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Observation
L'enfant, du sexe masculin, est né le 5 janvier 1981 de parents
bien portants et non consanguins (fig. 1). En 1975, la mère avait demandé,
pour des raisons personnelles, l'interruption de sa première grossesse ; le
produit de cet avortement n'a pas été examiné.
La deuxième grossesse a été bien suivie. Une hypotrophie foetale
a été remarquée au début du septième mois ; les échographies, effectuées
ensuite tous les quinze jours, ont confirmé l'hypotrophie foetale.
L'accouchement a eu lieu à la 38e semaine, par le siège. L'enfant
pesait 2 210 g, mesurait 45 cm et avait un périmètre crânien de 33 cm. Il
n'y a pas eu de souffrance néonatale mais l'aspect dysmorphique et
l'hypotrophie de l'enfant ont motivé son hospitalisation immédiate en
pédiatrie où, devant être gavé, il est resté deux mois.
A l'âge de trois mois, il a été opéré d'une hernie
inguino-scrotale bilatérale. Les otites purulentes étaient fréquentes ;
l'hypotonie et l'hypotrophie pondérale persistaient et même s'aggravaient : à 4 mois, le poids est à - 3DS, il est à - 4DS à 7 mois. Pendant ce temps, la
taille et le périmètre crânien évoluaient presque normalement.
En juin 1982, âgé de 17 mois, l'enfant est hospitalisé pour un
bilan complet. Le poids est de 6 150 g, la taille de 72 cm, (e périmètre
crânien de 48 cm. L'hypotonie est majeure : l'enfant ne tient pas sa tête ;
la position assise est impossible, les mouvements spontanés rares. L'attitude
préférentielle est le décubitus dorsal, les bras reposant sur le plan du
lit, les avant-bras fléchis, les mains prés du visage. Les poignets sont en
dorsiflexion, les quatre premiers doigts fléchis, le cinquième en extension
permanente. Il n'y a pas de paralysie. Les membres inférieurs sont fléchis
dans leurs trois segments et ne reposent pas sur le plan du lit. La
mobilisation passive en abduction de la hanche droite provoque un petit ressaut
(la radiographie montre que cette hanche est excentrée en dehors). Mises à part l'hypotonie majeure et l'amyotrophie diffuse, on ne constate pas
d'anomalies neurologiques. Tous les muscles fonctionnent sans spasticité ni
déficit localisé. L'éveil intellectuel est très pauvre : il correspond à celui d'un enfant de trois mois alors que notre patient a 17 mois.
Revu le 30 octobre 182, âgé de 22 mois, le patient pèse 7 000 g,
mesure 74 cm. Le périmètre crânien est de 48 cm. Il n'y a toujours aucun
contact avec l'entourage mais l'enfant tient assis en s'appuyant sur ses mains.
La position des doigts est toujours la même.
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Syndrome dysmorphique (fig. 2)
L'enfant est dolichocéphale, avec une forte saillie occipitale. Le
front est haut et bombé dans sa partie médiane, les fosses temporales sont
rétractées. Les cheveux, blonds et bouclés, sont abondants. Un léger duvet
recouvre tout le visage.
Les fentes palpébrales sont obliques en bas et en dehors. Il existe
une fistule borgne en dessous de la caroncule lacrymale droite. Les cils sont
normaux, les sourcils très arqués. Les globes oculaires ont un aspect normal
mais il existe un myosis permanent, surtout à gauche.
L'examen ophtalmologique (Pr Martine Fontaine) montre une discrète
anisocorie, la pupille droite étant plus grande que la gauche. Le réflexe
photomoteur est normal. L'examen du fond d'oeil est très limité en raison de
la quasi absence de dilatation pupillaire sous tropicamide, surtout à gauche ;
les papilles semblent normales. L'examen bio-microscopique montre un certain
degré d'atrophie irienne sans autre anomalie à droite, avec un discret
reliquat de membrane pupillaire dans le secteur nasal inférieur, à gauche.
Strabisme divergent permanent aux environ de 30 à 40 dioptries sans mouvements
anormaux des globes oculaires. L'enfant suit apparemment bien les objets.
L'ensellure nasale, les ailes du nez, les orifices narinaires sont
normaux ainsi que la lèvre supérieure. La bouche est ouverte en
permanence.
