Le développement des techniques biologiques est et sera foudroyant ;
mais l'homme, lui, sera-t-il foudroyé ? Cette question redoutable oblige à
reconsidérer le fatras de connaissances, d'hypothèses et d'opinions dont nous
débattons chaque jour.
Pourrait-on mettre en ordre tout cela d'une façon conforme à la
démarche de l'Esprit ?
Car c'est l'Esprit qui donne la vie. Il n'y a pas de matière vivante,
la matière ne peut pas vivre, elle ne peut pas se reproduire. Mais il existe
une matière animée.
L'objet de la génétique est très précisément de saisir sur le vif
ce qui anime le brut, de décrire cette information qui produit et contrôle
des myriades de molécules capables de canaliser le grouillement de l'énergie
afin de conformer le hasard des particules à nos propres nécessités.
Dans la vie, il y a un message et si ce message est humain, cette vie
est une vie d'homme. La matière animée par la nature humaine construit alors
un corps dans lequel prend chair un esprit.
Les dons de l'Esprit, comme on sait, sont au nombre de sept. Reste à
savoir si leur énumération peut nous servir de guide.
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1) La sagesse
La sagesse serait tout d'abord de préciser à quel usage sont
destinés les moyens dont nous disposons. Un exemple historique nous fera
comprendre ce point.
Il y a moins d'un demi-siècle, un avorteur américain eut l'idée
d'appliquer à sa pratique l'effet toxique de l'aminoptérine, inhibiteur du
métabolisme de l'acide folique. Cette vitamine est en effet indispensable à la
synthèse des bases qui constituent l'ADN, d'où le blocage des divisions
cellulaires. Cette propriété est d'ailleurs largement utilisée dans la
chimiothérapie.
Comme les cellules de l'embryon puis du foetus se divisent activement,
THIERSCH pensait tuer l'enfant dans le ventre de sa mère, ce qu'il fit en
effet. Mais quelques-uns ne moururent que tardivement, atteints de graves
anomalies du système nerveux : spina bifida, méningocèle ou
anencéphalie.
Trente ans plus tard SMITHELLS puis LAURENCE découvrirent que l'acide
folique donné à la mère au tout début de la grossesse, ou même un peu
avant, protège les enfants contre ces malformations du système nerveux
central.
Si le but poursuivi par THIERSCH avait été la lutte contre une
maladie et non l'attaque contre des enfants, la prophylaxie de la spina bifida
ou de l'hydrocéphalie eut été inventée quelque trente ans plus tôt : des
dizaines, des centaines de milliers d'enfants eussent été protégés pendant
ce temps-là !
PASTEUR disait que la chance ne favorise que les esprits préparés.
Mais qu'est-ce qui prépare l'esprit si ce n'est la volonté d'atteindre un but
? Même si les faits crèvent les yeux, on ne peut voir que ce que l'on
recherche : pas de sagesse, pas d'intelligence... qui est justement le
deuxième ton de l'esprit.
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2) L'intelligence
Défendre chaque patient, prodiguer ses soins à tout homme sans lui
demander son nom, sa race, sa religion, implique que chacun de nous soit tenu
pour unique et donc irremplaçable. Pour s'assurer de cela, il faudrait une
intelligence de l'être que justement la génétique nous fournit.
Le nombre des combinaisons possibles entre les différents allèles
dont père et mère nous transmettent chacun la moitié, dépasse tellement le
nombre des hommes vivants ou ayant vécu que chacun se trouve doté d'une
composition originale qui ne s'est jamais produite et ne se reproduira
plus.
Cette certitude statistique, nous l'avons maintenant sous les yeux par
la méthode de JEFFREYS.
La technique serait trop longue à décrire, mais son principe est le
suivant. Après avoir extrait chimiquement l'ADN d'un fragment de tissu, on le
traite avec des enzymes qui le coupent en fragments, qu'on sépare selon leur
taille en les faisant migrer dans un champ électrique sur un support
approprié. Après action de la sonde de JEFFREYS, le résultat prend un aspect
familier tout à fait comparable au code-barre qu'on utilise dans les
supermarchés.
Des traits parallèles d'épaisseur variable et inégalement espacés
définissent un message qu'un détecteur optique transmet à un ordinateur.
Aussitôt s'affiche le nom, la quantité et la valeur du produit.
Dans le code-barre de chacun de nous, carte d'identité génétique
strictement infalsifiable, et qu'on a toujours avec soi, la moitié des bandes
sont identiques à celles qu'on trouve chez le père, l'autre moitié provenant
de la mère. Ainsi sous nos yeux se manifestent à la fois, l'originalité de
chaque homme et sa filiation vraie.
