En 1970, Lejeune et coll. ont rapporté le cas d'un enfant, G.C.,
porteur d'une trisomie partielle du chromosome 18, liée à une translocation
18F, maternelle, héritée du grand-pére. Les examens chromosomiques
effectués dans cette famille (fig. 1) par la méthode de dénaturation
ménagée (Dutrillaux et Lejeune, 1971), ont montré que le sujet I,3 est
porteur d'une translocation 18; 21, réalisant deux éléments, l'un composé
du bras long du 18 et du bras long du 20 (chromosome remanié, R1), l'autre
composé du bras court du 18 et du bras court du 20, (chromosome remanié, R2).
Le sujet II,9 a reçu de son père les deux chromosomes remaniés R1 et R2. Le
sujet III,1 a reçu de sa mère le chromosome remanié R2 ainsi qu'un 18 et un
20, tous deux normaux, provenant de sa grand-mère I,4. Ainsi, le chromosome R2
est, pour les paires 18 et 20, le seul élément que le propositus ait reçu de
son grand-père.
L'étude immunogénétique du propositus et de sa famille maternelle a
permis de faire deux observations : la première est l'existence chez le
propositus, à première vue O, d'un caractère A faible erythrocytaire et
salivaire, transmis par la mère A1O, le père étant BO. La seconde
observation est que tous les sujets possédant le chromosome remanié R2,
c'est-à -dire le propositus, sa mère et ses deux tantes, sont porteurs du
même haplotype HL-A, hérité du grand-père I,3.
La relation éventuelle entre l'anomalie de la formule chromosomique
du propositus et l'expression anormale du locus ABO est étudiée. Il est en
effet tentant de rapprocher ces deux évènements rares.
 Fig.
1. Anomalie de la formule chromosomique. Montage réalisé à partir d'une
cellule de la mère et d'une cellule du propositus, observées après
dénaturation ménagée par la chaleur
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Étude immunogénétique
Le tableau 1 montre l'arbre généalogique de la famille maternelle
et paternelle et indique les phénotypes erythrocytaires et salivaires
étudiés ainsi que les génotypes HL-A.
Le tableau 2 donne les groupes d'enzymes erythrocytaires et les
groupes sériques du propositus et de ses parents.
L'étude des groupes érythrocytaires ABO des ascendants et des
parents du propositus démontre que son père est génétiquement BO et sa
mère génétiquement A1O.
Le propositus est apparemment O : ses hématies ne sont pas
agglutinées ni par plusieurs anti-A de sujets O, ni par plusieurs anti-A de
sujet B, ces sérums ayant été sélectionnés pour leur titre élevé.
Cependant, si aucune absorption sur ses hématies n'a été notée avec un
anti-A de sujet B, par contre une absorption-élution faible a été observée
lorsque l'on utilise un anti-A de sujet O (tableau 3). Cette observation nous a
conduit à utiliser une méthode plus sensible de dosage des antigènes
érythrocytaires (Marcelli-Barge et coll., 1973). Cette méthode a été mise
au point en titrant l'activité résiduelle d'un anti-A, absorbé
préalablement avec des quantités croissantes d'hématies A, en débutant par
des doses extrêmement faibles (0,025% d'hématies A1 mélangées à du sang O
ont été détectées avec 1 ml de sérum anti-A naturel de titre 1:16 en
sérum physiologique et utilisé au 1/50e). La mesure du pouvoir agglutinant
résiduel de I'anti-A vis-à -vis d'hématies A1 est effectuée dans un circuit
modulaire d'analyse automatique, en utilisant le polybrène à basse
concentration ionique.
Par cette méthode,
1. la capacité absorbante des hématies du propositus a été
comparée à celle d'hématies de 5 sujets O. Le test t appliqué aux valeurs
des points qui ont permis de tracer la courbe témoin O et celles du propositus
montre que ces deux types de courbes présentent une différence significative
à p < 0,001 (tableau 4 et fig. 2).
2. Les titres obtenus après absorption d'un même sérum anti-A de
sujet O avec les hématies du propositus et avec des doubles populations de
globules rouges A1 et O contenant des doses croissantes d'antigène A ont été
comparés. Cette étude permet d'évaluer la quantité d'antigène A des
érythrocytes du propositus à 0,025% ± 0,0010 de la quantité d'antigène A
des hématies d'un sujet A1.
