 pour la partie juxtacentromérique (15p13 ? 15q13) et
monosomiques 21 pour les régions juxtacentromérique (21p13 ? 21q21). Leur
formule chromosomique est donc :
Sujet V,3 : 46,XX,-21,+der (15), t(15 ; 21) mat
Sujet V,4 : 46,YX,-21,+der(15), t(15 ; 21) mat
 Fig.
5. - Dermatoglyphes du sujet V,4.
 Fig. 6. - Technique classique au Giemsa, Montage des groupes D et
G. a) des enfants ; b) de la mère. Remarquer le chromosome G anormal.
 Fig. 7. - Montage des groupes D
et G. a, b et c : Translocation maternelle 46,, t(15 ; 21) (q13 ; q22,1). a)
après dénaturation par la chaleur. b) en fluorescence après coloration par
la moutarde de quinacrine. c) méthode des bandes T. d) Trisomie 15 et
monosomie 21 partielles : -21, +der (15), t(15 ; 21) mat.
Haut
Discussion
La seule analyse par la technique de coloration classique ne
permettait pas de différencier le caryotype de la mère de celui de ses
enfants. Dans ces conditions, il n'était pas possible d'attribuer à une
origine chromosomique l'état pathologique observé chez ces derniers.
Seules les techniques de marquage ont permis d'une part d'identifier
le chromosome G remanié et d'autre part de mettre en évidence une
translocation équilibrée chez la mère.
L'emplacement des points de cassure de cette translocation,
particulièrement difficile à analyser en raison de la petite taille des
segments échangés et de la configuration des éléments impliqués, n'a été
précisé que par l'emploi simultané de plusieurs techniques. Seule l'analyse
par la méthode des bandes T a permis d'affirmer la réciprocité de la
translocation.
Dans l'ignorance où nous sommes de la pathologie du chromosome 15 il
n'est guère possible de définir le rôle joué par la trisomie 15 partielle
dans le phénotype des deux patients. Par contre, on retrouve chez eux un
certain nombre d'éléments observés dans les monosomies partielles du 21 [4]
tels que l'hypertonie, la débilité mentale profonde, la saillie de la racine
du nez et l'élargissement du conduit auditif externe.
Une analyse détaillée des effets de dosage induits par divers
remaniements du 21 (monosomies et trisomies partielles) est actuellement en
cours et sera rapportée ultérieurement.
Haut
Références
1. CASPERSSON T., ZECH L., JOHANSSON C. (1970). Analysis of human
metaphase chromosome set by aid of D.N.A. binding fluorescent agents. Exp. Cell
Res., 62, 490-492.
2. DUTRILLAUX B., LEJEUNE J. (1971). - Sur une nouvelle technique
d'analyse du caryotype humain. C.R. Acad. Sci. (Paris.), 272, 2638-2640.
3. DUTRILLAUX B. (1973). - Nouveau système de marquage chromosomique
: les bandes T. Chromosoma, 41, 395-402.
4. LEJEUNE J., BERGER R., RETHORÉ M.O., ARCHAMBAULT L., JÉROME H.,
THIEFFRY S., AICARDI M., BROYER J., LAFOURCADE J., CRUVEILLER J., TURPIN R.
(1964). Monosomie partielle pour un petit acrocentrique. C.R. Acad. Sci.
(Paris), 259, 4187-4190.
5. PRIEUR M., DUTRILLAUX B., LEJEUNE J. (1973). Planches descriptives
des chromosomes humains (analyse en bandes R et nomenclature selon la
conférence de Paris 1971). Ann. Génét., 16, 39-46.
6. TURPIN R., LEJEUNE J. (1965). - Les Chromosomes Humains.
Gauthier-Villars, éd., Paris.
Haut
Notes
(*) Maître de recherches à l'I.N.S.E.R.M.
(**) Chargé de recherches au C.N.R.S.
|