L'emprise de l'homme sur les manifestations de la vie s'est, comme tous
ses pouvoirs, considérablement accrue dans un passé récent.
Depuis le paléolithique jusqu'à nos jours, avec la domestication des
animaux familiers et la sélection des plantes utiles, l'homme a fait de la
génétique en respectant les phénomènes naturels.
C'est seulement très récemment qu'une connaissance accrue des modes de
transmission de la vie, a rompu cet équilibre en exploitant des techniques que
les processus naturels ne peuvent en aucun cas réaliser.
Pour ne citer que quelques exemples l'utilisation à grande échelle de
l'insémination artificielle chez les animaux d'élevage a permis de surmonter
des barrières géographiques ou de comportement sexuel autrefois
insurmontables. De même, la manipulation génétique des bactéries a
récemment permis de modifier à volonté certains caractères génétiques et
de confectionner des souches qu'aucune sélection naturelle ou artificielle
n'eût été capable de produire.
Cet accroissement explosif de nos connaissances représente pour l'homme
même un péril redoutable puisque les manipulations génétiques apparaissent
maintenant possibles sur notre propre espèce.
Devant cette rupture brutale d'un équilibre multimillénaire entre
l'être pensait et la nature vivante surgit une profonde angoisse. Notre
génération posséda-telle assez de sagesse pour utiliser prudemment la
biologie dénaturée ?
Sans nous étendre trop longuement sur les mécanismes moléculaires de
transmission de la vie, et sans entrer dans le détail des techniques de
laboratoire, il est possible de passer rapidement en revue les applications
prévisibles des moyens déjà disponibles.
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I - La modification génétique chez les
bactéries
L'information génétique se trouve, comme on sait, véhiculée par
une molécule particulière, l'ADN. Selon l'ordre dans lequel les bases
puriques et pyrimidiques, se succèdent sur cette très longue molécule, un
véritable code chimique se trouve institué. Un peu à la manière de la bande
d'un magnétophone, sur laquelle se trouve enregistrée toute une symphonie,
les chromosomes contenant cet ADN, et situés dans le noyau de chaque cellule,
portent l'information génétique.
De même que l'insertion d'une mini cassette dans un magnétophone en
état de marche oblige ce dernier à restituer exactement l'oeuvre enregistrée,
de même le matériel génétique inclus dans un noyau cellulaire dicte à la
cellule et à ses descendances un comportement particulier.
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Le découpage de l'ADN
Chez les organismes aussi rudimentaires que les bactéries, la
molécule d'ADN peut être modifiée relativement aisément. Depuis quelques
années on connaît en effet des enzymes capables de couper la molécule en des
endroits strictement déterminés, tels qu'il soit possible de préparer des
pièces détachées qui puissent venir très exactement s'emboiter dans la
cassure ainsi créée. Il est ainsi possible, de prélever un segment d'ADN sur
un organisme quelconque et de l'inclure dans 1e patrimoine génétique d'une
bactérie. Da précision et l'efficacité laissent encore à désirer mais le
principe est indiscutablement acquis.
Ces phénomènes sont tout à fait différents des mutations
ordinaires.
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Les mutations provoquées
Depuis fort longtemps on savait en effet que les radiations
atomiques, ou certaines substances chimiques hautement réactives telles les
"radicaux libres", pouvaient modifier localement la molécule d'ADN, y
produisant un changement très localisé, un peu comme la coquille d'imprimerie
résultant de l'inadvertance d'un typographe.
Ces mutations, d'emblée stables et d'emblée transmissibles,
étaient strictement imprévisibles. le rayonnement frappant n'importe où, on
ne pouvait prévoir quel gène serait touché, ni dans quel sens il serait
modifié. D'où la nécessité d'attendre les résultats dont l'immense
majorité se révèlent défavorables, et de sélectionner éventuellement le
chargement intéressant qui aurait pu, par chance, se produire.
De toutes façons ces mutations provoquées ne pouvaient que
modifier à l'aveugle un gène préexistant, mais nullement en inclure un
nouveau.
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Les mutations dirigées
L'inclusion de nouveaux gènes est possible chez les bactéries en
utilisant comme transporteur un virus, un bactériophage qui remorque un
fragment étranger à l'intérieur du corps bactérien.
En couplant les deux techniques de découpage de l'ADN et
d'introduction par un agent vecteur, des monstruosités pourraient être
produites, et des bactéries contenant un gène d'origine humaine pourraient
être obtenues.
