Si le traitement des enfants autistiques ne peut se résumer à la
prescription de médicaments, la place que peuvent cependant tenir ceux-ci dans
un projet thérapeutique multidimensionnel et personnalisé proposé à l'enfant
et à sa famille ne peut être négligée Encore faut-il que l'on dispose de
médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité.
Divers travaux ont permis d'explorer les effets de substances de
nature très diverses : neuroleptiques, antidépresseurs, amphétamines,
lithium, hormones et facteurs endocriniens, vitamines, etc. Les résultats de
ces travaux sont rassemblés et analysés dans plusieurs revues sur le sujet
(1, 2, 3, 4).
Une série d'essais thérapeutiques a été menée depuis 1977 dans le
Service des Enfants de l'Hôpital Bretonneau à TOURS.
La Vitamine B6 associée au Magnésium a une action favorable chez
certains enfants autistiques (1 sur 7 environ), (5, 6, 7, 8, 9, 10, 11)
conformément aux données publiées récemment par Rimland et al (12, 13) et
Callaway (14).
L'étude des effets de l'Halopéridol est actuellement poursuivie.
Selon Campbell et al (15, 16) et Cohen (17, 18), ce neuroleptique améliore les
enfants autistiques hyperactifs ayant des troubles de l'attention, agités et
agressifs. Il facilite indirectement l'adaptation sociale et l'apprentissage.
Ces deux dernières années, la sensibilité clinique et biologique d'enfants
autistiques au traitement par l'acide folique d'une part, et la fenfluramine
d'autre part a été recherchée.
Haut
Présentation de deux études thérapeutiques
controlées.Haut
Acide folique.
Ce traitement a été à l'origine proposé par Lejeune (19), à partir d'observations sur le chromosome X-fragile. Son efficacité a été
marquée à plusieurs reprises (20, 21, 22) chez des enfants porteurs d'un
chromosome X-fragile ayant un retard associé à des troubles du comportement de
type autistique.
Sujets et méthode.
L'étude menée à Tours porte sur 18 enfants autistiques
conformément aux critères diagnostiques du DSM III, ayant un retard
d'intensité variable. L'acide folique (Spécia Foldine) est prescrit per os à la dose de 0,5 mg/kg/j. La durée du traitement est de 8 semaines, précédées
et suivies de 2 semaines sans traitement. L'évaluation clinique (critère 1)
est effectuée une fois par semaine à l'aide de l'échelle ERC-A (23). Une
appréciation globale est, par ailleurs, recueillie auprès des familles et du
personnel du service. L'acide homovanilique (HVA, principal dérivé de la
dopamine) est dosé dans les urines avant, à 2 mois de traitement et après
traitement (critère 2). La fragilité du chromosome X est recherchée
parallèlement "en aveugle" chez tous les enfants traités.
Résultats.
Une amélioration modérée à été observée chez 8 enfants sur
18, 5 sur les critères (1) et (2), 3 sur le critère (1).
Pour l'ensemble du groupe (18 enfants), on observe une diminution
de l'HVA libre et conjugué à 2 mois de traitement, mais les effets cliniques
sont faibles. En revanche, dans le groupe des 8 enfants sensibles (fig. 1), on
remarque une concordance entre les résultats cliniques et biochimiques.
Pendant le traitement, la diminution des scores de l'échelle ERC-A est
associée à une chute des taux urinaires des composés libres et conjugués de
l'HVA.
2 des 18 enfants sont porteurs d'un X-fragile confirmé (+ 1 cas
probable). Des bandes de fragilité chromosomique sont retrouvées chez 5
autres enfants. Les 2 enfants X-fragile se trouvent dans le groupe des 5
enfants améliorés sur les critères (1) et (2).
 Figure 1 :
Effets de l'acide folique chez les 8 enfants "sensibles".
Haut
Fenfluramine.
Ce dérivé amphétaminique agit sur le métabolisme des monoamines,
et abaisse les taux cérébraux de sérotonine et de ses dérivés (24, 25).
Ritvo et al (26) ont par ailleurs signalé l'existence d'une
hypersérotoninémie dans un sous-groupe d'enfants autistiques (27), puis Ritvo
et al (28) ont observé une amélioration notable des comportements et des
performances intellectuelles chez les 14 enfants autistiques traités par la
fenfluramine. Ces effets cliniques sont associés à une diminution de la
sérotoninémie. Ces résultats confirmés par d'autres auteurs (29, 30) sont à l'origine d'une vaste étude multicentrique dans laquelle s'insère la
recherche présentée ici.
Sujets et méthodes.
Cette étude porte sur 14 enfants autistiques conformément aux
critères diagnostiques du DSM III, ayant un retard d'intensité variable. La
fenfluramine est donnée per os à la dose de 1,5 mg/kg/j. Le protocole double
aveugle comprend 2 semaines sans traitement pour débuter, 3 mois de
fenfluramine, 1 mois de placebo, 1 mois sans traitement pour terminer.
