Depuis 1953, l'ADN tourne à droite selon le modèle en spirale de
Watson et Crick. La représentation en est assez claire. L'association des
bases, adénine avec thymine et guanine avec cytosine, donne à la molécule
l'aspect d'une échelle dont les montants verticaux seraient constitués des
enchaînements d-ribose-phosphate, tandis que les marches seraient
représentées par les bases appariées, maintenues horizontales.
Sitôt que les bases se rapprochent les unes des autres
(cristallisation), la configuration du d-ribose impose une torsion progressive,
la molécule prenant l'aspect d'un escalier en colimaçon. Les bases empilées
les unes sur les autres, forment une volée de marches, bordées à l'extérieur
par une sorte de rembarde constituée des enchaînements d-ribose-phosphate.
Vue du dessus, cette volée descendante tourne à droite, la molécule est
dextrogyre. Cette conformation est la seule possible si les azotes 7 des bases
puriques sont situés en avant du plan formé par les montants de l'échelle.
C'est la formule classique, dite B-DNA.
La découverte de Wang et coll. [2] montre que cette position des
bases n'est pas la seule possible. En effet, si les azotes 7 des bases puriques
sont situés en arrière du plan formé par les montants de l'échelle (ce qui
correspond à un simple retournement de 180 degrés de chaque marche), la
molécule se replie en tournant à gauche cette fois. La spirale résultante est
un peu plus élancée que celle de Watson et Crick et fait un tour complet
toutes les douze bases (au lieu de dix dans le modèle dextrogyre).
Cette forme sinistrogyre que Wang et coll. dénomment Z-ADN, a de
très nombreuses implications biologiques. D'après Wang et coll., la séquence
alternée G-C-G-CG-C- etc. donnerait toujours la forme gauche, ce qu'ils
rapprochent fort justement du fait que cette séquence alternée est présente
près de l'origine de réplication des parvovirus des rongeurs.
De même, le rapprochement des phosphates dans un petit sillon très
étroit laisse à penser que les concentrations d'ions positifs doivent jouer un
rôle important dans la stabilité de cette forme, gauche. Enfin, les bases
étant exposées à l'extérieur de la spirale, une interaction avec les
protéines peut être attendue et devrait être différente de celle observée
dans la forme B-DNA.
Curieusement, cette " nouveauté " d'un ADN qui vire à gauche était
attendue depuis dix ans par les cytogénéticiens. En effet, l'analyse
systématique des chromosomes en anneau, avec la production de dicentriques,
d'anneaux enclavés, de duplications et de déficiences locales, m'avait amené
à conclure que, seul un mécanisme par échange de chromatides pouvait rendre
compte de l'ensemble des faits. D'ailleurs, le marquage des chromatides par le
d-BrdU, devait confirmer formellement cette origine.
Comme les mêmes accidents étaient alors observés dans les
chromosomes en anneau des mitochondries humaines, il semblait que le
phénomène fût absolument général pour la duplication des structures
circulaires.
Cette théorie, fondée sur des considérations topologiques simples,
avait un corollaire étrange pour l'époque : " La difficulté majeure d'un tel
modèle provient de la contrainte qu'il impose à la structure de l'ADN. Cette
molécule devrait alors être, soit à moitié dextrogyre et à moitié
sinistrogyre, soit rester entièrement dextrogyre mais subir un pliage secon-
daire avant fermeture de l'anneau, tel que la spirale primaire soit
topologiquement annulée " [1].
La découverte de Wang et coll. [2], résout entièrement cette
difficulté puisque l'ADN peut avoir des séquences alternativement dextrogyres
et sinistrogyres et que, fort opportunément, le mode de pliage, par simple
retournement des bases, fournit le moyen d'annuler exactement les deux
systèmes torses opposés.
La splendide spirale dextrogyre de Watson et Crick est toujours aussi
belle, mais sa monotonie impérieuse, incompatible avec les observations
cytgénétiques, est maintenant équilibrée par une forme gauche, résolvant
définitivement le problème topologique.
Il est réconfortant de voir que la simple rigueur de raisonnement
cytogénétique amenait à penser que la nature est probablement plus
ingénieuse que les premiers cristallographes ne l'imaginaient. Wang et coll.
[2] viennent d'en donner la preuve.
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Références
1. LEJEUNE J. - De la duplication des structures circulaires. Ann.
Génét., 1968, II, n° 2, 71-77.
2. WANG A.H.J., QUIGLEY GJ., KOLPAK F.J., CRAWFORD J.L, Van BOOM J.H.,
Van der MAREL G., RICH A. - Molecular structure of a left-handed double helical
DNA fragment at atomic resolution. Nature, 1979, 282, 680-686.
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