A priori, on pourrait envisager de faire fabriquer ainsi certains
produits utiles et dont la synthèse est fort délicate (polypeptides
hormonaux, médicaments divers, etc... ) en transformant des cultures
bactériennes qui deviendraient ainsi des manufactures peu coûteuses et
fantastiquement spécialisées.
Toutefois l'incertitude des manipulations faisant redouter
l'apparition de souches pathogènes encore inconnues, résistantes à toute
médication, ou encore des modifications imprévues rendant éventuellement
cancérogènes des souches jusqu'ici banales, a poussé l'Académie des
Sciences de Washington à proposer un moratoire sur ces expériences tant que
leurs conséquences sont encore trop mal connues.
Une telle prudence est peut-être fort exagérée. Elle évoquera
pour certains les craintes anciennes de voir les voyageurs étouffés par la
vitesse des chemins de fer, ou encore les anxiétés sur l'augmentation des
fractures de la cheville lors de l'installation des trottoirs pour piétons,
ainsi que de fort doctes académies en ont autrefois débattu.
Toutefois cette mise en garde parait sage pour prévenir des risques
fort peu probables il est vrai, mais que nul ne peut exclure à priori.
Cette prudence, fort étrangement, n'apparaît guère lorsqu'il
s'agit d'appliquer à l'homme les manipulations nouvelles, et sous la plume des
mêmes savants qui redoutent de modifier des bactéries on trouve les
propositions d'intervention les plus variées sur les humains.
Cette disparité est peut-être le risque le plus grave d'une perte
de jugement des scientifiques. Tel qui prône la pondération dans les
expériences bactériennes, envisage calmement les manipulations les plus
hardies de l'embryon humain, tant le respect du semblable paraît vaciller dans
la société "avancée" quand la seule prouesse technique est prise en
considération.
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II - La manipulation des gènes chez l'homme
Étendre à notre espèce les succès escomptés chez les bactéries
est une extrapolation hasardeuse, tentés surtout par les esprits en mal de
sensationnel.
A priori, le remplacement d'un gène défectueux serait très
souhaitable. Il pourrait se faire soit en incluant, au lieu et place du gène
anormal, un segment d'ADN taillé sur mesure et porteur de l'information
génétique désirée, - soit en infectant les cellules avec un virus capable
d'y végéter sans entraîner de trouble, et porteur d'un facteur génétique
utile.
L'intérêt de ces manipulations est évident.
Dans un très grand nombre d'affections génétiques, le malade est
incapable d'effectuer une réaction chimique particulière et toute la
thérapeutique substitutive montre que si cette réaction peut être remise en
route, le malade est "guéri". C'est le fondement bien classique du diabète
par l'insuline.
Toutefois quelques soient les déclarations fracassantes de la presse,
cette thérapeutique par inclusion de gène est totalement hors de portée,
pour un temps qui ne peut être estimé.
Encore moins, l'idée de fabriquer des surhommes en "rajoutant" des
caractères jugés favorables, est-elle un risque pour le futur immédiat.
Sans vouloir prophétiser, car chacun sait combien les conceptions
évaluent vite en science, on peut dire que les dangers de la biologie
dénaturée ne pro viennent pas actuellement de ces méthodes, pour notre
espèce du moins.
Par contre d'autres manipulations sont à redouter elles ne portent pas
sur des éléments du code génétique lui-même mais sur des systèmes déjà beaucoup plus compliqués : les cellules reproductrices d'abord, ou l'embryon
ou le foetus ensuite et, plus tard, l'adulte lui-même.
Ce sont ces risques très réels, puisque les méthodes sont déjà codifiées, qui doivent être discutés.
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III - La manipulation des cellules
reproductrices
Il est relativement aisé de manipuler les cellules mâles, les
spermatozoïdes qui sont justement équipés pour pouvoir survivre en dehors de
leur tissu de formation (les tubules séminifères du testicule) et sont
capables de supporter et d'effectuer par eux-mêmes, l'immense et périlleux
voyage, depuis la cavité vaginale jusqu'à l'ampoule de la trompe de Fallope,
remontée qui les amène finalement au contact de l'ovule fécondé.
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a) Le froid intense
Par mise au froid intense (près de -180 degrés dans l'azote
liquide) il est possible de conserver les spermatozoïdes pendant des temps
très longs se chiffrant déjà par plus de dix ans. Théoriquement, la
conservation aussi près due possible du zéro absolu devrait être
quasi-indéfinie.
