La plus spécifique des affections humaines, puisque seul l'homme en
peut souffrir, la débilité de l'intelligence est la plus inhumaine aussi
puisqu'elle prive les malades de la plus précieuse qualité déterminée par
notre patrimoine.
Certes, la débilité mentale n'est qu'un symptôme puisqu'un nombre
énorme de maladies, depuis les traumatismes, les infections et les
intoxications, en passant par les maladies géniques et chromosomiques peuvent
la provoquer. Mais un exemple simple peut nous permettre de mettre un peu
d'ordre dans ce fatras de catastrophes.
Haut
Le substratum de l'intelligence
Quand Pascal découvrit que par le jeu de roues dentées et de
tringleries, on pouvait simuler le calcul arithmétique, il démontra du même
coup qu'il était possible d'insérer du logique dans la matière
façonnée.
Les ordinateurs de nos jours sont beaucoup plus raffinés utilisant un
grand nombre des propriétés de la matière et de l'énergie (déflexion de
jets, migration de bulles magnétiques, impulsions laser ou semi-conducteurs
des circuits imprimés) mais tous ces engins, comme celui de Pascal, répondent
â trois exigences fondamentales.
1) Un réseau préétabli, logique par construction,
2) Une transmission à distance claire et sans diffusion,
3) Une réponse franche de chaque composant, sans inertie ni
hésitation.
Penser que les machines sont un modèle de la pensée serait penser
machinalement, mais remarquer qu'elles satisfont aux contraintes de la raison
peut aider à saisir d'importantes analogies.
Toutes les maladies de l'intelligence se caractérisent en effet par
une ou plusieurs pannes contrariant l'une ou l'autre de ces trois
exigences.
Voyons d'abord le Réseau.
Haut
Le réseau pensant.
Notre cerveau surclasse et de beaucoup pour l'instant les plus
imposantes machines. Quelques onze mille millions de neurones, interconnectés
par quelques onze millions de millions de synapses, c'est un chiffre
astronomique. La longueur du câblage qui unit cet ensemble l'est aussi. En
démêlant les fibres nerveuses, visibles au microscope optique, et en les
mettant bout â bout, on irait d'ici à Tokyo. Mais en prenant en compte les
faisceaux de neurotubules, qui seraient pour certain le câblage élémentaire,
on irait d'ici à la lune et retour
Malgré les brillantes découvertes de la neurologie, le plan
détaillé nous reste largement inconnu. Toutefois, de même que le réparateur
observant qu'un tiroir d'informatique est détruit, décèle le trouble de la
machine, de même les délabrements anatomiques les plus graves, signent
certaines maladies.
Qu'une partie du réseau manque, comme l'arrhinencéphalie de la
trisomie 13, et la machinerie générale est gravement blessée. De même, les
destructions secondaires, par hémorragie, par ischémie par infection ou par
compression tumorale, ou même par lamination progressive du cerveau sous la
pression hydraulique d'une hydrocéphalie, peuvent détériorer notre précieux
réseau.
Toute tentative de réparation paraît vaine, car les neurones ne se
remplacent pas, mais la prévention peut être exemplaire, comme le montre la
dérivation du liquide céphalo-rachidien pour compenser l'hydrocéphalie.
Dans certains cas la maladie elle même peut être prévenue.
Dans les pays anglo-saxons, les anomalies du tube neural, allant de la
spina-bifida à l'anencéphalie complète, sont une des causes les plus graves
de déficiences cérébrales.
Jusqu'à ces tous derniers temps on savait seulement que les défauts
du tube neural, comme on dénomme l'ensemble de ces malformations,
présentaient une curieuse répartition géographique et sociologique. Rares ou
même presqu'inconnues dans les populations du littoral méditerranéen, leur
fréquence s'élève en remontant vers le nord.
Dans les îles britanniques 1 enfant sur 500 est atteint.
Par ailleurs, on savait que les mères ayant déjà au un enfant
atteint ont un risque beaucoup plus élevé d'en avoir un second (cinq pour
cent environ). Enfin les enfants de femmes pauvres paraissaient plus
fréquemment atteints que ceux des femmes riches, et Renwick [1] remarquait une
étrange corrélation entre la fréquence de la maladie et la consommation de
produits de mauvaise qualité (pommes de terre niellées). Tout ceci composait
un tableau incompréhensible. Cependant, comme l'ouverture du tube neural
laisse écouler de l'alpha-fétoprotéine, le taux de cette substance s'élève
dans le liquide amniotique et même dans le sang de la mère. D'où une
possibilité de dépistage chez la mère, puis de confirmation par analyse du
liquide amniotique.
