L'ANALYSE chromosomique des tumeurs malignes présente un triple
intérêt : contrôle de la stabilité ou de la transformation dune tumeur,
étude des stades initiaux de la carcinogénèse, découverte d'éventuelles
anomalies caractéristiques comme l'ont été le chromosome Philadelphie de la
leucémie myéloïde, le chromosome marqueur de certaines tumeurs de l'ovaire,
le chromosome C supplémentaire d'une variété de lymphomes (9, 8, 4).
Cependant l'analyse des chromosomes tumoraux se heurte sur le plan
pratique à certains problèmes techniques qui en limitent l'utilisation :
difficulté d'obtention à l'examen direct de mitoses analysables, fréquence en
milieu de cultures d'une prolifération conjonctive étouffant la lignée
cancéreuse, etc. Par ailleurs la nature même du tissu tumoral le rend peu
accessible aux méthodes d'analyse chromosomique couramment utilisées pour les
autres variétés de tissus.
Dans le cadre d'une étude de ces différents problèmes en vue de la
mise au point de méthodes réellement fidèles et efficaces d'examen des
caryotypes tumoraux, nous avons abordé dans un premier temps l'analyse des
tumeurs en culture organotypique.
Et. et Em. Wolff ont mis à notre disposition 2 cultures de longue
durée de tumeurs prélevées chirurgicalement chez l'Homme. L'une Z 200 est
une culture d'une métastase hépatique dont les caractères chromosomiques ont
été précisés antérieurement par J. de Grouchy et Em. Wolff (5). L'autre AZ
110 provient d'un épithélioma humain du côlon ascendant (11, 12, 13). Le but
de cette Note est seulement d'exposer la technique qui avec ce type de tumeur
nous a donné les meilleurs résultats.
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Technique (fig. 1)
Les nodules tumoraux maintenus en culture organotypique de longue dure
sont traités entre le 3e et le 5e jour après un repiquage, stade ou l'index
mitotique est optimum.
1) Ils sont soumis d'abord à un traitement à la colchicine pendant 2 h
à 37°, en recouvrant les nodules en place, d'une solution physiologique
(P.B.S., tyrode ou Gey) additionnée de 0,1 mg % de colchicine (colchineos
Houdé).
2) La dissociation mécanique et chimique des nodules constitue un
temps essentiel, qui permet la libration d'un maximum de cellules isoles. Les
nodules traités â la colchicine sont déposés dans une boîte de Pétri
contenant 2 à 3 ml de solution de trypsine à 0,2 % (trypsine Difco 1 /250) dans
du P.B.S. ou solution de Gey.
Ils sont fragmentés soit par sections multiples au bistouri, ou mieux
par écrasement sur une surface rugueuse permettant une dilacération
complète. Pour cela, les nodules sont déposés avec une goutte de solution de
trypsine, sur une lime très fine en acier fondu, et écrasés au moyen d'une
lame de bistouri (7). La suspension d'îlots cellulaires obtenus, après avoir
pris soin de détacher les fragments restés adhérents à la lime, est
transférée dans un tube à fond cônique et mise à 37° pendant 20 minutes.
L'action chimique de la trypsine est améliorée si l'on agite le milieu avec
une pipette Pasteur, toutes les 5 minutes. Après ce délai, on laisse
décanter la suspension pendant quelques minutes dans le tube en position
verticale. Le surnageant est stocké à 4°. Le culot est remis en suspension
dans 3 ml de solution de trypsine et placé à 37° pendant 15 minutes. Les 2
lots de cellules sont ensuite réunis et centrifugés 5 minutes à 800
trs/minute. La solution de trypsine est alors éliminée.
3) La 3e phase du traitement est conforme aux techniques déjà publiées (10, 2) ; elle comporte un choc hypotonique qui permet d'obtenir la
dispersion des chromosomes à l'intérieur de chaque cellule en mitose. Le culot
cellulaire obtenu par centrifugation est remis en suspension dans 5 à 8 ml de
liquide hypotonique constitué de la façon suivante :
Eau bidistillée : 50 ml
Sérum Poulain : 10 ml
Solution de CI2Mg (*) : 0,5 ml
Hyaluronidase (**) : 3ml
Ce traitement dure 25 minutes à 37°.
Le liquide hypotonique est ensuite éliminé par centrifugation (5 mn
à 800 trs/mn).
4) Fixation. Une première fixation est réalisée par remise en
suspension du culot cellulaire dans le mélange de Carnoy (6 : 3 : 1) pendant
25 minutes à la température du laboratoire ; après centrifugation et
élimination du fixateur, le culot est repris dans le deuxième fixateur
éthanol acétique (3 : 1) pendant 15 minutes.