A ce froid intense correspond un arrêt de toute activité chimique
et les cellules sont ainsi figées dans ce qui pourrait être une suspension de
la durée physiologique. Si l'on a pris soin d'abaisser la température
progressivement et de mettre les spermatozoïdes (au n'importe quel autre type
de cellule dans un milieu adéquat qui permet aux molécules de se solidifier
comme un "verre" et non comme un fouillis de cristaux, la structure fine est
entièrement respectée.
Après réchauffement, les cellules peuvent se remettre en activité
et les spermatozoïdes retrouvent leur mobilité et leur pouvoir
fécondant.
Plusieurs utilisations sont possibles et certaines réalisées.
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b) Les banques de sperme
On conçoit aisément qu'il puisse être précieux de conserver la
semence d'un reproducteur un peu comme on le ferait pour la graine d'une
plante. En art vétérinaire ceci rend d'énormes services car il est possible
après quelques essais, de tester la qualité de la descendance d'un étalon ou
d'un taureau, avant d'utiliser l'insémination artificielle sur une grande
échelle.
Dans notre espèce, l'insémination est surtout utilisée pour
pallier l'impossibilité de fertilisation.
Par exemple, plusieurs milliers d'enfants américains sont nés de
pères éloignés de leur foyer pendant la guerre de Corée. Tous ces enfants
étaient biologiquement légitimes (aux erreurs de flaconnage près).
D'insémination elle-même est en effet un geste relativement simple
puisque le simple dépôt sur le col de l'utérus ou dans la cavité même,
réalise une des étapes du processus naturel.
L'autre utilisation concerne l'infertilité masculine ; le sperme
d'un donneur étant alors utilisé. Ici les enfants sont adultérins, puisque
leur père biologique n'est point le mari de leur mère.
Il semblerait que de nombreuses conséquences psychologiques pour la
mère et l'enfant soient à redouter, quoiqu'en dise une certaine opinion sur ce
point. Toutefois, biologiquement, les enfants sont tout à fait naturels, comme
ceux de l'adultère ou de l'illégitimité d'ailleurs.
L'idée de sélectionner la semence de certains sujets, réputés
supérieurs, n'a pas manqué d'être lancée. Feu Müller, Prix Nobel, proposa
de remplacer la bonne vieille manière de faire des enfants par une
insémination volontaire. Comme donneurs il proposait entre autres Lavoisier,
Pasteur, Lénine et Staline. Dans une publication, postérieure celle-là à l'avènement de Kroutchev, Le nom de Staline avait disparu. On voit la
difficulté des critères de choix.
Un autre risque plus insidieux est celui de mariages incestueux
inconnus. Dans une même petite ville, si le même "donneur" est utilisé pour
engendrer de nombreux descendants, les unions entre demi-frère et demi-soeur,
ignorant totalement leur parenté, risque de se produire et, vraisemblablement
se sont déjà produits aux Etats-Unis.
Ici tous les risques liés à la consanguinité se retrouvent avec
leurs effets défavorables sur la descendance.
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c) Le choix du sexe
Depuis la plus haute antiquité, l'apparition en nombre à peu près
égal de filles et de garçons a donné lieu à d'innombrables hypothèses et à un nombre encore plus grand de méthodes empiriques destinées à procréer à volonté un sujet mâle ou un sujet féminin. Sans aucun succès jusqu'ici.
Comme on sait l'homme possède 46 chromosomes, dont un X et un Y
chez le mâle. Lors de la fabrication des cellules reproductrices, seule la
moitié exactement des 46 chromosomes se retrouvent dans le spermatazoïde. De
ce fait chaque cellule reproductrice porte 23 chromosomes donc un élément de
chacune des paires, un chromosome N° 1, un N°2 et ainsi de suite jusqu'au N°
22 et soit un X soit un Y puisque ces chromosomes sexuels ne sont point
identiques. (chez la femme qui porte deux X, chaque ovule comporte lui aussi 23
chromosomes, dont toujours un X).
On voit dans que c'est le spermatozoïde fécondant qui détermine
le sexe de l'enfant. S'il amène un X, l'enfant est XX, c'est-à -dire fille.
S'il amène un Y, l'enfant est XY, garçon.
Il semble que par une coloration spéciale an puisse reconnaître si
on spermatozoïde porte justement un X au un Y. Mais cette investigation
entraîne la mort de la cellule.