Ces codes-barres seront eux aussi lus par un ordinateur, comme au
supermarché. La seule chose que la machine ne pourra jamais afficher, étant
le prix de la vie humaine.
Pour résumer d'un mot ce que sagesse et intelligence nous révèlent
de notre humaine nature, on pourrait dire simplement : Ni chose, ni animal, le
corps humain est indisponible. Devant la loi, tout être humain est une
personne, de la conception à la mort. Voilà qui serait un conseil prudent.
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3) La prudence
La prudence s'impose en effet lorsqu'une action biologique est
appliquée à l'homme, directement bien sûr et même indirectement. Quatre
cents ans avant notre ère le sage de Cos fit jurer à ses disciples : " je
passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté ; je ne
donnerai pas de poison même si l'on m'en priait ni ne suggérerai pareil usage
- et voilà pour l'euthanasie et je ne donnerai pas de pessaire abortif à une
femme - et voilà pour l'avortement.
La sagesse et l'intelligence avaient dicté la prudence à l'homme qui
fonda notre art. Et pendant plus de deux mille ans ce serment d'Hippocrate,
tous les maîtres de la médecine l'ont constamment juré.
Ils furent d'ailleurs suivis par toutes les autorités morales ou
politiques du monde civilisé jusqu'à des temps très récents. Vatican II ne
faisait que reprendre un enseignement absolument général et constant en
rappelant: " l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables ".
Pourtant on doit remarquer qu'aujourd'hui on décèle in utero nombre
de conditions plus ou moins favorables et l'élimination du foetus, à toute
époque de la grossesse, est permise par la loi Veil.
Comme les moyens de diagnostic s'affinent chaque jour, on détectera
les plus minimes imperfections ou même les prédispositions à des troubles
très tardifs ; tels la chorée de Huntington apparaissant vers la quarantaine
ou la maladie d'Alzheimer entraînant la démence entre 50 à 60 ans.
La prudence commande-t-elle d'éliminer les sujets reconnus porteurs
de tares ? On peut affirmer que non.
Certes les maladies coûtent cher, en souffrance pour les patients et
leur famille et en charge sociale pour la communauté qui doit remplacer les
parents si le fardeau pour eux devient insupportable.
Le montant de ce coût, en argent et en dévouement, est connu : c'est
très exactement le prix que doit payer une société pour rester pleinement
humaine.
Sans même évoquer les déportements des sélectionneurs nazis, le
GNADENTODT pour les " unlebensverten Leben " (la merci par la mort pour les
vies indignes d'être vécues), je citerai un exemple beaucoup plus ancien. Ne
disposant pas du diagnostic anténatal, les Spartiates attendaient la naissance
pour exposer dans les apothètes du Mont Taygète, les nouveau-nés dont la
complexion leur paraissait incompatible avec le port des armes ou
l'engendrement des futurs soldats. C'est le seul peuple de Grèce ayant
systématiquement pratiqué cet implacable eugénisme.
De toutes les villes de Grèce, Lacédémone est aussi la seule à
n'avoir légué à l'humanité ni un savant, ni un artiste et pas même une
ruine !
Pourquoi cette exception parmi les Grecs, ces hommes les plus doués
de la terre ? Serait-ce qu'en exposant leurs mal venus ou leurs bébés trop
fragiles, les Spartiates sans le savoir tuaient leurs poètes, leurs musiciens,
leurs géomètres. Se seraient-ils ainsi par une sélection à rebours
progressivement abêtis ? Un tel mécanisme est envisageable, mais on ne peut
l'affirmer.
Ou bien leur sagesse et leur intelligence étaient-elles déjà
tellement inférieures qu'ils commirent l'imprudence de tuer leurs propres
enfants ?
La génétique ne peut conclure d'autant que les deux hypothèses
pourraient être vraies, simultanément.
Si la prudence désavoue le culte obtus de Force, cela n'exclut
nullement de tenir fortement au vrai si l'on veut raison garder.
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4) La force
de l'esprit est en effet la résistance à l'effondrement simultané
des trois dons précédents qu'on attaque aujourd'hui en trois temps :
diversion, inversion, perversion.
- La diversion tout d'abord : ne regardez pas l'être qui va
disparaître, mais considérez ; plutôt les difficultés qu'il occasionne à
ses proches et à la société.
- L'inversion suit facilement: quel bien ne ferait-on pas avec le
trésor d'argent et dévouement ainsi dépensé en vain !
- La perversion s'installe alors définitivement : il suffit de
supprimer l'innocent.
Non seulement on élimine ceux qui gênent (par l'avortement ou
l'euthanasie), mais on décrète qu'il est éthiquement acceptable d'exploiter
à des fins présumées scientifiques les êtres qui n'ont pas encore la force
de se manifester.
