Mesdemoiselles, Messieurs,
On a coutume, dans les Facultés de Droit, de vous enseigner l'esprit
des lois. Permettez à un généticien de vous entretenir, ce soir, des lois de
l'esprit et d'envisager avec vous l'avenir brillant, éblouissant, aveuglant
qui s'ouvre à la génétique humaine.
Brillant, parce que chaque jour nous permet de savourer une nouvelle
trouvaille de la vie ; éblouissant parce que notre analyse des molécules,
vectrices du message de vie, risque de faire oublier l'organisme qu'elles
animent ; mais aveuglant enfin parce que le prestige des manipulations
génétiques porte certains à croire que tout ce qui est possible est
permis.
La morale, pour eux, devrait céder le pas à la technologie; ils
réclament un nouveau Droit, qui leur donnerait tous les droits.
La manipulation est en cours dans de nombreux pays.
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I - De l'esprit des lois aux lois de
l'esprit
On fonde des Comités d'Éthique pour proposer des lois nouvelles qui,
une fois votées, influeront sur les moeurs qui à leur tour influeront sur les
lois.
Avec un peu d'adresse et un zeste de pluralisme, le Bien et le Mal ne
seront plus des données immédiates de la conscience mais le consensus mou
d'une éthique étatique.
La prescience est ici un bien médiocre guide : pour le progrès
technique nous savons déjà qu'il sera foudroyant ; mais l'homme, lui,
sera-t-il foudroyé ?
Répondre oui ou non serait manquer de pertinence, mais réfléchir
sur la nature de l'homme, à la lumière du savoir d'aujourd'hui, pourrait être
une méthode conforme aux lois de l'esprit.
Car c'est l'esprit qui donne la vie.
Il n'y a pas de matière vivante ; la matière ne peut pas se
reproduire. Mais il existe une matière animée. L'objet de la génétique est
très précisément de saisir sur le vif ce qui anime le brut, de décrire
cette information qui produit et contrôle des myriades de molécules capables
de canaliser le grouillement de l'énergie afin de conformer le hasard des
particules à nos propres nécessités.
Dans la vie, il y a un message et si ce message est humain, cette vie
est une vie d'homme. La matière animée par la nature humaine construit alors
un corps dans lequel prend chair un esprit.
Les dons de l'esprit, comme on sait, sont au nombre de sept. Reste à
savoir si leur énumération peut nous permettre de trier le fatras de
connaissances qui nous reste à considérer.
1) LA SAGESSE serait tout d'abord de préciser à quel usage sont
destinés les moyens dont nous disposons. Un exemple historique nous fera
comprendre ce point : on a beaucoup parlé du bicentenaire des Droits de
l'Homme. Or, en France, vingt et un ans après la proclamation solennelle de
ces Droits, un philosophe fit une proposition de loi demandant qu'il soit
interdit "d'étouffer ou autrement faire mourir en les saignant aux quatre
membres les malades atteints de la rage". Cette proposition de loi ne fut même
pas discutée. Douze ans plus tard, naquît un enfant qui s'appelait Louis
Pasteur. Sa vie fut la démonstration que ceux qui ont libéré l'humanité de
la peste et de la rage n'étaient pas ceux qui brûlaient les pestiférés dans
leur maison ou qui étouffaient les enragés entre deux matelas, mais bien ceux
qui ont attaqué la maladie et défendu le malade.
En plus des moyens de diagnostic et de traitement, la médecine,
c'est la haine de la maladie et l'amour du malade. Éliminer le patient pour
extirper le mal, c'est avorter la médecine.
Défendre chaque patient, prodiguer ses soins à tout homme sans lui
demander son nom, sa race, sa religion, implique que chacun de nous soit tenu
pour unique et donc irremplaçable. Pour s'assurer de cela, il faudrait une
intelligence de l'être que justement la génétique nous fournit.
2) L'INTELLIGENCE : Le nombre des combinaisons possibles entre les
différents allèles dont Père et Mère nous transmettent chacun la moitié,
dépasse tellement le nombre des hommes vivants ou ayant vécu que chacun se
trouve doté d'une composition originale qui ne s'est jamais produite et ne se
reproduira plus.
Cette certitude statistique, nous l'avons maintenant sous les yeux
par la méthode de Jeffreys.
La technique serait trop longue à décrire, mais son principe est le
suivant. Après avoir extrait chimiquement l'ADN d'un fragment de tissu, on le
traite avec des enzymes qui le coupent en fragments, qu'on sépare selon leur
taille en les faisant migrer dans un champ électrique sur un support
approprié. Après action de la sonde de Jeffreys, le résultat a un aspect
familier tout à fait comparable au code-barre qu'on utilise dans les
supermarchés. Des traits parallèles d'épaisseur variable et inégalement
espacés définissent un message qu'un détecteur optique transmet à un
ordinateur. Aussitôt s'affiche le nom, la quantité et le prix du produit.
