L'ensemble des travaux expérimentaux indique que l'actinomycine D
(fig.1) se fixe sur une zone de l'ADN riche en bases G-C, le groupe amino-2 de
la guanine étant indispensable (Reich et Goldberg) (2). Remarquant que ce
groupe amino-2 de la guanine se projette dans le petit sillon de l'ADN, Sobell
(3), a proposé que le noyau phénoxazone s'intercale entre des paires de bases
G-C et C-G, les deux peptides cycliques s'étalant sur le petit sillon.
Comme cette disposition soulève certaines difficultés stériques, il
paraît intéressant d'envisager une intercalation dans le grand sillon.
Haut
Présentation du modèle et explication de la planche (Fig
1 et 2).
Vu par son grand sillon l'ADN, en conformation dextrogyre selon le
modèle de Watson et Crick, est comparable à un escalier en colimaçon auquel
la draine désoxyribose-phosphate servirait de rembarde, tandis que le pilier
central serait constitué par l'empilement des liaisons hydrogènes maintenant
les bases appariées deux à deux.
La partie droite du grand sillon serait alors la volée montante dont
chaque base serait une marche à laquelle la partie exposée de la base
sus-jacente servirait de contremarche. La partie gauche, correspondant à la
face inférieure des marches, serait la volée descendante (ou, plus
exactement, une volée montante elle aussi, mais retournée de 180°).
Pour que deux chaînes peptidiques identiques puissent s'appuyer
simultanément sur tout le grand sillon, il faudrait que les deux volées
fussent elles aussi identiques, et donc que le segment d'ADN considéré fût
un palindrome. Il serait alors nécessaire que les deux chaînes polypeptiques
fussent, comme les deux volées, opposées l'une à l'autre à 180°. Cette
disposition correspond à l'analyse par diffraction des rayons X de
l'actinomycine D cristallisée (Sobell, op. cit.).
La définition du palindrome de l'ADN est dictée par la contrainte
d'intercalation du noyau phénoxazone entre des paires G-C et C-G et la formule
la plus simple est du type 5'-T-G-C-A-3', 3'-A-C-G-T-5'.
Comme le montre la figure 2, l'intercalation, dans le grand sillon,
amène le carbonyle du noyau phénoxazone au contact du groupe amino-2 de la
guanine sous-jacente et permet au groupe amino-2 de la phénoxazone d'entrer en
contact avec l'azote N3 de la guanine d'une part et avec l'oxygène du cycle
furanose de l'autre.
Cette disposition satisfait exactement aux critères établis par
Kersten (4) et par Reich et Goldberg (2).
De plus on remarque que l'oxygène du noyau central de la phénoxazone
vient au contact du groupe amino-2 de la guanine sus-jacente complétant la
spécificité.
Après cette mise en place du noyau phénoxazone, les deux chaînes
peptidiques viennent s'appliquer tout naturellement sur les volées montante et
descendante du palindrome choisi. L'appariement des zones hydrophobes entre
elles conduit à un ensemble compact comblant exactement le grand. sillon.
Chaque résidu proline s'appuie sur une contremarche cytosine, chaque
sarcosine (glycocolle N--méthylé) surplombe une guanine et chaque L-valine
s'appuie sur le méthyle d'une thymine. Enfin les deux D-valines rejoignent en
haut et en bas les deux L-valines au voisinage de ce même méthyle de la
thymine, tandis que les méthyles des deux thréonines complètent
l'appariement médian. On note que si les D-valines étaient remplacées par
des L-valines, l'assemblage ne pourrait pas être aussi compact.
 Fig.1 - T Actinomycine D représentée en modèle moléculaire S.A.S.M. Le
noyau phénoxazone, vertical, surplombe les deux cycles peptidiques,
horizontaux, opposés à 180°. L'enchaînement, L-thréonine, D-valine,
L-proline, L-N-méthyl-glycine, L-N-méthyl-valine est cyclisé par une liaison
lactone entre la thréonine et la N-méthyl-valine.
 Fig.2 - ADN représenté en modéle
S.A.S.M., vu par le petit sillon, après suppression des chaînes
désoxyribose-phosphate pour simplifier l'image. Le noyau phénoxazone, dont on
voit les deux méthyles est intercalé entre une paire cytosine-guanine en haut
et une paire guanine-cytosine en bas.
Haut
Discussion.
Bien que l'adéquation d'un modèle ne puisse être tenue pour une
preuve expérimentale, il semble que la coaptation précise des surfaces et le
respect des force ioniques, des forces de Van de Walls et des effets de London,
soient nettement en faveur de l'intercalation dans le grand sillon.
On pourrait alors discuter les propositions suivantes :
1. L'inhibition de la synthèse de l'ARN messager par l'actinomycine D
résulterait du blocage du grand sillon de l'ADN en conformation
dextrogyre.
2. Les palindromes de l'ADN pourraient être reconnus par des
protéines comportant des segments peptidiques identiques mais opposés à 180°
(association de deux monomères).
3. L'accolement de chaque acide aminé sur une base (correspondant ici
à la deuxième lettre du triplet du code de synthèse), suggère qu'il pourrait
exister entre la structure locale de l'ADN et la structure peptidique capable
de la reconnaître, un " code de congruence " dont le déchiffrement peut être
envisagé.
Haut
Notes
(*) Séance du 17 janvier 1977.
(1) - Ce travail a été réalisé avec l'aide du C.N.R.S. (E.R.A. n°
47) et la Fondation Joseph P. Kennedy Jr.
(2) - E. REICH et I. H. GOLDBERG, Prog. Nucleic Acid Res., 3, 1974, p.
183.
(3 ) - H. M. SOBELL, Scientific American, 231, 2, 1974, p. 82.
(4) - W. KERSTEN, Biochem. Biophys. Acta, 47, 1961, p. 610.
|