3. Enfin, la comparaison des hématies d'un sujet A, avec des
variétés A faibles (A2, A3, Ax, Aend, Am et Ael) montre que les hématies du
propositus se comporteraient plutôt comme des hématies Am.
L'existence de cet antigène A faible sur les hématies du
propositus s'accompagne de la présence d'une substance A soluble difficilement
décelable dans la salive (tableau 5) et associée à une sécrétion normale de
substance H (rapport A/H < 1).
L'étude des autres membres de la famille ne révèle ni caractère
antigénique érythrocytaire ou salivaire particulier, ni anomalie de
transmission.
Le sérum du propositus est caractérisé par la présence d'un
anti-A de titre 1:64 contre des hématies A1, de titre 1:8 contre des hématies
A2, et par la présence d'un anti-B de titre 1:16. Cet anti-A est totalement
absorbé par les hématies A1. Les globules rouges A2 laissent persister
l'anti-Al de ce sérum. L'absorption-élution comparative sur des globules
rouges A1 et sur des globules rouges B, du sérum du propositus, du sérum d'un
sujet B et du sérum d'un sujet O montre que le sérum de l'enfant se comporte
comme celui d'un sujet de groupe O, non comme le sérum d'un sujet B. L'éluat
des hématies A1 présente une réaction croisée visà -vis des antigènes A et
B.
Ainsi le propositus, né d'une mère A1O et d'un père BO, alors que
toute exclusion de paternité est rendue très improbable, grâce à l'étude de
tous les groupes érythrocytaires, leucocytaires, enzymatiques et sériques,
présente un caractère A extrêmement faible décelable à la fois sur les
hématies et dans la salive.
L'examen des groupes HL-A de la famille maternelle permet une autre
remarque intéressante : l'haplotype HL-A1, W17 du sujet I,3 se retrouve chez
tous les sujets porteurs de l'anomalie de la formule chromosomique. La seule de
la fratrie, le sujet II,12, qui ne présente pas de translocation du chromosome
18, a reçu l'autre haplotype du sujet I,3 : HL-A2, W5; cette femme a deux
enfants normaux. D'autre part, on peut noter la présence chez l'enfant III,1
de l'allèle HL-A9 (W24), qui existe chez son père alors que sa mère possède
une forme allélique de structure proche, HL-A9 (W23). L'éventualité d'une
double dose de HL-A9 ayant été évoquée chez le propositus, dans le cas où
le système HL-A serait porté par le chromosome R2, des épreuves d'absorption
sur plaquettes d'un anti-HL-A9 ont été effectuées et ont permis d'observer
les faits suivants : les plaquettes de la mère HL-A9 (W23) absorbent moins que
les plaquettes du père et de l'enfant HL-A9 (W24). Les réactions d'absorption
des plaquettes du père et de l'enfant sont identiques.
Enfin, l'étude des membres de la famille maternelle a été
complétée par l'analyse des protides et des immunoglobulines sériques. Un
déficit des IgA a été observé chez les sujets II,9, 10, 11, porteurs de
l'anomalie chromosomique à l'exception du grand-père I,3 du propositus.
 Tableau 1. Genotypes HL-A et phenotypes erythrocytaires et
salivaires des familles maternelles et paternelle du propositus
Tableau 2. - Enzymes erythrocytaires et groupes sériques du
propositus et de ses parents
| Enzymes
erythrocytaires | Groupes seriques |
Hp | PAC | PGMi | PGMg | AK | ADA | Ce | C'3 | Gm | Inv(1,2) | Isf(1) |
Père II,8 | 2-1 | AB | 2
1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 2-2 | 1, 2,
21 | - - | + |
Mère
II,9 | 2-1 | AB | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 2-2 | 1,
2, 4, 5, 8, 10, 11, 21 | - - | + |
Propositus
III,1 | 2-1 | AB | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 1-1 | 2-2 | 1,
2, 21 | - - | - |
Tableau 3. - Etude comparative de l'absorption-élution d'un
anti-A immun de sujet O sur les hématies de la famille du proposotus
(a)
| Absorption | Elution |
II,8 | - | - |
II,9 | ++ | ++b |
Propositus 111,1 | + | + |
a) L'absorption-élution de cet anti-A est
négative avec les hématies des sujets I,3, II,10, II,11, II,12. b) Eluat
testé en Coombs indirect sur des Hématies A1. |
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Discussion
Le caractère sérologique A faible observé chez le propositus est
très particulier et permet difficilement de classer ce phénotype parmi les
catégories connues de A faible. En effet, il ne ressemble ni à un A3, ni à un
Ax, ni à un Aend puisqu'il n'est aucunement agglutiné par des anti-A de B ou
de O. Bien que sa détection soit possible grâce aux épreuves de
fixation-élution, il ne peut être assimilé à un Am de type mendelien; en
effet, il se distingue de ce phénotype par la présence dans le sérum du
propositus d'un anti-A et d'un anti-A1 et par la secrétion de substance A
diminuée dans la salive par rapport à une quantité de substance H normale, ce
qui le différencie également des A el. Il pourrait donc se rapprocher plutôt
de la variété Am yy mais il s'en distingue aussi par l'anti-A sérique.