On a même mis sur pied en Angleterre depuis 3 ou 4 ans un énorme et
coûteux programme de dépistage systématique afin d'éliminer ensuite les
malades par avortement provoqué.
Une récente découverte de Smithells, montre une nouvelle fois que la
voie droite de la médecine n'est jamais de s'attaquer aux patients, mais bien
à la maladie. Se fondant sur les données précédentes, sociologiques,
géographiques et alimentaires, et tenant compte des observations de Hibbard et
Hibbard [3] montant que les mères d'enfants atteints avaient des taux sanguins
bas de folate, Smithells traita des futures mères (ayant déjà eu un enfant
atteint) avec une préparation polyvitaminée administré dès avant la
conception. Sur 178 enfants, un seul naquit atteint au lieu des huit ou neuf
attendus. Dans un groupe témoin de mères non traitées il observe 13 malades
sur 260 enfants, exactement comme le prévoyaient les statistiques de
récurrence. Une seconde statistique de Laurence, 1981, vient confirmer ces
premières données. [7]
Outre la déficience relative en légumes et fruits frais dans les
pays du nord, deux autres conditions expliquent la fréquence élevée dans les
îles britanniques: l'ébullition prolongée, ainsi que la mise en conserve
détruisent les folates. De même l'usage des contraceptifs oraux tend à
diminuer le taux sanguin de folate.
Ces faits corroborent les atroces statistiques de Tiersch [18] qui
administrant de l'aminopterine (antifolique) à un groupe de 24 mères enceintes
de 3 à 8 semaines produisit "expérimentalement" chez la majorité des foetus
de graves malformations du système nerveux central (anencéphalie spina
bifida).
Il est certes trop tôt pour conclure que l'anencéphalie et les
troubles de fermeture du tube neural seront définitivement évités par une
vitaminothérapie préventive, de même que la variole par la vaccination, mais
pour la première fois une affection redoutable et passablement mystérieuse
parait en passe d'être vaincue.
Haut
La transmission à distance et les substances
isolantes.
Seconde exigence imposée: il faut que le câblage permette une
transmission sans perte et évite toute diffusion parasite; chacun sait que le
montage le plus raffiné peut être ruiné par un court circuit, par des
soudures qui grésillent ou par des "courants baladeurs".
La pathologie génétique nous fournit un grand nombre d'exemple des
"maladies des isolants". On connaît mal les court-circuit véritables entre
fibres nues qui s'entrecroisent, mais on sait avec certitude que les étapes
successives de la myélinisation du cerveau de l'enfant, correspondent trait
pour trait à l'acquisition des fonctions motrices ou mentales correspondant à
la portion cérébrales en cause. L'ordre dans lequel les zones se myélinisent
est le même que celui des acquisitions neurologiques.
A l'inverse on connaît de nombreuses affections dans lesquelles, le
montage ou le démontage des édifices moléculaires qui constituent les
isolants, est déficient. Les produits intermédiaires s'accumulent alors dans
les neurones et les tuent. Qu'il suffise de citer pour mémoire, la maladie de
Nieman Pick (Sphyngomyéline) la maladie de Gaucher (Glucosyl-céramide), la
maladie de Krable (Glalactosyl-céramide), la leuco-métachromatique
(Sulfatides) et la maladie de Tay Sachs et celle de Sand'hoff
(Gangliosides).
Ces "maladies des isolants" n'expliquent pas l'immense chapitre des
retards de myélinisation et les déficiences globales de la croissance du
cerveau (microcéphalie) qui sont probablement d'une importance numérique
beaucoup plus grande, mais dont les causes précises restent à découvrir.
Haut
La réponse des composants.
La logique binaire qu'utilisent les machines résume tout simplement
le principe élémentaire de la logique, à savoir que A ne peut être non -A,
c'est-à -dire l'interdiction d'être à la fois telle chose et de ne l'être
pas. En bonne logique chaque étape doit se résumer en un mot, oui ou non.