Certes toutes les conquêtes de la génétique moderne ont été
réalisées sans que la vie d'un seul homme ait été mise en jeu, mais les
demandeurs insistent, les propositions de loi s'accumulent pour réclamer de
très jeunes humains ; pourquoi cet appétit de chair fraîche ?
Pour une raison majeure qu'on n'ose guère formuler tant son réalisme
est sordide. Un embryon de chimpanzé coûte fort cher (il faut entretenir
l'élevage). La vie humaine n'a pas de prix. Elle a même perdu toute valeur,
depuis que des nations, longtemps civilisées, ont renié par un vote ce que
pendant deux mille ans et plus, tous les maîtres de la médecine avaient
constamment juré.
Cette force d'esprit a manqué récemment au Parlement Britannique,
Lords et députés compris. Depuis le 23 avril 1990, les très jeunes sujets de
sa Gracieuse Majesté, tant qu'ils n'ont pas atteint quatorze jours révolus,
peuvent être considérés comme matériel expérimental. Cette vivisection des
très jeunes Anglais, cette suppression de l'HABEAS CORPUS au tout début de la
vie, n'a même pas retenu semble-t-il l'attention des médias !
Quel malheur que d'autres chefs d'État n'aient pas suivi l'exemple
admirable de Baudouin de Belgique refusant de signer la condamnation de ses
plus jeunes sujets. EST REDIS TUERI CIVES. C'est le devoir du ROI de protéger
les citoyens.
Ce que la prudence nous répète avec force devrait à la fin, être
inscrit dans les lois ; comme tout être humain, " l'embryon est indisponible
".
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5) La science
La science embryologique nous apprend beaucoup sur ce point. Qu'il me
soit permis d'évoquer ici le souvenir personnel d'un témoignage au Tennessee,
devant la Cour de Maryville, pour un procès en divorce (1).
La mère, prénommée Mary, réclamait la garde des sept embryons
congelés qu'elle avait conçu des oeuvres de son mari ; elle voulait les
sortir du froid, les ramener à la vie.
Il est très remarquable que nous usions du même vocable pour
définir la durée qu'on évalue avec les horloges, et la chaleur qu'on mesure
avec un thermomètre : on dit le temps et la température. Or, l'agitation des
molécules est très exactement le flux du réel qui passe, si bien qu'en
abaissant la température, en arrêtant le mouvement, on gèle aussi le temps.
La vie n'est pas un élan comme Bergson le pensait, car une fois arrêté il ne
pourrait reprendre. Alors que si le précieux édifice qui contient
l'information pour animer la matière n'a pas été détruit par la
congélation, la vie se manifeste à nouveau, sitôt la chaleur revenue et le
temps retrouvé.
Entassés par milliers dans une bonbonne réfrigérée à l'azote
liquide, privés de toute liberté dans cette enceinte où le temps même est
arrêté, les tout jeunes êtres humains sont pour ainsi dire internés dans
une " concentration can ", une enceinte concentrationnaire. Le juge de
Maryville avait fort bien compris.
Pourtant, on traduisit en France " camp de concentration ", traduction
doublement fautive. D'abord, " can " veut dire boîte et non pas camp, et
ensuite le "concentration camp " est un moyen d'accélérer terriblement la
mort, alors que le " concentration can " est un moyen de ralentir terriblement
la vie !
Il est vrai que dans les deux cas, l'enceinte concentrationnaire est
refermée sur des innocents !
En confiant les sept espérances à la garde de leur mère, le juge de
Maryville avait prononcé pour la seconde fois, à 3 000 ans de distance, le
jugement de Salomon : celle à qui l'enfant doit être confié est celle qui
veut qu'il vive et qui préfère même qu'on le donne à une autre plutôt que
de le voir condamné à jamais.
Cet amour du descendant, cette piété maternelle a pour réciproque
naturelle, l'amour du descendant pour ses procréateurs.
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6) La piété filiale
Le sixième don de l'esprit, pour le généticien, la piété filiale,
est d'un modernisme étonnant.
On croyait jusqu'alors que le patrimoine transmis par le sperme et
celui transmis par l'ovule étaient strictement homologues (aux chromosomes
sexuels près).
On sait aujourd'hui, grâce à SURANI, à SWAIN et à HOLLIDAY que chaque
sexe marque de son " empreinte " l'ADN qu'il transmet.
Un peu comme l'étudiant qui souligne le passage à réciter tout de
suite et raye cet autre à utiliser plus tard, la méthylation de l'ADN marque
les points importants.