Dans le code-barre de chacun de nous, cette carte d'identité
génétique strictement infalsifiable, et qu'on a toujours avec soi, la moitié
des bandes sont identiques à celles qu'on trouve chez le père, l'autre moitié
provenant de la mère.
Ainsi sous nos yeux se manifestent à la fois, l'originalité de chaque homme et sa filiation vraie.
Ces codes-barres seront eux aussi lus par un ordinateur, comme au supermarché, la seule chose que la machine ne pourra jamais afficher étant le prix de la vie humaine.
Pour résumer d'un mot ce que sagesse et intelligence nous révèlent de notre humaine nature, on pourrait dire simplement : ni chose, ni animal, le corps humain est indisponible.
Sous peine de réinstituer l'esclavage, nul ne peut l'exploiter ni disposer de lui.
3) LA PRUDENCE s'impose donc lorsqu'une action biologique est appliquée à l'homme, directement bien sûr et même indirectement. Quatre cents ans avant notre ère le sage de Cos fit jurer à ses disciples : "Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté : je ne donnerai pas de poison même si l'on m'en priait, ni ne suggérerai pareil usage" -et voilà pour l'euthanasie- "et je ne donnerai pas de pessaire abortif à une femme" -et voilà pour l'avortement.
La sagesse et l'intelligence avaient dicté la prudence à l'homme qui fonda notre art, et ce serment d'Hippocrate, tous les médecins l'ont respecté.
Ils furent d'ailleurs suivis par toutes les autorités morales ou politiques du monde civilisé jusqu'à des temps très récents. Vatican II ne faisait que reprendre un enseignement absolument général et constant en rappelant que "l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables".
Pourtant on doit remarquer qu'on décèle aujourd'hui, in utero, nombre de conditions plus ou moins défavorables et que l'élimination du fœtus, à toute époque de la grossesse, est permise par la loi Veil.
Comme les moyens de diagnostic s'affinent chaque jour, on détectera les imperfections les plus minimes ou même les prédispositions à des troubles très tardifs ; tels la chorée de Huntington apparaissant vers la quarantaine, ou la maladie d'Alzheimer entraînant la démence entre cinquante à soixante ans.
La prudence commande-t-elle d'éliminer les sujets reconnus porteurs de tares ? On peut affirmer que non.
Certes, les maladies coûtent cher, en souffrance pour les patients et leur famille, en charge sociale pour la communauté qui doit remplacer les parents si le fardeau pour eux devient insupportable.
Le montant de ce coût en argent et en dévouement est connu : c'est très exactement le prix que doit payer une société pour rester pleinement humaine.
Sans même évoquer les déportements des sélectionneurs nazis, le Gnadentodt pour les "unlebensverten Leben" (la merci par la mort pour les vies indignes d'être vécues), je citerai un exemple beaucoup plus ancien. Ne disposant pas du diagnostic anténatal, les Spartiates attendaient la naissance pour exposer, dans les apothètes du mont Taygète, les nouveaux nés dont la complexion leur paraissait incompatible avec le port des armes ou l'engendremcnt de futurs soldats.
C'est le seul peuple de Grèce ayant systématiquement pratiqué cet implacable eugénisme.
De toutes les villes de Grèce, Lacédémone est aussi la seule à n'avoir légué à l'humanité ni un savant, ni un artiste et pas même une ruine ! Pourquoi cette exception parmi les Grecs, ces hommes les plus doués de la terre ? Serait-ce qu'en exposant leurs mal venus ou leurs bébés trop fragiles, les Spartiates sans le savoir tuaient leurs poètes, leurs musiciens, leurs savants à venir ? Se seraient-ils ainsi, par une sélection à rebours, progressivement abêtis ? Un tel mécanisme est envisageable, mais on ne peut l'affirmer. Ou bien leur sagesse et leur intelligence
étaient-elles déjà tellement inférieures qu'ils
commirent l'imprudence de tuer leurs propres enfants ?
La génétique ne peut conclure d'autant que les deux hypothèses
pourraient être vraies, simultanément.
Si la prudence désavoue le culte obtus de la force, cela n'exclut
nullement de tenir fortement au vrai si l'on veut raison garder.
4) LA FORCE de l'esprit est en effet la résistance à l'effondrement
simultané des trois dons précédents.
Un exemple récent nous le fera comprendre.
Il y a quelques années, les manipulateurs prétendaient étudier
sur des embryons humains de moins de quatorze jours la débilité mentale,
l'hémophilie, la myopathie ou la mucoviscidose ! Un témoignage devant les
parlementaires britanniques m'amena à faire remarquer que sur un être humain
de moins de quatorze jours (c'était la date de péremption proposée pour
l'utilisation légale du matériel humain) on ne peut pas étudier un trouble
du cerveau, qui n'est pas mis en place, ni une impossibilité de coagulation du
sang qui ne circule pas encore, ni une anomalie des muscles qui ne sont même
pas ébauchés, ni une imperfection du pancréas qui n'apparaîtra que plus
tard. Cette intervention, très "matter of fact ", fut fort mal accueillie.
