Signor Presidente, come dire a parole la mia immensa gratitudine per
questo riconoscimento di prestigio con il quale l'Accademia Nazionale dei
Lincei vuole manifestare il suo apprezzamento per un lavoro " incompiuto ".
E se potessi esprimermi nella lingua di Dante, oserei paragonare alla
Divina Commedia il cammino del biologo. La via che conduce alla verità scientifica rassomiglia, ahimè, alla via dell'inferno. E' cosparsa di buone
intenzioni. Ma, fortunatamente, essa rassomiglia anche a quella del paradiso.
E' in sauta, è scoscesa, disseminata di insuccessi e di mezze riuscite.
E' appunto una tappa di questo cammino a tentoni verso la comprensione
delle malattie dell'intelligenza che questa Accademia ha voluto onorare.
Per lumeggiare la scalata da compiere, mi permetta, signor Presidente,
di far ricorso alla mia lingua materna. Non sono sicuro di essere una buona
guida, ma sono certo di essere, purtroppo, un interprete imperito.
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Les tables de la loi de la vie
La biologie nous enseigne que les enfants sont unis à leurs parents
par un lien matériel, la très longue molécule d'acide désoxyribonucléique
(ADN). Ce ruban, de près d'un mètre de long, est réparti en morceaux,
vingt-trois dans notre espèce, et chaque segment est minutieusement replié et
lové pour former un bâtonnet minuscule mais bien visible avec un microscope
ordinaire, un chromosome.
Sitôt que les vingt-trois chromosomes paternels rencontrent les
vingt-trois chromosomes maternels, toute l'information génétique nécessaire
et suffisante pour spécifier chacune des qualités innées du nouvel individu
se trouve rassemblée. De même que l'introduction d'une mini-cassette dans un
magnétophone en état de marche permet la reproduction de la symphonie
enregistrée sur la bande, de même l'information contenue dans les
quarante-six chromosomes - les mini-cassettes de la musique de la vie - sera
déchiffrée par la machinerie du cytoplasme de l'oeuf fécondé qui joue le
rôle de magnétophone, et le nouvel être commence à s'exprimer sitôt qu'il
est conçu.
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"La via dolorosa"
Hélas, il arrive parfois que le programme génétique ne soit pas
parfaitement équilibré. Il peut survenir une erreur dans la répartition des
chromosomes au moment de la fabrication des cellules reproductrices ou lors de
la mise en commun des deux lots chromosomiques. Le début de la vie à deux
n'est pas toujours facile, même à l'échelle cellulaire parfois. S'il se
produit une erreur, si un chromosome en trop a été envoyé dans l'une des
cellules reproductrices, alors l'enfants recevra par exemple un chromosome 21
surnuméraire. Il possédera trois exemplaires au lieu de deux normalement,
d'où le nom de trisomie 21 qui est plus précis et, à vrai dire, plus
acceptable que l'ancienne dénomination de mongolisme ou encore de Down's
Syndrome.
Parfois, c'est un segment, un chapitre de l'encyclopédie de la vie,
qui manque. Et, depuis vingt-cinq ans, les connaissances se sont accumulées et
nous connaissons maintenant au moins une cinquantaine de maladies, chacune
très rare heureusement, mais chacune étant tout à fait particulière, liée à la présence en excès ou à l'absence d'un morceau de chromosome, chacune ayant
un tableau clinique parfaitement défini et correspondant précisément à cette
partie du génome qui n'est pas équilibrée chez les enfants.
On sait que les gènes sont portés par les chromosomes et qu'ils
contrôlent la production des enzymes. Les enzymes sont des sortes de
molécules qui jouent le rôle de machines-outils. C'est elles qui réalisent
toutes les fonctions chimiques dans notre organisme.
Dans les rares cas où nous pouvons analyser l'effet d'un même
segment chromosomique selon qu'il est en trop ou en moins, on observe que les
activités enzymatiques qui correspondent aux gènes en question, sont
accélérées, vont trop vite lorsque trois gènes sont présents - c'est le
cas de la trisomie dont nous parlions tout à l'heure - ou, au contraire, sont
ralenties lorsqu'un gène manque, qu'un seul gène est présent, la monosomie.