L'homme souligne ce qui permettra de construire les membranes et le
placenta, la femme souligne les instructions pour diversifier les tissus
nécessaires à l'embryon.
L'expérience chez la souris a soudain expliqué une pathologie
étrange qu'on connaissait dans notre espèce.
Un oeuf fécondé ne contenant que le message masculin même à double
exemplaire avec le nombre voulu de chromosomes n'est pas un être humain : il
ne forme que des petites vésicules, des pseudo-sacs amniotiques, c'est ce
qu'on appelle une môle hydatiforme qui peut dégénérer en cancer, le
chorioépithéliome. Réciproquement, un oeuf fécondé ne contenant que le
message féminin même au complet, même avec deux jeux de chromosomes, n'est
pas un être humain non plus ; cela ne fabrique que des pièces détachées du
poil, de la dent, de la peau, de n'importe quoi, mais en vrac, sans aucune mise
en forme (c'est le kyste dermoïde). " L'empreinte " masculine et "
l'empreinte" féminine sont simultanément nécessaires à la conception de
l'être humain.
Dans l'oeuf fécondé, sphère minuscule d'un millimètre et demi de
diamètre se trouve déjà , miniaturisée à l'extrême, la division du travail
qui nous est si familière : à l'homme la construction de l'abri et la quête
de la nourriture. A la femme l'élaboration de l'enfant.
Ces faits permettent d'affirmer qu'il faut un homme et une femme pour
engendrer un nouvel esprit.
- Finie la prétention de procréer " entre femmes " en fécondant un
ovule avec le noyau d'un autre ovule, prélevé sur une " amie ".
- Terminé le cauchemar " gay " de la conception purement masculine
par introduction de deux spermatozoïdes dans un oeuf préalablement privé de
son noyau légitime et implanté plus tard dans quelque utérus d'emprunt !
- Dévaluée la spéculation du milliardaire escomptant la
reproduction d'un " clone " à son image pour transmettre en même temps son
capital héréditaire et ses intérêts financiers !
La première cellule qui n'aurait pas un père et une mère ne
pourrait survivre longtemps, l'être ne serait même pas conçu ! Pour le
généticien, " Honore ton Père et ta Mère, afin de vivre longuement ", est
bien un commandement divin : la nature lui obéit.
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7) La crainte
Ici commence la crainte, pourrait-on écrire à la fin de cette
énumération. La crainte mais non pas l'abandon de toute espérance comme à
l'entrée de l'enfer de Dante.
Pourtant voyez notre puissance et donc mesurez les dangers.
Nous commençons d'épeler lettre à lettre, C, A, T ou G, l'immense
message génétique. Il remplira l'équivalent de six collections complètes de
l'Encyclopédia Universalis !
Aucun homme ne le lira en entier et ne pourra le comprendre, mais on
mettra l'information en machine. L'appareil nous restituera, sur demande, le
passage qui nous intéresse. Même, un robot sophistiqué (employant la P.C.R.)
nous fabriquera sur simple requête la portion de la molécule grâce à
laquelle on poursuivra l'expérimentation, soit pour éliminer un gène
indésirable, soit pour rafistoler un paragraphe défaillant.
Cette utilisation médicale est hautement souhaitable et ne soulève
aucun problème moral nouveau, tant qu'on opère avec prudence et dans
l'intérêt personnel du sujet.
Mais notre génération n'est pas propriétaire du patrimoine de notre
espèce.
L'ADN humain dont nous sommes seulement les dépositaires n'est pas un
matériau qu'on puisse breveter ou vendre ou bricoler sans vergogne.
Il faudrait que les lois le (lisent : Le génome humain est
indisponible.
Oseriez-vous proposer d'imposer votre morale aux autres ? dira-t-on !
Je pense bien. Dans un état pluraliste qui ne se réfère â aucune morale
absoluer, tenter (légalement s'entend) de faire entrer sa morale dans les lois
de son pays, est beaucoup plus qu'un droit, c'est le devoir du citoyen.
La crainte dont il est question, n'est nullement peur de la nouveauté
ou terreur de la technique ; soumises à une juste gouverne ce sont les clés de
l'efficace.
Pour empêcher la génétique de devenir inhumaine, il lui faut
absolument conserver le respect de chaque créature et rien ne peut l'y mieux
disposer que la révérence pour le Créateur.
Comme on disait autrefois: "TIMETE DOMINUM ET NIHIL ALIUD", voilà la
vraie liberté de l'Esprit.
Craignez Dieu et rien d'autre : toute la science restera l'honnête
servante des hommes.
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(1) L'Enceinte concentrationnaire, J. Lejeune, chez Fayard le Sarment.
Paris 1990.
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