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Permanences
Professeur Lejeune, que faut-il penser des trois projets de loi sur
la bio-éthique que le gouvernement entend soumettre au Parlement ?
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Professeur Lejeune
Ces projets de loi ne présentent en eux-mêmes aucun
intérêt, ou plus exactement, ils n'ont qu'une seule
utilité : faire passer le paragraphe autorisant les dons d'embryons. Le
reste, c'est de la poudre aux yeux.
Le fait est qu'on peut donner un animal, mais on ne donne pas un
être humain ! On ne parlerait guère de dons d'embryons si l'on
reconnaissait qu'il s'agit d'un être humain.
Or, les trois textes font précisément l'impasse sur
l'essentiel : ils ne comportent aucune définition et ne proposent aucun
statut de l'embryon ; ils se gardent bien de répondre à la
question de savoir quand commence un être humain. Cela permet
d'envisager non seulement ce qu'ils appellent les " dons d'embryons ", mais
aussi l'expérimentation sur l'embryon et c'est extrêmement grave.
Ces lois sont des lois scélérates.
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Permanences
Est-il scientifiquement possible d'établir que l'embryon est
un être humain ou n'est-ce là qu'une question d'opinion ?
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Professeur Lejeune
II n'existe, objectivement, qu'une seule définition possible
de l'être humain : un être humain est un membre de notre
espèce. Sa nature humaine est déterminée par le patrimoine
génétique de l'espèce humaine qu'il reçoit de ses
parents; l'embryon fait donc partie de l'espèce humaine.
La fécondation marque bien le commencement de la vie,
c'est-à -dire l'apparition d'un nouvel être humain parfaitement
unique et différencié. La première cellule humaine et ses
46 chromosomes (les 23 chromosomes paternels et les 23 chromosomes maternels)
contient déjà toute l'information nécessaire et suffisante
d'où sortira, neuf mois plus tard, cet enfant qu'on appellera Pierre,
Paul ou Madeleine, avec les caractéristiques qui lui sont propres.
La méthode mise au point en Angleterre, il y a quelques
années de cela, par le docteur Alec Jeffreys pour la lecture de l'ADN
des chromosomes humains, permet justement d'identifier les
caractéristiques d'un individu. Elle apporte la preuve, scientifiquement
irréfutable, du caractère rigoureusement unique de tout
individu.
En fait, il n'existe aucune différence de nature entre
l'embryon, le foetus et l'enfant après sa naissance : il s'agit, dans
tous les cas, d'une seule et même personne aux différents stades
de son développement.
Dès le tout début, l'embryon est un minuscule
être humain différent de sa mère, animé d'une vie
propre. C'est d'ailleurs ce qui rend possible la fécondation
extra-corporelle comme le fait de transplanter l'embryon conçu in vitro
dans un utérus qui n'est pas celui de sa mère.
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Permanences
L'existence d'un Comité national d'éthique n'est-elle
pas, en France, une garantie suffisante contre tous les risques possibles de "
dérapages " en matière médicale ?
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Professeur Lejeune
Comme vous le savez, sans doute, le Président du
Comité d'éthique est nommé par le Président de la
République, et la nomination des membres de ce Comité
dépend également du Chef de l'Etat ou de ses ministres, ou de
quelques directeurs de grands établissements publics eux-mêmes
désignés par les ministres en question... Aucun de ces membres
n'est par exemple le représentant élu d'un corps
constitué.
Il en résulte que le Comité d'éthique est
véritablement un comité d'éthique étatique, une
machine à décerveler et qu'on lui fait dire ce qu'on veut bien lui
faire dire...
En fait de garantie et de morale médicale, aucun
comité d'éthique national ou local ne remplacera jamais le
Serment d'Hippocrate par lequel un médecin jurait autrefois : "
j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté, je ne donnerai pas de
poison même si l'on m'en demandait et je ne donnerai pas de produit
abortif... ".
Tant que le serment d'Hippocrate sera bafoué, ce qui est
actuellement le cas. il n'y aura plus de médecine fiable.
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Permanences
Revenons aux trois projets de loi sur la bio-éthique, qui
sont inacceptables dites-vous : de quelle manière peut-on réagir
?
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Professeur Lejeune
Je ne vois qu'une chose à faire : soutenir et promouvoir la
proposition de loi Seillier (1), qui n'est pas encore très connue en
France, mais qui vient d'être traduite en portugais pour être
présentée au Sénat brésilien, ainsi qu'en espagnol
pour le Président du Sénat chilien, et qui, traduite en anglais,
sera bientôt soumise au Parlement des Pays Baltes.
Ce texte est, en l'état actuel des choses, le seul qui soit
vraiment acceptable et je ne vois pas ce qu'on pourrait espérer de plus
conforme à la loi naturelle.
Tous les défenseurs du respect de la vie, y compris les
Associations Familiales Catholiques, et tous les lecteurs de " Permanences "
devraient le connaître et s'en faire les porte-paroles.