De la même façon, les traits morphologiques sont accentués dans un sens par
la trisomie et dans le sens contraire par la monosomie. Mais cette opposition
en types et en contre-types n'est observée que pour des qualités
élémentaires (forme du visage, des mains, ou encore une réaction chimique
particulière). Sitôt qu'il s'agit de la qualité supérieure de l'être, de
cette qualité qui est la seule qui soit spécifiquement humaine,
l'intelligence, alors là l'excès ou le défaut sont tous deux délétères et,
dans les deux cas, une débilité mentale, un écroulement des performances de
l'intelligence, résulte du déséquilibre génique.
Sans entrer dans trop de détails, on peut essayer de comprendre cet
apparent paradoxe, pourquoi l'excès et de défaut ont des effects contraires
sur la forme, alors qu'ils ont le même effet sur l'intelligence. Pour essayer
de le comprendre, sans entrer dans tout le détail biochimique, je me
permettrai de prendre une image.
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La symphonie de l'intelligence
Le message de la vie est véritablement comparable à une symphonie :
tous les instrumentistes (les gènes) exécutent chacun leur partition en
suivant exactement le tempo général.
Au cours d'un " solo ", un exécutant qui serait trop rapide (c'est le
cas de la trisomie) pourra transformer un " andante " en " prestissimo ". Alors
l'oreille sera trop petite et les doigts seront trop courts. Au contraire,
s'il est trop lent, dans la monosomie, il pourra transformer un " allegretto "
en " largo " et, à ce moment-là , l'oreille sera trop finement sculptée et les
doigts seront trop allongés. Dans les deux cas, parce que le musicien jouait
dans un " solo ", il a changé un trait, il n'a pas détruit la symphonie.
En revanche, il importe peu que le musicien accélère ou ralentisse
au milieu d'un " tutti ", au moment où tout l'orchestre est concertant. Alors,
s'il va plus vite ou moins vite que le reste de l'orchestre, même s'il
continue à lire correctement sa partition, le résultat sera sûrement une
cacophonie.
L'intelligence humaine est, très vrai sembrablement - je dirais
même, est certainement - la performance supérieure des systèmes vivants. Et
elle requiert, pour sa pleine manifestation, et plus encore que toutes les
autres fonctions de la biologie, un concours harmonieux de chacun des
composants.
La détection du musicien discordant est particulièrement difficile,
surtout quand tout un chromosome est en jeu comme dans la trisomie 21. Dans
beaucoup de maladies génétiques, qui sont bien répertoriées, il existe un
seul blocage chimique. Et avec les méthodes modernes, il est relativement
aisé de voir quelle réaction est arrêtée parce qu'une enzyme ne fonctionne
pas. Mais lorsque tout un chromosome est en trop, détecter le musicien qui
provoque - si je puis dire - la cacophonie, est difficile, car même sur ce
petit élément qu'est le chromosome 21, il y a sûrement plus d'une centaine
de gènes, peut-être des milliers.
Alors, comment s'y prendre pour identifier le ou les coupables et les
ramener dans le droit chemin ? Ce sera le but de la prochaine escalade de la
médecine. Et même si je ne suis pas sûr - comme je vous l'ai dit, Monsieur
le Président - d'être un bon guide, je voudrais vous proposer de faire
ensemble cette excursion dans le futur et de voir les voies de recherches qui
s'offrent à nous.
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La régulation chromosomique
Si nous savions réduire au silence un chromosome particulier, il
suffirait d'inhiber ce chromosome-là , le chromosome en trop, pour que tout
rentre dans l'ordre; un peu comme ferait un habile garagiste à qui on aurait
amené un moteur muni de quatre cylindres mais qui, par une erreur à la
fabrique, serait muni aussi de cinq bougies : même si les bougies sont
normales, il est certain que le moteur ne tournera pas rond ! Le bon
réparateur ne jetterait pas ce moteur, il ne l'enverrait pas à la casse ;
simplement, il rechercherait où est la cinquième bougie, celle qui fait que
le rythme n'est pas bon et, délicatement, il déconnecterait la bougie et le
rythme redeviendrait normal.
Nous ne sommes pas aussi adroits que ce garagiste de génie. Mais la
nature, elle, sait faire cela. Et spécialement elle le fait pour un chromosome
particulier, le chromosome X, celui qui détermine la féminité quand deux X
sont présents. L'homme a un X et un Y, la femme a deux X. Or, chez la femme,
les deux X ne fonctionnent pas en même temps. L'un des deux est mis au silence
par un mécanisme qu'on appelle hétérochromatique et il est en quelque sorte
en sommeil. Et lorsqu'il existe - la pathologie nous le montre - des maladies
dans lesquelles des personnes ont reçu plus de deux chromosomes X, quand elles
en ont trois, ou quatre, les chromosomes en trop sont, eux aussi, mis en
sommeil. Autrement dit, la nature a déjà réalisé le modèle de la
thérapeutique que je vous proposais pour notre garagiste.