L'hebdomadaire scientifique Nature titra : " French influence in
Britain " ! Chose tout à fait " shocking ". Nature alla jusqu'à proposer en
récompense un abonnement d'un an à quiconque fournirait un protocole
d'expérience démontrant l'inanité de ces assertions. Cela fait trois ans.
Nature n'a publié aucun protocole et, à ma connaissance personne ne reçoit
gratis cet excellent périodique.
Il n'était vraiment pas nécessaire d'utiliser des êtres humains,
car, au cours de ces trois années, le gène de la mucoviscidose a été
découvert, le gène de la dystrophie musculaire a été clone, la protéine
qu'il fabrique, la dystrophine, est maintenant connue et on a fait de grands
progrès dans la compréhension des maladies de l'intelligence. Pour
l'hémophilie, on fabrique par génie génétique le facteur de la coagulation
dans des bactéries artificieusement manipulées. On pourra ainsi traiter les
hémophiles sans risque de leur inoculer le Sida.
Et ces conquêtes de la médecine ont été réalisées sans que la
vie d'un seul homme ait été mise en jeu. '
Pourtant les demandeurs insistent, les propositions de loi
s'accumulent. Pourquoi cet appétit de chair fraîche ?
Pour une raison majeure qu'on n'ose guère formuler tant son
réalisme est sordide. Un embryon de chimpanzé coûte fort cher (il faut
entretenir l'élevage). La vie humaine n'a pas de prix. Elle a même perdu
toute valeur, depuis que des nations, longtemps civilisées, ont renié par un
vote ce que, pendant deux mille ans et plus, tous les maîtres de la médecine
avaient constamment juré.
Cette force d'esprit a manqué récemment au Parlement britannique,
lords et députés compris. Depuis le 23 avril 1990, les très jeunes sujets de
sa Gracieuse Majesté, tant qu'ils n'ont pas atteint quatorze jours révolus,
peuvent être considérés comme matériel expérimental. Cette vivisection des
très jeunes Anglais, cette suppression de l'habeas corpus au tout début de la
vie, n'a même pas retenu l'attention des médias chez nous !
En ces temps de commémorations multiples et variées, un étonnant
trou de mémoire collective semble être apparu dans l'Histoire. Pour les
expérimentateurs sur embryons et fœtus humains, leur assurance ne peut être
fondée que sur une ignorance absolue qui s'exprime en un mot : Nuremberg ?
Connais pas !
Pourtant ce que Prudence nous répète avec Force, pourrait se résumer en un deuxième aphorisme : l'embryon hurnain est indisponible.
5) LA SCIENCE embryologique nous apprend beaucoup sur ce point. Qu'il me soit permis d'évoquer ici le souvenir personnel d'un témoignage au Tennessee, devant la Cour de Maryville, lors d'un procès en divorce.
La mère, prénommée Mary, réclamait la garde des sept embryons congelés qu'elle avait conçus des œuvres de son mari ; elle voulait les sortir du froid, les ramener à la vie.
Il est très remarquable que nous usions du même vocable pour définir la durée qu'on évalue avec des horloges, et la chaleur qu'on mesure avec un thermomètre : on dit le temps et la température. Or, l'agitation des molécules est très exactement le flux du réel qui passe, si bien qu'en abaissant la température, en arrêtant le mouvement, on gèle aussi le temps. La vie n'est pas un élan comme Bergson le pensait, car une fois arrêté il ne pourrait reprendre. Alors que si le précieux édifice qui contient l'information pour animer la matière n'a pas été détruit par la congélation, la vie se manifeste à nouveau, sitôt la chaleur revenue e donc le temps retrouvé.
Entassés par milliers dans une bonbonne réfrigérée à l'azote liquide, privés de toute liberté dans cette enceinte où le temps même est arrêté, les tout jeunes êtres humains sont pour ainsi dire internés dans une "concentration can "- une enceinte concentrationnaire. Le juge de Maryville avait fort bien compris.
Pourtant, on traduisit en France "camp de concentration", traduction doublement fautive. D'abord, "can" veut dire boîte et non pas camp, et ensuite le "concentration camp" est un moyen d'accélérer terriblement la mort, alors que la "concentration can" est un moyen de ralentir terriblement la vie !
Il est vrai que, dans les deux cas, le système concentrationnaire est refermé sur des innocents !
En confiant les sept espérances à la garde de leur mère, le juge de Maryville avait prononcé pour la seconde fois, à trois mille ans de distance, le jugement de Salomon : celle qui l'enfant doit être confié est celle qui veut qu'il vive, et qui préfère même qu'on le donne à une autre plutôt que de le voir condamné à jamais.
Cet amour du descendant, cette piété maternelle, a pour réciproque naturelle l'amour du descendant pour ses procréateurs.
6) Ce sixième don de l'esprit, LA PIÉTÉ FILIALE, est d'un modernisme étonnant.