Il faut proclamer que les textes concoctés par le
gouvernement sont d'autant plus intolérables qu'il existe une
proposition de loi parfaitement cohérente (celle du sénateur
Bernard Seillier), très simple et très claire à la fois. et
qui en même temps ne laisse aucun problème de côté,
puisqu'elle définit l'être humain comme une personne de la
fécondation à la mort, et prévoit que l'embryon humain doit
être indisponible, que le " don d'embryon " doit être interdit,
précisant même, par exemple, que n'importe quel embryon humain a
droit à la poursuite de son développement continu
jusqu'à son terme dans l'organisme de sa mère avant qu'un autre
embryon ne soit conçu, afin qu'on ne puisse plus en produire plusieurs
qui seront congelés, en attendant que certains d'entre eux ne soient
détruits.
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Permanences
Que pensez-vous des prises de position de Mgr Duval,
président de la Conférence Episcopale qui, sur le problème
de l'avortement, condamne les " opérations sauvetage " dans les
Cliniques ou les hôpitaux (2) ?
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Professeur Lejeune
J'étais, il y a huit jours, aux Etats-Unis, dans le Kansas,
pour témoigner en faveur d'une jeune femme traînée devant
les tribunaux pour avoir participé à l'une de ces
opérations " rescue ". On m'a demandé si je ne pensais pas
qu'elle avait des raisons de croire qu'elle protégeait une vie humaine
en empêchant un avortement et j'ai répondu oui. C'est la seule
réponse que je pouvais donner.
Mon audition avait été précédée
d'un témoignage extraordinaire et totalement inattendu : celui d'une
jeune femme qui s'est présentée avec un bébé dans
les bras pour déclarer avec une grande spontanéité et une
évidente sincérité : " le jour de cette opération "
rescue ", j'avais rendez-vous à cette clinique pour me faire avorter (ce
que l'avocat de la clinique n'a d'ailleurs pas contesté). Si cette
manifestation n'avait pas eu lieu, le petit que je porte dans les bras, et bien
je ne l'aurais pas parce qu'il serait mort ce jour-là ".
Alors, j'ignore ce que dit ou ce qu'on fait dire à Mgr Duval
sur ce point particulier. Ce qui m'intéresse, c'est l'opinion de cette
femme qui reconnaît qu'elle aurait tué son enfant si la clinique
avait été ouverte ce jour-là , et qui est venue
témoigner dans l'espoir de préserver d'autres mamans du crime
qu'elle allait commettre.
Car ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que la femme enceinte qui
téléphone à une clinique pour se faire avorter n'est pas
une future mère : en fait, elle est déjà mère
puisqu'elle porte un enfant.
Un avortement ne fait pas une seule mais deux victimes : le
bébé bien sûr, qui ne se rend pas compte de ce qui lui
arrive, mais aussi la maman qui se fait avorter parce que, prise de panique,
elle ne sait plus où elle en est, ni ce qu'elle fait. Oui, la femme qui
se fait avorter est aussi une victime.
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Permanences
Compte tenu de la généralisation de la contraception
et surtout, de la légalisation puis de la banalisation de l'avortement,
sans parler des expérimentations sur l'embryon dont il est aujourd'hui
question, la tentation peut être forte de céder au
découragement. Dans ces conditions, que peut faire un chrétien ou
le simple " citoyen de base " ?
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Professeur Lejeune
Dire la vérité, rien que la vérité, mais
toute la vérité ! Il faut témoigner, spécialement
devant la jeune génération, c'est-à -dire nos enfants ou,
à mon niveau, nos petits enfants. C'est en ce sens que les
générations à venir seront celles du respect de la vie.
J'ai dit une fois à l'un de vos congrès que le moyen
d'empêcher l'arrivée d'un enfant, par la pillule, ou de les tuer
dans le sein de leur mère par l'avortement, sont tels qu'aujourd'hui il
n'y a pratiquement plus de selection naturelle (les enfants qui viennent au
monde ne sont pas forcément plus forts ou plus résistants que les
autres) mais il y a par contre une sélection surnaturelle ; ce sont les
familles qui croient en Dieu qui ont encore des enfants et ceux qui respectent
le Créateur qui respectent également ses créatures.
Alors, on peut avoir l'impression que la morale a perdu, comme il
est vrai que certains de ceux qui doivent normalement la défendre se
taisent quand ils ne sont pas eux-mêmes dans l'erreur ; et pourtant, je
ne suis pas pessimiste : peut-être la sélection surnaturelle dont
j'ai parlé jouera-t-elle un rôle inédit dans l'histoire de
l'humanité, ce que nos enfants ou nos petits-enfants verront
peut-être. Deo juvente !
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Notes
1 - Le texte intégral de ce projet de Loi se trouve dans notre
encart ci-dessous.
2 - " Je n'ai jamais approuvé ce genre de commandos qui se
situent en dehors de la loi ". Mgr Duval, le 3 décembre 1991, au "Grand
Jury RTL- Le Monde ".
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