Enfin, le dosage de l'antigène A érythrocytaire dans le circuit d'analyse
automatique montre que les hématies du propositus auraient une quantité
d'antigene A, inférieure à celle des Aend, proche mais supérieure à celle des
Am.
Plusieurs hypothèses pourraient être envisagé es pour expliquer ce
phénotype A faible du propositus.
I. L'enfant trisomique III,1 qui devrait être de groupe sanguin BO,
A1O, OO, ou A1B serait bien de phénotype O bien qu'il présente sur ses
hématies et dans sa salive une très petite quantité de substance A. En
l'absence d'une mutation chez le propositus, le caractère A ne peut provenir
que de sa mère II,9. Le chromosome remanié R2 présent chez le grand-père
I,3 et chez ses deux tantes II,10 et II,11 ne porte pas le caractère A. Par
contre, R2 peut avoir acquis ce caractère A au cours de la méïose
maternelle, le gène A étant présent dans cette hypothèse sur le chromosome
18 (ou 20) normal, hérité du sujet I,4. Ceci n'explique pas le caractère
faible du A ainsi transmis; on pourrait admettre pour l'expliquer soit l'action
inhibitrice des deux doses de O se trouant sur les chromosomes 18 (ou 20)
normaux, soit une méiose anormale ayant entraîné seulement une fraction du
gène A par crossing-over intra-génique. Le même effet pourrait
éventuellement être le résultat d'un simple effet de position: les gènes A
et O étant en cis.
Il. Une autre possibilité est que le caractère A du propositus qui
provient de sa mère, se trouve sur le chromosome 18 (ou 20) normal mais son
expression serait inhibé par la double dose de O se trouvant sur l'autre
chromosome 18 (ou 20) normal et sur le chromosome remanié.
III. Enfin, il est possible d'envisager une dernière possibilité. Le
locus ABO pourrait être situé sur un autre chromosome que le bras court du
chromosome 18 (ou 20). Dans ce cas, le propositus aurait reçu le caractère A
de sa mère mais son expression serait inhibée par l'existence d'une double
dose d'un gène régulateur identique ou voisin du gène Y (Weiner, 1957), et
situé sur le chromosome normal et sur le chromosome remanié.
Par ailleurs, la famille du propositus soulève encore un autre
problème, celui d'une association éventuelle entre l'anomalie chromosomique
et le système HL-A. En effet, tous les sujets, porteurs du chromosome remanié
R2, ont l'haplotype HL-A1, W17 qui a été ainsi transmis du grand-père I,3 au
propositus III,1. Le chromosome R2 aurait pu être transmis en même temps que
l'haplotype HL-A considéré. La seule fille II,12 qui ne possède pas cet
haplotype n'a pas non plus hérite du chromosome remanié R2. Cependant, le
calcul montre qu'une telle répartition peut survenir au hasard dans 50 % des
cas. D'autre part, si le gène HL-A était sur le chromosome R2, le propositus
devrait posséder six antigènes HL-A puisqu'il a reçu de sa mère un
chromosome 18 (ou 20) normal. Il devrait donc posséder également les
antigènes W23 et W22.
Les antigènes W23 de la mère et W24 du père présentent des
réactions croisées importantes qui empêchent de les distinguer avec
certitude en l'absence de sérum spécifique. Les sérums anti-HL-A réagissent
aussi bien avec les deux antigènes. Une épreuve d'absorption sur les
plaquettes du propositus n'a pas permis d'affirmer l'existence de deux
antigènes capables d'absorber cet anticorps. Par ailleurs, le sérum anti-W22
n'a pas réagi avec les lymphocytes du propositus.