On croyait jusqu'alors que le patrimoine transmis par le sperme et celui transmis par l'ovule étaient strictement homologues (aux chromosomes sexuels près).
On sait aujourd'hui, grâce à Surani, à Swain et à Holliday, que chaque sexe marque de son "empreinte" l'ADN qu'il transmet.
Un peu comme l'étudiant qui souligne le passage à réciter tout de suite et raye cet autre à utiliser plus tard, la méthylation de l'ADN marque les points importants.
L'homme souligne ce qui permettra de construire les membranes et le placenta, la femme souligne les instructions servant à diversifier les tissus nécessaires à l'embryon.
L'expérience chez la souris a soudain expliqué une pathologie étrange qu'on connaissait dans notre espèce.
Un œuf fécondé ne contenant que le message masculin même à double exemplaire avec le nombre voulu de chromosomes n'est pas un être humain : cela ne forme que des petites vésicules, des pseudo-sacs amniotiques, c'est ce qu'on
appelle une môle hydatiforme qui peut
dégénérer en cancer, le chorio-épitheliome. Réciproquement, un œuf
fécondé ne contenant que le message féminin, même au complet, même avec
deux jeux de chromosomes, n'est pas un être humain non plus ; cela ne fabrique
que des pièces détachées : du poil, de la dent, de la peau, de n'importe
quoi, mais en vrac, sans aucune mise en forme (c'est le kyste dermoïde). L'"
empreinte " masculine et l'" empreinte " féminine sont simultanément
nécessaires à la conception de l'être.
Dans l'œuf fécondé, sphère minuscule d'un millimètre et demi de
diamètre, se trouve déjà , miniaturisée à l'extrême, la division du travail
qui nous est si familière. A l'homme la construction de l'abri et la quête de
la nourriture, à la femme l'élaboration de l'enfant.
Ces faits nous permettent d'affirmer (et bien que ceci soit
démontré depuis un an environ, c'est une sorte de scoop pour certains mass
média) qu'il faut un homme et une femme pour enfanter un esprit. La
reproduction " monoparentale " ou " unisexe " est impossible dans notre
espèce.
- Finie la prétention de procréer " entre femmes " en fécondant
un ovule avec le noyau d'un autre ovule, prélevé sur une amie.
- Terminé le cauchemar " gay " de la conception purement masculine
par introduction de deux spermatozoïdes dans un œuf préalablement privé de
son noyau légitime et implanté plus tard dans quelque utérus d'emprunt !
- Dévaluée la spéculation du milliardaire escomptant la
reproduction d'un " clone " à son image pour transmettre en même temps son
capital génétique et ses intérêts financiers !
La première cellule qui n'aurait pas un père et une mère ne
pourrait survivre longtemps, l'être ne serait même pas conçu !
Pour le généticien, " Honore ton Père et ta Mère, afin de vivre
longuement ", est bien un commandement divin : la nature lui obéit.
7) Ici commence LA CRAINTE, pourrait-on écrire à la fin de cette
énumération. La crainte mais pas l'abandon de toute espérance comme à l'entrée de l'enfer de Dante.
Pourtant voyez notre puissance et donc mesurez les dangers.
Nous commençons d'épeler lettre à lettre, C, A, T ou G. l'immense
message génétique. Il remplira l'équivalent de six collections complètes de
l'Encyclopaedia universalis !
Aucun homme ne le lira en entier et ne pourra le comprendre, mais on
mettra l'information en machine. L'appareil nous restituera, sur demande, le
passage, qui nous intéresse. Même un robot sophistiqué (employant la P.C.R.)
nous fabriquera sur simple requête la portion de la molécule sur laquelle on
poursuivra l'expérimentation, soit pour éliminer un gène indésirable, soit
pour rafistoler un paragraphe défaillant.
L'utilisation médicale est hautement souhaitable et ne soulève
aucun problème moral nouveau, tant qu'on opère avec prudence et dans
l'intérêt personnel du sujet.
Mais notre génération n'est pas propriétaire d'un patrimoine dont
nous sommes seulement les dépositaires.
L'ADN humain n'est pas un matériau qu'on puisse breveter ou vendre
ou bricoler sans vergogne.
Il faudrait que les lois le disent :
le génome humain est indisponible.
Oseriez-vous proposer d'imposer votre morale aux autres ? dira-t-on.
Dans un État pluraliste qui ne se réfère à aucune morale absolue, tenter
(légalement
s'entend) de faire entrer sa morale dans les lois de son pays est beaucoup plus qu'un droit, c'est le devoir du citoyen.
Quant à la crainte qui stimule l'esprit, elle n'est nullement peur de la nouveauté ou terreur de la technique ; soumises à une juste gouvernence sont les clés de l'efficace.
Cette crainte qui éclaire l'esprit, parce qu'elle est un mouvement du cœur, est celle d'abandonner la révérence due au Créateur et, parlant, le respect dû sa créature. Tiniete Dominum et nihil aliud, voilà la liberté de l'esprit. Craignez Dieu et rien d'autre : cette liberté d'esprit va nous être fort nécessaire.