Après une nouvelle centrifugation, le fixateur est éliminé et le
culot est délicatement remis en suspension dans 2 gouttes d'éthanol
acétique.
5) L'étalement est fait sur des lames humides stockées
préalablement à + 4°C dans de l'eau bidistillée pendant 15 minutes. Un fait
tomber 2 gouttes de la suspension cellulaire sur chaque lame égouttée. Les
lames sont mises à sécher en position horizontale.
6) Coloration. Les lames sont plongées pendant 10 minutes dans le
liquide de Giemsa à la dilution suivante :
Solution de Giemsa R : 4 ml
Tampon phosphate à pH 6,7 : 4 ml
Eau bidistillée : 92 ml
Les lames sont ensuite rincées quelques secondes à l'eau courante et
après séchage à l'air libre, l'examen microscopique peut être pratiqué
(fig. 2).
Il est indispensable de compléter l'examen morphologique habituel par
une analyse des " bandes chromosomiques " obtenues par dénaturation thermique
ménagée suivant une méthode précédemment décrite (3) (1). Les lames déjà colorées peuvent être soumises à ces traitements (6).
L'observation microscopique de ces bandes se fera de préférence au
contraste de phase, en utilisant un filtre orange pour les prises de vue
photographiques (fig. 3).
 Fig. 1 - Diagramme résumant les
différentes étapes du traitement de la tumeur.
 fig. 2 - Chromosomes de la tumeur AZ
110 après éclatement et coloration au Giemsa.
 Fig. 3 - La technique de
dénaturation fait apparaître un marquage chromosomique permettant une
meilleur identification des différentes paires chromosomiques.
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Notes
(*) Formule de la solution de chlorure de magnésium : Cl2Mg, 6H2O :
20,33 g. Eau bidistillée 1000 ml.
(**) Hyaluronidase CHOAY.
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Références
1. CARPENTIER S., DUTRILLAUX B., LEJEUNE J., 1972. - Effet du milieu
ionique sur la dénaturation thermique ménagée des chromosomes humains. Ann.
Génét., 15, 3.
2. CARPENTIER S., LEJEUNE J., 1970. - Banque de cellules diploïdes
humaines à caryotypes anormaux. Ann. Génét., 13, 135-140.
3. DUTRILLAUX B., LEJEUNE J., 1971. - Sur une nouvelle technique
d'analyse du caryotype humain. C. R. Acad. Sci. (Paris), 272, 2368.
4. GARIEPY G., CADOTTE M., 1970. - Lymphome malle caractérisé par
une trisomie C. Ann. Génét., 13, n° 2, 112.
5. De GROUCHY J., WOLFF Em., 1969. - Analyse chromosomique d'une
tumeur cancéreuse humaine en culture organotypique. Europ. J. Cancer, 5,
159-163.
6. LAURENT C., DUTRILLAUX B., BINDER P., 1972 - Application de la
méthode de dénaturation ménagée : dénaturation de préparations
antérieurement colorées. Ann. Génét., 15, 3.
7. LEJEUNE J., BERGER R., CARPENTIER S., 1968. - Dispositif de
dissociation d'un tissu en îlots cellulaires séparés. Ann. Génét., 11,
68.
8. LEJEUNE J., BERGER R., 1966. - Sur une méthode de recherche d'un
variant commun des tumeurs de l'ovaire. C.R. Acad. Sci. (Paris), 262,
1885-1887.
9. NOWELL P. C., HUNGERFORD D. A., 1969. - Chromosome studies on
normal and leukaemic human leukocytes. J. nat. Cancer Inst., 25, 85-109.
10. TURPIN R., LEJEUNE J., 1965. - Les chromosomes humains. Gauthier
Villars éd., Paris.
11. WOLFF Et., WOLFF Em., 1965, - Développements récents de la
culture organotypique de deux tumeurs humaines d'origine digestive. Presse
méd., 73, 20, 1157-1162.
12. WOLFF Et., WOLFF Em., 1966. - Cultures organotypiques de longue
durée de deux tumeurs humaines du tube digestif. Europ. J. Cancer, 2,
93-103.
13. WOLFF Em., SMITH J., WOLFF Et., 1972. - Etude expérimentale d'une
nouvelle tumeur maligne humaine du côlon ascendant en culture organotypique de
longue durée. C. R. Acad. Sci. (Paris), 274, 341-345.
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