Tout ce qui est incertain doit être éliminé, ce qui se comprend du reste
puisque la raison n'est qu'un moyen d'éliminer le fortuit pour ne garder que
le déductible. Les portes qu'utilisent les informaticiens pour simuler les
enchaînements logiques ressemblent fort à celles de Musset, "il faut qu'une
porte soit ouverte ou fermée ". Que la porte reste entrebâillée, que la dent
d'un pignon broute, et voià l'argument ruiné !
Mais les "portes" des neurones sont infiniment plus complexes que
celles des électroniciens. A chaque synapse, la cellule excitatrice relargue
dans l'espace intersynaptique une molécule particulière, un médiateur
chimique (acétylcholine, noradrénaline, sérotonine, etc ...). Le médiateur
chimique active alors la membrane de la cellule suivante en la forçant à
ouvrir ses "pores ioniques" véritables pièges à ions défiant jusqu'ici une
description précise [4]. Le médiateur approprié est reconnu par la surface
réactive, un peu comme une clef de sécurité s'adapte à la serrure
appropriée et seulement à celle-là .
Cette adaptation spécifique permet de reconnaître dans
l'enchevêtrement inextricable des réseaux, des systèmes fonctionnels qui
correspondent probablement aux grandes fonctions cérébrales et utilisent
chacun leur langage moléculaire personnel (qu'il s'agisse du système moteur,
du système de transmission de la douleur, du réglage, de l'humeur etc .. .).
C'est cette spécificité qui permet de comprendre les actions pharmacologiques
de certains drogues touchant presque exclusivement tel système ou tel
autre.
Sans entrer dans le détail des réactions on conçoit que la
machinerie moléculaire doit être d'une précision extrême pour fabriquer en
temps opportun et en quantité appropriée et au lieu adéquat, tel ou telle
molécule de médiateur, et assurer ensuite son inactivation ou sa
récupération.
II se pourrait qu'une grande partie des débilités mentales dans
lesquelles on observe ni gros délabrement anatomique, ni lésion évidente des
gaines isolantes, résultent en dernière analyse d'une gène à la fourniture
à point nommé des médiateurs nécessaires.
Une représentation, outrageusement simplifiée de ces engrenages
chimiques permet de mieux saisir ces faits (Fig. 1).
En reportant sur cette machine pseudo-pascalienne, les blocages
enzymatiques correspondant à des maladies génétiques dont nous savons
qu'elles provoquent une débilité de l'intelligence, on s'aperçoit que
certains points sont groupés à des endroits privilégiés. D'un côté les
maladies des isolants (of supra) et de l'autre les anomalies des
mucopolysaccharides (indispensables à la fabrication des membranes).
Restent tous les autres points qui paraissent de prime abord répartis
n'importe comment. Quel rapport peut-il y avoir par exemple entre la
phenylcetanurie (absence d'hydroxylation en -4- de la phenylalamine en
tyrosine) et l'homocystinurie ? Une analyse détaillée point par point [5]
montre que ces blocages ont au moins une conséquence commune, ils diminuent la
fourniture de radicaux monocarbonés, entrant dans le cycle des folates. On
retrouve ici cette vitamine dont nous avons parlé en commençant à propos des
défauts de fermeture du tube neural. Et ce n'est nullement par hasard. Il se
pourrait fort bien que te métabolisme des monocarbones soit d'une importance
primordiale pour le fonctionnement et même la construction de tout l'édifice
cérébral.
 Fig. 1. - 1) Phénylcétonurie; 2) Tyrosinose; 3)
Camosinémie; 4) Histidinémie; 5) Hyperméthioninémie; 6) Déficit en B12; 7)
Déficit en formiminotransférase; 8) Porphyries (et déficit 5
aminolévulinate-pyruvate transaminase); 9) Déficit en 5-10 méthylène
tétrahydrofolate réductase (et autres déficits internes du cycle des
folates); 10) Déficit en Sérine-hydroxyméthyle-transférase; cette réaction
a pour inhibiteurs compétitifs, les dérivés du phényl-pyruvate et de
l'hydroxy-phénylpyruvate (blocage 1 et 2) ainsi que les dévirés de
l'isovalérate (maladie du sirop d'érable); 11) Déficit en glycine
décarboxylase (glycinémie non cétotique); 12) Sarcosinémie; 13) Déficit en
hypoxanthine-guanine-phosphoribosyl transférase (H.G.P.R.T. déficiente dans
la maladie de Lesh-Nyhan); 14) H yperhydroxyprolinémie;15) Iminodipeptidurie;
16) Anomalies des mucopoly-saccharides; 17) Homocystinurie; 18)
Cystathioninémie;19) B-mercaptolactate-cysteine disulfidurie; 20, 21, 22, 23,
24) "maladies des isolants" portant sur la synthèse et la dégradation des
composants de la myéline; 25, 26) Galactosémie.