Nous ignorons encore, totalement, comment la nature s'y prend, quel
est le mécanisme qui permet cette régulation, mais il est clair que si nous
pouvions découvrir ce mécanisme et si nous étions capables de l'utiliser à bon escient pour mettre au silence un chromosome sans gêner l'expression des
autres, alors il deviendrait possible, de redresser le destin et de rendre les
enfants anormaux à un développement normal. Nul ne sait aujourd'hui si cette
voie d'accès est possible, nul ne sait comment il faudrait s'y prendre. Mais
il serait, je crois, imprudent d'éliminer à l'avance cette possibilité
puisque ce que fait la nature nous pouvons parfois l'imiter. Nous les hommes,
nous posons les problémes, mais c'est la nature qui a les solutions.
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Le déchiffrage des gènes
La seconde voie d'abord, tout à fait différente, consiste à rechercher, un par un, les différents gènes qui sont portés sur ce
chromosome 21. C'est une voie qui n'est pas brillante, elle est lourde,
difficile, lente, mais il se trouve que nous sommes déjà engagés sur elle et
que déjà les biolo- gistes moléculaires s'affairent à découper en morceaux
l'ADN du chromosome 21 et que les biochimistes, de leur côté, essayent
d'analyser les différentes fonctions chimiques qui peuvent être contrôlées
par ces segments.
Par exemple, on connaît déjà six gènes différents sur le
chromosome 21. Le premier qui a été découvert a été découvert en France
par un de mes élèves c'était la SOD 1. Cette enzyme joue un rôle très
important dans le métabolisme de l'oxygène ; c'est le métabolisme qui permet
toutes les respirations, toute la carburation dirait-on, si l'on reprenait
l'exemple de tout à l'heure. Et effectivement, il existe probablement chez les
enfants trisomiques 21, un trouble du métabolisme de l'oxygène qui peut-être
explique, tout au moins en partie, le fait que leur vieillissement soit plus
rapide que celui des personnes bien portantes. Ils deviennent plus vite ridés,
déficients et souvent ils font une complication redoutable qu'on appelle la
maladie d'Alzheimer.
On connaît - et j'énumère les six gènes que nous connaissons
actuellement - la phosphofructokinase, qui contrôle une partie du métabolisme
du sucre, c'est-à -dire le carburant qui fait fonctionner, l'essence du moteur
si je puis dire, et en même temps qui contrôle la fabrication des graisses.
Or les enfants trisomiques 21 sont plutôt gras, parfois obèses.
On connaît un autre gène qui détermine la protéine qui réagit à l'interféron ; elle règle donc, plus ou moins, la sensibilité aux
infections. Et l'on sait que les enfants trisomiques 21 sont très sensibles
aux infections respiratoires des voies supérieures, surtout quand ils sont
jeunes.
Et puis on connaît deux gènes jumeaux, en quelque sorte, la
glycineamide phosphoribosyl synthase et l'aminoimidazole phosphoribosyl
synthase qui toutes deux jouent dans la fabrication des éléments, des pièces
détachées qui permettent de construire l'ADN, la longue molécule informative
dont nous sommes partis.
Et très récemment, on a découvert un dernier gène, la
Cystathionine-ß-Synthase qui règle le taux de l'homocysteine et de la
Cystathionine.
Analyser dans de détail chacune de ces réactions, déceler leur
effet éventuel, voir les moyens de pallier leur action, demandera un travail
énorme. Heureusement, cette face de la montagne de l'ignorance est attaquée
par de nombreuses cordées, de tous les pays du monde. Et il est possible que,
finalement, nous allions plus vite que prévu.
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L'hypothèse des monocarbones
Il reste une troisième voie d'abord ; elle est purement théorique,
mais elle a peut-être elle aussi son intérêt. Elle consiste à se demander
s'il existe, dans le métabolisme cérébral, un mécanisme particulièrement
important qui puisse être, en quelque sorte, la cible touchée par les
diverses maladies de l'intelligence. Il se pourrait - et c'est une hypothèse
que j'ai présentée il y a quelques années - que le métabolisme des
monocarbones soit ce point sensible.
