La reconnaissance spécifique de certains segments d'ADN par certaines
protéines, requiert une affinité sélective entre les séquences de bases et
les séquences d'acides aminés. Sur un ADN en conformation dextrogyre, la
fixation pourrait se faire soit dans le grand sillon [2] soit dans le petit
[3,4]. L'adaptation préférentielle de l'actinomycine D dans le grand sillon,
proposée dans une précédente Note [5], conduit à rechercher une éventuelle
congruence entre certains polypeptides et le grand sillon de l'ADN.
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Analyse systématique sur modèles
Le cas particulier des polymères monotones impose des contraintes
topologiques particulièrement sévères. En effet, s'il existe un code de
congruence, un polynucléotide monotone ne peut accommoder qu'un polypeptide
monotone lui aussi, et la répétition de motifs identiques amplifie les effets
de décalages minimes.
La complémentarité des bases, G-C, et A-T, limite les ADN monotones
à deux types : l'un formé d'un brin poly-C associé à un brin poly-G, l'autre
d'un brin poly-T associé à un brin poly-A.
Sur chaque brin ainsi défini, on tente alors d'adapter l'un des vingt
polypeptides monotones constitués d'acides aminés naturels de la série (L).
Le tableau résume :
1° L'affinité stérique, comme entre une statue et son moule
(colonne S);
2° L'affinité électronique par forces de van der Walls, et forces
ioniques faibles (colonne E);
3° La congruence générale (colonne C) après coadaptation
réciproque des surfaces par effets de London.
On voit que parmi les quatre-vingt combinaisons possibles, quatre
seulement sont congruentes. La coadaptation sélective de ces polymères est
l'objet d'expériences en cours.
Tableau. - Analyse de la congruence entre polypeptides et
polynucléotides monotones
Polypeptide monotone | Poly-C | Poly-G | Poly-T | Poly-A |
S | E | C | S | E | C | S | E | C | S | E | C |
ALA | | | | 0 | - | - | 0 | 0 | | 0 | 0 | - |
ARG | - | - | - | 0 | 0 | - | 0 | - | - | + | 0 | - |
ASN | - | - | - | 0 | 0 | - | - | - | - | + | + | - |
ASP. | - | - | - | - | - | - | - | - | - | 0 | 0 | - |
CYS | - | - | - | - | 0 | - | 0 | 0 | - | 0 | 0 | - |
GLN | - | - | - | - | - | - | - | - | - | 0 | 0 | - |
GLU | - | - | - | - | - | - | - | - | - | - | 0 | - |
GLY | 0 | 0 | 0 | + | + | + | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
HIS | - | - | - | 0 | 0 | - | - | - | - | - | - | - |
ILE | - | - | - | 0 | - | - | 0 | 0 | - | 0 | 0 | - |
LEU | | - | - | 0 | - | | + | 0 | - | 0 | 0 | - |
LYS | - | - | - | 0 | - | - | 0 | 0 | - | + | + | + |
MET | - | - | - | 0 | - | - | 0 | 0 | - | 0 | 0 | - |
PHE | - | - | - | - | - | - | + | + | + | 0 | 0 | - |
PRO | + | + | + | - | - | - | - | - | - | - | - | - |
SER | - | - | - | - | 0 | - | 0 | 0 | - | 0 | 0 | - |
THR | - | - | - | - | 0 | - | - | - | - | - | 0 | - |
TRP | - | - | - | - | 0 | - | - | 0 | - | - | - | - |
TYR | - | - | - | 0 | - | - | + | - | - | - | - | - |
VAL | - | - | - | 0 | | - | 0 | 0 | - | 0 | 0 | -- |
S, affinité stérique : -, non décelée; 0,
douteuse; +, forte; E, affinité électrique : -, non décelée; 0, douteuse;
+, forte; C, congruence générale : -. mauvaise; 0, douteuse; +, bonne. |
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Congruence poly-C/poly-PRO (pl. I, A)
Vu par le grand sillon, et lu de 5' en 3' le brin poly-C est
comparable à la volée montante d'un escalier en spirale dextrogyre dont la
rembarde serait l'enchaînement désoxyribose-phosphate et dont le pilier
central serait constitué de l'empilement des azotes amino-4 de la cytosine
liés aux oxygènes oxy-6 de la guanine correspondante. Une chaîne peptidique
de forme (L) accrochée sur ce pilier central (azote peptidique sur l'oxygène
oxy-6 de la guanine et carbonyle sur l'azote amino-4 de la cytosine) projette
ses acides aminés vers le brin poly-G, à l'exception de la poly-proline dont
l'azote iminé, inclus dans le cycle pyrroline, ne peut servir de point
d'ancrage. De ce fait chaque résidu proline s'encastre marche à marche sur la
partie exposée des cytosines. Les atomes de la proline s'appuient :
- le C 5 sur le C 5 et le C 6 de la cytosine sous-jacente et le C 5
de la cytosine sus-jacente;
- le C 4 sur les carbones 3' et 5' du désoxyribose;
- le C 3 sur le carbone 5 de la proline sus-jacente;
- et le carbonyle sur l'azote amino-4 de la cytosine
sus-jacente.