L'idée d'un triage a été souvent avancée par les moyens les plus
divers, mais aucun succès réel n'est encore signalé.
A supposer, ce qui n'a rien d'impossible, qu'une méthode efficace
soit un jour découverte, la question se poserait de laisser au couple ce choix
du sexe des enfants. Comme le dit fort bien Jean de Grouchy dans Les Nouveaux
Pygmalions, l'état devrait alors mettre en route ses ordinateurs peur savoir
quelle serait la meilleure méthode, à la fois de combler le désir de la
majorité des parents (ils veulent un fils et de préserver l'équilibre des
sexes dans la prochaine génération. Un simple calcul donne en un clin d'oeil
la réponse que les gros ordinateurs ne manqueront point d'étayer par
d'immenses computations : le seul moyen pour éviter tout favoritisme et toute
injustice délibérée est de laisser faire le hasard (comme auparavant).
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d ) Le triage des mauvais gènes
Une application encore plus lointaine serait d'inventer une sorte de
filtre capable d'arrêter les spermatozoïdes porteurs d'un mauvais gène pour
ne laisser parvenir au but que les bons.
Quand un sujet porte en effet, pour la même fonction chimique, un
gène normal et un gène pathologique, il transmet l'un ou l'autre,
indifféremment, c'est-à -dire une fois sur deux. D'où l'intérêt théorique
évident d'une telle manipulation qui pratiquement réduirait à presque rien le
fardeau génétique supporté par chaque génération. On peut compter
actuellement que près d'un enfant sur cent souffre d'une maladie
génétique.
Ici aucune manipulation n'est encore inventée, mais il serait
présomptueux de nier à priori toute possibilité de ce genre.
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e) La manipulation des ovules
les propositions d'intervention sur la cellule féminine, l'ovule,
sont beaucoup moins nombreuses et bien moins aisées à réaliser en raison du
petit nombre de ces cellules, une à chaque cycle menstruel en moyenne.
Toutefois, divers cocktails hormonaux sont connus pour provoquer des
ovulations multiples et il serait semble-t-il possible d'obtenir de certaines
donneuses une dizaine d'ovules mûrs par exemple. D'où leur éventuelle mise
en conservation au froid intense et leur utilisation ultérieure.
Haut
f ) Les implications morales
Comme on voit, mise à part l'utilisation pour améliorations de la
race humaine prônée par certains, la manipulation de cellules reproductrices
pourrait être plus utile que dangereuse.
Autant qu'on en puisse juger, ses effets psychologiques pourraient
être plus graves. La dissociation entre la paternité et l'acte d'amour,
parfois comparée à la sublimation affective rencontrée dans,l'adoption, est
en effet fort différente, car l'un des procréateurs, la mère, est un parent
biologique bona fide, alors que le père, lui, est totalement distant de ses
enfants.
La généralisation de ces méthodes pourrait amener la création
d'un "fossé" encore plus grand entre les générations, avec faute
l'instabilité affective et raciale qui peut s'ensuivre.
Haut
IV - La manipulation de l'embryon
Une nouvelle étape serait de fabriquer in vitro, l'individu
lui-même.
Haut
a) la fécondation in vitro
Disposant d'un stock d'ovules et de spermatozoïdes, il devient
très simple d'obtenir la fécondation dans un milieu synthétique,
éventuellement sous contrôle microscopique. Il ne faut pas oublier que c'est
ainsi que se produit naturellement la fécondation de nombreuses espèces
aquatiques, sans conjonction des individus.
Chez l'animal, ces expériences sont aisées et des souris conçues
in vitro et implantées ensuite chez une mère adoptive se sont par la suite
parfaitement développées.
Chez l'homme cette expérimentation est pratiquée par certains.
Dans un milieu approprié, l'oeuf ainsi fécondé se divise jusqu'au stade de
16 à 32 cellules et commence à s'organiser. Il semble que le stade auquel
l'oeuf s'implante normalement dans la muqueuse utérine (vers le 5ème ou 7ème
jour) puisse être atteint. Au delà de ce terme, faute de trouver cette
muqueuse nourricière, qu'aucun produit synthétique ne peut actuellement
remplacer, l'être nouveau dégénère et meurt en quelques jours. Le
bébé-éprouvette est actuellement impossible, mais ne le sera peut-être pas
toujours.