 Fig. 2.
Haut
L'hypothèse des monocarbones.
Les radicaux monocarbonés, ou plus simplement les monocarbones, sont
des fragments de molécule ne contenant qu'un seul atome de carbone. Provenant
de précurseurs (certains acides aminés et leurs dérivés), ils sont
transportés par le tétrahydrofolate, forme réduite de l'acide folique. Ces
monocarbones servent à la synthèse des nucléotides d'une part, et au
fonctionnement des transméthylases de l'autre. (voir fig. 2).
Ainsi, le 5-10-méthényl-tétrahydrofolate et le
10-formyl-tétrahydrofolate fournissent chacun un monocarbone lors de la
synthèse d'une base purique (adénine ou guanine); de son côté, le
5-10-méthylène-tétrahydrofolate fournit le méthyle transformant l'uracile
en thymine (UMP?TMP).
Vers les transméthylases, le 5-méthyl-tétrahydrofolate transfère
un méthyle à l'homocystéine via la cobalamine ou vit. B 12. Ainsi peut se
reconstituer la S-adénosyl-méthionine (S.A.M.) donneur général de
méthyle.
Par la synthèse des nucléotides et des acides nucléiques (ADN et
ARN), le métabolisme des monocarbones contrôle la multiplication cellulaire.
Au cours du développement embryonnaire la mise en place du système nerveux en
dépend étroitement et un blocage par l'aminoptérine (anti-folique) provoque
des défauts du tube neural.
Par l'intermédiaire des transméthylases à SAM, ce métabolisme
contrôle aussi :
- la myélinisation des fibres nerveuses (méthylation des
phospholipides).
- la synthèse des médiateurs cérébraux (acétyl-choline par
exemple).
- et leur inhibition secondaire
(catéchol-o-méthyle-transférases).
D'où l'hypothèse générale, que les troubles du ravitaillement en
matière première (précurseurs des monocarbones) ou du transport des
monocarbones (cycle des folates) ou de leur utilisation à bon escient
(transméthylases) pourraient être d'une importance cruciale. Un double
argument vient renforcer ce point de vue. Tout d'abord le cerveau possède une
sorte de pompe à folate, telle que la concentration cérébrale est toujours
très supérieure (quatre fois plus) à la concentration dans le reste de
l'organisme; et même en cas de carence en folate, le taux dans le sang ou dans
le foie chute bien avant que la réserve cérébrale soit entamée. [7]
De plus, toutes les maladies qui bloquent les transformations des
folates, ou le transport des monocarbones vers les transméthylases (dont la
carence aiguë en B 12) provoquent toutes des syndromes neurologiques
redoutables. [7, 17]
Reste que les maladies par aberrations chromosomiques paraissent
difficilement trouver place dans ce cadre général. En effet, les excès ou
défauts de segments de chromosomes ou de chromosomes entiers, provoquent,
selon le chromosome en cause, un syndrome particulier cliniquement
reconnaissable. Même si on compare l'excès d'un chromosome (trisomie) au
manque du même élément (monosomie) les deux syndromes résultants sont comme
en miroir, en contre-type [8]; l'excès accentue telle ou telle particularité
morphologique dans un sens, le manque l'accentuant en sens inverse.
Mais lorsqu'il s'agit de l'intelligence, cette opposition ne se
retrouve plus ; qu'un chromosomes 21 par exemple soit en excès (trisomie 21)
ou qu'il manque partiellement (monosomie 21 en mosaïque) le résultat est
toujours le même : une grave débilité mentale.
