Chez deux enfants malformés non apparentés, l'examen chromosomique
révèle la présence d'un petit acrocentrique surnuméraire de taille
légèrement inférieure à celle des éléments du groupe G.
L'existence de la même translocation entre un chromosome 11 et un
chromosome 22 est détectée dans d'une et l'autre famille. L'analyse par les
méthodes fines de marquage permet de préciser les points de cassure et le
déséquilibre chromosomique des proposants : trisomie pour la région q231 ?
qter du chromosome 11, et trisomie pour la région centromérique et le bras
court du 22.
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Observation n° 1
Le proposant (IV,3) (fig. 1) est né le 14 février 1973 de parents
bien portants. L'accouchement s'effectue au terme prévu d'une grossesse sans
incident ; on remarque alors une coloration anormale du liquide amniotique.
L'enfant pèse 2 330 g ; sa taille est de 46 cm, et son périmètre crânien de
32 cm. Le cri est immédiat et l'Apgar est à 9 à une minute.
 Fig. 1. - Cas n° 1. Arbre généalogique.
Syndrome dysmorphique.
Le proposant a été examiné à l'âge de 1 mois (fig. 2 et 3).
L'aspect général du visage est vieillot. Le front est barré de rides
transversales profondes. Les fentes palpébrales sont légèrement obliques en
bas et en dehors. Il n'existe ni hypertélorisme, ni épicanthus. Un discret
strabisme convergent est remarqué.
Le nez, qui est large et busqué, est séparé du front par un
sillon très marqué joignant les deux caroncules et encadré de deux rides
latérales barrant la racine des sourcils. Les orifices narinaires sont
largement ouverts et les ailes du nez saillantes.
La lèvre supérieure est longue, avec un philtrum large et bien
marqué, séparé de la sous-cloison nasale par une incisure en V. Il existe un
important micro-rétrognathisme, une division palatine postérieure et une
ptose de la langue évoquant un syndrome de Pierre Robin. Les oreilles, grandes
et implantées bas, sont symétriques : hélix peu ourlé, pavillon large et
peu cartilagineux, anti-tragus peu marqué, aplasie de la portion verticale de
l'anthélix avec saillie de la portion horizontale et crux cymbae. A gauche, on
note l'existence d'un petit trou borgne sur la racine de l'hélix ; à droite,
la partie verticale de l'anthélix est doublée en avant par un repli
inhabituel.
Les membres supérieurs sont hypertoniques et le proposant adopte
volontiers une attitude de " suppliant ", les doigts fléchis dans la paume.
Cette flexion n'est cependant pas irréductible.
L'étude des dermatoglyphes (fig. 4) montre un écartement
inhabituel et bilatéral des triradius sous-digitaux a et b. Les plis de
flexion distaux se prolongent jusqu'au bord palmaire entre l'index et le
majeur.
Les cuisses sont en abduction. Les pieds, fixés en valgus, sont
infiltrés et les plantes présentent des plis capitonnés.
Les mamelons sont anormalement écartés. L'auscultation décèle
un souffle systolique important, mésocardiaque, irradiant en rayons de roue.
La cardiopathie pourrait être une sténose aortique ou pulmonaire.
La verge est petite. Les testicules sont à l'anneau.
 Fig. 2 et 3. - Cas n° 1. Le proposant à l'âge de un mois.
 Fig. 4. - Cas n° 1.
Dermatoglyphes du proposant.
Histoire familiale.
En 1973, à la naissance du proposant (IV,3) (fig. 1), le père est
âgé de 30 ans. La mère, âgée de 26 ans, a fait en 1968 une fausse couche
spontanée au terme de 1 mois et demi, et a mis au monde en 1969 une fille bien
portante.
Une grande fréquence de fausses couches spontanées est
retrouvée dans la famille mais il n'existe pas d'antécédent de naissance
d'enfant malformé.
Examens complémentaires.
- Radiographies osseuses : retard d'ossification sans anomalie de
structure.
- FO et EEG : normaux.
- LDH érythrocytaire et sérique (Pr Kaplan) : pas d'augmentation
de l'activité enzymatique.
Etudes cytogénétiques.
Le proposant possède un petit acrocentrique surnuméraire dans
toutes les mitoses étudiées. Cet élément est légèrement plus petit que
les chromosomes du groupe G.
L'étude cytogénétique met en évidence chez la mère du
proposant et chez 5 autres membres de la famille (fig. 1) une translocation
t(11 ; 22).
Les méthodes de bandes R [1] et T [3] permettent de préciser les
points de cassure : 11q231 et 22q111 (fig. 5a et b).
Notre proposant qui a reçu le chromosome 22 remanié en surnombre
est donc trisomique pour les régions q231 ? qter du chromosome 11 et pour la
région centromérique et le bras court du chromosome 22 (fig. 5c). Sa formule
chromosomique s'écrit :
47,XY,+der(22),t(11;22) mat.
 Fig. 5. - Cas n° 1,
Chromosomes 11 et 22. a) Translocation maternelle en bandes R. b) Translocation
maternelle en bandes T. c) Chromosomes 11 et 22 du proposant en bandes R.
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Observation n° 2.