L'examen stomatologique (Dr Danièle Ginisty) montre la pauvreté
des contractions des muscles temporaux, une hypoplasie malaire bilatérale,
l'hypoplasie mandibulaire prédominant aux branches montantes, l'orientation
oblique en bas et en dehors des lames palatines et l'orientation en arrière
des incisives supérieures, probablement en rapport avec la position basse
permanente de la langue. Il n'y a pas de fente palatine ; on note un faible
développement des mastoïdes.
Les pavillons des oreilles sont implantés un peu bas. Ils sont
grands et peu ourlés ; l'antitragus est un peu éversé ; l'anthélix est
dépourvu de racine postéro-supérieure. Les lobules sont pratiquement
inexistants. Les conduits auditifs externes et les tympans sont normaux.
L'anatomie du pharynx est normale.
Le cou est très court et large, avec des palmatures s'étendant des
régions rétro- et sous-auriculaires jusqu'à la région présternale ; le
réseau veineux superficiel est anormalement développé. Les régions
axillaires sont un peu palmées. La mobilisation passive des épaules révèle
une limitation de la rotation interne. II existe une koïlosternie très
importante et un diastasis des droits. Les testicules ne sont pas perçus dans
les bourses dont la peau est très épaisse ; le pénis est un peu gros. Tout
le dos est recouvert d'un duvet abondant.
Les membres sont graciles. L'épiderme de la face palmaire des mains
est très fin et les plis peu profonds. A gauche, le pouce est un peu palmé ;
il existe un pli palmaire transverse. A droite, seul le pli d'opposition du
pouce est bien individualisé ; de nombreux plis s'entrecroisent dans la
moitié discale de la paume. Des deux côtés et à tous les doigts, le premier
pli de flexion est trop proximal ; il n'y a qu'un seul pli de flexion sur les
auriculaires. Les dermatoglyphes sont schématisés sur la figure 3. Les pieds
sont creux et les orteils mal implantés. Aux mains comme aux pieds, les angles
ont un aspect normal.
Examen du squelette (Dr Michel Fortier-Beaulieu)
Il révèle une morphologie sphérique du crâne, toute petite selle
turcique, une fontanelle antérieure ouverte, des fosses temporales profondes,
des orbites ovoïdes à un grand axe vertical.
Le thorax est normal ; la douzième cote à droite est absente. Le
rachis est pratiquement normal ; il existe une image de scaloping du bord
postérieur des corps vertébraux lombaires. Ébauche de bec antérieur de L2.
Les os longs des membres sont grêles (rapport cortico-disphysaire = 0,20),
avec ostéopenie diffuse touchant les os longs au niveau de leur métaphyse et
des épiphyses.
Il existe une coxa-valga bilatérale ainsi qu'une subluxation de la
hanche droite qui est excentrée en dehors.
Age osseux en retard ; il n'existe, à 17 mois, que deux points
d'ossification des os du carpe, qui ont déjà un développement assez
important, alors qu'aucun autre point n'est apparu au niveau du poignet et des
doigts.
Transit digestif : oesophage atone, sans péristaltisme. Il
n'y a pas de hernie hiatale mais une malposition cardio-tubérositaire et une
béance du cardia. Petite poche à air. Le reflux gastro-oesophagien est
important.
Tomodensimétrie crânienne : atrophie
cortico-sous-corticale diffuse avec dilatation ventriculaire et élargissement
des sillons de la convexité, hypogénésie du cervelet avec des espaces
péri-cérébelleux postérieurs très élargis, en particulier sur la ligne
médiane ; agénésie ou hypogénésie du corps calleux avec surélévation du
troisième ventricule. Image kystique large entre les ventricules latéraux.
Elargissement important de la scissure inter-hémisphérique.
Examen neuro-physiologique : les potentiels évoqués
visuels sont sensiblement normaux et symétriques. L'électrorétinogramme est
fortement altéré avec une importante diminution d'amplitude portant
principalement sur l'onde B. Il n'y a pas d'asymétrie. Retard des sommets des
ondes B.
Les potentiels évoqués auditifs sont très altérés ; malgré de
fortes intensités de stimulation il n'y a pratiquement pas de réponse du
tronc cérébral.
L'électromyographie des muscles distaux des membres montre une
activité neuro-musculaire normale avec, cependant, un allongement
considérable des latences à la stimulation nerveuse, et un aspect polyphasique
et étalé des réponses. Ces signes sont en faveur d'un trouble important de
la myélinisation du nerf moteur.