De plus, chaque fois qu'un segment important est en trop ou en moins,
pour n'importe quel chromosome, on observe toujours un retentissement plus ou
moins dramatique sur les fonctions intellectives. Sans prétendre résumer ici
toute la pathologie chromosomique, nous n'évoquerons que les syndromes les
plus fréquents : la trisomie 21 et le syndrome de l'X fragile.
Haut
Cas particulier de la Trisomie 21.
On sait que la synthèse de plusieurs enzymes est commandée par des
gènes situés sur le chromosome 21.
La SOD 1 située sur la zone q221 est 1,5 fois plus active chez les
trisomiques 21 [9, 10] ce qui correspond bien au fait que ces sujets possédant
3 gènes au lieu de 2 normalement, fabriquent 3 quantités de l'enzyme
correspondante (au lieu de deux normalement).
De même pour la glycinamide ribonucléotide synthétase[11,12,13] et
peut-être, pour la phosphoribosyl-amino-imidazole synthétase.
Dans l'état actuel fragmentaire de nos connaissances (un seul autre
gène est connu sur le 21, celui qui commande la fabrication d'une protéine
sensible à l'interféron) il serait prématuré de tenter d'expliquer tout ce
que nous savons de la trisomie 21 à partir de ces trois ou quatre réactions
vraisemblablement accélérées chez ces patients.
Toutefois une analyse de la pathologie comparée, c'est à dire des
maladies dont certains symptômes majeurs ressemblent à quelques uns de ceux
rencontrés dans la trisomie 21 (hypothyroïdie, iminodipeptidurie, maladie
d'Alzheimer, maladie de Lesh Nyhan etc ....) ou au contraire sont à l'opposé
de ces symptômes (homocystinurie) permet de montrer [5] que la probabilité
d'une déficience des monocarbones est extrêmement grande dans la trisomie
21.
S'il en était bien ainsi des essais thérapeutiques raisonnés
pourraient être envisagés.
Haut
Le syndrome de l'X fragile
Une fragilité de l'extrémité discale du chromosome X (zone Xq27 ou
Xq28) est observée chez certains patients débiles mentaux, le plus souvent
des garçons. [19, 20] Si les lymphocytes des malades sont cultivés dans un
milieu pauvre en acide folique, le site fragile est marqué par une lacune dans
10 à 30% des mitoses, alors qu'en milieu riche en acide folique le site fragile
reste inapparent. Cette découverte a été largement confirmée [16, 22] et
une étude systématique a montré que ce phénomène dépend du métabolisme
des monocarbones. [16, 21]
Haut
Fragilité du site Xq27 et métabolisme de la
thymidine.
La fragilité du site Xq27 est augmentée [15, 16] par l'adjonction
de méthotrexate (inhibiteur de la dihydrofolate réductase) ou de
fluorouridine (inhibiteur de la thymidylate synthase). [22] Inversement
l'adjonction de thymidine diminue la fragilité. [15, 22] Ces données
suggèrent un manque de 5-10-méthylène THF, provoquant un déficit en
thymidine lors de la réplication. Ainsi s'expliquerait l'activité remarquable
du 5-formyl-THF. [21]
Haut
Protection du site fragile in vitro.
Une série d'expériences [24] portant sur un total de 97 892
mitoses de lymphocytes en culture a permis d'étudier l'efficacité de certains
précurseurs des monocarbones (fig. 2). La majorité d'entre eux sont actifs,
même sans adjonction d'acide folique (voir tableau I): 5 aminolévulinate,
L-4-hydroxyproline, 1-5-hydroxytryptophane, formiminoglutamate, L-sérine et
bétaïne. Font exception: le L-tryptophane (la tryptophane dioxygénase est
une enzyme hépatique) et la diméthylglycine et la sarcosine (voie de
récupération oxydative des monocarbonés), (voir tableau l).
L'inactivité de la S-adénosyl méthionine (SAM) et de la
S-adénosyl-homocystéine (SAH) permet de penser que les transméthylases ne
sont pas perturbées.
L'action protectrice remarquable de l'homocystéïne pourrait
correspondre à une stimulation de la thymidylate synthase [23] alors que
l'action légèrement défavorable de la méthionine et de la vitamine B 12
correspondrait à son inhibition.
