L'imprévu de la découverte vient de ce que l'homme se pose des
problèmes alors que la nature n'a que des solutions. Ainsi que le disait à peu
près H. Rainer, " Comme une mère à son enfant, la nature répond
inlassablement aux interrogations, même les plus ingénues ; mais à question
stupide, réponse inintelligible ".
Le recours n'est pas d'imaginer la solution d'avance, mais de poser la
bonne question.
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L'hypothèse du réseau pensant
Sans entrer dans le détail d'une discussion déjà présentée (1) on
peut remarquer que le fonctionnement cérébral impose que trois condi-tions
soient remplies, qui sont également requi-ses par toutes les machines capables
de simuler certaines fonctions de l'esprit. A savoir :
o Un nombre énorme de composants capables de combiner des volées
d'impulsions : plus puis-sants que les " puces électroniques " les plus
performantes, onze milliards de neurones sont à notre disposition.
o Un câblage logique d'une longueur considéra-ble : quelques 5 000
km pour le total des axones et dentrites visibles aux microscope optique. D'ici
à la lune et retour, si l'on prend en compte le réseau des neurotubulcs
visibles au microscope électronique.
o Une réponse spécifique des "portes informatiques " : l'arrivée
d'un médiateur chimique, relargué de l'axone vers la membrane post
synoptique, provoque l'ouverture d'un canal ionique engouffrant un par un des
ions d'un certain calibre.
Curieusement, notre machine à rejeter le fortuit pour ne retenir que
le déductible (c'est le propre de la raison), est un compteur de parti-cules
d'une incroyable vélocité.
Maxwell n'avait donc point tort, qui postulait un petit démon agitant
une petite trappe pour trier les molécules et mettre ainsi de l'ordre dans le
chaos de l'Univers. Notre cerveau fonctionne sur ce principe-là .
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Les contraintes métaboliques
Pour satisfaire à ces trois nécessités, le cerveau doit pouvoir
disposer à l'endroit précis, au moment voulu et en qualité suffisante des
éléments suivants :
o Des monocarbones, radicaux ne comportant qu'un seul atome de carbone
(d'oû leur nom) et transportés par le tetrahydrofolate, forme active de
l'acide folique. Ces monocarbones sont nécessaires à la synthèse des
médiateurs chimiques, à leur inactivation et à toutes les réactions de
méthylation.
o Des bases puriques et pyrimidiques indispensa-bles à la production
et à la maintenance de l'ADN, de l'ARN et des coenzymes. Les monocarbones
jouent un rôle majeur dans ces synthèses.
o Des substances isolantes (myéline) dont la méthylation requiert
aussi des mono-carbones.
o Des quantités de tubuline, pour la construction du réseau de
neurotubules, et de bioptérine nécessaire aux hydroxylations aromatiques des
médiateurs (sérotinine, catecholamines).
Il est possible de résumer ces notions dans la figure 7.1. La lecture
de ce schéma n'est pas aisée mais le fonctionnement harmonieusement
inté-gré de toutes ces voies métaboliques est stricte-ment
indispensable.
L'ensemble de la pathologie génique nous révèle en effet que le
blocage d'une seule de ces étapes provoque un effondrement des perfor-mances :
débilité mentale, syndromes psychoti-ques etc. (voir référence (2) pour
description détaillée).
 Fig. 7.1
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Les maladies chimiques
Parmi les syndromes psychotiques dont la cause métabolique est
connue, on peut retenir :
o La maladie de Lesh Nyhan dans laquelle le déficit en HGPRT
(hypoxanthine, Guanine phosphoribosyl transférase) entraîne une synthèse
exagérée des purines qui, n'étant pas récupérées par l'HGPRT, sont
éliminées sous forme d'acide urique.
o La déficience en adénylo-succinatelyase de Jaeken (3) (4) qui
produit un déficit d'inosine monophosphate (IMP) et d'adénosine
mono-phosphate (AMP). L'hypotrophie du cervelet et surtout du vermis, signalée
par Courchesne et coll. (1988) (5) chez les enfants autistiques, avait été
notée chez certains de ses patients par Jaeken (4).
o La maladie de l'X fragile dans laquelle la fréquence de la lacune
chromosomique dans la zone (X) (q27) est fortement influencée par la teneur en
thymidine des milieux de culture. Les patients, souvent affectés de syndromes
psychotiques sont partiellement améliorés par la prise d'acide folique et
d'acide folinique (6) (7) (8).
o " Autismes des purines ". Il ne s'agit pas d'une entité nosologique
définie mais d'une constatation : chez certains enfants autistiques on observe
des excrétions nettement trop élevées d'acide urique (pour revue, cf.
Coleman et Gillberg 1956 (9)).
Bien que ressortissant de mécanismes chimiques différents, ces
syndromes psychotiques portant sur le métabolisme (les purines (maladie de
Lesh Nyhan, maladie de Jacken, " autisme des purines ") ou de la thymidine
(maladie de l'X fragile), ont pour conséquence commune de requérir un apport
exagéré de monocarbones via le tétrahydrofolate.
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Les syndromes sensibles au folate
La question se pose alors de savoir si certains syndromes psychotiques
pourraient être améliorés par l'administration d'acide folique.
Trois essais systématiques peuvent être discuté.