Car il est une science et une seule, que je vous confierai sans risque de me tromper :
II faudra Science avec Conscience pour éviter la ruine de l'homme.
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II - De la morale à la technologie
Chaque jour, les variations nouvelles de la procréatique artificielle paraissent s'opposer aux enseignements constants de la Morale naturelle.
Cette confrontation nous permettra peut-être d'esquisser la réponse à l'interrogation majeure de notre époque ; tabou dépassé ou garde-fou nécessaire, la morale est-elle la duègne rabat-joie dont on moque les remarques, ou le guide éclairé dont on écoute les avis ?
Entre morale et technique, il ne s'agit pas de marivaudage :
Maîtresse ou servante, toute méprise serait tragédie.
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1 - Les variations procréatiques
Régenter les unions humaines est une tentation fort ancienne ; Platon lui-même y succomba.
Son eugénique théorique, pour raciste qu'elle fût, conservait toutefois quelque considération des personnes, du moins de celles qui n'étaient point rejetées. On ne disposait pas encore à l'époque de moyens de transmission indépendants des procréateurs.
Avec la possibilité de stocker la semence mâle ou même les embryons, la procréatique artificielle fournit une matière nouvelle aux spéculations les plus aventurées sur le patrimoine des hommes.
Les banques de sperme font florès en art vétérinaire. Navigateur intrépide, le spermatozoïde affronte les froids les plus rudes pour retrouver sa mobilité sitôt la chaleur revenue.
Dans notre espèce, l'insémination à distance par envoi de sperme congelé fut en vogue parmi les G.I.s. durant la guerre de Corée. Par milliers, des enfants furent ainsi conçus à distance, procurant à la compagne restée au pays une descendance légitime (aux cireurs de flaconnage près !).
Il y a quelque trente ans, feu le Professeur Millier, généticien fort célèbre, déplorait que des femmes intelligentes et libérées persistassent à se faire fabriquer leurs enfants par leurs médiocres maris ; il serait bien plus expédient et plus bénéfique pour l'espèce, proclamait-il, qu'elles s'adressassent au bon faiseur qui leur fournirait de la semence sélectionnée.
Pour allécher la clientèle il proposait de conserver dans ses paillettes quelques exemples illustres : la liste se terminait par deux hommes politiques qu'il estimait particulièrement, Lénine et Staline. Lors d'un congrès ultérieur, le Professeur Miller exhiba la même liste, à laquelle manquait un seul nom, le dernier. Krouchtchev
venait de décréter la déstalinisation
quelques mois auparavant. Si la banque idéale de Müller était remise au
goût du jour, on se demande combien de temps encore on oserait conserver le
nom de Lénine !
Cette histoire vraie n'est pas une plaisanterie, et Müller était
un technicien compétent ; mais pour juger de l'homme... il faudrait n'être
pas partie !
En plus de l'insémination par " donneur " pour suppléer à une
carence maritale, on parle aujourd'hui de " mère porteuse " inséminée à distance par le conjoint d'une femme stérile et livrant neuf mois plus tard
son enfant contre une soulte d'argent.
La pudibonderie terminologique est tout à fait remarquable : on
appelle " donneur " celui qui abandonne à l'avance ses devoirs de paternité,
on répute " mère " celle qui engendre pour le vendre un enfant adultérin
!
À ce jour, les ovules ne se trouvent pas en banque. L'ovule tolère
fort mal, semble-t-il, le passage au froid intense alors que l'embryon le
supporte assez bien. Cette différence de résistance est une indication
supplémentaire du véritable changement d'état déterminé par la
fécondation.
Paradoxalement, l'incroyable vitalité du tout jeune embryon
l'expose à bien des dangers. Le transporter d'une femme à une autre par
rinçage de la trompe et le transférer dans un utérus-récipient n'est
nullement une prouesse. Il suffit que les cycles ovariens de la " donneuse " et
de la " receveuse " aient été synchronisés. La grossesse par procuration est
déjà réalisée, la ménopause même n'étant plus un obstacle comme on l'a vu
par l'imbroglio de la grand-mère portant son propre petit-fils obtenu par
fécondation in vitro d'un ovule de sa fille par un spermatozoïde de son
gendre.
La procréatique artificielle peut même s'attaquer à l'unité de
l'être et fabriquer des jumeaux vrais en coupant l'embryon en deux : cela
réussit assez bien en art vétérinaire, chez les ovins et les bovins.
L'application à l'homme est déjà discutée par certains
visionnaires, non pour fabriquer en série des jumeaux comme dans le Meilleur
des mondes d'Aldous Huxley mais pour une utilisation beaucoup plus
prosaïque.
L'un des jumeaux serait surgelé tandis que l'autre serait "
cultivé " pour vérifier sa constitution tant chimique que chromosomique. Il
périrait bien sûr au cours des investigations, mais si ce jumeau sacrifié
passait avec succès les contrôles de qualité, le jumeau épargné serait
implanté plus tard. Dans le cas contraire, il ne serait pas épargné plus
longtemps !