De son côté la protection à long terme par la superoxyde dismutase
(SOD 1), évoque une anomalie du métabolisme de l'oxygène.
En résumé ces expériences ne sont pas en désaccord avec
l'hypothèse d'un déficit en monocarbones conduisant à une production
insuffisante de 5-10-méthylène THF surtout lorsque la synthèse d'ADN est
très active.
TABLAU I - Fréquence de la lacune sur 37 892
mitoses
| Traitées | Nbre d'essais | Contrôle | Efficacité | P | X2
; v = 1 |
Lacune | X normal | Lacune | X
normal |
Méthotrexate | 1112 | 3445 | 16 | 1204 | 4351 | +
0,21 * | 0,05-0.01 | 10,55 |
5-formyl-T.H.F. 72
h | 14 | 3486 | 14 | 1109 | 3697 | - 0,98
*** | 0,001 | 850,60 |
5-formyl-T.H.F. 7
h | 29 | 1587 | 3 | 174 | 1114 | -
0,87 | 0,10-0,05 | 151,29 |
5-formyl-T.H.F. 2
h | 173 | 1014 | 3 | 174 | 1114 | +
0,10 | N.S. | 0,58 |
2-Cetoglutarate | 142 | 725 | 3 | 143 | 663 | -
0,08 | N.S. | 0,55 |
2-hydroxyglutarate | 32 | 118 | 1 | 30 | 123 | +
0,07 | N.S. | 0,08 |
2-ceto-adipate | 238 | 704 | 5 | 388 | 1286 | +
0,04 | N.S. | 1,44 |
S-aminolevulinate | 575 | 4065 | 18 | 1341 | 4771 | -0,42
*** | << 0,001 | 164,20 |
N-formyl-glutamate | 86 | 610 | 3 | 84 | 583 | -
0,04 | N.S. | 0,02 |
N-formyl-aspartate | 26 | 124 | 1 | 23 | 127 | +
0,13 | N.S. | 0,22 |
N-formiminoglutamate | 65 | 549 | 3 | 84 | 500 | -
0,27 | 0,10-0,05 | 3,96 |
L-glutamata | 488 | 1512 | 7 | 637 | 2036 | -
0,03 | N.S. | 0,20 |
L-serine | 405 | 2492 | 11 | 777 | 3216 | -
0,25 ** | 0,005-0,001 | 35,46 |
L-proline | 406 | 1272 | 5 | 337 | 1014 | -
0,02 | N.S. | 0,23 |
L-4-hydroxyprol
ine | 619 | 4102 | 18 | 1283 | 4777 | -
0,42 *** | << 0,001 | 118,05 |
5-hydroxypipecolate | 118 | 307 | 2 | 178 | 451 | -
0,02 | N.S. | 0,04 |
5-hydroxylysine | 749 | 3310 | 12 | 797 | 3435 | -
0,01 | N.S. | 0,19 |
L-lysine | 505 | 2013 | 7 | 637 | 2036 | -
0,19 * | 0,05-0,01 | 10,77 |
5-hydroxytryptophane | 233 | 1146 | 7 | 637 | 2036 | -
0,32 ** | 0,005-0,001 | 23,29 |
P-hydroxy-phenyl-pyruvate | 248 | 1759 | 7 | 940 | 4081 | -
0,17 | N.S. | 41,35 |
L-tryptophane | 93 | 242 | 2 | 145 | 455 | +
0,15 | N.S. | 1,46 |
D-L-methionine | 358 | 1811 | 5 | 287 | 1657 | +
0,11 | N.S. | 2,35 |
S-adenosyl
methionine | 20 | 140 | 1 | 71 | 474 | -
0,04 | N.S. | 0,03 |
thionina | 38 | 852 | 3 | 174 | 1114 | -
0,69 | # 0,10 | 51,14 |
S-adenosyl-ethionine | 23 | 198 | 1 | 71 | -
474 | - 8,20 | N.S. | 1,00 |
0-L-homocystein | 43 | 2824 | 8 | 484 | 2901 | -
0,91 ** | 0,01-0,005 | 329,41 |
S-adenosyl-homocysteine | 167 | 832 | 3 | 203 | 967 | -
0,08 | N.S. | 0,15 |
L-cysteine | 290 | 1552 | 5 | 287 | 1657 | +