La proposante (III,5) (fig. 6) est née le 17 novembre 1972 de
parents bien portants. La grossesse s'est déroulée sans incident et
l'accouchement a lieu par les voies naturelles au terme de 8 mois 3/4. L'enfant
se présente en position céphalique avec une circulaire serrée du cordon. Le
poids de naissance est de 2 350 g et la taille de 48 cm. Les bruits du coeur
sont entendus mais aucune respiration ne s'instaure malgré la réanimation
entreprise.
Syndrome dysmorphique.
L'examen clinique, réalisé à la maternité, fait état d'une
morphologie crânienne particulière avec aplatissement de la région frontale
et asymétrie des deux hémicrânes. Il existe une fissure palatine et un
micro-rétrognathisme.
Les oreilles sont implantées bas et l'on observe un petit
bourgeon pédiculé de 2 mm en avant des tragus.
On remarque enfin un pli palmaire transverse sur la paume droite
et des pieds bots bilatéraux.
L'autopsie révèle des malformations multiples :
- aplasie de l'hémidiaphragme gauche avec passage de la plupart
des viscères abdominaux dans l'hémithorax gauche ;
- hémidiaphragme droit très aminci constitué d'une paroi
transparente dépourvue de tissu musculaire ;
- sténose aortique ;
- atrophie rénale droite avec dysplasie évoquant une maladie
polykystique unilatérale.
 Fig. 6. - Cas n° 2. Arbre
généalogique.
Histoire familiale.
En 1972, à la naissance de la proposante, le père est âgé de 23
ans et la mère de 24 ans. Au terme d'une deuxième grossesse, a lieu, en 1974,
la naissance d'une fille (III,6) (fig. 6) présentant un état plurimalformatif
(mais sans dysmorphie), associant imperforation anale, artère ombilicale
unique, anomalies cardiovasculaires avec malposition des gros vaisseaux. Cette
enfant décède à l'âge de 2 mois au cours d'une pause respiratoire.
Il n'y a pas d'antécédent familial de malformation ou de
débilité. Une tante maternelle (II,1) (fig. 6) est décédée
accidentellement à l'âge de 3 ans.
Études cytogénétiques.
L'analyse de 16 mitoses de la proposante montre un caryotype
féminin à 47 chromosomes. Avec la coloration classique au Giemsa, le
chromosome surnuméraire à l'aspect d'un petit acrocentrique de taille très
légèrement inférieure aux éléments du groupe G.
Après application des techniques de marquage R [1] et G [7], on
observe chez la mère, de la proposante une translocation t(11;22) (fig. 7a et
b). Les points de cassures sont situés, comme pour la première observation,
au niveau des bandes 11q231 et 22q111.
Après échange des fragments distaux, le chromosome 22 ne
possède donc plus en propre que son bras cours et son centromère, son bras
long étant constitué par le segment q231 ? qter du chromosome 11.
L'élément surnuméraire retrouvé chez la proposante présente,
après dénaturation ménagée par la chaleur, une morphologie identique au 22
remanié maternel. L'ensemble du caryotype étant par ailleurs normal, l'enfant
est trisomique, d'une part pour le bras court et la région centromérique du
22, d'autre part pour le segment q231 ? qter du chromosome 11 (fig. 7c). La
formule chromosomique de la proposante s'écrit donc : 47,XX, +
der(22),t(11;22) mat. La translocation équilibrée sera retrouvée chez la
grand-mère maternelle et chez la soeur de la proposante.
 Fig. 7. - Cas n° 2. Chromosomes 11 et 22. a) Translocation maternelle en
bandes R. b) Translocation maternelle en bandes G. c) Chromosomes 11 et 22 de
la proposante en bandes R.
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Discussion
La description synthétique des principaux signes cliniques observés
chez ces deux patients sera effectuée dans cette même revue avec celle
d'autres cas de trisomie partielle 11q.
Nous n'aborderons donc ici que l'aspect cytogénétique de ces deux
observations.
L'utilisation des méthodes de marquage des chromatides permet de
penser que la trisomie observée chez nos deux proposants correspond
essentiellement à une trisomie pour les segments q231 ? qter du chromosome 11
; il est, en effet, vraisemblable que la trisomie associée (centromère et
bras court du 22) ne participe que peu, voire pas du tout, à la génèse du
syndrome dysmorphique.
Il est enfin intéressant de noter que cette translocation t(11;22)
(q231;q111), présente dans nos deux familles, est retrouvée dans une autre
observation de trisomie partielle 11q [5], chez un homme stérile [2] et chez
une femme ayant eu plusieurs fausses couches spontanées [5]. Une telle
similitude des points de cassure évoque, soit une parenté insoupçonnée
entre ces familles, soit une affinité particulière entre certains segments
chromosomiques.
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Références
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24, 189-213.
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Deux observations de trisomie 11q (q231 ? qter) avec la même anomalie des
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CADUDAL J.L., DUTRILLAUX B., LEJEUNE J. (1972). - Trisomie partielle 11q
identifiée grâce à l'étude en " dénaturation ménagée " par la chaleur, de
la translocation équilibrée paternelle. Ann. Génét., 15, 167-172.
9. WRIGHT Y.M., CLARK W.E., BREG W.R. (1974). - Craniorachischisis in
a partially trisomic 11 Fetus in a family with reproductive failure and a
reciprocal translocation t(6p + ;11q -). J. Med. Genet., 11, 69-75.
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