Haut
b) Les nourrices utérines
Par une préparation hormonale adéquate, toute femelle en âge de
procréer pourrait être mise en état de recevoir l'un de ces très jeunes
embryons. Ceci s'effectue relativement très aisément chez la souris.
Chez la femme, malgré semble-t-il plusieurs essais auxquels les
auteurs n'ont guère donné de publicité, aucune grossesse ne s'est
poursuivie.
Théoriquement destinée à surmonter une impossibilité de
conception, par blocage des trompes par exemple, cette implantation après
fécondation in vitro est presque à notre portée.
Cette manipulation romprait la dernière attache entre l'enfant et
celle qui le porte. On conçoit en effet qu'une femme désireuse d'avoir un
enfant, confie ce dernier, quelques jours après la fécondation, à une
nourrice utérine. On pourrait en effet aller chercher la morula dans la
trompe, par une très petite incision de la paroi abdominale (coelioscopie) et
l'implanter ensuite dans une receveuse préparée.
Après neuf mois, la nourrice utérine mettrait au monde un enfant,
qui n'est point le sien, et le rendrait alors à la mère génétique (contre
rétribution éventuellement).
Des conséquences affectives seraient encore plus graves que celle
de l'insémination artificielle déjà évoquées.
Haut
c) les hybridations contre nature
La barrière génétique entre les espèces est constituée, comme
on sait, par les différences entre structures chromosomiques mais non par une
incompatibilité entre les patrimoines génétiques proprement dits.
Ainsi de l'ânesse et du cheval dont l'hybride est le bardot (ou le
mulet s'il s'agit d'une jument et d'un baudet). L'hybride est parfaitement
viable et bien constitué mais stérile. D'où l'impossibilité de faire passer
un gène d'âne chez les chevaux et réciproquement.
On sait depuis peu que la ressemblance des gènes est très grande
entre l'homme et le chimpanzé et que leurs différences chromosomiques sont
plutôt moins marquées qu'entre l'âne et le cheval.
La tentative par fécondation in vitro et implantation utérine
secondaire de confectionner ainsi des hybrides centre nature n'a pas été
publiée jusqu'ici. Personne ne sait à priori quel stade de développement
pourrait être atteint mais on voit que la thèse de Vercors dans les animaux
dénaturés risque d'être un objet de discussions scientifiques, sans omettre
les considérations philosophiques et morales portant non sur l'éventuel
résultat, mais sur la manipulation elle-même
Haut
d) Les cultures cellulaires hybrides
Toute autre est la technique d'hybridation forcée entre cellules
ordinaires, c'est-à -dire non reproductrices. Aidée d'une infection virale
(virus de Sendhai) la manipulation consiste à cultiver cote à côte des
cellules de deux espèces différentes. Ainsi que l'a découvert Sorieul, les
cellules fusionnent et mettent en commun leurs deux lots chromosomiques.
Au cours des générations successives, cette lignée est instable
et petit à petit les chromosomes de l'une des espèces se trouvent rejetés un
à un (ou à peu près). Les généticiens ont pris avantage de ce rejet pour
déceler quel chromosome (le 1, le 2, etc...) porte tel gène donné. Il suffit
en effet de choisir au départ une lignée humaine par exemple et de la faire
fusionner avec une lignée animale porteuse d'un gène anormal, la rendant
incapable d'une certaine réaction chimique. La lignée hybride effectue
normalement la réaction mais si elle perd le chromosome humain porteur du
"bon" gène, elle devient incapable de réaliser la réaction étudiée. Il
suffit donc, en surveillant l'évolution de la souche, d'établir qu'en
présence de tel chromosome la réaction s'effectue, tandis qu'elle est
impossible lorsque ce même chromosome est éliminé, pour localiser le gène
étudié sur le chromosome en cause.
Ainsi plusieurs dizaines de gènes ont été localisés ce qui
représente un progrès d'autant plus important qu'il se poursuit à un rythme
accéléré depuis un ou deux ans.
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e) Le bricolage des embryons
La conservation d'embryons très jeunes au froid intense ne pose pas
de difficultés particulières et plusieurs manipulations sont possibles.
Soit cliver un jeune embryon en plusieurs, selon un processus
rappelant celui de la fabrication des vrais jumeaux. On obtiendrait ainsi des
"portées" de 2, 4, 8 au seize individus strictement identiques (à implanter
dans des nourrices utérines différentes pour cause d'encombrement).