0,05 | N.S. | 0,70 |
B
12 | 562 | 3033 | 9 | 504 | 3273 | +
0,19 | N.S. | 7,80 |
Betaïne | 454 | 2272 | 9 | 379 | 1584 | -
0,13 ** | 0,01-0,005 | 5,49 |
dimethyglycine | 323 | 1343 | 5 | 267 | 1223 | +
0,02 | N.S . | 1,12 |
sartosine | 259 | 1150 | 6 | 298 | 1385 | -
0,03 | N.S. | 0,24 |
dimethylamino-ethanol | 403 | 2319 | 8 | 520 | 2691 | -
0,11 | N.S. | 2,16 |
S.O.D. 1 72
h | 54 | 1864 | 7 | 321 | 2187 | - 0,77
** | 0,01-0,005 | 139,7 |
S.O.D. 1 48
h | 191 | 1526 | 4 | 185 | 1644 | -
0,12 | N.S. | 0,95 |
S.O.D. 1 3
h | 194 | 1088 | 3 | 174 | 1114 | +
0,13 | N.S. | 1,38 |
L.S.O. | 421 | 3151 | 10 | 406 | 3347 | +
0,12 | N.S. | 1,71 |
Sérum de le mère ou d'une
soeur | 10 | 1031 | 7 | 239 | 1400 | - 0,94
*** | 0,001 | 9,82 |
Pour chaque essai, l'échantillon de contrôle
permet d'estimer le nombre de cellules traitées qui devraient porter la lacune
(nombre attendu) et de le comparer au nombre observé. L'efficacité est égale
à : (nombre observé - nombre attendu) / nombre attendu. Pour chaque produit
essayé, la colonne " efficacité " correspond à la moyenne des valeurs
individuelles. La signification - P - est donnée d'après les tables de
Student. Les nombres des cellules figurant sur la table sont la somme des
essais individuels et les valeurs du X2 se réfèrent à ces sommes. En règle
général les produits ont été employés à la concentration finale de 22
mg/l. (Pour les détails voir références [5] et [7]). |
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Protection du site fragile in vivo.
Les produits efficaces (vitamines et acides aminés) n'étant pas
toxiques aux doses usuelles, un essai médicamenteux a été réalisé chez 17
porteurs de l'X-fragile sans qu'aucun effet défavorable ait été décelé
(tableau II).
Chez 14 des 16 patients la fragilité a diminué spectaculairement.
Chez le patient I. P. 21772, résistant à l'acide folique per os, un second
traitement par le 5-formyl-TMEen injections I. M., entraîne la quasi
disparition de la lacune. Cette contre-épreuve n'a pas encore été faite chez
le patient I. P. 22001.
On remarque aussi que les deux sujets incomplètement protégés, I.
P. 1810) et I. P. 18305 ont reçu les doses les plus faibles.
Ces résultats, pour préliminaires qu'ils soient, on peut déduire
que le traitement à l'acide folique in vivo diminue la fragilité de l'X et
qu'un effet de dose est très probable.
TABLAU II. - Fréquence des cellules porteuses d'une lacune
au niveau du site fragile Xq27, avant et après traitement. Le nombre des
cellules étudiées est indiqué entre parenthèses.