En plus de ce contrôle de conformité, d'autres proposent de
revivifier une antique théorie, celle du " double " imaginée par les anciens
Égyptiens.
L'un des jumeaux serait autorisé à croître, l'autre étant
conservé au frigo. (On pourrait d'ailleurs aller jusqu'à trois. L'un des
triplés étant promis aux tests, l'autre à l'élevage, et le troisième gardé
en réserve).
Aux dires de promoteur, l'intérêt de la manipulation serait le
suivant. L'âge venant, ou quelque maladie dégénérative s'installant, il
serait fort utile de récupérer le " double " pour le faire se développer
quelque peu dans quelque matrice de louage, voire dans un utérus animal. On en
retirerait ensuite des pièces détachées (lignées cellulaires, ébauches
d'organes, etc.), parfaitement compatibles, afin de rafistoler le modèle
vieillissant.
Ce cannibalisme du tout jeune au bénéfice du sénescent a été
déjà mis en œuvre, à propos de la maladie de Parkinson, ou paralysie
agitante.
À vrai dire, il ne s'agit plus ici de conserver un " double ", mais
bien d'utiliser un fœtus vivant, âgé de 3 à 4 mois, dont on prélève des
cellules cérébrales pour les implanter dans le cerveau d'un patient. Les
résultats de ces expériences terribles
sont,.à ce jour, extrêmement douteux ou même à peu près nuls (Clough C.G., "Parkinson's clisease management" Lancct, 337, 1991, pp. 1312-1327), en dépit d'une énorme publicité. Pourtant ces protocoles ont joué un grand rôle pour convaincre certains parlementaires de retirer l "habeas corpus" à de très jeunes Anglais !
Quant à la jouissance sans naissance, et à la volupté sans fidélité, découverte spectaculaire de notre fin de siècle, elle est l'application chez nous d'un modernisme éprouvé depuis plus de 300.000 ans !
Chez les insectes sociaux, les femelles libérées par le travail (une fourmi n'arrête guère) sont délivrées de tout souci de fécondation. Une seule reste soumise à l'esclavage reproductif... la Reine. Mais les ouvrières infécondes accèdent constamment à la jouissance la plus vive. Échangeant sans répit la volupté suprême de la régurgitation, provoquée par la titillation des antennes, elles composent l'immense jabot communautaire que nous nommons leur société.
En allant à l'extrême, on pourrait ne garder que le seul plaisir : l'usine à reproduire serait alors le développement logique de la fécondation m vitro.
Dans une telle société, les relations entre individus (de sexes opposés ou non) se limiteraient à des prestations voluptueuses aussi fréquentes que possibles avec des partenaires indéfiniment variés. Doit-on répéter ici qu'Aldous Huxley avait génialement prévu que dans ce monde sans tabous, où l'obscénité même était enseignée aux enfants des écoles, il avait fallu réimprimer toute la littérature anglaise pour l'expurger d'un mot absolument intolérable qu'il fallait remplacer par trois points de suspension. Cette obscénité absolue était le mot : MÈRE.
Voici, brièvement résumée, la procréatique artificielle à laquelle nous sommes exposés : voyons maintenant, s'il se peut, la morale naturelle.
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2 - La morale naturelle
Chacun sait bien aujourd'hui qu'il n'y a pas de "nature humaine", les nouveaux humanistes l'ont définitivement proclamé. Que le comportement moral, surtout en matière de sexe, puisse relever de lois naturelles est un point de vue tout à fait dépassé. D'ailleurs la vieille plaisanterie nous l'indique : "S'il y avait une morale, elle serait bien mal placée dans le fond d'un pantalon !".
Quelle méconnaissance de la neuro-anatomie !
Chaque point de notre "sac de peau" se trouve représenté dans l'écorce cérébrale. À peu près au niveau du serre-tête dont les jeunes filles retenaient leurs cheveux (ou de l'étrier soutenant les écouteurs du walkman) se projettent les zones motrices et sensitives, sur le versant antérieur et le versant postérieur de la scissure de Rolando.
L'homoncule neurologique se trouve comme allongé sur la circonvolution pariétale ascendante, la tête vers le bas, les jambes vers le haut, avec les pieds situés dans le sillon inter-hémisphérique. Chaque organe est représenté dans l'ordre anatomique, la tête, le cou, la main, l'avant-bras, le bras, le thorax, l'abdomen, la cuisse, la jambe, le pied et, tout au bout des orteils,.., les organes génitaux.
Cette disposition surprenante à première vue paraîtra tout à fait logique si on se souvient que l'homme est redressé : s'il se tenait à quatre pattes, on verrait aussitôt que l'organe sexuel se trouve effectivement situé à l'extrémité postérieure du tronc.
Comme nous n'avons point de queue (on sait combien l'animal utilise cet appendice dans la signalisation affective), la représentation de nos organes génitaux, à l'extrémité inférieure de la pariétale ascendante, touche l'énorme circonvolution limbique, siège de tous les instincts.