L'évaluation clinique est effectuée dans les mêmes conditions que dans
l'étude précédente. Le dosage de la sérotonine urinaire est effectué
avant, après traitement, sous placebo (1 mois) et sous fenfluramine (3
mois).
Résultats.
Pour l'ensemble du groupe, l'amélioration clinique est très
discrète. Sur 14 enfants, 5 ont été considérés comme cliniquement
sensibles (concordance entre l'appréciation globale et la chute des notes
ERC-A entre les périodes placebo et fenfluramine).
6 enfants seulement avaient au départ des taux urinaires de
sérotonine élevés. Une diminution de ces taux a été observée sous
traitement chez presque tous. (11 enfants, 5 enfants sensibles, 6 non
sensibles). Si chez les 5 individus sensibles, il existe une concordance entre
les résultats cliniques et biochimiques : diminution des scores ERC-A
associée à une chute de la sérotoninurie (fig. 2), il ne semble pas que l'on
puisse pour l'ensemble du groupe conclure, dès à présent, à une relation
directe entre les effets cliniques et l'action de la fenfluramine sur le
métabolisme de la sérotonine.
 Figure 2 : Effets de la
fenfluramine chez les 5 enfants "sensibles".
Haut
Discussion.
Des données cliniques et biochimiques recueillies dans
les 2 études présentées ne contredisent pas les résultats précédemment
publiés sur les effets thérapeutiques de l'acide folique et de la
fenfluramine. Certes, sur l'ensemble des groupes, l'amélioration clinique est
discrète et peu différente des variations spontanées fréquemment observées
chez les enfants autistiques. Mais, quelques individus sont sensibles à l'un ou
l'autre des traitements. Cette sensibilité clinique s'accompagne de
modifications biochimiques précédemment décrites baisse de l'HVA urinaire
(5, 6, 7, 8, 9), baisse de la sérotonine dans les urines comme dans le plasma
(28). Cette concordance est plus nette dans les groupes d'enfants dits
sensibles. Elle ne permet pas cependant d'établir de lien direct de causalité
entre les deux phénomènes : plusieurs enfants sensibles échappent en effet à cette concordance. Certaines hypothèses sur les mécanismes d'action des
médications utilisées ont été évoquées : elles ne sont ici que
partiellement vérifiées : par exemple la coexistence de la fragilité du
chromosome X et d'une amélioration par l'acide folique n'est retrouvée que
pour 2 enfants seulement.
Plusieurs questions d'ordre méthodologique se dégagent
de la lecture critique de ces résultats :
Le type de patients étudiés :
l'autisme est rare et il est difficile de recruter pour un même
essai une population suffisamment nombreuse et homogène de patients. Il existe
probablement entre les diverses études publiées des différences notables
portant sur les critères d'inclusion : pureté et degré d'évolutivité du
syndrome autistique, âge, niveau intellectuel des enfants, etc.
Le protocole expérimental :
pour plus de rigueur dans l' interprétation des résultats,
l'utilisation de protocoles en double-aveugle se justifie. Lorsqu'il s'agit
d'un "cross-over" (éliminé dans l'étude fenfluramine présentée ici),
l'analyse des résultats peut être compliquée : les enfants autistiques sont
cliniquement spontanément variables : une rémanence des effets
thérapeutiques est fréquemment observée. Des effets sont alors attribués à tort au placebo. Enfin, les études sur les effets thérapeutiques à long terme
(citons celle de Campbell et al (16) sur l'Halopéridol) sont très rares.
Les critères d'évaluation :
doivent être mesurables, fiables et reproductibles.
L'évaluation des effets thérapeutiques suppose la construction d'échelles
préalablement validées (2). Quelques échelles de ce type ont été
élaborées (les échelles ERC-A (23) et RLRS (28) par exemple), mais sont
encore insuffisamment diffusées et standardisées au niveau international. Les
résultats cliniques obtenus par différentes équipes sont de ce point de vue
difficilement comparables. Il semble bien nécessaire d'adjoindre à ces
critères cliniques des paramètres biologiques directement quantifiables. Ceci
suppose la mise au point de techniques d'explorations aisément applicables
(examens biochimiques et électrophysiologiques par exemple) (9, 10, 11, 29) et
dénuées de toute nocivité pour l'enfant même si les examens sont répétés
(intérêt des dosages urinaires).
L'analyse statistique des résultats :
les effectifs d'enfants autistiques étudiés sont
généralement petits et l'efficacité des traitements n'est que modérée. Les
conditions pour l'utilisation de tests statistiques sont difficilement
remplies. Il est possible néanmoins d'examiner avec précision les données
concernant quelques individus qu'ils soient nettement "sensibles" ou
"résistants".
La mise en évidence de ces marqueurs cliniques et biologiques
spécifiques de l'autisme et l'analyse détaillée des modifications de ces
marqueurs induites par les thérapeutiques sont des étapes indispensables pour
une meilleure évaluation et pour l'application rationnelle de nouveaux
traitements médicamenteux dans l'autisme de l'enfant.
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