En conclusion, l'observation chez cet enfant, trisomique 18, 20, d'une
anomalie de l'expression du gène A, incite à rechercher un lien entre ces deux
évènements également rares. Si l'on admet que ce lien existe réellement,
cette observation démontre la présence du gène A ou d'un gène régulateur
de l'expression de A sur le bras court du chromosome 18 (ou 20).
Par contre, la transmission concommitante d'un haplotype HL-A et du
chromosome remanié (18q-, 20q-) peut s'expliquer par le jeu du simple hasard
mais les difficultés sérologiques actuelles dans le groupage HL-A ne
permettent pas d'exclure formellement un rapport éventuel.
Tableau 4. Étude des écarts entre les valeurs des
différents essais ayant permis de tracer les courbes témoin O (5 essais par
points) et les courbes G. C. (3 essais par points) (a)
Comparaisons | Somme des écarts | Moyenne des
écarts | Ecarts types | t |
1 | 84 | 6,0000 | 2,2532 | 9,9635 |
2 | 105 | 7,5000 | 3,5680 | 7,8650 |
3 | 119 | 9,1535 | 3,2620 | 10,4994 |
4 | 78 | 5,5714 | 1,1578 | 18,0050 |
5 | 118 | 8,5533 | 3,1817 | 10,0351 |
6 | 118 | 9,0769 | 2,7526 | 12,3383 |
7 | 115 | 9,1875 | 3,6738 | 10,706 |
8 | 102 | 7,2857 | 3,8516 | 7,0777 |
9 | 114 | 8,7692 | 4,0032 | 8,1962 |
10 | 86 | 6,1428 | 2,1432 | 10,7942 |
11 | 116 | 8,2857 | 3,6464 | 8,5021 |
12 | 125 | 9,6153 | 2,6937 | 13,3560 |
13 | 66 | 4,7142 | 2,0164 | 8,7477 |
14 | 96 | 6,8571 | 3,5050 | 7,3200 |
15 | 107 | 8,2307 | 2,6505 | 11,6191 |
a) Étude sur 15 points de la courbe. Tous les t
sont significatifs à p < 0,001. |
 Fig. 2. Comparaison des courbes obtenues avec les
hématies de cinq sujets de groupe O et les courbes obtenues, par plusieurs
essais, avec les hématies du propositus. En ordonnée: Échelle du papier
enregistreur (papier de l'autoanalyseur Technicon n° RO 483). En abscisse:
Nombre de pics correspondant aux dilutions croissantes du sérum anti-A après
absorption, soit sir les hématies des témoins O, soit sur les hématies du
propositus
Tableau 5. Etude des sécrétions salivaires A et H. Resultats
donnés en taux d'inhibition de la salive
| Sécrétion A | Sécrétion
B | Sécrétion H |
II,8 | 0 | 1:512 | 1:4 |
II,9 | 1:512 | 0 | 1:8 |
Propositus III,1 | 1:2 | 0 | 1:16 |
 Fig. 3. Comparaison des courbes obtenues avec des
doubles populations de globules rouges de sujets de groupe A, et de groupe O et
des courbes obtenues avec les hématies du propositus. Même légende que la
fig. 2, sur chaque courbe se trouve noté le pourcentage correspondant de
globules rouges A1 dans la population de globules rouges O.
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Bibliographie
Dutrillaux, B., Lejeune, J.: Sur une nouvelle technique d'analyse du
caryotype humain. C. R. Acad. Sci. (Paris) 273, 26-38 (1971)
Lejeune, J., Berger, R., Rethore, M. O., Attal, C.: Sur un cas 47, XY,
( ? 18q-)+. Ann. Génét.13, 47-51 (1970)
Marcelli-Barge, A., Benajam, A., Poirier, J. C., Dausset, J.: An
automatic technique for erythrocyte antigens dosage, preliminary results. Vox
Sang. (Basel) (sous presse, 1973)
Weiner, W., Lewis, H. B. M., Moores, P., Sanger, R., Rou, R. R.: A
gene y, modifying the bIood group antigen A. Vox Sang. (Basel) 2, 25-37
(1957)
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