Dans la maladie de l'X fragile, une expérience déjà longue (8)
permet de dire qu'en dépit des premiers indices favorables (6)
l'administration d'acide folique ne modifie pas sensiblement la débilité
mentale. En revanche chez les sujets particulièrement instables, agités, qui
se balancent, se cognent, se frappent ou se mordent les doigts et présentent
diverses stéréotypies, la médication folique apporte une amélioration,
parfois discrète, parfois considérable.
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A. Syndrome autistique non précise
L'administration d'acide folique chez une vingtaine de sujets
considérés comme autistiques et ne présentant ni anomalie chromosomique, ni
symptôme biochimique franc, a permis d'observer deux sujets répondant
indiscutablement à la médication (10). (Une fille maintenant âgée de 12 ans
et un garçon âgé de 11 ans). Chez l'un et l'autre, l'arrêt de l'acide
folique entraîne le retour des stéréotypies et des troubles du comportement
en 3 à 4 jours chez la fille, en 3 semaines chez le garçon.
Chez l'un et l'autre la reprise du traitement fait disparaître ces
symptômes dans les mêmes délais. Suivis depuis 3 ans, ces deux enfants ont
l'un et l'autre subi à ce jour trois suspensions de traitement et les parents
s'opposent maintenant à de nouveaux essais de sevrage, convaincus de l'utilité
de cet apport vitaminique isolé. Les doses ont varié de 0,30 à 0,80
milligrammes par kilo et par jour.
Il est juste de remarquer que chez les autres patients l'acide
folique aux mêmes doses a été assez rapidement abandonné par les parents
qui ne constataient aucune modification favorable.
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B. Complication pseudo-alzheimer de la trisomie
21
Un syndrome pseudo-Alzheimer se développe parfois chez les sujets
trisomiques 21. Classiquement il s'agit de jeunes adultes qui régressent,
souvent très rapidement, et sombrent progressivement dans un marasme plus ou
moins grave. Certains syndromes psychotiques compliquant la trisomie 21,
évoquent cette régression pseudo-Alzheimer bien qu'ils surviennent beaucoup
plus précocement, dans la première enfance.
Dans un essai, récemment publié, (11) trente neuf patients
trisomiques 21 ont été traités par l'acide folinique (5-formyl
tetrahydrofolate, forme commerciale: Lederfoline 50 milligrammes).
Trente d'entre eux souffraient d'une régression sévère évoquant
le syndrome d'Alzheimer et neuf d'une psychose infantile grave.
Sur 69 essais de médication, 37 ont été favorables et 32 nuls.
Compte-tenu de l'absence de toute thérapeutique efficace dans ces syndromes,
un tel résultat n'est nullement décourageant.
L'analyse des résultats cliniques en fonction de l'administration
de l'acide folinique révèle un effet de dose (11), (zone " favorable " : un
milligramme par kilo, par jour).
Bien qu'il soit extrêmement difficile de quantifier précisément
ces essais préliminaires, l'utilisation de l'acide folinique dans la
régression pseudo-Alzheimer des patients trisomiques 21 mérite d'être
soigneusement étudiée.
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Les voies de la recherche
Les quelques exemples présentés ci-dessus ne portent nullement à
croire que l'acide folique, ou sa forme activée l'acide folinique, soient un
traitement des syndromes psychotiques. Quelques cas favorables, même dûment
enregistrés, ne fondent pas une doctrine thérapeutique.
En revanche, la parenté des lésions biochimiques répertoriées à ce
jour (Leste Nyhan, Jaeken, " autisme des purines ") et les effets favorables de
l'acide folique ou de l'acide folinique dans certains cas d'autisme ou dans la
régression pseudo-Alzheimer ne paraissent pas devoir être considérés comme
des coïncidences purement fortuites.
Le modèle heuristique le plus plausible serait alors d'étudier
systématiquement les syndromes psychotiques innés, liés à un trouble
métabolique défini, ou déterminés par une anomalie chromosomique précise
(Syndrome 4p-, Syndrome 5p-, Syndrome 18q-, Syndrome de l'X fragile etc.).
La découverte d'une particularité commune aux patients souffrant
d'un même syndrome serait d'un grand intérêt.
Plusieurs examens systématiques paraissent nécessaires :
o Contrôle des acides aminés (surtout ceux impliqués directement
dans la synthèse des bases puriques et pyrimidiques et dans les
transméthylations).
o Investigation des synthèses puriques et pyrimidiques (Guanine Vs.
Adénine ; Inosine Vs. Cytosine ; et de leurs dérivés (Bioptérine)).
o Recherche in vitro d'une sensibilité exquise à certains
antimétabolites ; le but serait de déceler des troubles caractéristiques,
comparables à l'hypersensibilité des trisomiques 21 au méthotrexate (Peeters
et col]. (14) (15)).
Ainsi pourrait-on juger si les considérations théoriques qui
attirent l'attention sur un chapitre particulier du métabolisme cérébral,
aident l'investigateur à poser d'utiles questions.
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Bibliographie
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l'intelligence. In Débilité mentale. J. Lejeune Edit. Masson Paris. 1983 ;
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Rome, Commentarii III ; 31:1-18.
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4. JAEKEN J., WADMAN S. K., DURAN M., VAN STRANG F. J., BEEMER F. A.,
HOLL R. A., THEUNISSEN P. M., DECOCK P., VAN DEN BERGH F., VINCENT M. F., VAN
DEN BERGH G. Adenylosuccinase deficiency an inborn error of purine nucleotide
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