On note qu'une telle congruence est impossible avec une poly-proline
de la série (D).
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Congruence poly-G/poly-GLY (pl. I, B)
La fixation de la chaîne peptidique sur le pilier central (azote
peptidique sur l'oxygène oxy-6 de la guanine et carbonyle sur l'azote amino-4
de la cytosine) permet d'éliminer dix-neuf des vingt polypeptides monotones.
Seule la poly-glycine ne rencontre aucune contrainte insurmontable. On remarque
que poly-GLY pourrait se fixer d'une autre façon, elle aussi exclusive,
minimisant toutes les contraintes, le NH peptidique se fixant sur l'oxygène
oxy-6 d'une guanine et le carbonyle sur l'azote N7 de la guanine sus-jacente.
Il faudrait alors admettre que cet azote N7 de la guanine soit spontanément
protoné, ce qui ne paraît pas impossible.
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Congruence poly-T/poly-PHE (pl. II, A)
La fixation de la chaîne peptidique sur le pilier central (azote
peptidique sur l'oxygène oxy-4 de la thymine et carbonyle sur l'azote amino-6
de l'adénine correspondante) tend à dérouler partiellement l'ADN en séparant
les thymines qui délimitent entre elles un espace strictement congruent à un
résidu phényle. La poly-leucine révèle une congruence acceptable maillon
par maillon mais inacceptable pour une suite répétée alors que la
poly-phénylalanine donne une congruence continue.
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Congruence poly-A/poly-LYS (pl. II, B)
Après fixation de la chaîne peptidique sur le pilier central
(azote peptidique sur l'azote N7 de l'adénine et carbonyle sur l'azote amino-6
de l'adénine sus-jacente) on élimine dix-sept des vingt poly-peptides.
L'asparagine donne une congruence acceptable maillon par maillon, mais mauvaise
pour une suite répétée et l'arginine donne une congruence médiocre à chaque
maillon. La poly-lysine donne une congruence parfaite même très prolongée.
Chaque chaîne carbonée de la lysine repose sur le C 8 de l'adénine et le C Y
du désoxyribose, tandis que chaque NH2 terminal entre en contact avec un
groupement phosphate.
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Explication des planches
Planche I : A. Congruence de la poly-proline et d'un brin poly-C. B.
Congruence de la poly-glycine et d'un brin poly-G (explications dans le
texte).
Planche II : - Congruence de la poly-phénylalanine et d'un brin
poly-T. B. Congruence de la poly-lysine et d'un brin poly-A (explications dans
le texte).
 Planche I
 Planche II
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Discussion
Le code de congruence ainsi défini présente une analogie frappante
avec le code génétique de synthèse. En tenant compte du remplacement de la
thymine par l'uracile dans l'ARN messager on voit que les ARN-messagers poly-C,
poly-G, poly-U, poly-A dirigeant respectivement la synthèse de poly-proline,
poly-glycine, poly-phénylalanine et poly-lysine, sont comparables aux brins
d'ADN monotones congruents à ces polypeptides.
Il n'échappe pas que cette concordance, trop précise pour être
réputée fortuite a priori, pourrait éclairer grandement les discussions sur
la nature du code génétique.
Il semble raisonnable de penser que l'analyse de la congruence des
polymères non monotones, permettra d'aborder cette importante question.
Le présent travail était achevé lorsque la publication de G. M.
Church et coll. [6] est venue montrer qu'un ruban-béta protéique peut se
fixer, non sélectivement, dans le petit sillon, les acides aminés, proline et
tryptophane étant exclus.
Comme d'une part la poly-proline est strictement congruente au grand
sillon d'un brin poly-C (présente Note) et comme d'autre part le tryptophane
est le seul acide aminé absent de toutes les histones, ces observations
renforcent grandement notre hypothèse. Il se pourrait en effet que la fixation
sélective se fasse dans le grand sillon (protéines non histones).
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(2) P. Y. CHOU, A. J, ADLER et G. D. FASMAN, J. Mol. Biol., 96, 1975,
p. 29.
(3) H. M. SOBELL et S. C. JAIN, J. Mol. Biol., 68, 1972, p. 21.
(4) A. M. KOLCHINSKY, A. D. MIRZABEKOV, W. GILBERT et L. Ll, Nucleic
Acid. Res., 3, 1976, p. 11.
(5) J. LEJEUNE, Comptes rendus, 284, série D, 1977, p. 1105.
(6) G. M. CHURCH, J. L. SUSSMAN et S. H. KIM, Proc. Natl. Acad. Sc.,
U.S.A., 74, 1977, p. 1458.
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