Ou encore il serait possible de faire collaborer deux au plusieurs
embryons à l'édification d'un seul individu. Le pouvoir de régulation
embryonnaire est surprenant à ce stade très précoce et on a pu ainsi
confectionner des souris multiparentales, le record ayant quatre pères et
quatre mères.
Spontanément, une anomalie de ce type existe exceptionnellement
dans notre espèce. Certains malades, appelés hermaphrodites, portent côte à côte des cellules mâles XY et des cellules féminines XX, et sont de ce fait
munis simultanément de caractères masculins et féminins. Ils résultent de
la collaboration de deux oeufs fécondés jumeaux.
Nul ne sait si le mélange d'un embryon d'enfant noir et d'enfant
blanc donnerait un sujet de couleur métisse ou réaliserait un damier
pigmentaire, comme cela se voit chez la souris. Tout aussi incertaine serait la
coopération d'un embryon d'athlète et d'un embryon de mathématicien (à supposer que ces qualités puissent être prévues sitôt, et nul ne sait si
l'enfant résultant cumulerait les performances de ses deux "ancêtres
immédiats".
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f) La multiplication végétative
Sans que la greffe ou le marcottages si chers aux arboriculteurs
puissent être exactement appliqués aux organismes supérieurs, diverses
manipulations permettent une multiplication asexuée donc de type
végétatif.
Chez les amphibiens par exemple on sait depuis les travaux de Gordon
et King qu'il est possible d'enlever le noyau d'un oeuf fécondé et de le
remplacer par le noyau d'un autre oeuf. Le sujet qui en résulte parte les
caractères de la race donneuse du noyau (et non de celle donneuse de
l'oeuf).
Certains noyaux de cellules du corps, comme ceux de la muqueuse
intestinale, sont aussi capables de prendre la direction génétique de l'oeuf
manipulé. Toutefois aucune réussite complète n'a été obtenue.
La possibilité d'extrapolation chez l'homme est d'autant plus
hasardeuse que chez la souris, aucun résultat probant n'a été obtenu.
On voit à quel danger nous échappons pour l'instant. Supposons que
la méthode soit au point et que le donneur soit bon époux, bon pères, beau,
fort, intelligent, et pour bien faire les choses, éminent biologiste de
surcroît. (Aucune référence à toute personne existante ou ayant existé
n'est ici suggérée, tant les interprétations pourraient être diverses et
regrettables !) De ses milliers de cellules on aurait pu extraire des milliers
de noyaux, placer chacun d'eux dans un oeuf fécondé préalablement énuclée,
et par milliers de nourrices utérines interposées, assister à la naissance de
milliers de petits citoyens taus identiquement beaux, forts, intelligents et
éminents biologistes!
Aucune science ne résisterait à la formidable sclérose résultant
de l'afflux d'une telle cohorte. Porteurs simultanément des titres de
naissance et des dans personnels, cette fournée canaliserait dans un moule
unique l'évolution intellectuelle de toute une génération ! L'élan de la
découverte serait bien vite remplacé par un nouveau conformisme!
Et que serait-ce si nous avions choisi tel ou tel personnage
historique. Quel nom pourrait-on évoquer dont la multiplication à milliers
d'êtres pourrait être envisagée sans effroi !
C'est seulement semble-t-il chez les tatous que la nature se porte à tirer jusqu'à douze exemplaires conformes d'un même être. Chez l'homme la
gémellité vraie ne dépasse guère deux individus.
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g) La Parthénogénèse
Un autre danger, peu direct lui aussi est celui de la
parthénogenèse, phénomène pratiquement inexistant dans notre espèce
(statistiquement parlant du moins), bien que le classique kyste dermoïde de
l'ovaire chez la jeune fille, soit peut-être une forme très inférieure de ce
type de reproduction.
Du fait du déterminisme chromosomique du sexe, la descendance
parthenogénétique serait, sauf cas de mosaïcisme imprévu, strictement
composée de filles. Selon que l'anomalie porterait sur l'absence de toute
réduction chromosomique ou sur la réintégration secondaire du 2ème globule
polaire, les filles seraient toutes identiques entre elles, ou encore,
représenteraient toutes les variantes possibles autour du type commun porté
par leur mère.
Ces "bricolages" de l'embryon autant qu'on en puisse sainement juger
ne présentent aucun intérêt pour notre espèce. La Bokanofskification chère
à Aldous Huxley est plus une angoisse qu'une espérance, et la manipulation
pure, pour voir, pour essayer, quelque soient les échecs ou les monstres qui
en pour raient résulter, est une tentation de l'esprit de curiosité, non un
moyen de connaissance raisonnée.