I.P. N° | Sexe | Age | 1°
examen | Traitement | Durée | Evolution | 2°
examen | (v = 1) |
21772 | M | 22 | 0,135 [296] | Folate 10mg B 12
1mg | 6mois | comportement | 0,139 [353] | 0,02 |
0,139 [353] | 5-formul-T.H.F. 50mg I.M. | 15
jours | Persistance de l'amélioration | 0,016 [449] | 43,1
*** |
21933 | F | 16 | 0,138
[375] | Folate 10mg B 12 1mg | 6
mois | Amélioration | 0,032 [281] | 21,7 *** |
14247 | H | 11 | 0,249
[305] | Folate 10mg Demanol 2g | 2 mois | Amélioration nette
du comportement | 0,037 [791] | 114,8 *** |
18101 | M | 5 | 0,212
[1,102] | Folate 5mg B 12 0,03mg | 2 mois | [non
rééxaminé] | 0,085 [516] | 39,9 *** |
18305 | M | 9 | 0,293
[768] | Folata 5mg B 12 0,03mg | 2 mois | [non
réexaminé] | 0,098 [285] | 43,2 *** |
23797 | M | 7 | 0,380
[100] | Folata 10mg Demanol 0,5g | 2 mois | Amélioration du
comportement | 0,056 [267] | 61,7 *** |
23706 | M | 11 | 0,137
[328] | S-Formyl-T.H.F 50mg I.M. | 8 jours | Amélioration
spectaculaire du comportement | 0,006 [531] | 56,5 *** |
23750 | M | 13 | 0,229
[245] | S-Formyl-T.H.F. 100 mg I.M. | 8 jours | Amelioration
du comportement | 0,008 [225] | 52,5 *** |
23757 | M | 15 | 0,200
[380] | S-Formyl-T.H.F. 100mg. I.M. | 8 jours | Aucune
amélioration | 0,007 [234] | 52,1 *** |
23797 | F | 30 | 0,130
[100] | Folate 10 mg B 12 1/2 mg | 4
mois | Amélioration | 0,046 (396) | 9,25 ** |
22485 | F | 30 | 0,134
[134] | Folate 10 mg B 12 1mg | 4 mois | [non
réexaminé] | 0,018 [278] | 23,2 ** |
24035 | M | 8 | 0,177
[253] | Folate 15 mg Demanol 2g | 2 mois | Amélioration
spectaculaire du comportement | 0,046 [369] | 31,2 *** |
22001 | M | 9 | 0,090
[886] | Folate 10 mg B 12 0,5 mg Demanol 1g | 5
mois | Amélioration du comportsmant | 0,280 [225] | 57,58
*** |
24109 | M | 18 | 0,101
[198] | Folate 10 mg B 12 1mg | 5 mois | Sans
changement | 0,000 [151] | 16,18 ** |
24106 | F | 19 | 0,142
[360] | Folate 10 mg B 12 1mg | 5 mois | Sans
changement | 0,000 [131] | 20,71 ** |
24105 | M | 21 | 0,141
[730] | Folate 10mg B 12 1mg | 5 mois | Sans
changement | 0,036 [306] | 24,34 *** |
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Effet sur le comportement.
Le cas déjà publiée [21] du patient I. P. 23706 a permis
d'observer la quasi disparition d'un état psychotique aigu avec agitation et
agressivité.
Sur le total des 16 patients étudiés :
8 étaient atteints de troubles graves du comportement. 4 ont été
profondément améliorés (23706, 21772, 14247, et 24035), 3 ont été
améliorés incomplètement (23797, 23760 et 22001) et un n'a montré aucun
changement notable (23757).
Sur les 5 patients présentant une déficience simple, sans troubles
nets du comportement deux paraissent améliorés (21983 et 23797) alors que les
trois autres ne manifestant pas de changement décelable après 5 mois de
traitement (24105, 24106 et 24109).
Enfin les trois derniers patients (18101, 18305 et 22485) n'ont pas
encore subi le second examen clinique prévu.
Bien qu'ici aussi les observations restent préliminaires, les
améliorations du comportement de 7 patients sur 8, paraissent très au delà
d'une fluctuation fortuite. Pour la débilité mentale proprement dite, il sera
nécessaire de disposer d'un an d'expérience avant de décider d'un
bénéfice, qui ne paraît pas exclu (les examens psychométriques sont en
cours).
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Conclusion provisoire
Le syndrome de la fragilité du chromosome X occupe dès maintenant
une place toute particulière dans la recherche sur les débilités de
l'intelligence. Cette affection est en effet le premier exemple d'une lésion
chromosomique susceptible d'une amélioration par modification du métabolisme
des monocarbones.
Les conclusions provisoires suivantes peuvent être proposées :
a) un traitement à l'acide folique per os (0,5 mg/kg/j) associé
éventuellement à l'hydroxocobalamine (1 mg/j) ou au demanol (40mg/kg/j)
entraîne une diminution de la fragilité de l'X, sans effets
défavorables.
b) les troubles graves du comportement, lorsqu'ils existent,
paraissent améliorés.
c) un effet favorable sur la débilité mentale ne paraît pas exclu,
mais ne peut être analysé actuellement.
Ces conclusions provisoires permettent de penser qu'une approche
raisonnée du traitement de la fragilité de l'X est possible.
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