De ce fait, le génital est la seule représentation de notre corps
à être au contact immédiat du centre des émotions où rognent les pulsions
qui nous meuvent : celles qui tendent à la persistance de l'être (la faim, la
soif, l'agressivité) ou à la persistance de l'espèce (la quête du
partenaire, le plaisir, l'amour du petit).
Il s'ensuit que nous sommes ainsi faits que ce qui touche au
génital ébranle directement le moral, neurologiquement parlant. D'où
peut-être notre impossibilité de maîtriser le comportement émotif si
l'emprise de la volonté ne s'étend pas aussi, et peut-être d'abord, au
comportement génital conscient et délibéré.
Dans les civilisations monogames, le dépôt des cellules
reproductrices dans ce temple intérieur qu'est l'organe féminin, reste la
prérogative exclusive du mari.
L'union des sexes est un acte délibéré, capable de sceller
définitivement l'engagement des personnes. Éventuellement, des heures plus
tard, in spermatozoïde pénétrera un ovule mais cet événement est alors une
conséquence de la physiologie cellulaire qui ne requiert nullement la
participation volontaire des conjoints.
Il s'ensuit que l'apport des gamètes, par l'union des personnes, "
acte d'amour " proprement dit, diffère de la fécondation, " acte de naissance
" si l'on peut dire. de l'être nouvellement conçu.
Les interventions du technicien peuvent donc se développer sur deux
registres différents :
- S'il se fait livreur de gamètes, il s'arroge en cela, par
seringue interposée, le privilège du mari. En ce sens très réel, il y a
substitution de personne.
- En revanche, s'il lève l'obstacle à la conjonction des cellules
reproductrices en surmontant un empêchement anatomique, infectieux, hormonal
ou métabolique, il agit strictement en aidant la nature, fonction propre au
médecin.
Cette distinction opérationnelle entre la substitutif) personarum
et l'adjutorium naturae, d'ailleurs pleinement conforme à la saine doctrine,
peut sembler au premier abord un peu bien académique. Il n'en est rien
pourtant, comme on voit par la réflexion fort éclairante (Testard J., L'oeuf transparent, Flammarion, 1986) d'une femme
venant de subir le transfert de son embryon après fécondation
extra-corporelle. Les trois techniciens avaient opéré dans une atmosphère
respectueuse, égayée par une musique douce. Quelques instants plus tard les
opérateurs s'étant retirés, la future mère, à son mari troublé lui
demandant comment la chose s'était passée, répondit tout à trac : " j'ai
fait l'amour avec les trois ". Cette phrase qui brave un peu l'honnêteté est
une évocation réaliste, ou plutôt sur-réaliste, que seule une femme pouvait
découvrir, delà substitution des personnes décrites par les moralistes.
Sur cette planète, l'homme est le seul à se demander qui il est,
d'où il vient et à entendre parfois la question redoutable : qu'as-tu fait de
ton frère ? Qu'as-tu fait de ton enfant ?
Il est aussi le seul à connaître, et ceci depuis toujours, la
mystérieuse relation entre l'amour et l'enfant. Le chimpanzé le plus malin,
le plus parfaitement dressé, ne pourra jamais comprendre qu'il existe un
rapport entre la monte de sa guenon et la survenue neuf mois plus tard d'un
petit qui lui ressemble. L'homme, lui, a toujours su que la passion voluptueuse
est liée par nature à l'engendrement du semblable ; les Anciens, avec la plus
grande justesse, représentaient la passion de l'Amour sous les traits d'un
enfant.
Cette immense découverte confère à notre comportement amoureux une
perspective ignorée de tous les autres vivants. Il en résulte que dissocier
l'enfant de l'amour est, pour notre espèce, une erreur de méthode :
- la contraception, qui est faire l'amour sans faire l'enfant,
- la fécondation extra-corporelle, qui est faire l'enfant sans
faire l'amour,
- l'avortement, qui est détaire l'enfant,
- et la pornographie, qui est défaire l'amour,
se trouvent, à des degrés divers, incompatibles avec la morale naturelle.
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3 - Vers l'éthique étatique
Puisque la technique évolue et pose des questions si nouvelles que la morale s'essouffle à la suivre, il n'est que d'inventer une éthique nouvelle. Il y a des Comités pour ça.
Certaines manipulations paraissent-elles immorales ? Mais, nous dit-on, ces expériences sont "moralement nécessaires et nécessairement immorales, sans se demander si elles ne sont pas tout simplement "moralement inutiles et inutilement immorales". De plus, enchaîne-t-on pour nous rassurer : l'État viendra par la suite décréter le Bien et le Mal ; ainsi sera fondée une éthique étatique.
D'ailleurs, les avancées technologiques effaceront les difficultés qui peuvent choquer aujourd'hui.
- Objectez-vous à la congélation des tous jeunes humains ? Attendez que la congélation des ovules soit tout à fait au point et la banque d'ovocytes remplacera la banque d'embryons.