Dans l'état actuel de l'ignorance, on peut penser en effet que les
mêmes entreprises, in anima vili, nous en apprendraient tout autant, du moins
compte tenu de la relative grossièreté des moyens d'investigation dont nous
disposons.
Le redoutable de l'affaire est que la vie humaine, réputée n'avoir
pas de prix, n'en a plus du tout en effet de nos jours, pour certains tout au
moins.
Haut
La manipulation du foetus
a) Le foetus humain, matériel
expérimental
Depuis que de nombreux pays, autrefois civilisés, ont admis que
la vie de certains de leurs ressortissants n'était pas protégée par la loi,
les foetus humains peuvent être éliminés si leur mère, refuse son rôle de
nourrice utérine légitime.
Certaines manipulations sont alors possibles et hélas
pratiquées, soit in utero soit hors l'utérus.
Il est possible par exemple d'administrer à la mère certaines
drogues pour savoir si, en début de grossesse elles peuvent entraîner des
malformations du foetus.
Hors utérus, pour les avortements à 3, 4 ou 5 mois diverses
expériences de neurologie ou de physiologie sont possibles.
Peut-être, dira-t-on, ces vivisections seront utiles à la science
car certains phénomènes ne peuvent s'étudier que sur l'homme même. Du fait
des moyens employés cette explication est fallacieuse. La véritable raison,
aussi exorbitante qu'elle paraisse, est beaucoup plus sordide. Un foetus de
chimpanzé coûte cher (il faut entretenir l'élevage alors qu'un petit homme
ne coûte rien !
On mesure à ce simple fait, les dangers pour l'intelligence et le
coeur de la biologie dénaturée, tempérée seulement par l'efficace et par
l'argent !
b) La santé par la mort
Grâce à de multiples techniques le destin biologique de l'enfant
peut être connu très tôt, encore au ventre de sa mère. Par prélèvement du
liquide amniotique dans lequel baigne le foetus, il est possible d'examiner les
cellules de l'entant, et de détecter de nombreuses maladies, soit
chromosomiques, soit géniques.
Ici l'investigation se solde par l'élimination délibérée des
malades. Et cette pratique est devenue tellement routinière aux U.S.A.. qu'un
de ses partisans en a conclu que toute recherche pour guérir éventuellement
les malades se trouvait rendue inutile par cette solution définitive.
"In fact, the availability of abortion poses a serious ethical
problem for the exploration of more conservative therapeutic measures ! These
will be uncertain in the early stages and are therefore sure to result in a
considerable residue of still damaged children, either from inefficient control
of the disease or as a side effect of the treatment. For these reasons,
prenatal diagnosis and abortion will probably preempt other approach to genetic
therapy" (Lederberg)
Imaginer qu'un progrès technique (le diagnostic précoce) pose un
retour à la solution finale (avortement) et bloque faut avancement de la
médecine génétique, est probablement un jugement erroné, mais constitue une
condamnations involontaire peut-être mais terrible, du processus enclenché
par la biologie dénaturée.
Haut
La manipulation de l'adulte
Avec la puissance toujours accrue des moyens d'action tant chimiques
que chirurgicaux, l'adulte lui-même peut être "bricolé".
Nous ne discuterons pas ici des greffes d'organes qui soulèvent de
graves questions quand au respect du donneur, mais qui répondent à un souci de
soigner son semblable, fort conforme à la tendance la plus noble de la nature
humaine et à la raison d' être de la médecine.
Deux autres dangers méritent d'être signalés.
a) Les manipulations du sexe
Certes il est impossible de transformer un homme en femme et
réciproquement et les prétendues révélations d'hommes ayant engendré en
tant que mâle, puis porté des enfants en tant que femme ne ressortissent que
du seul journalisme à sensation.
Par contre les cocktails hormonaux points à la chirurgie
mutilantes peuvent bouleverser l'aspect, et la psychologie du sujet.
La féminisation hormonale de l'homme jeune, suivie de
l'émasculation avec invagination de la peau des bourses dans le périnée pour
former un pseudo-vagin est une opération codifiée et fortement tarifiée par
certains. Une injection secondaire d'une résine spéciale dans les seins
parachève la transformation.
Le changement inverse, exérèse des seins et greffe d'un faux
pénis ne donne qu'une contrefaçon encore plus affreuse.