Constantes biologiques : normales à l'exception de
triglycérides élevées (2,36 mmol/l), de la phosphatase alcaline un peu basse
(152 U/l) et du fer sérique également bas (5,9 mmol/l). La numération
globulaire et la formule leucocytaire sont normales ; l'hémoglobine est à 11
g. Le taux des falotes est très bas : folates sériques 4,9 ng/l (N > 5
chez les adultes), folates totaux 85 ng/l (N > 100 chez les adultes),
folates érythrocytaires 210 (N > 250 chez les adultes). La chromatographie
des acides aminés urinaire et sanguins est normale.
Les fonctions rénales sont normales, ainsi que l'échographie
rénale et l'UIV.
Le coeur est normal, ainsi que l'échocardiogramme et L'ECG.
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Cytogénétique
L'examen chromosomique de l'enfant réalisé sur une culture de sang
périphérique a révélé un caryotype masculin à 46 chromosomes. Dans toutes
les mitoses observées le bras long de l'un des chromosomes 10 est trop long.
Le caryotype de la mère de l'enfant est normal. Celui du père montre une
translocation équilibrée t(10;17)(q26.3;p11) (fig. 4).
Ayant reçu de son père le chromosome 17 normal et le chromosome 10
remanié, l'enfant est trisomique pour le segment 17pter?17p11 et monosomique pour la région
télomérique du bras long du chromosome 10.
La translocation équilibrée est retrouvée (fig. 1) chez la grand
mère paternelle de l'enfant, chez son oncle et chez ses trois cousins.
Un fragment cutané de notre patient est conservé dans l'azote
liquide à l'Institut de Progenèse.
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Discussion
Sept observations de trisomie 17p sont actuellement connues.
Dans trois cas, l'accident chromosomique est survenu de nova et le
diagnostic ne repose que sur l'aspect de l'acrocentrique [5, 7] ou du très
petit métacentrique surnuméraire [6]. L'identification chromosomique n'est
pas certaine et, compte tenu du très petit nombre d'observations, nous
préférons, pour la discussion, ne tenir compte que des cas où la nature du
remaniement peut être affirmée avec certitude.
Les quatre autres cas résultent d'une translocation parentale et le
diagnostic est formellement établi. La trisomie 17p est complète et pure dans
deux observations [1, 3], complète et associée à une très petite monosomie
de l'extrémité du bras court du chromosome 5 chez le patient rapporté par
Jinno et coll. (1982). L'observation de Yamamoto et coll. (1979) résulte d'une
translocation t(X;17)(q13;q21)mat et l'on peut penser que, chez la malade, le
chromosome X porteur du segment 17pter?17q21 s'inactive dans un certain nombre de cellules [2] ; la
trisomie 17pter?17q21 de
l'enfant est donc une mosaïque fonctionnelle associée à une mososomie
Xpter?Xq13. Mises à part la
très petite taille et l'existence de bandelettes ovariennes, les symptômes de
la série turnérienne semblent, chez cette malade, peu nombreux.
Dans notre observation, la trisomie 17p est complète et associée à une monosomie de l'extrémité distale du bras long du chromosome 10. Cette
monosomie est très petite et, comme dans le cas de Jinno et coll. (1982), n'a
sans doute pas modifié le phénotype.
Parmi les cinq patients, un seul est décédé [8] de pneumopathie à l'âge de trois ans. Chez les autres, âgés de six mois à dix-huit mois au
moment de la publication, le retard psychomoteur est très important et
l'éveil quasi nul. Ils sont tous hypotoniques et ont une musculature pauvre.
Aucun enfant n'a eu de convulsion bien que, dans une observation [8], l'EEG
révèle des altérations paroxystiques.
Chez tous, l'hypotrophie pondérale, remarquée dès la vie
intra-utérine, va en s'aggravant avec l'âge ; la croissance staturale semble
moins retardée, sauf chez la patiente de Yamamoto et coll. (1979) qui était
monosomique Xpter?Xq13 et qui
constitue un cas particulier comme nous l'avons dit plus haut. Le périmètre
crânien est réduit et l'on peut parler de microcéphalie vraie. Chez deux
enfants [4, 8], comme chez notre malade, une dilatation ventriculaire a été
constatée. Par contre, on ne retrouve pas la malformation cérébelleuse ni
l'agénésie du corps calleux que nous avons observées. Il existe une hernie
hiatale et une malimplantation de l'uretère droit dans un cas [3]. Deux
enfants [3, 4] ont eu, comme notre patient, une hernie inguinale. Le malade de
Bartsch-Sandhoff et Hieronimi (1979), avait des accès de cyanose à la
naissance mais la cardiopathie n'est pas précisée.