- Réprouvez-vous l'avortement eugénique de patients âgés de quelques mois in utero et reconnus porteurs d'une affection redoutable ? Encore quelques progrès et toutes ces maladies seront décelables chez l'embryon de quelques jours... Il suffira de ne pas l'implanter.
Dans cette profession de foi expérimentaliste, la manipulation est la seule espérance et le raffinement technique, l'ultime charité. Ces vertus nouvelles méritent qu'on les juge à leurs conséquences avant de les accepter.
Selon la loi britannique "Human fertilisation and Embryology 1990" (presque illisible pour le non spécialiste tant le texte est touffu) une "Authority" nommée par le Secrétaire d'État, est habilitée à donner licence d'expérimenter sur les embryons humains.
Le tout jeune être conçu in vitro se trouve alors promis à l'expérimentation à deux conditions seulement :
a) qu'il n'ait pas dépassé l'âge de quatorze jours révolus depuis la fécondation (le temps passé au congélateur n'étant pas pris en considération),
b) qu'il soit dûment éliminé après usage, avant le quinzième jour de sa vie.
Deux conséquences de cette éthique étatique, autorisant la vivisection avant le quatorzième jour de la vie sont déjà connues.
La première est technologique. Ainsi que l'ont montré Monk et al (Monk et al, "Preimplanlation sexing and diagnosis of hypoxanthine phosplioribosyl transferase deficiency in mice by biocheinical microassay", American Journal of Médecine and Genetics, 35, 1990. pp. 201-205), il est possible de retirer une seule cellule d'un tout jeune embryon (au stade de huit cellules) sans trop compromettre sa survie et son développement. Par amplification de l'ADN de cette seule cellule, il devient possible de déterminer certaines particularités génétiques grâce à des sondes appropriées.
Est-ce un garçon ou une fille ?
Ou même, dans certaines familles à risque, ce sujet est-il atteint d'une maladie génétique particulière, d'une mutation portant sur une seule lettre du message générique ?
Ces prouesses technologiques, quasiment inimaginables il y a quelques années (avant la découverte de la multiplication artificielle de séquences de l'ADN par la P.C.R.), sont dès aujourd'hui réalisées. On propose donc le
contrôle de qualité de l'embryon conçu in vitro. En cas de maladie liée au
sexe comme l'hémophilie, tous les mâles seront rejetés. En cas de mutation
génique, les porteurs de la tare seront éliminés.
La puissance d'investigation de la biologie moléculaire contraste
ici prodigieusement avec l'incroyable myopie des expérimentateurs : capables
de reconnaître sur une seule cellule du tout jeune embryon s'il porte ou non
une mutation minuscule, ils détectent sa particularité et ne voient pas son
humanité !
La seconde est juridique. Compte tenu de l'" habeas corpus ", aucune
loi anglaise ne peut autoriser la vivisection d'un membre de notre espèce sauf
si l'embryon de moins de quinze jours n'est pas humanisé, n'est pas un être
humain. Comme ce texte tient sa validité d'un vote du Parlement et de la
signature royale, il en résulte une curieuse difficulté.
Si la loi dit vrai, pendant les quatorze premiers jours de sa vie,
la Reine d'Angleterre n'était pas un être humain. De ce fait (toujours si la
loi dit vrai), la continuité dynastique s'est trouvée interrompue à chaque
génération, par un maillon intérimaire non-humain. La signature royale est
alors, généalogiquement parlant, frappée d'invalidité ! Mais que dire des
membres des deux chambres, (toujours si la loi dit vrai) ils furent tous, au
moins pendant quatorze jours, des êtres non-humains ! Et pour le généticien
que je suis, il paraîtrait tout à fait immoral de confier les destinées d'une
noble nation à d'anciens animaux…
II est clair que cette loi ne dit pas le vrai, et le simple bon sens
nous l'assurait déjà ; la reine d'Angleterre était un être humain dès le
premier instant de sa conception, le contraire serait proprement inconcevable.
Quant à tous les sujets de sa Gracieuse Majesté, y compris les Membres du
Parlement, ils sont et ont toujours été des êtres humains à part entière
depuis le tout début de leur vie.
Ainsi l'éthique étatique, qui tentait de contourner le problème,
ne peut éluder la question qui fonde la morale : qu'est-ce qu'un être,
qu'est-ce qu'un humain, qu'est-ce qu'une personne ?...
Il me reste à discuter des questions si fondamentales que l'on n'y
peut répondre qu'avec la plus grande brièveté.
Quand commence un être ?
Au moment de sa conception.
Qu'est-ce qu'un être humain ?
Un membre de notre espèce.
Qu'est-ce qu'une personne ?
Un être humain vivant.
Voilà ce que nous enseignerait, je crois, non point la Fausse
Suivante mais la Maîtresse de Vérité si nous osions l'interroger. Mais, pour
entendre vraiment sa réponse, quelques heures ne pourraient suffire. Il y faut
toute la vie.
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