Pour exceptionnelles qu'elles soient, ces mutilations, qui aux
yeux du profane peuvent passer pour des prouesses techniques, ont pour effet de
dénier tout respect à la constitution sexuelle, modifiable à volonté.
b) Les manipulations de la sexualité
D'autres parleront des ravages causés par les changements
survenus dans le comportement sexuel de nos pays dans les récentes
années.
Parmi tous les dangers que présente l'usage des contraceptifs
hormonaux certains ont été exagérés d'autres sous-estimés et il est
difficile d'en faire un bilan précis. Il apparaît évident aux yeux du moins
spécialistes que cette manipulation du délicat mécanisme ovarien de la femme
ne puisse être indifférent.
Un point très particulier sur lequel notre ignorance est totale
est la "pilule aux gamines". Nul ne sait ce que ce bouleversement chimique peul
réaliser sur un organisme de douze ou treize ans encore trés loin d'avoir
atteint une maturité complète. Lorsqu'on observe qu'une portion importante
des cohortes féminines sera soumise à cette imprégnation, on ne peut
s'empêcher de frémir devant telle imprévoyance.
L'un des aspects les moins évidents (à coté du retentissement
éventuel sur le développement des caractères sexuels primaires ou
secondaires, ou d'un effet possible sur la fécondité ultérieure est celui du
rapport entre la maturation du système hypophysaire, hypothalamique et
limbique, et l'équilibre hormonal de la jeune fille.
Peut-être une imprudence inouïe, étendue à toute une
génération nous révèlera-t-elle, par une véritable expérimentation de
masse, des effets redoutables sur la régulation de l'humeur, la constitution
du caractère et la maturation du sentiment et de la conscience dans des
conditions chimiques perturbées.
c) Les manipulations du mécanisme de
l'esprit
Il sortirait entièrement de notre objet de discuter les
développements récents de la biochimie et de la pharmacologie du système
nerveux central.
Qu'il s'agisse de la découverte du centre de la sensation de bien
être dont la stimulation électrique évoque un nirvana relatif ou encore de
l'usage des drogues dont on sait l'extension, le risque d'atteindre directe de
l'esprit ne peut être passé sous silence.
D'autre part, nous sommes raisonnablement proches de guérir
chimiquement certaines affections mentales très graves, y compris certains
états de débilité congénitale de l'intelligence (Pour plusieurs maladies
ces conquêtes, localisées certes, mais quasi totales, font déjà partie
intégrante de la pratique médicale). De l'autre, il serait étonnant que des
hallucinogènes plus puissants et plus spécifiques que le L.S.D. ou des
euphorisants plus stupéfiants que l'héroïne elle-même, ne soient pas
découverts.
Ainsi, notre pouvoir, aussi bien d'alléger les troubles de
l'esprit que de provoquer délibérément le vacillement de la raison sous
l'emprise absolue du besoin de plaisir, ne peut que s'accroître dans un proche
avenir.
Aldous Huxley avait admirablement dénommé la drogue délicieuse
qui apportait la jouissance artificielle totale, par le vocable grec de " soma
" c'est-à -dire corps. Tant semble-t-il la volupté continue de la sensation
pure parait être l'antithèse de l'activité de l'esprit.
Et c'est bien là qu'est le danger.
La Science en elle-même, n'est point à redouter, mais elle
engendre également le meilleur et le pire selon qu'elle est utilisée.
Les manipulations dont nous venons de parler ne sont qu'un danger
pour plus tard si nous considérons l'ensemble de la planète.
Mais le vrai danger est dans l'homme ; dans ce déséquilibre de
plus en plus inquiètant, entre sa puissance qui s'étend chaque jour et sa
sagesse qui paraît parfois régresser.
Il est sage d'être apprenti, c'est le lot de tout scientifique,
mais il est fou de jouer au sorcier ; on ne l'est jamais tout à fait.
Au delà de l'intelligence il est une autre loi de vie, qui
commande aussi la raison. C'est l'affection pour le semblable, la protection du
démuni, la compassion pour ceux qui soufrent et le respect sans restrictions,
même pour ceux qui sont lointains, étrangers, différents, et même pour les
inconnus qui nous suivront sur cette terre.
Les manipulations hors les chemins de la nature, ne sont nullement
maudites. C'est seulement si le coeur de l'homme s'en trouvait égaré, qu'on
pourrait craindre à juste titre la biologie dénaturée.
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