Le grand développement de la région médiane du front, l'hypoplasie
de la mandibule, l'ouverture permanente de la bouche, la brièveté et la
palmature du cou sont signalés par tous les auteurs et dominent la dysmorphie
faciale.
Un hypertélorisme accompagné d'un épicanthus plus ou moins
important est observé trois fois sur cinq. Les fentes palpébrales sont, comme
chez notre malade, obliques en bas et en dehors dans trois observations sur
cinq. Le palais est ogival chez tous les enfants ; aucun n'a de fente labiale
ou palatine.
Des petites pupilles sont signalées par taus les auteurs sauf Jinno
et coll. (1982). Chez notre patient comme chez celui de Bartsch-Sandhoff et
Hieronimi (1979), ce myosis permanent semble résulter d'une anomalie
constitutionnelle de l'iris. Il est accompagné d'une microphtalmie et d'une
microcornée chez la patiente de Feldman et coll. (1982), d'une opacité
cornéenne chez celle de Yamamoto et coll. (1979).
Les membres sont graciles, les doigts longs et fins sont fléchis en
position plus ou moins vicieuse. Un pli palmaire transverse unique,
l'élévation du triradius axial en t' ou en t", la terminaison en 1 de la
ligne principale du triradius sous-digital "a" sont observés chez trois
patients.
L'attitude permanente des mains de notre malade, les quatre premiers
doigts fléchis et les auriculaires en extension, sans raideur articulaire ni
paralysie, n'est mentionnée par aucun, bien que le gros plan de la main du
malade de Jinno et coll. (1982) (fig. l) montre que l'enfant, comme notre
malade, a "le petit doigt en l'air". Ce signe pittoresque nous semble avoir une
force d'évocation importante lorsqu'il s'ajoute aux symptômes précédents.
Sa valeur séméiologique devra être appréciée sur de nouvelles
observations.
Les anomalies des folates sanguins et celles des examens électriques
qui peuvent faire envisager des perturbations de la myélinisation ne sont pas
mentionnées dans les observations de la littérature.
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Conclusion
Le phénotype des malades affectés d'une trisomie 17p nous paraît
suffisamment caractéristique pour que ce nouveau syndrome chromosomique puisse
être évoqué sur les seules données cliniques.
 Fig. 1. - Arbre généalogique
 Fig.
2. - Le patient âgé de 17 mois
 Fig.
3. - Dermatoglyphes du patient
 Fig.
4. - Montage des paires 10 et 17 en bandes R a) du père du proposant, montrant
la translocation t(10;17)(q263;p11), b) du proposant montrant le 10q+
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Références
1. BARTSCH-SANDHOFF M., HIERONIMI G. - Partial duplication of 17p.
Hum. Genet., 1979, 49, 123-127.
2. DUTRILLAUX B., LAURENT C., GILGENKRANTZ S., FRÉDÉRIC J.,
CARPENTIER S., COUTURIER J., LEJEUNE J. - Les translocations du chromosome X.
Analyse après traitement par le chromosome BudR et coloration par l'acridine
orange. Helv. Paediat. Acta., 1974, 34, (Suppl.), 19-31.
3. FELDMAN G.M., BAUMER J.G., SPARKES R.S. - The dup (17p) syndrome.
Amer. J. Med. Genet., 1982, Il, 299-304.
4. JINNO Y., MATSUDA I., KAJII T. - Trisomy I7p due to a
t(5;17)(p15;p11)pat translocation. Ann. Génét., 1982, 25, 123-125.
5. LATTA E., HOO J.J. - Trisomy of the short arm of chromosome 17.
Hum. Genet., 1974, 23, 213-217.
6. PALUTKE W.H., CHEN H., WOOLLEY P., ESPIRITU C., VOGEL H.L., GOHLE
N., TYRKUS M. - An extra small metacentric identified as a deleted chromosome
n° 17. Clin. Genet., 1976, 9, 454-458.
7. SHABTAI F., SHALEV A., CHEMKÉ J., HALBRECHT I., ELIAN E. - Pure
trisomy 17p in 60 % of cells. Hum. Genet., 1979, 52, 263-268.
8. YAMAMOTO Y., ENDO Y., KUROKI Y. - A case of partial tri-somy 17
resulting from x-autosamal translocation. J. Med. Genet., 1979, 16,
395-399.
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