Pour construire les neurones - ces onze mille millions de cellules qui
forment notre cerveau - pour installer les gaines isolantes, c'est-à -dire en
quelque sorte le sparadrap qui empêche les courts-circuits dans cette énorme
machine électro-chimique, et pour ciseler les clés de sécurité qui vont
ouvrir ou fermer les onze millions de millions de connections entre les
neurones, notre cerveau fait une consommation énorme de monocarbones, beaucoup
plus grande que tous les autres organes de notre corps. Ces morceaux de
molécules, qui ne contiennent qu'un seul atome de carbone, qu'on appelle donc
les monocarbones, sont en quelque sorte la plus petite pierre à bâtir de notre
édifice cérébral. Mais c'est aussi celle qui est utilisée dans la plus
grande quantité et qui doit être, à chaque instant, fournie à point nommé,
au bon escient et en quantité voulue.
Alors il n'est pas exclu que les troubles du ravitaillement en
matière première - c'est-à -dire les substances à partir desquelles notre
organisme fabrique les monocarbones - ou les troubles du transport des
monocarbones - qui représente ce que les chimistes appellent le cycle du
folate et de la vitamine B 12 - ou enfin leur utilisation au dernier moment
pour ciseler les molécules - c'est l'affaire des transméthylases - il se
pourrait que des troubles, à chacune de ces étapes, puissent être d'une
importance cruciale dans le fonctionnement du cerveau et, partant, dans la
manifestation de l'intelligence.
Cette hypothèse paraît en accord avec tout ce que nous connaissons
sur les maladies qui bloquent une étape chimique simple et qui, d'autre part,
déterminent une débilité mentale.
S'il en était ainsi, il suffirait de fournir le produit manquant pour
pallier la difficulté. Par exemple, si les trisomiques 21 brûlaient trop vite
un produit indispensable à ce métabolisme des monocarbones, ce gaspillage
pourrait être compensé par un apport du métabolite indispensable. Il se
pourrait - ceci est totalement hypothétique pour l'instant - il se pourrait
que l'accélération de la Cystathionine-ß-Synthase, soit d'un intérêt tout
particulier.
On sait en effet que le blocage de cette réaction qui survient dans
une maladie très particulière qu'on appelle l'homocystinurie, produit une
débilité mentale. Mais les l'homocystinuriques, qui ont cette réaction
totalement bloquée, sont grands, trop grands, trop minces ; ils ont les doigts
trop longs et, sur les doigts, ils ont des plis de flexion en trop, alors que
les trisomiques 21 qui, eux, font marcher trop vite cette enzyme, sont petits,
trapus, ils ont des doigts trop courts et il manque certains plis de flexion
sur leurs doigts.
On voit s'ébaucher cette image en type et en contre-type, dont je
vous parlais tout à l'heure et qui laisse penser que la
Cystathionine-ß-Synthase pourrait jouer un rôle de régulation extrêmement
important.
Il y a une autre raison de le penser, c'est qu'on sait, simplement en
coupant des tranches de cerveau, que la quantité de cystathionine, le produit
fabriqué par cette enzyme, varie grandement dans le cerveau en fonction de
l'espèce. Un lapin a moins de cystathionine dans le cerveau qu'un chien, un
chien en a moins qu'un chimpanzé un chimpanzé en a moins qu'un homme. Et si
l'on prend simplement cette molécule, on peut quasiment placer, sur l'échelle
des êtres organisés, les différentes espèces.
Mais il serait, je crois, tout à fait hors de propos de pousser plus
avant cette exploration, qui reste à faire.
J'ai dit, en débutant, que les voies du cheminement du biologiste
évoquaient les réflexions de Dante et effectivement la génétique humaine
est à la croisée des chemins.
D'une part, il est possible, il est même relativement facile de
déceler très tôt les anomalies chromosomiques et d'éliminer les enfants
porteurs d'une anomalie lorsqu'ils sont encore in utero, et ceci pour épargner
des souffrances à leurs familles ou une charge à la société.
Mais de l'autre, il parait raisonnable d'envisager que la recherche
d'une thérapeutique n'est pas vaine, mais il faut dire que les moyens pour la
mettre en oeuvre restent à découvrir.
Comme dans la " Divina Commedia ", il y a bien deux voies. L'une qui
est pavée de bonnes intentions et l'autre qui est montante, raboteuse, semée
d'embûches et d'échecs. Mais cette seconde voie est celle que toute
l'histoire de la médecine nous indique de choisir, en nous montrant le but qui
est de tenter de redonner à l'enfant blessé dans son intelligence cet éclat
merveilleux qui est la marque de l'esprit.
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